Discours sur le colonialisme, d'Aimé Césaire, mise en espace de Mariann Mathéus, Théâtre Traversière
  © DR   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Discours sur le colonialisme est sans doute le texte le plus connu et le plus lu et étudié d’Aimé Césaire. Publié en 1950, suite à la commande de la revue communiste Réclame, il n’a pas été prononcé, contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser suggérer. Le député et maire de Fort-de-France déjà reconnu et respecté comme poète (depuis Cahier d’un retour au pays natal en 1939) et dramaturge (seul Et les chiens se taisaient parait avant le Discours ; La tragédie du roi Christophe et Une saison au Congo ne seront créés que plus d’une dizaine d’années plus tard), écrit son texte comme un pamphlet. De fait, le texte décrit, accuse et interpelle. Il décrit la situation et les conséquences de la colonisation. Il accuse ses concepteurs et exécuteurs. Il interpelle ceux qui ont cautionné, approuvé un tel système. La richesse de l’adaptation de Mariann Mathéus et de la compagnie Moun San Mélé qui proposent depuis 2013 une version scénique du texte (créé pour le centenaire de la naissance de l’écrivain à l’Assemblée nationale), sous forme de « pièce musicale », est de se saisir de la richesse du texte de Césaire dans toutes ses dimensions et d’y ajouter à la fois des respirations et des compléments de compréhension. Après une première introduction à la guitare, le Discours sur le colonialisme est lu au pupitre par Mariann Mathéus, redonnant en quelque sorte une raison d’être à son titre. La lecture est découpée par des respirations musicales (guitare et percussions) et même l’une d’entre elles dansée par la lectrice. Patrick Karl vient accompagner lui aussi au pupitre la voix de Mariann Mathéus, duo qui créé une sorte de dialogue entre Césaire et tous les chantres contemporains du colonialisme dont le racisme s’exprime violemment dans des extraits de leurs écrits largement oubliés aujourd’hui et cités par Césaire. Cet aller-retour entre ces deux voix est ce qui permet de saisir au mieux les enjeux du texte et sa portée, de revenir sur les lieux communs et les ambiguïtés des faits (l’ineffectivité ou la violation des traités signés, le « pseudo-humanisme » qui a « trop longtemps rapetissé les droits de l’homme », les « mensonges propagés » et l’ « hypocrisie collective » de l’Europe colonisatrice justifiant a posteriori les progrès matériels atteints grâce à son action), mais aussi donc sur la diffusion des idées racistes sous couvert de philosophie humaniste : se souvient-on des saillies de Renan (« La régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieure est dans l’ordre providentiel de l’humanité (…) une race de travailleur de la terre, c’est le nègre ; soyez pour lui bon et humain et tout sera dans l’ordre ») dans son si mal nommé La Réforme intellectuelle et morale ou des mots de Joseph de Maistre reprenant ad nauseam l’expression de race inférieure, ou encore des ignobles et inexcusables écrits de Jules Romains sous couvert de pseudonyme à la Revue des Deux mondes (« La race noire n’a encore donné, ne donnera jamais un Einstein, un Stravinsky, un Gershwin ») ? Cette mise en miroir telle que proposée par Mariann Mathéus est extrêmement efficace et donne du rythme et du dynamisme à la lecture qui peut s’avérer ardue du Discours sur le colonialisme, texte pourtant à jamais incontournable de la littérature anti-coloniale et dont la diffusion la plus large possible est encore nécessaire aujourd’hui. Césaire l’avait utilement prolongé par son Discours sur la négritude, plus court et facile d’accès qui, lui, sera effectivement prononcé trente-sept ans plus tard et qui pourrait un jour être créé par la cie Moun San Mélé…   © DR   Discours sur le colonialisme, d’Aimé Césaire Version agencée : Aimé et Jean-Paul Césaire Mise en espace : Mariann Mathéus Musiciens : Ahmed Barry, Jean-Emmanuel Fatna Avec : Mariann Mathéus, Patrick Karl   Durée 1 h 15     Théâtre Traversière 14 mai 2022 www.theatre-traversiere.fr      Read More →
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Le Cri d’Antigone, de Loïc Guénin, mise en scène d’Anne Monfort, Festival Propagations, Marseille
  © Vincent Beaume   ƒƒ article de Corinne François-Denève Antigone : tant de mots ont déjà tenté de raconter son mythe. Qu’a-t-elle encore à nous dire, à tant de siècles de distance ? Le pari de Loïc Guénin est de lui restituer sa voix, ou plutôt son cri. Pour ce faire, l’auteur-compositeur a assemblé des textes de Jean Anouilh, d’Henry Bauchau, mais aussi de Camille Froideveaux-Metterie, et composé une partition qui fait jouer ensemble, entre autres, le violon et l’accordéon. Divisé en tableaux, faisant place à une soliste et à un chœur, commençant par des imprécations pour se terminer dans un espoir de réconciliation, Le Cri d’Antigone a tout de la tragédie grecque, remise aux sons du jour. Le cri de l’héroïne se module d’ailleurs selon divers tons – celui de l’opéra (merveilleuse voix d’Elise Chauvin !), ou de la musique « moderne ». Alternent solos et moments d’ensemble, temps du récit et séquences musicales. Le temps, mythique, se double d’un temps plus linéaire, celui de la représentation, figuré par une peinture qui se crée à mesure qu’Antigone se libère, et enjoint le public, ou les musiciens, à le faire. L’Antigone de Loïc Guénin est une furieuse, ou une insoumise, qui n’a de cesse de dénoncer l’injustice subie, désignant comme coupables les hommes, qu’elle interpelle dans toutes les langues du monde. A ce titre, elle parle à tout le monde, dans un spectacle proprement « immersif » – on réservera l’effet de surprise aux futurs spectateurs. La gageure est toutefois de rendre « visible » ce cri du cœur, ou du ventre. Toute l’intelligence d’Anne Monfort est d’avoir su habiller cette éructation primale d’une scénographie simple, essentielle, mais porteuse de sens – praticables épurés, pendrillons noirs. Peu d’accessoires, peu de décor, si ce n’est l’esquisse d’une tombe fraîche, et des jeux de lumière habiles, qui permettent également à Elise Chauvin de déployer son art des postures et des attitudes. Martyre enfermée, cette Antigone est une véritable statue réveillée par les impulsions de la guitare électrique, hurlant sa révolte aux âmes d’aujourd’hui.   © Vincent Beaume   Le Cri d’Antigone, de Loïc Guénin Avec : Élise Chauvin (voix), Fabrice Favriou (guitare électrique et pédales d’effets), Alice Piérot (violon), Vincent Lhermet (accordéon), Éric Brochard (contrebasse, patch et informatique musicale), Loïc Guénin (percussions, électroacoustique, composition, direction artistique) Artiste peintre : Maya Le Meur Mise en scène : Anne Monfort Création et régie lumière : Vincent Beaume Création et régie son : Yoann Coste Régie générale et technique : Thierry Llorens   Durée : 1 h A partir de 14 ans   Vu à la Friche de la Belle de mai, dans le cadre du festival Propagations gmem.org/festivals/propagations-2022     Prochaine date : 10 novembre 2022 : Cité musicale de Metz, L’Arsenal, 3 avenue Ney, 57000 Metz www.citemusicale-metz.fr    Read More →
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Fissure, de Camille Boitel, au Théâtre de la Cité Internationale
