Georges Dandin où le mari confondu, de Molière, musique de Lully, mise en scène de Michel Fau, Athénée Théâtre Louis-Jouvet
   © Marcel Hartmann   ƒƒ article de Denis Sanglard « Vous l’avez voulu, vous l’avez voulu Georges Dandin, vous l’avez voulu. » Répété ad nauseam par ce riche paysan, broyé par sa lucidité pour avoir acheté un titre fantoche avec en sautoir une héritière désargentée qui ne s’en laisse pas conter devant ce marchandage odieux dont elle fut l’objet, victime non consentante sacrifiée sur l’autel des intérêts familiaux et d’un rêve de grandeur impossible. Georges Dandin ce n’est pas une question d’amour mais une question d’argent, renflouer la belle-famille ruinée et sclérosée sur leur titre et leur classe, pour une illusion d’ascension sociale dont ils font tous les deux, Georges Dandin et Angélique, à leur façon, les frais. Guerre des sexes, guerre de classe, guerre économique, c’est tout ça à la fois. Alors quand passe un fat, petit vicomte se voulant galant homme, qui vous rappelle pour l’une votre jeunesse en péril, votre rang perdu, voire votre émancipation possible, et pour l’autre une condition factice, bouseux un jour-bouseux toujours, l’humiliation continuelle prend un sale tour. Molière met à nu avec férocité sous la farce les mécanismes sociaux de ses contemporains qui broient chacun, victimes et bourreaux tout à la fois. Lutte des classes, circulation de l’argent et affrontement des sexes dans une situation qui tourne au cauchemar grotesque, les personnages se cognent contre la violence d’un système, une organisation sociale qui les enferme et les oblige malgré eux. Michel Fau, en poil de carotte pour l’occasion, met cela en scène avec subtilité, restituant là en contre point grinçant salement, les incises musicales de Lully et de Molière, intermèdes baroques, pastorale où bergers et bergères déroulent la carte du tendre, prônant amour, félicité et fidélité, choisissant de noyer le chagrin d’amour dans le vin plutôt que de se jeter la tête la première dans la rivière. Michel Fau privilégie certes la farce mais tempérée par le désespoir de son personnage d’une lucidité douloureuse et amère devant la haine générale qu’il suscite, d’angélique et de ses beaux-parents de Sottenville fauchés mais infatués de leur condition, jusqu’à la domesticité rouée, au plus près de ses intérêts, toujours et évidemment du meilleur côté du manche. Michel Fau est un clown baroque mais délesté ici de ces habits d’Auguste, de son masque, pour ne faire sourdre que le tragique de son personnage, tragique que l’on retrouve accusé par la dynamique de la farce même. Une mise en scène à l’esthétique baroque assumée, beauté en trompe l’œil et faux-nez devant la laideur des sentiments et le cauchemar de la réalité qu’elle accuse de fait, et toute de verticalité avec cette étrange tour centrale, symbole de cette échelle sociale qu’une seule fois Georges Dandin réussira à monter avant de chuter définitivement. Un rez-de-chaussée fait d’une souche, qui n’est pas sans rappeler, hasard ou non, Arnolphe, dans l’Ecole des femmes, se faisant appeler Monsieur de la Souche et dont la parenté avec Georges Dandin s’éclairerait ici, symboliquement, d’un jour nouveau et cruel. Une souche donc, couronnée d’un balcon que surmonte une châsse gothique, enserrant Angélique en fausse sainteté, en madone vénérée par tous, vraie martyre d’un mariage arrangé et détesté. Pure illusion donc puisque cette tour – comme son mariage – est sa prison, descendue vivement en rappel pour y échapper et retrouver en tapinois l’amant Clitandre. Georges Dandin demeurant désespérément en bas donc, devant la porte, toujours condamné à regarder « le monde d’en haut » sans jamais pouvoir y accéder, dominé irrémédiablement par tous. Que résume en quelque sorte ce « Ah, Georges Dandin ! », répété comme un douloureux mantra, et qui signe, dès l’ouverture, sa défaite annoncée. C’est si vrai qu’à peine exprimé, la salle de s’esclaffer. Dur et violent. Nul n’est dupe dans cette affaire.   © Marcel Hartmann   Georges Dandin ou le mari confondu, de Molière Musique de Lully Mise en scène Michel Fau Direction musicale Gaétan Jarry Avec Alka Balbir, Armel Cazedepats, Michel Fau, Philippe Girard, Florent Hu, Anne-Guersande Ledoux, Nathalie Savary Quatre chanteurs en alternances : Soprano : Cécile Achille/Caroline Arnaud Soprano : Juliette Perret/Virginie Thomas, Ténor : David Ghilardi/François-Olivier Jean Baryton : Virgile Ancely/David Witczak et Cyril Costanzo L’ensemble Marguerite Louise, huit musiciens en alternance : Clavecin et direction : Gaétan Jarry Dessus de violon : Liv Heym, Patrick Oliva, Emmanuel Resche-Caserta, Tami Troman Violon 2 : David Rabinovici, Sandrine Dupré Alto : Camille Aubret, Satryo Yodomartono, Patrick Oliva, Maialen Loth Viole : Robin Pharo, Marion Martineau, Marie-Suzanne de Loye, Ondine Lacorne-Herbrard Flûte : Julien Martin, Victoire Fellonneau, Sébastien Marq Basson : Stéphane Tamby, Evolène Kiener Théorbe : Romain Falick, Etienne Galletier, Marco Horvat, Léo Brunet   Costumes : Christian Lacroix Décors : Emmanuel Charles Lumières : Joël Falbing Maquillage, coiffes et perruques : Véronique Soulier Nguyen avec la collaboration de la Maison Messaï Assistant à la mise en scène : Damien Lefèvre Assistant costumes : Jean-Philippe Pons Stagiaires assistants à la mise en scène : Barthélémy Fortier, Sacha Vilmar   Du 6 au 29 mai 2022 à 20 h Le dimanche à 16 h Relâche le lundi     Athénée Théâtre Louis-Jouvet Square de l’Opéra Louis-Jouvet 7 rue Boudreau 75009 Paris Réservations 01 53 05 19 19 accueil@athenee-theatre.com      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Georges Dandin où le mari confondu, de Molière, musique de Lully, mise en scène de Michel Fau, Athénée Théâtre Louis-Jouvet
La Tendresse, Julie Berrès en collaboration avec Kevin Keiss et Lisa Guez, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris  
  © Axelle de Russé     ƒƒƒ article de Maxime Pierre Après son dernier spectacle Désobéir, consacré au questionnement du féminin, Julie Barrès, assistée de ses complices Kevin Keiss et Lisa Guez, revient avec une seconde pièce, consacrée à la masculinité. Car, pour parodier Beauvoir, « on ne naît pas homme on le devient ». Cela valait bien un deuxième volet à la réflexion sur le genre : après les filles, les garçons. Une structure de béton peint de noir : un bout de cité. Au fond, une double porte de hangar. À gauche, un pan de mur devient terrain de glisse. En haut, une plateforme vient servir de second niveau. Le décor est planté pour un parkour endiablé mêlant, chorégraphies urbaines, rap, hip hop. Les huit acteurs commencent par marquer leur territoire à coups de blazes écrits à la craie sur les murs avec le titre de la pièce. Ils fanfaronnent, font jouer leurs muscles, provoquent, se défient à coup de baffes et de poings s’il le faut. Se consoler par un câlin ? certainement pas. Ou alors du bout des doigts. Ils viennent d’un peu partout : d’Arménie, de Picardie, des Comores. Ils nous confient cette difficulté à être un homme. « Être un homme » : c’est quoi au juste ? Être un guerrier ? Aller en salle de sport ? Mais la réalité est plus complexe et les stéréotypes de la virilité sont de bien frêles cuirasses. « Tu seras un homme, mon fils. »  Oui, mais lequel ? Alors écoutons ce que ces huit jeunes gens ont à dire. Il y a Mohammed, le puceau en surpoids de vingt-six ans qui se réfugie dans une pureté factice pour fuir sa honte. Il y a Nasso, en capuche, qui en fait un peu trop pour se faire accepter par les copains. Il y a aussi Romain, Junior, Alexandre et Romain. Et puis il y a Tigrane, écorché vif depuis que son amie l’a quitté, désirant tout casser autour de lui. Ah ! Les femmes ! L’autre sexe, que l’on ne comprend pas. Ils le hurlent bien fort : « Salope ! Pute ! » Or c’est bien là le problème : le rejet d’un féminin incompris qui les condamne à la mutilation d’une part d’eux-mêmes. Alors ils réfléchissent et font tomber les masques. Derrière les rodomontades, il y a les doutes et les failles : plus d’une fois on aimerait être un déserteur de cette virilité factice. Natan