  © L’immédiat   ƒƒ article de Nicolas Thevenot Serait-ce la possibilité d’une île, ce plateau comme arraché, planté sur le vide de la scène, dans la nuit de sa cage ? Qui plus est : en pente, comme l’expression littérale de la gravité et de la fatalité, où choir ne peut que conduire à toucher le fond. Lorsque nous prenons place, Fissure est d’ailleurs étendu au sol, loque parmi les rares meubles et objets qui parsèment l’espace. Quelques borborygmes larmoyants plus tard, en guise d’ouverture, Fissure se sera relevé et très vite retrouvé nez à nez, écrasé, contre l’armoire qui trône en haut de sa colline. Camille Boitel, circassien, comédien, musicien, est l’homme de la débâcle, de la catastrophe, de l’effondrement. Ses plateaux, de savantes machineries qui renouent avec le deus ex machina du théâtre classique, mais qui, au lieu de sauver, signent notre irrémédiable chute et nous enfonceraient au lieu de nous élever. Machina sine deo. Fissure, émanation de Camille Boitel sous le regard de Sève Bernard est cet interstice entre personnage (au sens de celui qui apparaît par ce qui se joue) et persona (au sens de celui qui disparaît derrière le masque). Dans un genre indéterminé, accoutré d’un jupon et d’une robe retroussée, suggérant le féminin, sa corporéité assume le masculin. Fissure est probablement ce no man’s land fêlé où tout être humain est appelé à ce reconnaître. Sa chevelure orange flamboyante, lui court sur le dos, et l’apparente tout autant à la belette. De ses yeux s’écoulent comme d’un mur lézardé un plâtre rouge. Son visage est une absence, blanche, où disparaissent les affects. D’où cette troublante et indescriptible sensation d’avoir affaire à un corps sans organes (pour reprendre le concept de Deleuze), ou pour le moins un corps ayant subi une descente d’organe tant la tête semble perdre le dessus, tant les processus de décisions semblent se disséminer dans l’espace et non plus dans le seul cerveau. Le corps se répand dans la matière alentour : l’aiguille se plante dans l’accoudoir du fauteuil crapaud, et c’est Fissure qui bat de l’œil. L’instrument à vent crachote et c’est Fissure qui est en insuffisance respiratoire. Il tombe depuis les cintres et réapparaît illico au bord du plateau, poursuivant un corps démembré qui n’en finit pas de s’échapper. Et s’il y a des cadavres dans le placard, il ne peut que s’en prendre à lui-même. L’effet comique est dans la succession des faits. El l’on sourit, et l’on rit à ces accidents, à ces événements qui, par leur récurrence, érigent l’exceptionnel au rang de banalité dans la vie de Fissure. L’existence chaotique de Fissure est montrée sous le jour d’un projecteur accroché au bout d’une longue tige articulée, telle une fleur, un tournesol, qui parcourt sa révolution du plancher au zénith puis décline à nouveau jusqu’au sol. Il y a du Petit prince sur cette île instable, aux allures de planète exupérienne, car il y a un point de vue astronomique et drolatique sur la vie humaine, dont la grandeur réside dans sa petitesse, dans ses échecs. Quelque chose de proprement existentiel s’écrit ici, entre la naïveté du clown et la gravité de l’éphémère, dans cette scansion, à vue, du jour et de la nuit. La nuit tombe produisant de somptueux et profonds couchers de Fissure. La vie est ce comique de répétition : jour, nuit, vie, mort. Une émotion passe dans cette chorégraphie des ombres, dans ce temps du sommeil qui est aussi celui de l’illusion en préparation. La fissure c’est le vide qui s’insinue dans le plein. Pour autant, Fissure, composé par Camille Boitel et Sève Bernard, déborde d’agissements. Un hyperactif. Comme si la peur du vide était pour lui la peur de ne rien faire, la peur de s’offrir désarmé, vidé, au public. La peur de se laisser également faire par les événements, et leur onde de choc. C’est cette lézarde, entraperçue lors des saluts incertains, que l’on appelle à agrandir, car elle portera Fissure aux nues.   © L’immédiat   Fissure, écriture et mise en scène : Camille Boitel et Sève Bernard Idée originale, scénographie et interprétation : Camille Boitel Jeu et manipulations d’objets : Juliette Wierzbicki Régie plateau : Audrey Carrot Régie lumière : Jacques Grislin Construction décors : Vincent Gadras Accessoires : L’immédiat, Guillaume Béguinot et Margot Chalmeton, Avec l’aide de Franck Limon-Duparcmeur, Maxime Burochain, Sylvain Giraudeau, Hervé Vieusse et Louise Diebold Confection des costumes : Caroline Dumoutiers, Nathalie Saulnier, Lucie Milvoy Régie générale : Stéphane Graillot     Durée : 1 h 15 minutes Du 12 au 24 mai 2022, mardi, jeudi, samedi à 19 h, lundi 20 h et vendredi 21 h       Théâtre de la Cité Internationale 17, boulevard Jourdan 75014 Paris Tél : 01 85 53 53 85 https://www.theatredelacite.com     Tournée : 4 et 5 octobre 2022 : Equinoxe SN, Châteauroux 14-15-16 octobre 2022 : Cirque Théâtre d’Elbeuf 19 novembre 2022 : Le Pavillon, Romainville 25 et 26 novembre 2022 : Théâtre de Grasse 2 et 3 décembre 2022 : Le Pôle, Le Revest 19 et 20 janvier 2023 : Théâtre du Bois de l’Aune, Aix en Provence 21 au 23 février 2023: SN Bonlieu, Annecy      Read More →
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Les îles singulières, d’après « Le sel », de Jean-Baptiste Del Amo, mise en scène de Jonathan Mallard, TGP, Saint-Denis
  © Simon Gosselin   ƒ article de JB Corteggiani Une famille va se réunir. Oh, c’est tendu. C’est plein de reproches, de blessures et de non-dits. Comment s’entendre, d’ailleurs, sous le ciel de Sète, assourdissant de cris de mouettes et de goélands ? Il y a Louise, la mère, maladroite, évitante. Le fantôme de son mari, Armand, un « homme colossal et violent », « au visage dur, boucané par les embruns », un rude pêcheur. Et puis la fratrie : Albin, violent comme son père, impérieux, insatisfait, qui « gaspille sa semence sur le dallage des murs de la salle de bain » ; Fanny, la mal-aimée ou la moins aimée ; Jonas, le chéri de sa maman, en marge, homosexuel, qui s’enivre de l’odeur de sève des figuiers et drague dans les dunes du Grand Travers. Et puis il y a les amants, et les légitimes. Et puis d’autres fantômes : Fabrice, l’ancien amant de Jonas, mort du sida ; Léa, la fillette de Fanny, morte accidentellement sur une plage. Vous êtes étourdi de noms ? Le spectateur l’est aussi. « J’étais largué », le commentaire revenait souvent à la sortie. Les Iles singulières sont une adaptation de Le sel, de Jean-Baptiste Del Amo, un roman à quatre voix qui retrace l’histoire d’une famille de Sétois d’origine italienne. Jonathan Mallard, le metteur en scène, l’a transformé en une partition pour neuf personnages. Pour ce faire, il a « axé l’adaptation sur la confrontation entre le vécu de la fratrie et le regard de leurs compagnes et compagnons ». Cinq comédiens, neuf personnages. De part et d’autre de la scène, un portant à vêtements ; la scène ressemble souvent à un espace de déshabillages et habillages. Le dispositif est courant, on l’a vu par exemple dans une récente performance à Beaubourg du collectif Forced Entertainement, 12 AM : Awake and Looking Down. Le problème tout bête qui se pose ici au spectateur, c’est : qui est qui ? La valse des prénoms renforce la sensation de fouillis : qui est cet Armand ? ah oui, le père ! pourquoi les enfants ne l’appellent-ils pas papa ? parce qu’ils veulent le tenir à distance ? eh oui, mais on n’est pas dans un livre, qui permet de revenir en arrière. « Les comédiens sont plus forts que le récit », prévient Jonathan Mallard. En effet. Davantage qu’à une histoire tressée, la pièce ressemble à une suite de scènes. Alors, comme les comédiens sont excellents, on s’accroche à ce qui se passe dans chaque scène, convertie en petite île dramatique. A la langue, belle et charnue souvent, un peu poétifiante par moments (« Pour les eaux étrangères, je serai le poème du retour vers les îles singulières. ») A ce que le metteur en scène appelle des « spectacularités », respirations bienvenues (un rangement domestique chorégraphié, un crawl mimé qui devient boxe). On voit bien le projet narratif et poétique de Jonathan Mallard, il est résumé dans une phrase extraite du roman : « Leur famille est ce fleuve aux courbes insaisissables dont il n’est possible de cerner la vérité qu’en l’endroit où la mémoire de tous afflue pour se jeter, unifiée, dans la mer ». Ailleurs, un des personnages cite Les Vagues, de Virginia Woolf : « Ce pourraient être des îlots de lumière – des îles dans le courant que j’essaie de représenter ; la vie elle-même qui s’écoule. » Seulement, dans Les Vagues, de mémoire, les fantômes ne se font pas concurrence : un seul absent, Percival, hante les monologues intérieurs des six personnages. Vraiment dommage, cette confusion par trop-plein et emberlificotage narratif, car la pièce creuse bien au-delà du simpliste et lassant « Familles, je vous hais ». Elle sonde avec finesse cet agrégat opaque, la famille, cette somme de personnes étrangères les unes aux autres, « harassées de devoir se tenir ensemble ». Elle fait entendre clairement, et de manière convaincante, la réplique des parents aux récriminations des enfants jamais rassasiés : « C’est comme ça, les adultes ont des paroles, des gestes, qui hantent la vie des enfants et ils n’en savent rien. » Quant à l’amour, n’allez pas croire : « ils marcheront vers moi, mes enfants, ma chair, mes vies encore à vivre. Je leur sourirai depuis le porche, comme d’habitude, pour qu’une fois encore ils me croient indéfectible. » Et dans la dernière scène, toute amertume bue, toutes bisbilles éteintes, Fanny fait le récit poignant de la mort de la petite Léa, tombée d’un môle, trouée par une barre de fer rouillée. « Ma fille, avec le temps,, (…) ne peut plus disparaître qu’avec moi. Par sa mort elle me donne naissance et fait de moi une femme. Léa m’enfante. » Plus de générations, plus de reproduction accablante, plus d’inévitables blessures : enfin l’apaisement.   © Simon Gosselin     Les îles singulières, mise en scène de Jonathan Mallard D’après le roman « Le Sel », de Jean-Baptiste Del Amo. Adaptation libre et collective Avec : Lina Alsayed, Ambre Febvre, Julia Roche, Mikaël Treguer, Pierre Vuaille Scénographie : Jonathan Mallard et Izumi Grisinger Création sonore : Izumi Grisinger Lumière : Rosemonde Arrambourg Costumes : Hercule Bourgeat     Durée : 1 h 45 Du 12 au 16 mai 2022 à 20 h 30   TGP 59 boulevard Jules Guesde 93200 Saint-Denis tél : 01 48 13 70 00 www.tgp.theatregerardphilipe.com    Read More →
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L’Odyssée. Une histoire pour Hollywood, texte et mise en scène de Krzysztof Warlikowski, Théâtre de la Colline
  © Magda Hueckel   ƒƒƒ article de Denis Sanglard L’odyssée. Une histoire pour Hollywood où l’impossible retour après la catastrophe. En croisant l’épopée d’Homère aux deux romans d’Hanna Krall, Le roi de cœur et Les retours de la mémoire, Krzysztof Warlikowski, à travers le destin d’Ulysse et d’Izolda, cette héroïne des années 1940 qui pour rejoindre son mari Shayek déporté à Mauthausen a elle-même provoquée sa déportation jusque Auschwitz, interroge le traumatisme profond de la Shoah, les fantômes qui hantent les survivants et notre impuissance réelle à représenter la réalité de ce génocide.  Ulysse donc, qui a refusé l’immortalité proposée par Calypso alors qu’Izolda, la survivante, en racontant son histoire à Hanna Krall dans l’espoir d’un scénario où Elizabeth Taylor, au panthéon des déesses contemporaines, jouant son rôle, obtiendrait alors une part d’immortalité. Mais qu’elle est notre capacité à la résilience quand nous sommes hantés de tant de fantômes ? Et que les dieux qui provoquèrent la perte du héros d’Homère sont aujourd’hui morts ? Si Izolda a cette capacité têtue, inflexible de résister, comme Pénélope, Shayek tout comme Ulysse, brisé par le massacre que fut la guerre de Troie, sont prisonniers de leur souffrance incommensurable et tragique d’avoir survécu, d’être revenu d’entre les morts. Comment sinon alors expliquer combien fut grande la déception de ces deux femmes au retour de leur mari, de ces retrouvailles attendues qui soudain n’avaient plus de sens ? Vaste puzzle que Krzysztof Warlikowski, pièces après pièces, agence avec une redoutable cohérence. Chaque fragment s’emboite les uns dans les autres, se répondent par un subtil jeu de références et d’analogies reliées comme rhizomes tissant étroitement l’épique et l’intime, la mémoire et l’Histoire. Et l’ensemble se révélant dans sa finalité un dessin d’une sensibilité prégnante et d’une intelligence absolue pour un questionnement sur le tragique de nos existences, notre capacité à résister, à survivre devant l’innommable et la nécessité devant la tentation de falsifier l’Histoire de raconter, aussi insoutenable que cela soit, une vérité que nul ne veut entendre. Qu’interviennent Elizabeth Taylor, Bob Evans et Roman Polanski, que soit convoqué plus loin Claude Lanzmann, c’est toujours la question de la représentation impossible de la souffrance, de l’échec de toute tentative de mise en scène qui ne soit pas documentaire. Un documentaire par force scénarisé. De même Izolda offrant son récit enfin édité à son coiffeur est suivi aussitôt par cet extrait de Shoah où le barbier Abraham Bomba ne peut malgré l’insistance de Claude Lanzmann, exprimer la réalité de Treblinka, lui qui coupait les cheveux des femmes avant qu’elles ne soient envoyées dans les chambres à gaz… Pas pour rien non plus que dans une scène bucolique d’une ironie terrible, au sein de la Forêt Noire, Hanna Arendt et Martin Heidegger fêtent leur retrouvaille amère. A celle qui, juive, s’interrogeait sur l’origine du mal, son horreur de ce que l’homme peut faire et le devenir du monde, où la pensée se doit d’être action répond l’aveuglement de Heidegger inscrit pour un temps au parti nazi, son désintérêt de la politique et pour qui « seul un Dieu peut encore nous sauver ». L’épopée d’Izolda jusque dans l’horreur est une réponse cinglante et concrète que les dieux sont bien morts et que seule l’action, puisqu’il ne reste qu’elle, l’instinct de survie peut sauver. Krzysztof Warlikowski brouille la temporalité, le temps de la mémoire et le temps de la fiction ne sont pas celui de l’horloge qui à jardin égrène le temps de la représentation. Au récit de la vieille Izolda scénarisé par Hollywood, qu’un bout d’essai donne à voir, répond la réalité crue et violente des scènes vécues par Izolda jeune, loin de tout glamour. Scènes filmées et projetées en direct qui dénonce une réalité, là encore insupportable. On pendule ainsi d’une temporalité à l’autre, et Krzysztof Warlikowski ne précipite ni ne bouscule jamais les récits qui se croisent, maître du rythme de la représentation où le temps est comme suspendu, entre rêve brouillé et cauchemar létal. Il faut accepter ce rythme faussement étal qui lentement, insidieusement vous prend dans ses rets et ne vous lâche plus. Soulignons la force exceptionnelle des acteurs de la compagnie de Krzysztof Warlikowski, le Nowy Teatr-Varsovie, cette capacité unique à s’empoigner de leur personnage, de les incarner avec une telle profondeur dans leur humanité blessée, leur rage dans leur volonté à survivre malgré tout. Et sur ce plateau nu ou seule une cage roulante, à la fois hall de gare qui n’est pas sans évoquer les déportations massives vers les camps de la mort et les retours des survivants fantomatiques, porte des enfers pour ceux qui partirent et ceux qui en revinrent, et les baraquements, palpite malgré tout un formidable et magnifique, bouleversant sentiment irréductible de vie, un humanisme vibrant. Et c’est dans l’évocation du folklore juif que ce termine cette pièce homérique, où tuer le dibbouk, n’est plus une métaphore mais un acte de résistance et de résilience.   © Magda Hueckel   L’Odyssée. Une histoire pour Hollywood mise en scène de Krzysztof Warlikowski D’après L’Odyssée d’Homère et Le roi de cœur et Les retours de la mémoire d’Hanna Krall Texte de Krzysztof Warlikowski et de Piotr Gruszcynski Co-auteur : Adam Radecki Collaboration : Szczepan Orlowski, Jacek Ponietziateck Avec Mariusz Bonaszewski, Stanisław Brudny, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dalkowska, Bartosz Gelner, Malgorzata Hajewska- Krzysztofik, Jadwiga Jankowska-Cieslak, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Hiroaki Murakami, Maja Ostaszewska, Jasmina Polak, Jacek Poniedzialek, Magdalena Popławska, Pawel Tomaszewski et Claude Bardouil Et à l’image : Maja Komorowska et Krystyna Zachwatowicz-Wajda Collaboration artistique : Claude Bardouil Scénographie et costumes : Malgorzata Szczesniak Dramaturgie : Piotr Gruszczynski, en collaboration avec Anna Lewandowska Musique : Pawel Mykietyn Lumières : Felice Ross Vidéo et animations : Kamil Polak Assistanat à la mise en scène : Jeremi Pedowicz Réalisation du film de l’interrogatoire : Paweł Edelman Maquillage et perruques : Monika Kaleta Traduction du texte en français : Margot Carlier Traduction du texte en anglais : Artur Zapałowski Régie des surtitres : Zofia Szymanowska     Du 11 au 21 mai 2022 Du mardi au samedi à 19 h 30 Relâche dimanche 15 mai 2022 Durée 3 h 45 incluant un entracte Spectacle en polonais surtitré en français et en anglais     Théâtre de La Colline 4 rue Malte-Brun 75020 Paris   Réservation 01 44 62 52 52 www.billeterie@colline.fr      Read More →
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Antoine et Cléopâtre, de William Shakespeare, mise en scène de Célie Pauthe, Odéon - Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier
  © Hervé Bellamy   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault Dans cet espace aussi sympathique qu’un rien étrange que sont les Ateliers Berthier – Odéon, nous préparant presque aux aléas multiples attendus d’Antoine et Cléopâtre, Shakespeare est venu nous faire plaisir, par le biais très efficace de Célie Pauthe. Oui, c’est vrai, cette histoire d’amour qui ne devrait pas avoir lieu, elle dérange tout le monde, au moins ceux qui ont les pieds sur terre et veulent surtout les agrandir, non leurs pieds mais leurs terres. Antoine et Cléopâtre s’accompagnent d’amis bien obligés, en tous sens, de suivantes presque fidèles mais en tout cas on ne peut plus dévouées. On chante — très bien d’ailleurs, grâce à Charmian/Dea Liane — on danse, boit, on va jusqu’au bout en somme et on recommence, surtout ne pas perdre de temps pour s’amuser, jouir dans tous les sens de plus en plus. On est en Egypte et la vie est belle. A Rome, c’est différent. Le sérieux et la réflexion courent dans les couloirs et Octave et ses hommes sont furieux contre Antoine. Réunion au sommet avec ce dernier, et pour tout arranger, il épouse Octavie, la « sœur de son frère » chéri, première victime de cette histoire mouvementée, elle, pétrie d’honnêteté, donc un jour où l’autre elle sera bien malheureuse. Parce que cet amour entre Antoine et Cléopâtre ne peut s’éteindre comme ça. La guerre se déchaîne à nouveau, terre et amour, épée, aspic et Octave victorieux. Histoire(s) multiple(s), superbe(s), folle(s) et terrible(s). Et très bien tenue. Un décor tout simple, trois coussins ici qui se transforment en salon plus que voluptueux, lumières modifiées, deux ou trois choses changées de place et on atterris dans le salon faussement austère d’Octave. Et une traduction fantastique d’Irène Bonnaud, qui sans doute fait exploser ce texte, mais Shakespeare la féliciterait, l’invitant à boire un verre parce qu’elle a tout compris et rend le texte plus que vivant, accrocheur, frôlant une grossièreté retenue ici ou là avant de reprendre l’autoroute romaine des salons du futur et premier empereur. Et les jeux. Les rôles. Ceux de Cléopâtre et Charmian seront partagés et les comédiennes seront différentes dès la fin mai. Détail… D’autres sont partagés, multipliés. Talents… Pour être plus sérieux, cette équipe nous entoure lentement, le tout début laisse un rien dubitatif et hop ! nous plonge en plein Shakespeare, en plein furieux soleil sur scène. C’est tout bête mais avouons-le, cette durée annoncée de 3 h 45 faisait un tout petit peu peur. Oui. Eh bien elle n’existe plus ou s’efface devant Antoine et Cléopâtre. On peut penser parfois qu’un ou une tel/le aurait été mieux dans ce rôle ci, ou celui-là. Cléopâtre et Charmian par exemple. Puis les idées sombres disparaissent. Même si Cléopâtre, tout de même, mais là il s’agit de la mise en scène, pourrait cesser de dire des idioties, les aspics ne comprennent pas grand-chose. Sinon, le tourbillon s’installe le temps n’existe plus, seul le Théâtre est là, la majuscule n’est pas une faute de frappe. Ceci-dit, dans la seconde partie, les combats nous roulent dans une toute autre poussière. L’amour, la vie, le sexe, la joie, les plans, les titres et les combats. Oppositions absurdes et incompréhensibles qui courent encore les rues.   © Hervé Bellamy   Antoine et Cléôpatre, de William Shakespeare Traduction d’Irène Bonnaud En collaboration avec Célie Pauthe Collaboration artistique : Denis Loubaton Scénographie : Guillaume Delaveau Costumes : Anaïs Romand Lumière : Sébastien Michaud Son : Aline Loustalot Assistant à la mise en scène : Antoine Girard Avec Guillaume Costanza, Maud Gripon, Dea Liane, Régis Lux, Glenn Marausse, Eugène Marcuse, Mounir Margoum, Mahshad Mokhberi, Mélodie Richard, Adrien Serre, Lounès Tazaïrt, Assane Timbo, Bénédicte Villain, Lalou Wysocka Avec la participation artistique du Jeune théâtre national   Du 13 mai au 3 juin 2022 (Ateliers Berthier)   3 h 45 (2 h/entracte/1 h 20) Du mardi au samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 h Relâche le dimanche 29 mai 2022     Ateliers Berthier – Odéon – Théâtre de l’Europe 1 rue André Suarès 75017 Paris www.theatre-odeon.eu      Read More →
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Giulio Cesare in Egitto, de Haendel, direction musicale de Philippe Jaroussky, mise en scène de Damiano Michieletto, Théâtre de Champs-Elysées
  © Vincent Pontet ƒƒƒ article de Denis Sanglard  Un crépitement, un feu d’artifice vocal, voilà ce à quoi nous avons assisté lors de la première de Giulio Cesare in Egitto de Haendel, sommet de l’opéra baroque, dirigé par Philippe Jaroussky dont c’est la première direction musicale, après avoir interprété dans un récent passé et de nombreuses fois le rôle de Sesto. Opéra de 1724 à la trame historique, c’est un véritable festival pour les amateurs de voix tant les airs qui le composent, il faudrait les citer tous, et ils sont nombreux, demande une véritable virtuosité, une grande musicalité et un indubitable talent dramatique pour restituer toute la complexité des personnages. Musicalement ce fut une soirée mémorable. La fine baguette de Philippe Jaroussky faisait montre d’une connaissance intime de la partition. Quelques faiblesses dans certaines attaques, certains ralentis étranges, n’entamaient en rien l’allant de l’Ensemble Artaserse. Surtout Philippe Jaroussky, rompu au baroque, fait montre d’un véritable sens de la nuance, attentif aux climats imposés par Haendel. Et naturellement une grande attention portée aux chanteurs, à l’homogénéité de l’ensemble vocal sur le plateau, ensemble d’une grande élégance et d’une tenue sans pareil. Et les chanteurs impressionnent qui s’en sortent avec les honneurs. Sabine Devielhe (Cléopâtre) et Lucile Richardot (Cornélie) en tête. La première faisant montre d’une virtuosité vocale pour le moins époustouflante, aux suraigües filé, n’occultant en rien un sens de la scène indubitable et qui nous a laissé sans voix, époustouflé par l’insolence