confesse sa misère sexuelle conditionnée par l’industrie du porno. La trinité du sexe : « fellation, pénétration et le petit truc en plus ». Pas de quoi construire un grand amour. Nadjim, avoue ses doutes. Et ce n’est encore rien : tout est plus compliqué quand ce n’est pas les filles que tu aimes mais les hommes. Alors tout devient infernal : « PD, va ! » l’insulte ultime. « Alors, tout est PD » : le moindre mot de travers, la moindre enfreinte à la norme qu’il s’agisse de vêtements, de comportement ou de nourriture… Mais pourquoi est-ce si compliqué d’être un homme ? La faute aux femmes ? La faute au féminisme et aux mouvements me too ? Nasso, dont le corps frémissant, en transe, part dans un étonnant breakdance, a peut-être, dans son corps décomposé-recomposé par la danse, la réponse. Car Nasso, que cette question obsède depuis sa tendre enfance, a son idée sur la question. Et si la tendresse était ce petit chemin qui permet de relier les hommes entre eux ? Accepter que la vulnérabilité, la douceur ne soient pas une faiblesse mais la condition d’un pas vers l’autre, que l’on soit homme ou femme. Le public, reste captivé de bout en bout par l’énergie des acteurs et la pertinence du propos. Cette pièce, salutaire pour tous les sexes et tous les âges, reçoit, et c’est bien mérité, une standing ovation.   © Axelle de Russé   La délicatesse, conception et mise en scène : Julie Berès Écriture et dramaturgie : Kevin Keiss, Julie Berès, Lisa Guez avec la collaboration d’Alice Zeniter Chorégraphie : Jessica Noita Référentes artistiques : Alice Gozlan et Béatrice Chéramy Création lumière : Kélig Le Bars assisté par Mathilde Domarle Création son et musique : Colombine Jacquemont Assistant à la composition : Martin Leterme Scénographie : Goury Création costumes : Caroline Tavernier et Marjolaine Mansot Régie générale création : Quentin Maudet Régie générale tournée : Loris Lallouette Régie plateau création : Dylan Plainchamp Régie plateau tournée : Amina Rezig et Florian Martinet Régie son : Haldan de Vulpillières Construction du décor :  Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique-Nantes   Avec Bboy Junior (Junior Bosila), Natan Bouzy, Naso Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner et Mohamed Seddiki     Durée : 1 h 45   Du 4 au 22 mai 2022 Du mardi au samedi à 20 h 30 Matinée le dimanche 15 et 22 mai à 16 h     Théâtre des Bouffes du Nord 37 (bis), bd de La Chapelle, 75010 Paris Réservations : 01 46 07 34 50 www.bouffesdunord.com      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur La Tendresse, Julie Berrès en collaboration avec Kevin Keiss et Lisa Guez, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris  
Le livre de l’intranquillité, de Fernando Pessoa, adaptation, mise en scène et jeu de David Legras, théâtre des Déchargeurs
  © Justin Wadlow   ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Le livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa est un journal intime  bouleversant à la langue magnifique. Le narrateur, un aide-comptable de Lisbonne, note du fond de sa firme obscure ses explorations intérieures. Il s’invente des vies, voyage sans bouger, ne supporte pas plus de trente minutes la fréquentation de ses semblables et observe de sa vigie toutes les illusions dont ils sont victimes. Ce bouffon du néant, sans passé ni avenir, ressemble à Godot et pratique comme Bartleby un art consommé de la litote. Comment porter à la scène un auteur qui refuse la notion même d’espace-temps et dit n’être personne excepté l’attention portée au geste d’écrire lui-même, sa seule source de jouissance ? « Le désir s’est transmué en ce qui est capable, en moi, de créer des rythmes verbaux, ou de les écouter chez les autres. Je frémis de plaisir s’ils disent bien… », dit Pessoa. David Legras relève la gageure en s’appuyant sur l’humour qui sourd du désespoir de ce récit des limbes. Le petit employé de bureau au costume étriqué qu’il incarne s’érige progressivement en observateur amusé de ses semblables dénué de toute acrimonie. Il jubile intérieurement de sa propre nullité ontologique, l’observe froidement et au final esquisse quelques pas de claquettes libératrices en murmurant « Si je tenais le monde entier dans ma main, je l’échangerais, j’en suis sûr, contre un billet pour la rue des Douradores », son quartier dans la ville basse. Le plateau des Déchargeurs se mue en maison de poupée sur un parquet penché comme le pont d’un bateau. Le narrateur nous entretient tout en rédigeant distraitement quelques libelles depuis son bureau d’écolier jusqu’à ce que sa montre à gousset sonne la fin de sa journée de travail. David Legras porte ce spectacle de bout en bout. Il a composé une trame dramatique originale à partir des 700 feuillets épars retrouvés dans une malle et publiés à titre posthume. Son interprétation musicale alterne longues et brèves, allegro lors de certaines confidences au public, pizzicato susurré lors des retours sur soi. Seule une voix subtile pouvait donner chair à cette parole volubile oscillant constamment de l’insignifiance à la profondeur. « Si un jour, disait Pessoa, dans un avenir auquel je n’appartiendrai plus, des louanges viennent prolonger la vie de ces pages, j’aurai enfin quelqu’un qui me comprenne, une vraie famille ». Venez rencontrer cette grande âme, notre frère de cœur, vous serez ému par l’intelligence d’un comédien au sommet de son art.   © Justin Wadlow   Le livre de L’intranquillité, écrit par Fernando Pessoa Mise en scène par David Legras Lumières : Dan Imbert Décors : Jacques Poix- Terrier Costumes : Jérôme Ragon Chorégraphie : Ana Yepes   Du 04 au 28 mai 2022 du mercredi au samedi à 19 h 15 Durée du spectacle : 1 h 15   Théâtre des Déchargeurs 3 rue des Déchargeurs, Paris 1° Réservation : 0142360050 www.lesdechargeurs.fr      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Le livre de l’intranquillité, de Fernando Pessoa, adaptation, mise en scène et jeu de David Legras, théâtre des Déchargeurs
Contemporary Dance, chorégraphie de Hofesh Shechter et Saaba, chorégraphie de Sharon Eyal, Göteborgsoperans Danskompani (direction Katrin Hall), Grande Halle de la Villette
  Saaba © Tilo Stengel   ƒƒƒ article de Denis Sanglard On ne reviendra pas ici sur Contemporary Dance, chorégraphié par Hofesh Shechter, chroniqué dans ce même Fauteuil il y a peu. Nonobstant dix minutes de moins sur la première version présentée au Théâtre des Abbesses et un espace plus étendu qui dilue quelque peu la force explosive de cette chorégraphie, rien d’autre à ajouter. Saaba. Une danse sur la pointe des pieds, des corps de fait en extension, à la verticalité exacerbée, toujours, au mouvements déliés ou cassés, une danse concentrée à l’extrême, plus implosive qu’explosive. Qu’ils soient refermés sur eux-mêmes, comme d’étranges chrysalides, ou soudain ouverts pour un envol toujours retenu, les corps sont en tension qui jamais ne se relâche, entre écartèlement plus que grand écart et fermeture tenue. C’est un étrange sabbat, oui. Il y a, là, de la danse de sioux et, ici, plus loin, dans un long et lent défilé, danseuse après danseuse, de la danse traditionnelle thaïe, le Kohn. Du moins croit-on le percevoir, le deviner. Figures d’offrants aux mains ouvertes, étranges officiants pour une cérémonie religieuse, païenne, paillarde, on ne sait. Guetteurs, mains en visière, corps en avant, fixant obstinément l’horizon. Autant semble-t-il d’évocations de fresques, babylonienne, égyptienne, imaginaire plus sûrement, où le corps répond à une géométrie angulaire précise, sculptant dans un même ensemble le groupe auquel il est intégré et l’espace dans lequel il évolue. Le mouvement est expressif, oui, mais demeure le mystère de ses étranges invocations qui se succèdent et métamorphosent le corps, menace cette verticalité obligée, têtue et fragile. Il y a un étrange chiasme entre ces corps sensuels, on peut le dire, et une sécheresse volontaire dans le mouvement, le plus souvent cassant, brutal même, comme soudain échappé d’avoir trop longtemps été retenu, contraint… Parfois le mouvement n’est que respiration, poitrine qui se soulève avec grande amplitude et c’est tout, c’est ténu et c’est immense. Sharon Eyal privilégie en premier lieu l’énergie du groupe. Lequel est compact, masse organique, un seul corps, bougeant tout en fluidité comme un banc de poisson où parfois se détache, s’échappe pour un court instant, un solo, une figure qui ne tarde pas à réintégrer l’ensemble comme pour y puiser à la source sa vitalité. Saaba est d’une étrange beauté épurée et d’une force tranquille sans pareille.   Saaba © Tilo Stengel   Contemporary Dance, chorégraphie et musique de Hofesh Shechter Interprétation : Jesse Bechard, Tsung-Hsien Chen, Sabine Groenendijk, Hiroki Ichinose, Janine Koertge, Valeria Kuzmica, Micol Mantini, Rachel McNamee, Einar Nikkerud, Riley O’Flynn, Endre Schumicky, Frida Dam Seidel, Lee-Yuan Tu, Joseba Yerro Izaguirre, Amanda Åkesson Conception des décors : Mylla Ek Création des costumes : Osnat Kelner, Hofesh Shechter Création lumières : Tom Visser Assistants à la chorégraphie : Bruno Guillore, Chris Evan, Attila Ronai   Saaba : chorégraphie de Sharon Eyal Co-création : Gai Behar Interprétation : Benjamin Behrends, Miguel Duarte, Hiroki Ichinose, Janine Koertge, Valeria Kuzmica, Rachel McNamee, Riley O’Flynn, Christoph von Riedemann, Duncan C Schultz, Endre Schumicky, Frida Dam Seidel, Joseba Yerro Izaguirre, Amanda Åkesson Assistante chorégraphe : Rebecca Hytting Création des costumes : Maria Grazia Chiuri pour la Maison Dior Compositeur : Ori Lichtik Musique enregistrée Hold you down de Daniel Stanfill, Nate Mercereau et Michael Milosh (Rhye), Hayaty de Mohammed Abdel Wahab, Chant et Sanza de Jean Nkoulou et Homere Zambo (Patrice et Leontine Mboumba), From the and 15 de Avaq, Station to Station de Erin Elisabeth Birgy (Mega bog) Création lumières : Alon Cohen   Du 4 au 7 mai 2022 Du mercredi au vendredi à 20 h, samedi à 19 h   Grande Halle de la Villette 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris   Réservations 01 40 03 75 75 www.lavillette.com    Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Contemporary Dance, chorégraphie de Hofesh Shechter et Saaba, chorégraphie de Sharon Eyal, Göteborgsoperans Danskompani (direction Katrin Hall), Grande Halle de la Villette
Fin de partie, d’après Beckett, musique de György Kurtág, direction musicale de Markus Stenz, mise en scène de Pierre Audi, Opéra de Paris
  © Sébastien Mathé / Opéra de Paris   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Fin de partie est un opéra en un Acte, de deux heures, sans entracte, avec quatre personnages, du compositeur hongrois György Kurtág, adaptation de la pièce éponyme de Samuel Beckett publiée en 1957 qui avait été évoquée depuis de nombreuses années avec Pierre Audi, quand il était encore directeur de l’Almeida Theatre, scène expérimentale londonienne. Le projet s’est finalement réalisé. A l’âge de 92 ans, Kurtág a vu en 2018 à la Scala de Milan la création de son premier et sans doute dernier opéra. Il est aujourd’hui présenté à l’Opéra Garnier. Le compositeur voue une admiration sincère pour l’œuvre du dramaturge anglais qu’il a découverte à Paris, ses poèmes lui ayant inspiré plus tard plusieurs compositions (Samuel Beckett : What is the word en 1991 ; … pas à pas – nulle part… op. 36 en 1998). Il partage avec l’écrivain le goût pour les œuvres brèves. Fin de partie s’inspire de cette pièce souvent classée dans le théâtre de l’absurde, dans la continuité d’En attendant Godot qui l’avait précédé de cinq ans, en dépit du refus de Beckett d’être ainsi catalogué. Celui-ci qui avait suivi de près la création par Roger Blin auquel la pièce est dédiée (publiée aux Éditions de minuit) et laissé des didascalies précises, n’avait pas donné d’indication équivalente à celles de En attendant Godot, énonçant explicitement et sans ambiguïté son opposition à toute musique de scène, mais pas à une musique instrumentale inspirée par la pièce, à condition qu’elle ne soit pas vocale. Le travail de G. Kurtág sur Fin de partie arrive tellement bien à en respecter l’essence tout en créant une œuvre propre et qui se détache d’une partie du texte (il n’en reprend que la moitié et ajoute un prologue), que l’on peut imaginer que Beckett aurait été intéressé par cette œuvre opératique, qui ne manquera pas de passionner les amateurs du dramaturge et/ou de musique contemporaine. C’est le directeur actuel du Festival d’Aix-en-Provence qui signe la mise en scène. A l’exception des mouvements de décors qui sont opérés dans des intervalles un peu trop longs entre différentes scènes car ils font perdre au spectateur l’intensité et la dramaturgie de l’œuvre, la mise en scène et la scénographie emportent l’adhésion. Le décor épuré de Chistof Hetzer convient très bien au minimalisme du texte de Beckett. La grande maison argentée, qui fait plutôt penser à une grange ou à un hangar stylisé, surmonté par une double découpe géométrique épousant à distance celle du toit, est du plus bel effet dans les lumières de Urs Schönebaum. La musique ensuite. Excellemment travaillée par l’Orchestre national de Paris et le chef Markus Stenz, qui d’ailleurs au moment des saluts de la première a fait applaudir le livret et la partition du compositeur, la composition de K. Kurtág se révèle d’une très grande richesse. Elle explore en en prenant parfois le contre-pied, la prosodie de la langue de Beckett. Tandis que ce dernier fait se succéder des phrases brèves, souvent décousues et devant être délivrées dans un débit rapide, G. Kurtág au contraire, étire certaines voyelles, découpe des mots comme pour mieux en donner toute la richesse musicale, fait vocaliser les rires comme les bâillements, ce qui est du plus grand effet comique et mélodique. Les influences avouées de compositeur sont celles de ses maîtres (Milhaud, Messiaen, mais aussi Moussorgski et Debussy), mais on croirait aussi entendre des accents de Berg parfois. Certains spectateurs, notamment ceux qui sont moins habitués que d’autres à l’écriture musicale contemporaine, s’ennuieront peut-être, telle cette voisine en orchestre murmurant légèrement exaspérée dans un soupir au premier tombé de rideau : « deux heures comme ça… ». Pourtant on ne s’ennuie pas un instant (à part encore une fois durant les déplacements de décors) et on savoure la richesse de certains instruments pas si fréquents (notamment le cymbalum et le bayan) à l’orchestre. Les solistes enfin. Il n’y a que quatre rôles dans le texte original de Beckett et tous les quatre sont remarquables dans la distribution de l’opéra au Palais Garnier. Pourtant, l’annonce avant le lever de rideau, selon laquelle Frode Olsen était souffrant mais avait accepté de chanter, pouvait légitimement inquiéter. Crainte totalement infondée. En dépit de son immobilisme forcé, la basse qui avait créé le rôle à Milan, s’impose avec facilité, offrant un Hamm imposant physiquement bien que cloué dans son fauteuil roulant, bras nus, jambes recouvertes, regard qui semble perçant malgré ses lunettes sombres d’aveugle, et imposant vocalement dans ses monologues, y compris dans les bâillements de son premier monologue. Le serviteur Clov, seul personnage à ne pas être condamné à l’immobilité, mais qui claudique douloureusement dans ses habits sales et usés, est interprété avec brio par Leigh Melrose. Le ténor, tel un animal blessé, aux sens propre et figuré, chante toute sa haine, ses frustrations pour cette vie misérable qu’il a traversée au service de trois infirmes, Hamm et ses parents. Pourquoi est-il là, pourquoi est-il resté, pourquoi s’en va-t-il maintenant ? Nell et Nagg incarnés par Hillary Summers et Leonardo Cortellazzi forment un duo délicieux. La contralto fait une première apparition dans le prologue ajouté par le compositeur tiré du poème Roundelay écrit vingt ans après Fin de partie par Beckett. Le sens de cet ajout ne relève pas de l’évidence. Le ténor est truculent. On ne sait comment du fin fond de sa poubelle, sa tête dépassant à peine, il projette aussi facilement sa voix de bel canto. Par ailleurs sa présence est fabuleuse, usant avec efficacité de tout ce qu’il peut, le roulement de ses yeux, les soubresauts des doigts de ses mains