de son talent. Lucile Richardot, veuve de Pompée assassinée, humiliée, agressée, par sa voix merveilleusement sombre de mezzo-soprano offre à son personnage une impressionnante noblesse tragique. Gaëlle Arquez campe un Jules César hiératique, quelque peu figé dans son jeu que compense une voix de mezzo-soprano, un chant d’une grande justesse musicale et d’une finesse expressive. Trois contre-ténors sur un même plateau, la comparaison, sinon la compétition, aurait pu paraître rude. Il n’en fut rien, ce fut explosif. Aigus et vocalises escaladées à grande vitesse, longueur du souffle propre au baroque, ce fut pour les trois incandescent et dans la salle une pâmoison sans pareil. Difficiles de chipoter tant Franco Fagioli (Sextus), Carlo Vistoli (Ptolémée) et Paul-Antoine Bénos-Dijan (Nireno) ont donné un véritable festival baroque. On pourrait objecter à Carlo Vistoli une faiblesse dans son jeu dramatique mais devant la qualité vocale de sa prestation, à l’instar des autres, toutes préventions tombent. Le baryton Francesco Salvadori (Achille) allie maîtrise et élégance e un chant d’une grande nuance tout comme le baryton-basse Adrien Fournaison (Curio). Cette distribution a soulevé la salle, et chaque air, sans exceptions fut applaudi. Ce qui compense une mise en scène qui elle fut copieusement huée. Pourtant cela commençait plutôt bien avant qu’une seconde partie ne gâche l’ensemble. Sur un plateau nu, une boîte blanche qui s’ouvrait au lointain sur les enfers où veillaient trois parques, et que nul accessoires superflus n’encombraient, toute place était donnée au chant, voire à la direction d’acteur. Las et par la faute d’une scénographie (Paolo Fantin) qui oblige et contraint, la mise en scène, dans la seconde partie – un plateau devenu noir où des fils rouges tissent une étrange toile – se trouve comme empêchée et les chanteurs embarrassés. Avec au lointain un miroir qui malheureusement, effet involontaire ou non, reflète une partie de la fosse d’orchestre et son chef dirigeant.  Gênant. La mise en scène semble se déliter peu à peu, ne plus être véritablement tenue. Le metteur en scène Damiano Michieletto n’a de cesse de préfigurer le destin de César et de Cléopâtre, la mort est partout précédée de ses Parques, qui finit par étouffer de ses symboles, parfois incompréhensibles ou tout simplement inutiles, une mise en scène qui à son début avait tout pour être séduisante par son apparente simplicité ponctuée d’images d’une grande force il est vrai. Le comble fut atteint quand César, rescapé de la noyade, se retrouve devant une bâche de chantier transparente du plus mauvais effet et d’une laideur sans pareille. Laquelle bâche bientôt déchirée par un Sextus en fureur, on le comprend nous qui aurions aimé en faire autant. Passons donc sur cette mise en scène qui n’a pas tenu toute ses promesses au contraire du casting vocal survolté, électrique et de très haute tenue et de la première direction prometteuse ô combien de Philippe Jaroussky. Pour une première ce fut vraiment magistral.   © Vincent Pontet   Giulio Cesare in Egitto, opéra de Georg Friedrich Haendel Direction musicale de Philippe Jaroussky Mise en scène : Damiano Michieletto Chorégraphie : Thomas Wilhelm Scénographie : Paolo Fantin Costumes : Agostino Cavalca Coiffures, maquillages et masques : Cécile Kretschmar Lumières : Alessandro Carletti Avec Gaëlle Arquez, Sabine Devielhe, Franco Fagioli, Lucile Richardot, Carlo Vistoli, Francesco Salvadori, Paul-Antoine Bénos-Dijan, Adrien Fournaison Ensemble : Artaserse Danseuses : Diane Magré, Taos Mesbahi, Léa Pointelin Comédiens et figurants : Jean-Pierre Cormarie, Sébastien Duvernois, Julien Girardet, Stéphane Lara, Grégory Maiuri, José-Maria Mantilla Camacho, Jean-Philippe Poujoulat, Philippe Welke   Les 11, 14, 16, 18, 20 mai 2022 à 19 h le 22 mai à 17 h   Théâtre des Champs-Elysées 15 avenue Montaigne 75008 Paris Réservations www.theatredeschampselysees.fr    Read More →
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Scum Rodéo, de Valérie Solanas, au Théâtre La Reine Blanche
  © Bellamy   ƒƒ article de Denis Sanglard  L’avenir est dans les scum. Scum, soit les rebuts, les déchets, la lie de la société. Mais pour Valérie Solanas ce sont ces femmes émancipées, « cool et asexuelles ». On peut aussi y voir cet acronyme cinglant : « Society for cutting up men ». Programme explicite… Valérie Solanas, connue pour avoir tenté d’assassiner Andy Warhol, écrit ce brûlot féministe, Scum Manifesto, d’une misandrie absolue et radicale qui ne prône rien de moins que l’éradication du sexe masculin après avoir renversé le gouvernement et instaurer l’autonomie à tous les niveaux. Autrement dit « foutre la merde ». « Vivre dans cette société c’est, au mieux, y mourir d’ennui, rien dans cette société n’est adapté aux femmes, alors à toutes les intrépides qui ont une conscience citoyenne et le sens des responsabilités, il ne reste plus qu’à renverser le gouvernement, éliminer le système monétaire, mettre en place l’automatisation et détruire le sexe masculin.» L’homme ici est une « femelle incomplète », « un accident biologique », « la masculinité (…) une maladie carentielle ». Les mots sont forts et résonnent, tapent durement. Mais à travers lui, le mâle, c’est toute une société machiste et son système qui sont violemment pointés du doigt. Guerre, religion, morale, argent, éducation… Une société malade et pourrissante dont il est l’unique responsable et pour son seul profit. Le renverser, l’émasculer, l’éradiquer c’est offrir aux scum le pouvoir de changer enfin la donne, faire place nette pour une nouvelle utopie, un avenir féministe. Aucun ne saurait être épargné sauf les homosexuels et les drag-queen, les seuls à résister de fait au système. Texte féministe ou poème d’anticipation, volonté d’émancipation ou programme politique totalitaire et utopiste, c’est un peu tout ça à la fois. Analyse au vitriol et fureur libertaire, c’est un manifeste borderline d’une justesse affolante, d’un humour ravageur, jusque dans ses débordements proprement fascistes. Car la radicalité brutale de Valérie Solanas dans cette volonté destructrice et salutaire est une révélation en ce qu’elle dénonce par contraste et pointe d’un doigt vengeur et rageur une société déliquescente où la femme assujettie à l’homme par son éducation, reproduit ad nauseam son esclavage. Texte paradoxal et parfois franchement douteux par les solutions proposées mais que sauve le rire et surtout son questionnement sauvage sur l’ordre social masculin. Mirabelle Rousseau avec pertinence change le titre et Manifesto devient Rodéo. Et c’est bien à ça que nous assistons. Un rodéo ou Sarah Chaumette chevauche le texte avec une belle assurance, une assise culottée que rien, dans les soubresauts vertigineux de ce pamphlet, ne démonte. Rien de la virago, pas de fureur, de démonstration outragée. Le texte se suffit à lui-même, est suffisamment explicite pour ne pas en rajouter. Non, Sarah Chaumette déroule le texte tranquillement avec une ironie mordante, une intelligence malicieuse. Le feu cependant couve sous la glace, une certaine folie même, mais la retenue domine. Tout ça est énoncé avec un aplomb désarmant, le pire exprimé avec une évidence qui vous renverse. Car c’est nous qui sommes désarçonnés par ce rodéo littéraire, ce pamphlet féministe, cravachés par Sarah Chaumette qui nous mate visiblement avec plaisir. La force de cette performance est d’être justement non dans la démonstration volontaire, l’illustration, mais dans l’énoncé, la réalité d’un texte et de s’y tenir, de ne jamais s’en éloigner et de ne pas céder à la violence idéologique qu’il contient. Sarah Chaumette à merveille joue la conférencière et semble rester, finaude, comme au bord de son sujet. Ce n’est que faux semblant. Car elle nous précipite la tête la première dans ce manifeste comme on domestique un cheval, sans jamais forcer mais avec ferme assurance. Nous sommes ébranlés certes et le chroniqueur que je suis ne craint pas vraiment pour ses attributs, mais ce choc, cette découverte tient surtout à la pertinence d’une analyse qui débarrassée de ces figures littéraires et radicales s’avère d’une triste et glaçante actualité encore aujourd’hui. Une référence féministe incontournable dont la pertinence, la lucidité désespérée et rageuse, méritaient d’être rappelées.   Scum Rodéo, de Valérie Solanas Traduction : Blandine Pélissier Mise en scène : Mirabelle Rousseau Scénographie : Jean-Baptiste Bellon Lumières : Manon Lauriol Création sonore : Lucas Lelièvre Régie générale : Camille Jamin Régie son : Kerwin Roland Costumes : Marine Provent Avec Sarah Chaumette   Durée 50 minutes Du 11 au 28 mai 2022, à 21 h   Théâtre La Reine Blanche 2 bis passage Ruelle 75018 Paris Tel : 01 42 05 47 31 reservation@scenesblanches      Read More →
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2 Sœurs, écrit par Marien Tillet, mise en scène et jeu de l’auteur, au théâtre Dunois
© Cédric Demaison    ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Les araignées nichent sur le crâne d’un linguiste, un chat est crucifié dans une armoire, une supposée sorcière lynchée par les gens du village, un violon cloué au chambranle d’une fenêtre, voilà le pitch d’un incroyable polar vu au théâtre Dunois. Reprenons dans l’ordre, un ethnologue, Marc, spécialiste des hystéries collectives rencontre une femme qui prétend voir les morts. Il découvre au fond d’une armoire le journal interrompu d’une jeune irlandaise, Aïleen O’Leary disparue depuis 60 ans aux abords d’une mine d’extraction de cuivre. Soupçonnant un procès en sorcellerie, il décide de se rendre sur les lieux du drame pour enquêter. Sur place il recueille le récit tragique d’Eamon Kelly, patron du pub. Au retour, la vie de Marc bascule. On n’ouvre pas impunément la boîte de Pandore d’un vieux grimoire ; progressivement l’ethnologue traverse le miroir comme Alice. Marien Tillet est un comédien conteur, une espèce rare traditionnellement associée au théâtre pour enfants. Comme Joël Pommerat il utilise les archétypes du conte, l’ogre, la sorcière, l’orphelin, pour décrire des sentiments ancestraux. Dans 2 Sœurs la peur domine, la folie aussi d’une communauté incapable de faire face aux coups du sort. La grande ethnologue Jeanne Favret-Saada, qui a passé trente mois dans le bocage mayennais pour étudier la sorcellerie, disait qu’« être ensorcelé c’est être pris dans la répétition des malheurs ». Lorsqu’un permis de chasse relie tacitement un groupe contre un coupable désigné, l’engrenage de la violence se déchaîne. La lumière joue un grand rôle dans ce spectacle, sur le plateau noir elle révèle des espaces, une porte, un meuble, un tronc d’arbre déchiqueté, des ombres dans la nuit. Marien Tillet joue tous les rôles, alterne l’adresse au public et le récit d’une fiction horrifique. Sur la lande désolée un étrange sabbat se prépare, comme un rituel chamanique ; sans effets spéciaux, par la seule puissance de son verbe, une scénographie ciselée et son violon le comédien nous embarque pour une traversée d’anthologie. Courrez voir cet OVNI théâtral ! en sortant, si un souffle nouveau d’origine inconnu vous effleure, c’est que vous restez pris dans les sorts ou plutôt la parole de ce diable d’homme qui vous accompagne tel le loup de votre enfance. Nul besoin alors de quérir un désenvoûteur, rappelez-vous simplement la leçon de Shakespeare, « nous sommes faits de la même étoffe que les songes et notre petite vie, en somme, la parachève ».    © Cédric Demaison   2 Sœurs, écrit par Marien Tillet, compagnie du Cri de l’Armoire Mise en scène et jeu de l’auteur Scénographie et Lumières : Samuel Poncet Son : Pierre-Alain Vernette   Du 09 au 12 mai à 19 h, les 13 et 14 mai à 20 h, du 16 au 18 mai à 20 h  Durée du spectacle : 1 h 30     Théâtre Dunois 7 rue Louise Weiss 75013 Paris   Réservation : 0145847200 www.theatredunois.org   Tournée : Du 07 au 29 juillet à Avignon au 11 Avignon, boulevard Raspail, salle 2 à 13 h 35, relâche les 12, 19 et 26 juillet        Read More →
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Les bijoux de pacotille, texte de Céline Milliat-Baumgartner, mise en scène de Pauline Bureau, Théâtre 14, Paris
  © Pierre Grosbois ƒƒƒ article de JB Corteggiani Au début, parce que ça commence dans le noir avec une voix off, une voix qui raconte un accident de voiture, un accident qui fait d’une fillette de huit ans une orpheline, et que cette histoire est celle de Céline Milliat-Baumgartner, qui l’a écrite, qui la raconte elle-même sur scène, on se dit que cette pièce sera une traversée douloureuse. Mais non, rien qui pèse, pas de pathos, pas de pataud. Voici la comédienne seule en scène dans une jolie robe azurée, qui parle d’une voix vivement fraîche et fruitée. Au-dessus d’elle, en biseau, en plongée, un grand miroir mité qui tasse son reflet : « je soufflerai neuf bougies, dix bougies, onze bougies, douze, treize, quatorze, quinze bougies. Et j’aurai huit ans encore et encore. » Et vraiment, dans ce reflet nain, Céline semble avoir mangé du gâteau rétrécissant d’Alice : la scénographie est d’Emmanuelle Roy. D’emblée, dans le récit, un autre miroir, invisible, celui où l’autrice se scrute dans les traits de sa mère, qui était comédienne, qui a joué avec Depardieu dans un film de Truffaut : « Ma mère est le modèle. L’original. L’idéal. Elle est le moule perdu dans lequel je me fonds. (…) Je suis femme jusqu’au bout de ses ongles rouges. » Suivent une évocation du père, « qui m’aurait plu si j’avais eu son âge », celle d’un voyage en Grèce en camping-car, celle d’un coup de téléphone un matin où les parents ne sont pas rentrés… C’est là que la gorge se serre ? Oui, un peu, mais pas trop, et on s’en étonne en lisant le texte (1) : « je refuserai de croire à ce cercueil que je n’ai pas vu » ; « sans la protection de mes parents, je n’aurai plus de bouclier entre moi et le monde » ; « je compenserai les colères butées de mon frère plus jeune (…) somnambule tétanisé qu’on est obligé de plonger dans des bains d’eau froide au milieu de la nuit »… Alors quoi ? La diablerie de cette voix presque enfantine, comme dans une chanson brésilienne dont la gaieté musicale cache la tristesse des paroles ? Les sortilèges amusants de la mise en scène (de Pauline Bureau) – ce PV de décès qui s’enflamme, ces chaussures qui se font la malle au fond de la scène ? Le douchage systématique des larmes par des pointes comiques ? (Juste une pour le plaisir : « Je recevrai un cahier grand format recouvert de dessins et de fleurs, d’arcs-en-ciel, de soleils. Un cahier dans lequel chaque élève de ma classe de CE2 aura écrit un poème, une déclaration, un petit mot : “Pour toi ça va être très dur. Bisous”. » ) Oui, mais il y a peut-être plus essentiel, et plus retors. Nous voici vers la fin, la femme Céline a dépassé l’âge de ses parents, se réjouit de n’avoir pas peur de les perdre, de ne pas avoir à les tuer. Redoute tout de même « une malédiction qui se transmettrait de mère en fille ». Réfléchit avant de faire un enfant. Entonne a cappella Les yeux de ma mère, d’Arno. Remonte lentement sa robe. Ce n’est pas le corps de la fillette pépiante qui rêvait d’être danseuse. Ce n’est plus le corps de la jeune comédienne qui, à l’école de théâtre, rejouait les rôles de sa mère. C’est le corps d’une femme, et sur son ventre est dessiné un bébé. Déplacement de perspective, renversement d’émotion. Dramatiquement et visuellement, c’est superbe. Et là, oui, la boule dans la gorge. Il y aura cinq rappels. (1) Publié chez Hatier et aux éditions Arléa.   © Pierre Grosbois   Les bijoux de pacotille, de Céline Milliat-Baumgartner Mise en scène par Pauline Bureau Avec : Céline Milliat-Baumgartner Dramaturgie : Benoîte Bureau Scénographie : Emmanuelle Roy Composition musicale et sonore : Vincent Hulot Costumes et accessoires : Alice Touvet Lumière : Bruno Brinas Vidéo : Christophe Touche Magie : Benoît Dattez Travail chorégraphique : Cécile Zanibelli Direction Technique : Marc Labourguigne Régie Son : Sébastien Villeroy Régie Lumière : Pauline Falourd   Durée : 1 h 05 Du 10 au 21 mai 2022 à 20 h (mardi, mercredi et vendredi), jeudi à 19 h, samedi à 16 h   Théâtre 14 20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris Location 01 45 45 49 77 https://theatre14.fr      Read More →