jamais en repos, les inclinations de la tête. Curieusement, les choix dans le texte de Beckett opérés par Kurtág en restituent à la fois bien l’essence, et le rend moins féroce que l’original, en particulier s’agissant des relations conflictuelles entre les personnages qui sont moins flagrantes : dans le couple, entre le fils et ses parents, et notamment le père, entre le fils et son serviteur, dont on a dit souvent qu’il pouvait être considéré comme le fils adoptif de Hamm. Il n’en reste pas moins que l’intrigue est sans surprise et sans espoir. Sombre comme une nuit sans fin, implacable comme la condamnation des personnages dans leurs libertés de mouvements, cruelle comme les mots qui sifflent entre chacun, sanglante comme le linge dont Hamm se recouvre la tête, un suaire diabolique qu’il se réjouit, dans les derniers mots qu’il prononce, d’être la seule chose qu’il va conserver. « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir » annonce Hamm dès le début de la première scène de la pièce et de l’opéra Fin de partie. La circularité de cette idée de fin dans le texte, interprétée comme une réflexion philosophique ou métaphysique sur la condition humaine, sous la double influence historique du monde d’après-guerre, post-holocauste et voire potentiellement pré-apocalyptique avec la menace nucléaire en pleine Guerre froide, mais aussi psychanalytique avec le développement des théories freudienne et jungienne qui ont passionné Beckett. Depuis, la fin de l’homme, la fin de Dieu, la fin de l’histoire n’ont cessé d’être réinventés. Mais le mystère du « peut-être » reste entier, devant probablement être moins interprété comme une lueur d’espoir, que comme une illustration du mythe de Sisyphe. Même si Beckett se défendait d’appartenir au courant de la littérature de l’absurde, les mots de Hamm gardés par Kurtág, dans son premier monologue à la scène 4 (« il est temps que cela finisse et cependant j’hésite encore à… à… ») laissent peu de doute sur cette influence camusienne. Oui, on se dit tous un jour ou l’autre, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir…   © Sébastien Mathé / Opéra de Paris     Fin de partie, d’après la pièce Fin de partie de Beckett Musique et version dramaturgique : György Kurtág Direction musicale : Markus Stenz Mise en scène : Pierre Audi Décors/costumes : Christof Hetzer Lumières : Urs Schönebaum Dramaturgie : Klaus Bertisch Avec :  Frode Olsen (Hamm), Leigh Melrose (Clov), Hilary Summers (Nell) Leonardo Cortellazzi (Nagg)   Durée 2 h Les 5, 8, 10, 13, 14, 18 et 19 mai 2022, à 19 h 30     Opéra national de Paris Palais Garnier Place de l’Opéra, 75009 Paris www.operadeparis.fr      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Fin de partie, d’après Beckett, musique de György Kurtág, direction musicale de Markus Stenz, mise en scène de Pierre Audi, Opéra de Paris
Effleurer l’abysse, de Solenn Denis, mise en scène d’Audran Cattin, Théâtre La Flèche
  © Marie Charbonnier   ƒ article de Denis Sanglard Puisque nous sommes poussières d’étoiles, pourquoi une caméra infra-rouge ne capterait-elle pas les âmes défuntes comme les télescopes les étoiles mortes ?  Ainsi pense Jo, déchirée par la mort de son enfant. Jo, musicienne, qui compose sur son piano des chansons pour cet absent qui la mène au bord du gouffre. Jo qui croit fermement à la vie après la mort contrairement à son mari, Ben, astrophysicien, qui assiste impuissant à la dérive de sa compagne, au bord du précipice lui aussi devant l’obsession et la détresse de Jo. Un jour qu’il répète son exposé pour des enfants qui viendront visiter son labo, expliquant que nous sommes composés des mêmes substances que les étoiles, que son travail consiste à traquer la lumière émise par les étoiles mortes avec un télescope infrarouge, Jo se dit que là est sans doute la solution. Elle équipe l’appartement de caméra thermique pour tenter obstinément, désespérément de capter l’esprit de son enfant. Histoire d’un deuil impossible qui fracture un couple, déchiré par une absence qui les mène tout deux, à leur façon, à frôler les abysses. Si le sujet n’est pas très neuf, c’est dans son appréhension que Solenn Denis trouve son originalité, inspirée de sa rencontre avec Pierre-Olivier Lagage, astrophysicien. Mêler la science la plus pointue et concrète, en faire contre toute attente et contradictoirement, étrangement même, l’instrument médiumnique pour une quête désespérée, suscite là une certaine curiosité. Solenn Denis pose son sujet sans jugement aucun quant à la rationalité scientifique de Ben ou l’irrationalité têtue de Jo, au spectateur donc de se débrouiller avec ça. Ce qui importe ici c’est les ravages du deuil et ses conséquences dramatiques. Si la mise en scène d’Audran Cattin ne révolutionnera pas le genre, c’est sa toute première on peut donc être indulgent, c’est dans la direction des acteurs qu’il tient sans doute toute sa promesse. Une direction fine, précise et nette, un jeu naturaliste pour ne pas dire cinématographique, aidé en cela par cette petite salle qui prédispose à cette orientation, une certaine intimité. Un jeu tout en nuance aussi qui ose trouer de longs silences le dialogue. Des silences dans lesquels s’engouffrent non-dits et souffrances, fêlures et questions sans réponse. Tout cela est porté par la grâce de deux acteurs, Maximes Gleizes et Mathilde Weil, habités pour le moins, qui n’en font jamais trop, convaincants et toujours justes dans leurs personnages arc-boutés chacun dans ses convictions pour ne pas sombrer, voyant s’effriter leur couple rongé par le poids du deuil. On peut bien sûr s’agacer d’un choix de mise en scène qui tord le texte pour amener ce dernier dans sa résolution vers un côté vaguement fantastique (qu’accentue une bande-son qui n’est pas sans rappeler l’univers de la S.F),  un tantinet démonstratif sur la fin et qui soudain fait basculer la fable dans une conclusion que l’on aurait aimé plus ouverte qu’imposée et qui ne s’imposait peut-être pas. Qu’importe, c’est pour Audran Cattin une première fois, avec tous ces défauts véniels, et ce que l’on retient avant toute chose c’est cette conviction fermement chevillée à défendre dans ses pleins et ses déliés ce texte singulier. En cela c’est plutôt réussi.   © Marie Charbonnier   Effleurer l’abysse, de Solenn Denis Mise en scène Audran Cattin Avec Mathilde Weil, Maximes Gleizes, Simon Cohen   Du 1er avril au 3 juin, tous les vendredis à 21 h     Théâtre La Flèche 77 rue de Charonne 75011 Paris Réservation 01 40 09 70 40 www.theatrelafleche.fr   Tournée Février 2023 à Anis Gras- Le lieu de l’Autre, Arcueil      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Effleurer l’abysse, de Solenn Denis, mise en scène d’Audran Cattin, Théâtre La Flèche
Flowers (we are) de Claire Croizé et Matteo Fargion au Théâtre de la Bastille
  © Herman Sorgeloss   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Les hauts murs de la scène de la Bastille sont habillés d’un lamé argent. Fluide et brillant, il pare l’espace nu à la manière d’un corps de femme. Cela pourrait sembler kitsch au premier regard, et pourtant quelque chose nous retient et nous cherche. C’est étrange comme l’espace peut s’insinuer le véhicule d’un autre rapport au temps. Car la proposition de Claire Croizé, accompagnée des musiciens Matteo et Francesca Fargion, père et fille (avec quelque chose de shakespearien), et des danseurs Claire Godsmark, Gorka Gurrutxaga et Emmi Väisänen, est comme affranchie tant elle échappe aux modes et aux diktats de notre époque. Loin des canons de la danse contemporaine, elle crée sa propre capsule temporelle. On sent dans ce geste la même force et affirmation que chez ceux qui, peintres, poursuivirent le figuratif quand l’abstraction s’était depuis longtemps imposée. Dans ce maquis de contrebande, dans cette zone alchimique qui croiserait le magicien d’Oz et Tarkovski, Claire Croizé a conçu une danse qui ose le geste lyrique, tout en le portant à bout de bras, comme pour le détourer. Une danse incarnée au sens d’une danse forte d’un imaginaire (et l’on pense aux mots de Jérôme Bel dans son opus Danses pour une actrice – Valérie Dréville, expliquant que ce qui l’intéresse c’est l’imaginaire que porte le danseur). Une danse qui bifurque là où l’on ne l’attend jamais, qui investit des fragments narratifs (Tobias et son père aveugle), qui introduit des éléments matériels tel un flacon d’élixir, une grande feuille de papier enveloppant le corps d’une danseuse comme l’emballage d’un bouquet de fleurs. Une danse qui nous ensorcèle. Une danse expressive qui pourrait évoquer la délicatesse du maniérisme baroque. « How shall I hold your soul ? » chantent-ils, empruntant leurs mots épars à la première Elégie de Duino de Rainer Maria Rilke. Loin de tout hiératisme, avec une juste sensibilité apportant ce qu’il faut de trouble et de jeu pour que l’ensemble reste lâche, solos, duos, et trios rythment l’espace en miroir de la musique de Jean-Sébastien Bach jouée à quatre mains par père et fille Fargion. Le contrepoint de Bach est le contrecourant qui sourd contre la fuite du temps, sa fugue est l’élixir qui rend la jeunesse aux corps, et nous rend la vie. Assis devant leurs claviers, Francesca et Matteo Fargion effeuillent les pages du Clavier bien tempéré, ouvrent les failles d’où faire jaillir de nouvelles compositions, de nouvelles sonorités, de nouvelles résonnances. Si Bach est l’artiste de la mesure, et de la sensible intelligence qui se déplie et couvre et le monde et la vie, alors Fargion nous fait aussi entendre de la musique ses tensions, ses élans, ses pertes, ses émois. Fargion compose l’âme de la musique qu’il accompagne. Il me faut enfin raconter cette expérience troublante où j’eus la sensation que le spectacle lisait en moi. Par la qualité de l’espace qui progressivement figurera un paysage géométrique, triangles et disque composant montagnes et lune, mais encore plus par la qualité des présences sculptées par la musique de Bach, elle-même réinventée par Fargion, et par l’acte de cette danse, immédiate et immémoriale, il m’apparût que Flowers (we are) atteignait au temps mythique. En dehors du temps, Flowers (we are) nous promenait. De tout temps, Flowers (we are) nous accompagnait. A peine cette pensée s’imposait-elle à moi que la danse d’un faune prit corps sur la scène. Plus tard, alors même que je me faisais réflexion qu’avec Bach tout est décidément possible, qu’il inspire tout le vivant imaginable, nos gais lurons se mirent à scander avec bonheur et reconnaissance Johan / Sebastian / Bach. Flowers (we are) m’aura retourné, m’aura surpris, m’aura galvanisé. Flowers (we are) m’aura effleuré.   © Herman Sorgeloss     Flowers (we are), conception : Claire Croizé Avec : Claire Godsmark, Gorka Gurrutxaga et Emmi Väisänen (danse), Matteo Fargion et Francesca Fargion (musique) Composition musicale : Matteo Fargion Musique : Jean-Sébastien Bach Dramaturgie : Étienne Guilloteau Costumes : Anne-Catherine Kunz Lumière : Hans Meijer Son : Johan Vandermaelen   Durée : 55 minutes Du 19 au 22 avril à 20 h   Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Métro Bastille Tél : 01 43 57 42 14 https://www.theatre-bastille.com      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Flowers (we are) de Claire Croizé et Matteo Fargion au Théâtre de la Bastille
Black Bird, de Mathilde Rance, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
  © DR   ƒƒ article de Nicolas Thevenot D’emblée je crus me retrouver dans un roman post-exotique d’Antoine Volodine : était-ce cette silhouette humaine revêtue de plumes d’oiseau noir, tels ces immenses corbeaux spectateurs que mettent en scène les romans de l’écrivain sur des gradins désertés, était-ce cette litanie entêtante, cette liste de noms, néologismes pour la plupart, tous ornés à la mode du « -cisme », vociférés dans un chant rituel et comique à la fois, procédé que Volodine utilise lui aussi régulièrement pour peupler son univers de sectes et de partis politiques dans une classification aussi infinie que le langage ? Dans l’obscurité puis dans la lumière franche et fragile d’un clair-obscur, Mathilde Rance égrène d’une voix forte, gutturale, les « capitalicisme », « pornograficacisme » … détachant et prononçant à l’anglaise la désinence -cisme (c’est à dire phonétiquement : sizeum). Mathilde Rance tourne sur elle-même et piétine dans cette danse qui emprunte autant à l’imaginaire du sabbat de sorcières qu’à celui des danses ethniques. Le chant est autant celui du slogan hurlé dans une manifestation militante que celui d’un mantra magique répété en boucle, émaillé de caquètements de poule. Ce qui scelle le tout : l’énergie, la vigueur, la force, la puissance, et l’humour pince sans rire de Mathilde Rance. Ce que cela produit : une dynamisante critique de nos systèmes de représentation dans une prise à bras le corps du spectateur. Il y a une jouissance et une réjouissance à assister à ce cabaret décalé où les signes sont repris, leurs entrailles ouvertes pour voir ce qu’ils auraient à nous dire au-delà des mots. Mathilde Rance est cette chamane portant son tambour comme une lune magnifique en haut de ses bras. Mathilde Rance secoue les vieilles lunes. Elle fait effraction par la citation même des figures imposées à la féminité, cette joueuse de harpe au sol par exemple. La musicienne offre ses grimaces expressionnistes comme un point sur le i de chacune des notes éthérées de l’instrument divin, annihilant les clichés liés à la pratique de cet instrument. Derrière le vernis, le cri sans voix raye la nuit sans fond. Si le dessin précis et ramassé des séquences répond à la forme du cabaret, les lumières entre douches et latérales y participant aussi pleinement, on formera simplement le regret que Black Bird ne se soit pas développé au-delà de sa durée, trop brève, Mathilde Rance possédant la justesse et la souveraineté d’un geste singulier qui aurait pu se déployer encore plus dans le temps. Il n’empêche : Black Bird se révèle comme le spectacle baroque de notre époque, le cabinet de curiosité de nos imaginaires troubles.     Black Bird, conception, chorégraphie, création musicale, costumes & interprétation : Mathilde Rance Regard extérieur : Sandra Abouav Conseils musicaux : Paul Ramage Durée : 25 minutes   Du 12 au 16 avril 2022 à 20 h   Théâtre de la Ville Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Black Bird, de Mathilde Rance, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
Tempest project, d’après Shakespeare, adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, Théâtre des Bouffes du Nord
  © Marie-Clauzade   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia The Tempest est l’une des pièces les plus énigmatiques de Shakespeare, très difficile à mettre en scène, pas seulement en raison de sa dimension féérique, mais peut-être plus encore en raison des différents niveaux de compréhension de son texte, ou de ses différentes entrées. Peter Brook s’est confronté plusieurs fois à cette pièce qui est souvent présentée comme testamentaire, à travers Prospero, miroir de Shakespeare lui-même ; le personnage de fiction faisant ses adieux à la magie et l’auteur au théâtre. Le metteur en scène britannique a créé sa première Tempest en 1957, sa première Tempête (en français) en 1968, puis une nouvelle version d’après la traduction de Jean-Claude Carrière en 1990 (jouée en 1991 au Festival d’Avignon). Avec l’humilité qui est la sienne à l’aube, ou presque, de son centenaire et du travail presque aussi ancien sur les œuvres de Shakespeare (il aurait présenté un Hamlet en marionnettes à ses parents à l’âge de 7 ans), Peter Brook a remis sur le chantier cette pièce en l’approchant comme pour la première fois, sous la forme d’une humble recherche et d’un workshop de 15 jours dans « son » Théâtre des Bouffes du Nord, avec Marie-Hélène Estienne, juste avant le premier confinement. C’est cette recherche qu’il présente aux Bouffes du Nord après l’avoir créée au Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis à l’automne, en lui gardant modestement le nom de « projet ». En fait, il s’agit moins d’un projet sur La Tempête que d’une forme condensée, plus accessible de la pièce. Dans un environnement dépouillé, comme Peter Brook les affectionne (sa première Tempête en français se jouait dans un simple rectangle de sable), facilité par le décor naturel des Bouffes du Nord qui sied si bien à La Tempête, six comédiens aux nationalités et accents variés à l’image de nombre des distributions du metteur en scène, ont été chargés des rôles pas forcément principaux de la pièce. Des choix ont été faits et cela fonctionne à merveille. Tempest Project parvient à restituer l’essence de la pièce de Shakespeare, tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, la dimension merveilleuse ne pâtit nullement de l’absence de trucage ou autres effets merveilleux, à moins de considérer, ce qui est tentant, que le chant enchanteur de Harué Momoyama ne soit l’un d’entre eux. Cet aspect musical mis de côté, Marilù Marini, en extraordinaire Ariel, y est certainement pour beaucoup. La comédienne argentine joue avec grâce et espièglerie de la malice de son personnage. Elle forme un duo solaire et complice avec Prospero, incarné par Ery Nzaramba, qui sait être aussi majestueux que facétieux, drôle et grave, dès son arrivée par le fond du plateau dans son long manteau noir et écharpe blanche, et jusqu’à la scène finale dans son adresse directe au public, assis, qui s’achève dans une transition silencieuse devenue si rare au théâtre, avant que les spectateurs ne s’autorisent à applaudir. Tempest Project est également convaincant sur le fond. Le choix, notamment de réduire le nombre de personnages représentés sur scène et de privilégier par exemple les rôles secondaires (les bouffon, laquais et esclave Caliban sont joués par un excellent trio italien – Fabio et Luca Maniglio, Marcello Magni) sur ceux de leurs maîtres qui ne sont que cités (le roi de Naples, le frère usurpateur…), oriente les priorités ou caractéristiques centrales généralement soulignées de la pièce d’origine. C’est moins le temps qui passe, la vengeance ou l’ivresse du pouvoir qui dominent. C’est incontestablement la liberté. Celle qui est entravée et celle que l’on acquière. Nul besoin, sans doute, d’avoir été confronté à l’exil, à l’esclavage, ou tout autre forme violente ou légère de domination, pour ressentir la suprématie de ce droit si précieux. L’acquérir nécessite souvent d’abandonner à tout ce qui fournit parfois le mirage de la liberté. Prospero finit ainsi par comprendre qu’il doit renoncer à la magie et son Esprit Ariel qui le rendaient si puissant, à ses livres qui lui avaient permis de devenir si instruit et sage, à la vengeance contre son frère pour permettre le bonheur de Miranda, sa fille, à son île prise à son esclave Caliban. Se défaire de tout et être vraiment libre…   © Marie-Clauzade   Tempest Project, d’après la pièce La Tempête de Shakespeare Adaptation et mise en scène : Peter Brook et Marie-Hélène Estienne Traduction : Jean-Yves Lacroix Lumières : Philippe Vialatte Chants : Harué Momoyama Avec : Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini, Ery Nzaramba     Durée 1 h 20 Jusqu’au 30 avril 2022, à 20 h 30 A 15 h 30 le samedi     Théâtre des Bouffes du Nord 37 bis boulevard de la Chapelle 75010 Paris bouffesdunord.com        Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Tempest project, d’après Shakespeare, adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, Théâtre des Bouffes du Nord
Nos corps vivants d’Arthur Perole, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
  © Nina-Flore Hernandez     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Nos corps vivants. Nos vies. Nos amours. Nos peines. Nos désirs. Nos angoisses. Nos retraits. Nos émois… Nous. Emporté par la ronde furieuse et tumultueuse d’Arthur Perole, je me sens pousser des ailes, et je pourrais laisser fleurir, « C’est pour moi seule que je fleuris déserte » écrit Pessoa, citant Mallarmé, ces listes d’affects qui nomment chacun de nous et fondent notre humanité. Un nous, pleinement incarné, imparfait, vulnérable, unique et universel. Bien éloigné des « Nous tous » aseptisés et autres slogans de campagne. Arthur Perole m’aura préalablement accueilli dans le studio de l’Espace Cardin, comme chacun des spectateurs, m’offrant des confiseries dans un panier, ressuscitant presque la séance de cinéma à l’ancienne… à moins que ce ne soit Jacques Brel et son Je vous ai apporté des bonbons… je me suis senti bien. Je me suis senti entouré. Je me suis senti être vivant. C’est à nous, spectateurs, d’entourer la petite scène carrée aux allures de dance floor circonscrite par les gradins. De ce dispositif central, nait littéralement et physiquement une disposition aux autres, une attention au public imposant à la danse une giration sans fin. La danse contemporaine a effacé la frontalité, certes, mais ici quelque chose de plus profond et signifiant opère : dans cette danse sur soi, tel un retour en soi, c’est un repli qui paradoxalement se déplie sans fin, comme une floraison qui de l’intime se métamorphose en publique, les pétales du danseur s’ouvrent et se referment sans cesse sur le podium, se dévoilent et échappent. L’envers du décor n’est pas l’envers du corps, le dos, les épaules, vibrent de ce qui s’offrent à d’autres. Dans cette mise en partage de soi, il y a presque de la dévoration tant sont perceptibles les regards aimantés du public se pressant sur chaque fragment de ce corps donné à voir. Et une émotion à voir disparaître un visage, un geste, masqué par une rotation qui nous offre alors son souvenir. Et me revient en mémoire ce film taiwanais (Yi Yi) où un enfant ne prenait en photo que les dos de ses proches. Pudeur et vérité cachée. Nos corps vivants se déploie sur une musique de Marcos Vivaldi. Sample de voix, boucles électroniques, citations musicales forment un maelström sonore et sensible où le corps d’Arthur Perole s’emporte et se diffracte comme sous autant d’injonctions contradictoires. Paroles d’adolescent et récit autour de Rosa Bonheur affleurent : nos corps vivants subissent les contraintes de leur environnement façonnant dans la norme le paraître. Disjonction douloureuse avec l’être. Arthur Perole est virtuose dans cette mise en branle saccadée de l’être stimulé et sommé de toute part, ne sachant plus où donner de la tête pour aimer et se faire aimer. Il est prodigieux dans cette continuité de la discontinuité portée par le corps. Il est le vortex de la vie des émotions, il est, disco, la boule à facettes tournoyante des affects qui brillent de milles éclats et nous étreignent et nous éreintent, il est l’homme de glaise, golem, s’effondrant et se relevant de terre, il est, animal, un taureau peint par Picasso, taillé en pièces et retrouvé dans sa vigueur originelle, il est Gena Rowlands, love streams. Quand l’apaisement viendra, dans une immobilité silencieuse aussi soudaine que la fin d’un orage, le corps tressautant encore de l’effort que nous coûte la vie, le corps glorieux d’Arthur Perole se parera de l’auréole divine des vivants : des gouttes de sueur scintillantes dans la lumière dorée d’une fin de soirée. Quelque chose de l’ordre de la grâce, indicible. De la tendresse et du plaisir. Au son d’une chanson de Françoise Hardy, j’eus envie de me lever, et de courir à perdre haleine et de le retrouver. Message personnel.   © Nina-Flore Hernandez   Nos corps vivants,  de & avec Arthur Perole Accompagné du musicien Marcos Vivaldi Collaborateur artistique : Alexandre da Silva Lumières : Anthony Merlaud Son : Benoît Martin Costumes : Camille Penager   Durée : 45 minutes Du 20 au 23 avril à 19 h   Théâtre de la Ville Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Nos corps vivants d’Arthur Perole, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
La guerre des pauvres, conception et adaptation d’Olivia Grandville, texte d’Éric Vuillard, à la MC93, Bobigny