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Kliniken, de Lars Norén, mise en scène de Julie Duclos, Théâtre de l’Odéon
  © Simon Gosselin   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Il ne se passe rien dans Kliniken, pièce chorale de Lars Norén. Rien, sinon le fracas du monde dans son expression la plus nue, entré à bas-bruit dans cette unité psychiatrique. Dans cette salle commune d’hôpital où se croisent les patients, où se nouent les conversations, entre soliloques et dialogues, lentement, au fil des récits, des paroles échappées, effleurent les secrets, les traumatismes subis, les blessures intimes et la folie. Sont concentrés là, métabolisés, les maux de notre humanité avec un foutu sentiment de réalité, laquelle nous éclabousse au long de cette pièce radicale. Radicale par son écriture, si réaliste qu’elle en devient poétique, cette poésie crue du quotidien le plus âpre. Une parole sans filtre, brutale même, mais si juste dans sa violence, terriblement, qui n’exprime rien d’autre qu’une souffrance, son déni forcené et un rapport décalé au monde. La folie ici est partout et nulle part. Car ce qui frappe c’est la normalité de ces malades traversés par la maladie, hantés par leur traumatisme que seule la parole dénonce et révèle mais ne réussit pas à libérer. La mise en scène de Julie Duclos est une merveille de délicatesse, de sensibilité et d’intelligence. Une réussite exemplaire parce qu’elle s’empare de cette pièce avec la volonté résolue de ne jamais charger la barque. Il aurait été facile de monter cela avec tous les clichés afférents, grimaciers de la folie. Loin de tout ça, Julie Duclos met en scène cette parole unique et de chaque personnage détouré avec la plus grande attention, de leur singularité, elle en extrait leur part irréductible d’humanité, aussi cabossée soit-elle. Non, rien de démonstratif, rien de spectaculaire mais une ligne claire, toujours tenue, presque sèche, sans éclat autre que quelques colères, quelques crispations exprimés par le texte et qui, comme cet orage soudain, éclate, libérant une tension devenue insoutenable. Une direction d’acteur attentive donc, où nul ici ne joue la folie mais porte en lui un insondable mystère où se niche peut-être une vérité insupportable. Un jeu réaliste et sans outrance, jamais démonstratif, mais portant une charge émotionnelle sans équivalent par sa nudité, son âpreté même. Tous les comédiens ici sont exceptionnels en leur fêlure, leur fragilité et leur vérité irréductible. La réussite de Julie Duclos est dans ce qu’elle ne porte aucun jugement ni d’échelle de valeurs, comme Lars Norén, sur ces vies minuscules fracassées mais qu’elle leur donne une portée universelle. Dans cette unité psychiatrique c’est tout le désarroi du monde, et le nôtre, qui s’engouffre. Ce que souligne la vidéo projetée incidemment sur les murs qui parfois, sans jamais abuser, suit dans les coulisses les personnages, s’extrait du plateau pour signifier sans doute que ce qui se passe là, sur cette scène, est ancré indubitablement dans une réalité qui le déborde largement. Quand une création vous poigne comme ça, d’emblée, et ne vous lâche plus, avec cette impression prégnante qu’il se passe là quelque chose d’essentiel, une grâce absolue, le théâtre dans ce qu’il de plus juste dans sa fonction, on ne peut qu’être saisi de son importance. Julie Duclos signe sans doute avec Kliniken une création des plus importante, du grand théâtre assurément.   © Simon Gosselin   Kliniken de Lars Norén Mise en scène de Julie Duclos Avec Mithkal Alzghair, Alexandra Gentil, David Gouhier, Emilie Incerti Formentini, Manon Kneusé, Yohan Lopez, Stéphanie Marc, Cyril Metzger, Leïla Muse, Alix Riemer, Emilien Thebault, Etienne Toqué Traduction : Camilla Bouchet, Jean-Louis Martinelli, Arnaud Roig-Mora Scénographie : Matthieu Sampeur Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel Lumière : Dominique Bruguière Vidéo : Quentin Vigier Son : Samuel Chabert Costumes : Lucie Ben Bâta Durand   Durée 2 h 20 Du 10 au 26 mai 2022 à 20 h   Odéon-Théâtre de l’Europe Place de l’Odéon 75006 Paris   Réservations 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.eu      Read More →
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Encore plus, partout, tout le temps, une création de L’Avantage du doute, Théâtre de la Bastille
  © Jean-Louis Fernandez   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Voilà une création abrasive qui vous râpe salement et finit par vous gratter sévère. L’Avantage du doute interroge notre humanité en plein effondrement et comme à chaque fois soulève nos contradictions comme on soulève un lièvre de mars. Pas de réponse de leur part mais un inventaire à la Prévert où ne manque pas un ours blanc. Patriarcat, productivisme, capitalisme, esclavagisme, exploitation des femmes, féminisme, écologie… L’effondrement est partout qui se répercute jusque dans l’espace privé, intime. Et ce qu’il souligne là c’est combien tout cela est étroitement lié, comment tout se tient fermement, et que chaque solution, pragmatique ou utopique, se heurte toujours à ses propres limites et contradictions internes. Comme le résume magistralement l’un d’eux, « c’est la fin du monde et tout le monde regarde top chef ! ». Oui, c’est tragique, la maison brûle, et ce collectif en toge pour l’occasion, regarde les braises chaudes avec une lucidité imparable, faisant feu de tout bois idéologiques. Pas trash, non, mais cash sûrement. C’est d’un humour mordant et féroce, écrit finement d’une plume trempée dans le vitriol, qui vous balance ses quatre vérités sans s’embarrasser du politiquement correct. Mis en scène avec brio, loin d’être foutraque, tout est amené avec le plus grand naturel du monde. Avec ça, une autodérision, parce que toute réflexion ici part avant tout de l’expérience de ce collectif hors-norme. On le sait, parler de soi c’est aussi parler du monde. Et le théâtre ici est une étrange et formidable agora, pour preuves ces colonnes gréco-romaines tronquées et ces toges incongrues qui font de la scène un espace de débat, un banquet platonicien où le sérieux le dispute au dérapage contrôlé, voire même à la poésie surréaliste. Et si le public est muet, on ne parle pas des rires qui le secouent au long de cette création, il n’en est pas moins interpellé, passé à la question lui aussi.  Résumer le tout tient de la gageure tant l’ensemble est habilement troussé, joyeusement secoué, les sujets tissés, cousus entre eux sans fil blancs ni couture apparente. C’est drôle, de cet humour salvateur qui du pire donne le meilleur, fait passer la pilule amère qui n’est pas ici un placébo. Tentons de résumer bravement cette création en allègre panique qui tire à bout portant, à bout touchant sur les maux d’une humanité en déroute anthropocène. Femmes au bord de la crise de nerf, au bord du burn-out, esclaves d’un patriarcat, écrasée d’une charge mentale jusque dans ses idéaux. Femmes fatales soumises aux injonctions de mâles soumis aux injonctions, eux aussi, du même patriarcat. Un Bernard en déroute genrée. Végan dépressif et entrecôte trop cuite. Ecolos en proie au doute. Ours polaire atteint de solastalgie. Trois Parques. Un arc. Enfants en révolte devant un avenir hypothéqué, tuant le père et pas que symboliquement. Passons, passons, passons. Rien du pensum pourtant, c’est encore une fois d’une alacrité inventive qui sauve de la pesanteur, mené tambour battant et grand sérieux dans la farce tragi-comique par ce collectif décapant et engagé, labélisé par nos soins d’utilité publique. Au sortir du théâtre de la Bastille, une envie furieuse de pousser un cri démange, celui-là même qu’il pousse en chœur à intervalle régulier, harmonieux et libérateur dit-il. Libérateur, c’est certain.   © Jean-Louis Fernandez   Encore plus, partout, tout le temps une création de L’Avantage du doute Avec Mélanie Bestel, Judith Davis, Claire Dumas, Nadir Legrand, Maxence Tual Scénographie : Kristelle Paré Lumières : Mathilde Chamoux Son : Isabelle Fuchs Costumes : Marta Rossi Accompagnement du travail vocal : Jean-Baptiste Veyret-Logerias Régie générale : Jérôme Perez-Lopez   Durée 1 h 45 Du 9 au 27 mai 2022 à 20 h Relâche les dimanches et le lundi 16 mai   Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Réservations 01 43 57 42 14      Read More →
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Queen Blood, par Ousmane Sy, au Théâtre du Rond-Point, Paris
  © Thimotée Lejolivet   ƒƒƒ article de Hoël  Le Corre Dans la grande salle pleine à craquer du Théâtre du Rond-Point, le public prend place… Et d’emblée, on est frappé par l’effervescence, la jeunesse et la mixité dans cette salle Renaud-Barrault. Et, dix minutes avant le début de la représentation, six danseuses apparaissent sur scène pour un échauffement sous le regard des spectateurs très vite conquis… Puis le spectacle démarre, et une par une, elles entrent dans la danse ; on comprend alors de suite à qui on à affaire : six amazones, des femmes puissantes, aussi vigoureuses qu’élégantes. Par leur corps, leur regard, leur énergie et leur magnétisme, elles embarquent le public dans leur monde de mouvements, tantôt saccadés, tantôt fluides, variant les rythmes des plus effrénés aux ondulations ralenties sur un medley de musiques passant par Nina Simone, le clubbing new-yorkais ou encore des airs antillais. Il faut dire que la virtuosité du groupe n’a d’égal que le talent de chacune d’entres elles, et elles excellent aussi bien dans les tableaux collectifs que dans les parties individuelles, appuyées par les regards encourageants de leurs sœurs de dance-floor. On assiste avec Queen Blood à une sorte de métaphore de l’empowerment féminin : d’abord, les six interprètes s’emparent avec fougue et le feu dans les yeux des codes masculins du hip-hop,  avant de se jouer des poses stéréotypées des magasines féminins pour ensuite approprier des mouvements mêlant house dance et danses traditionnelles africaines, et inventer leur propre univers. Sans parole, et par intermédiaire des corps, et c’est toute la force de la danse, on passe de l’intime à l’émancipation individuelle et collective. On oscille ainsi entre des tableaux choraux d’une synchronisation parfaite à des solos où s’affirme avec aplomb et fierté le style de chaque danseuse. Queen Blood signifie littéralement « sang noble » qui prend ici tout son sens dans l’affirmation de la singularité puissante de chacune. Ainsi, la chorégraphie haletante d’Ousmane Sy, d’origine malienne et sénégalaise et champion du monde et figure phare du mouvement hip-hop en France et à l’étranger, est un hommage à toutes les féminités. Dans une revendication pulsionnelle à la fois joyeuse et conquérante, les six interprètes donnent corps à une sororité sans concession. On en ressort galvanisé et aussi ému que ces femmes portées par la présence palpable d’Ousmane Sy qui, on le sent, fait encore vibrer l’air que ses danseuses déplacent. Difficile de ne pas se ruer sur une piste de danse après un tel spectacle !   © Thimotée Lejolivet   Queen Blood, de Ousmane Sy  Chorégraphie : Ousmane Sy Avec en alternance : Allauné Blegbo, megan Deprez, Selasi Dogbatse, Valentina Gragotta, Dominique Elenga, Nadia Gabrieli Kalati, Linda Hayford, Nadiah Idris, Odile Lacides, Cynthia Casimir, Mwendwa Marchand, Audrey Minko, Stéphanie Paruta   Assistante chorégraphie : Odile Lacides  Son et arrangements : Adrien Kanter Lumière : Xavier Lescat Costumes : Hasnaa Smini   Du 3 au 7 mai 2022 A 20 h 30 Durée : 1 h   Théâtre du Rond Point 2bis avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris Réservations : 01 44 95 98 00 www.theatredurondpoint.fr   Tournées : 10 mai 2022 : Sémaphore / CÉBAZAT (63) 12 mai 2022 : Théâtre d’Aurillac / AURILLAC (15) 17-18 mai 2022 : CDN de Normandie / LE PETIT-QUEVILLY (76) 20-21 mai 2022 : Théâtre Sénart, Scène Nationale / LIEUSAINT (77) 25 mai 2022 : Espace Culturel l’Hermine / SARZEAU (56) 18 juin 2022 : Le Colisée / ROUBAIX (59)      Read More →
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Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité, de Mickaël Délis, La Reine Blanche, Paris
  © Marie Charbonnier   article de Nicolas Brizault Dans une petite salle sympathique et cachée dans une rue où le brouhaha d’une fin d’après-midi est presque dissimulé, se développe comme si de rien n’était une pièce / One man show de Mickaël Délis : Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité. Il s’agit de détourner, développer, Le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir et publié en 1949. Histoire de raconter en plusieurs tableaux bruyants la même chose pour les hommes, cela va de soi. Tout d’abord un petit garçon tendre avec sa maman divorcée d’un papa insupportable, ensuite un môme un tout petit peu plus âgé et qui aime bien jouer à la poupée, ou alors des instants de sur-virilité (c’est quoi au juste ?) ou encore de la « masculinité singulière ». Du bla-bla non-stop, ayant souhaité plonger dans un humour facile et pas vraiment fin, pour prouver qu’on a lu Beauvoir, et tous les autres qui sont cités, comme soulignés même, dans le petit document donné aux spectateurs à l’entrée, que l’humour vif a été choisi plus qu’un sérieux moins rebondissant pour avouer l’intelligence ineffable de ce spectacle. Pourquoi pas ? Sauf que va débuter un peu moins d’une heure et demie durant laquelle un personnage va, pour faire rire donc et mieux saisir ce sujet complexe − parce que si l’auteur a lu Simone de Beauvoir, ce n’est pas dit que le public l’ai fait ou en soit capable – laisser rapidement couler du gras, du lourd, du faux évident autour de la nature des hommes. Quand Mickaël Délis joue le rôle de sa mère, intello snob et sur-fumeuse, les sourires peuvent se faire un rien fréquents. Pour le reste, non, une sorte de spectacle boueux. Il faisait encore beau en sortant, la vie est belle.   © Marie Charbonnier   Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité, écrit et joué par Mickaël Délis Mise en scène : Vladimir Perrin et Mickaël Délis Collaboration artistique : Elisa Erka, Clément Le Disquay, Elise Roth Collaboration à l’écriture : Chloé Larouchi Création lumière : Lucas Doyen   Durée 1 h 10 Du 7 mai au 18 juin Les mardi, jeudi et samedi à 19 h   La Reine Blanche 2 bis passage Ruelle 75018 Paris Réservation indispensable au 01 40 05 06 96 Renseignements : reservation@scenesblanches.com      Read More →
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