  © Marc Domage   article de Nicolas Thevenot Les cintres du théâtre sont descendus et dessinent une canopée de barres d’acier horizontales et suspendues sur le plateau où nous sommes nous-mêmes installés. Comme nous sommes à l’orée de la cage de scène, les filins retenant les cintres nous sont visibles, telle une multitude de lianes, telle une pluie d’acier figée. La scénographie (de Denis Mariotte) ainsi constituée de l’existant du lieu, agencé à bon escient, est puissante. Comme une couronne à terre. Comme une forêt de lances sur le champ de bataille. L’espace de la scène est également rythmé par des câbles verticaux intégrant des LEDs, constituant ainsi une architecture lumineuse évolutive pendant le spectacle (installation d’Yves Godin). A l’écoute du texte d’Éric Vuillard, ces verticalités peuvent convoquer la forêt de piliers d’une église où Thomas Müntzer aurait pu prêcher et galvaniser les foules. La guerre des pauvres, conçu par Olivia Grandville, est porté par le récit éponyme d’Éric Vuillard et se construit autour de la figure historique de cette homme religieux, éminemment politique. Texte court mais essentiel, comme tous les livres d’Éric Vuillard, La guerre des pauvres se donne l’ambition à travers cet épisode (le soulèvement de la paysannerie au XVIème siècle en Allemagne), de tracer en pointillé une généalogie des luttes sociales, d’offrir un écho dans notre contemporain à ces luttes premières contre l’injustice et les puissants, ou de les peindre comme un miroir aux injustices actuelles. Une écriture en perspective. Car la justice et l’injustice sont d’abord une question idéologique : quelles inégalités une société est-elle prête à assumer ? Plus théorique, l’ouvrage de Thomas Piketty (Capital et idéologie) travaille les mêmes terres. Si le projet d’Olivia Grandville ne pouvait qu’attiser ma curiosité, et si la scénographie est extrêmement séduisante, je dois reconnaître une immense déception. La faute au dispositif d’une part : il manque de recul. Incroyablement. L’impression d’être le nez posé contre un immense panorama. C’est d’autant plus dommageable que le texte, lui, travaille à créer des perspectives entre les territoires et les époques, à mettre de la distance de réflexion par la mise en scène du récit. Très prosaïquement, la perception du spectacle est parcellaire, mangée à bâbord et tribord par les têtes des autres spectateurs sur ces gradins de circonstances (très peu surélevés). Autant dire que les danseurs sont en grande partie invisibilisés dans ce qu’ils proposent (sauf pour les spectateurs du premier rang). Ce qui est métaphoriquement problématique puisqu’ils sont eux-mêmes dans le dispositif dramaturgique d’Olivia Grandville les représentants de ceux que notre société invisibilise aujourd’hui : les migrants. D’autre part, la lecture par Laurent Poitrenaux ne m’a vraiment pas convaincu : trop en force, surlignant avec des effets, démultipliés par la sonorisation, ce que la langue de Vuillard exprime déjà parfaitement. Explicatif quand il aurait fallu être allusif comme les mots savent l’être. Une redondance qui écrase la puissance réflexive des mots. Le texte me parvenait sans que son sens profond puisse faire son chemin en moi. L’ensemble du projet, perdant sa consistance du fait de ses éléments disparates, me parut surplombant, les propositions plastiques (des alignements de pains) gratuites. Et de sortir, désemparé, de la MC93 à quelques jours d’une élection où les pauvres seraient, dans tous les cas, les grands perdants.     La guerre des pauvres, conception et adaptation : Olivia Grandville Texte La guerre des pauvres d’Éric Vuillard (2019, Actes Sud) Avec : Martin Gìl Enrique, Éric Nebie   Lecture : Laurent Poitrenaux Musique : Benoît de Villeneuve et Benjamin Morando Dispositif scénique : Denis Mariotte et Yves Godin Lumière : Yves Godin Collaborations : Jonathan Kingsley Seilman, Marie Orts   Durée 1 h Vendredi 15 avril 2022 à 20 h 30, samedi 16 avril 2022 à 18 h 30 et dimanche 17 avril 2022 à 15 h      MC93 MC93 — maison de la culture de Seine-Saint-Denis 9 boulevard Lénine 93000 Bobigny   Tél : +33 (0)1 41 60 72 72 https://www.mc93.com      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur La guerre des pauvres, conception et adaptation d’Olivia Grandville, texte d’Éric Vuillard, à la MC93, Bobigny
Stories, par la RB Dance Compagny, sur une chorégraphie de Romain Rachline Borgeaud, au 13e Art, Paris
  © RB Dance Company   ƒƒƒ article de Hoël Le Corre Une salle pleine à craquer, des spectateurs enthousiastes et impatients à l’idée de découvrir le premier spectacle de la RB Danse Company, créée et dirigée par Romain Rachline Borgeaud, qu’ils ont pu suivre jusqu’à la finale de l’émission La France a un incroyable talent. Le noir se fait sur ce public presque déjà conquis, la fumée s’empare de la scène et les premières notes d’une musique aussi puissante qu’entraînante se font entendre… Et c’est parti pour 1 h 15 de grand spectacle qui frôle les plus grandes comédies musicales. La narration de Stories est entièrement portée par une danse aussi effrénée qu’élégante, aussi virevoltante que millimétrée. Les dix danseurs sont accompagnés par une musique proche du jazz urbain dont la rythmique et les paroles (en anglais) donnent toute l’impulsivité nécessaire à leur performance impressionnante. Nous suivons l’histoire d’Icare, jeune acteur à succès, qui subit une certaine emprise de la part de son réalisateur qui semble le soutenir autant qu’il l’oppresse. Suite à une dispute entre eux, Icare tombe dans un univers entre réalité et fiction, à la frontière entre le film qu’il est en train de tourner et le monde qui l’entoure. Les tableaux se succèdent alors et nous mènent du film romantique au thriller en passant par le film de gangster. Pas une minute de répit pour les artistes, qui enchaînent les rôles, déplacent des décors ingénieux et campent plusieurs personnages chacun. On ne s’ennuie pas une seule seconde et on se retrouve souvent bouche bée devant la virtuosité des danseurs qui redonnent leurs lettres de noblesse aux claquettes, alliant tradition et modernité. Dans Stories, tout est travaillé avec minutie : les chorégraphies sont explosives et minutieusement synchronisées ; la scénographie constamment en mouvement et conçue par Federica Mugnai est inventive et d’une efficacité parfaite ; même la lumière d’Alex Hardellet est impressionante et joue sur les contrastes pour accentuer l’émotion des scènes. Le spectacle serait total si la musique était interprétée en live, surtout lorsqu’on comprend que c’est Romain Rachline Borgeaud lui-même qui donne voix à la bande son. Autre petit regret, le volume de la musique est si forte qu’elle ne nous laisse pas totalement profiter de la virtuosité des claquettes. Mais l’engagement corporel, trahi par la sueur et le souffle des danseurs, est tel que l’on pardonne ce léger écueil. Stories est définitivement un spectacle à déguster les yeux, la bouche et le cœur grands ouverts !   © RB Dance Company     Stories, par la RB Dance Company   Direction artistique, mise en scène & chorégraphie : Romain Rachline Borgeaud Scénographie : Federica Mungai Costumes : Janie Loriault Coiffures & maquillage : Bruno Segni Light designer : Alex Hardellet Assistante metteur en scène : Houdia Ponty   Durée : 1 h 15   Du 14 au 30 avril 2022 Du jeudi au vendredi à 19 h Le samedi à 15 h & 19 h       Théâtre Le 13e Art Centre commercial Italie Deux Place d’Italie – 75013 Paris Réservations : 01 48 28 53 53 www.le13emeart.com      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Stories, par la RB Dance Compagny, sur une chorégraphie de Romain Rachline Borgeaud, au 13e Art, Paris
Not I, de Camille Mutel, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
  © Katherine Longly   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot S’il fallait d’un geste caractériser l’art de Camille Mutel, sans conteste ce serait celui de la découpe. Cet art de fendre l’instant, presque invisible par l’élan de sa puissance, et qui de l’oignon fait deux moitiés, comme pour le temps, ainsi tranché, ainsi déplié, ainsi démultiplié, à l’infini… Cet art de détacher dans le mesurable l’innombrable des parties et des forces. Et où l’accélération, le coup porté, le geste assumé, produisent leur déflagration illimitée. Au bord de cette scène, les ondes se déploient telles des ronds dans l’eau longtemps après la disparition de ce qui en fut la cause. Assister à Not I est peut-être pour cela aussi fascinant et régénérant que contempler la mer. Sa brièveté est un bréviaire de l’éternité. Avec cette intuition que chaque instant est un miroir où se reflète le tout. Si le titre choisi par Camille Mutel est également celui d’une pièce de Beckett datant de 1972, une bouche monologuant telle une inépuisable source, Not I reste muet et nous transporte me semble-t-il dans un univers mental et sensible borgésien. Un monde de paradoxes où la pensée se déjoue, comme chez l’auteur argentin, devant une structure complexe et labyrinthique, sous son apparente simplicité, pour mieux se renouveler. En être témoin est de l’ordre de l’expérience et de la transformation. Harnachée d’une salopette bleu ciel dont le haut aurait été rabattu et roulé autour de la taille, formant une attache volumineuse et la subtile allusion à une silhouette japonaise cerclée de sa traditionnelle ceinture obi, Camille Mutel s’avance, cheveux au carré, chaussettes blanches aux pieds. Elle agit et, dans la pureté des actes qui se succèdent, déploie ce chef d’œuvre inconnu que serait l’accomplissement pour soi, pour tous, de gestes indispensables à la préservation du monde. A son équilibre vacillant. Il y a de la sainteté et de la folie comme un écho à la célèbre séquence de la bougie dans Nostalghia de Tarkovski. Le travail du corps ainsi mis en jeu, celui de sa conscience, de son regard, le mécanisme même de la cérémonie déroulée de la sorte, tout renvoie à la culture japonaise, à son imaginaire, à son étrangeté (car elle nous reste étrangère), et pourtant, Camille Mutel nous évite l’enfermement de sa forme dans un ailleurs hermétique, nous invitant plutôt à voyager autrement dans nos perceptions, à porter ailleurs notre attention. Dans notre rapport au spectaculaire, Camille Mutel réussit ce tour de force de le retourner en spéculaire. Et si, dans ce rituel, chaque mouvement parfaitement écrit s’exhibe dans une exécution non moins parfaite, c’est que cette rigueur est le pendant d’une étonnante densité de présence, d’une appréhension de l’espace et du temps, en particulier lors de figures délicates à réaliser, qui semblent dépasser les sens habituels. Camille Mutel suit le protocole de sa cérémonie sans jamais dévier le regard de son axe et pourtant maîtrise chaque point de l’espace. Avec ce couteau dont elle s’emparera par la lame en utilisant sa seule bouche, effectuant ensuite une roulade arrière avec ce menaçant mors toujours en bouche, c’est le péril qui s’invite dans le rite. Un danger à l’aune de la singularité affirmée par Not I. Avec ce couteau, et surtout avec ce regard trempé dans l’acte, corps et esprit ne faisant plus qu’un, me revient en mémoire cette performance de Marina Abramovic plantant de plus en plus vite des couteaux entre ses doigts. L’indétermination de la cérémonie, puisque nul ne saurait lui assigner une fin, fait face à la détermination de son officiante. Sa résolution chevauche l’improbable physique de l’espace. Sa maîtrise sculpte la matière du temps en poésie de l’effort. Dans l’épaisseur infime de cette longue lame, quelque chose me parle aussi de l’instant impartageable, ce moment ultime et ineffable, dont jamais l’on ne pourra rendre compte : cette brèche étroite telle le terrier dans Alice au pays des merveilles que creuse avec patience et volonté de fer ce cérémonial, nous faisant traverser l’épaisseur du monde. Pour cette reprise au Théâtre de la Ville, Camille Mutel était enceinte, proche du terme, cet état ajoutant à l’exploit physique de la pièce, et à la polysémie déjà très ouverte de cette forme. Surgirent des visions d’amazone, de déesse de fertilité accroupie. Not I conjuguera avec opportunité l’art marial et l’art martial dans un dépassement de soi, révélant en Camille Mutel une prodigieuse mécanicienne de l’infra sensible. Et dans un ultime tableau, la nudité du monde s’offrira, telle une nature que l’on ne saurait qualifier de morte, lorsqu’enfin s’est effeuillé le temps.   © Katherine Longly   Not I, conception, Chorégraphie & Interprétation Camille Mutel Dramaturgie : Thomas Schaupp Lumières : Philippe Gladieux Design & Costumes : Kaspersophie Son : Jean-Philippe Gross   Durée : 45 minutes Du 12 au 16 avril à 20 h 00     Théâtre de la Ville Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com       Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Not I, de Camille Mutel, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
Revisor, d’après Nicolas Gogol, création de Jonathon Young et Crystal Pite, Cie Kidd Pivot, La Villette / Théâtre de la Ville-Hors les murs
    © Michael Slobodian   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Crystal Pite et Jonathon Young adaptent Le Révizor de Nicolas Gogol, histoire d’un quiproquo, une usurpation d’identité qui révèle la corruption d’une communauté et de son administration. Pièce en cinq actes, réduite ici à trois scènes, hybridation entre théâtre et danse, « ventriloquisme chorégraphique », concept où le texte joué en play-back, et dénoncé comme tel, comme une musicalité, impose aux danseurs un rythme singulier. Le mouvement est étiré à son maximum, les corps désarticulés à la limite de la rupture. Les personnages réduits à n’être que des marionnettes. Crystal Pite et Jonathan Young accusent l’artifice théâtral avant de tout effacer et de recommencer dans une deuxième partie où ne restent que des bribes de dialogue s’estompant bientôt pour une unique voix, narratrice et chorégraphe qui reprenant l’histoire, donne une trame narrative pour des états de corps, accouplée de figures chorégraphiques et proposée aux danseurs, dépouillés de leurs costumes, sur le plateau désormais nu, réduits à n’être que des figures (F1, F2, F3…) à qui l’on impose là un placement de bras, ici, de décaler une jambe, plus loin de chercher un contre-poids. Illusion d’un work in progress, entre proposition, hésitation et repentir, ponctué de pause, qui enchâsse la chorégraphie et donc le corps, dans ce texte devenant ainsi partie intégrante du récit, dans sa compréhension et son évolution, un récit en creux évitant la redondance avec ce qui est énoncé. Relier le geste au récit ou s’en délier pour trouver le sens et faire sens. C’est faire coïncider au plus juste la forme et le fond, le corps du texte et le corps du danseur, de ce qu’il en révèle par son incarnation. Mise en abyme qui éclaire la première partie comme la troisième, identique à la première dans sa mise en scène chorégraphique. C’est à la fois troublant et fascinant, captivant et redoutablement intelligent. Et dans cette deuxième partie la danse revient à un certain classicisme, les ensembles comme les solos sont remarquables, comme s’il fallait en passer par là avant de progressivement dégraisser, polir pour aboutir au résultat escompté, revenir au texte mais nourri de ce subtil travail exploratoire. Et c’est bien cette impression qui prédomine là, d’être dans un laboratoire où dans la tête de ces deux-là, Crystal Pite et Jonathon Young, s’emparant de cette œuvre de pour en extraire le suc vénéneux, cette farce noire d’âmes corrompues.   © Michael Slobodian   Revisor, texte de Jonathon Young Chorégraphie et direction de Crytal Pite Musique originale et création sonore : Owen Belton, allessandro Jukiani, Meg Roe Conception scénique et effet lumières : Jay Gower Taylor Création costumes : Nancy Bryant Création lumières : To Visser Assistant des créateurs : Eric Beauchesne Danseurs : Renée Sigouin, Doug Letheren, Jermaine Spivey, Rena Narumi, Ella Rothschild, Brandon Alley, Jennifer Florentino, Gregory Lau, Rakeem Hardy, Vivian Ruiz Voix : Meg Roe, Scott Mcneil, Alessandro Juliani, Kathleen Barr, Nicola Lipman, Gerard Plunkett, Amy Rutherford, Ryan Beil, Jonathon Young     Du 21 au 24 avril 2022 Jeudi et vendredi à 20 h, samedi à 19, dimanche à 15 h   Grande Halle de la Villette 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris   Réservations : www.lavillette.com www.theatredelaville-paris.com      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Revisor, d’après Nicolas Gogol, création de Jonathon Young et Crystal Pite, Cie Kidd Pivot, La Villette / Théâtre de la Ville-Hors les murs