La reine de la piste, écriture et mise en scène de Pierre Notte, chanson d’Helena Noguerra, Théâtre la Ville / Espace Cardin
  © Fabrice Mabillot   ƒƒƒ article de Denis Sanglard For ever Helena. Voilà une petite merveille concoctée par Helena Noguerra et Pierre Notte, joliment complices sur cette affaire. Théâtre musical, entre cabaret et récital, humour noir en sautoir pour une drôle de cérémonie funèbre, où ces deux-là se sont entendus, on le voit, comme larrons en foire. Helena Noguerra interprète ses propres chansons, toutes finement ciselées, petits bijoux de mélancolie et de désenchantement incrustés dans le récit poétique de Pierre Notte, au réalisme mêlé de fantaisie et de fantastique, on reconnait-là son univers à nul autre pareil, entre gravité et apesanteur. Et ce qui est remarquable, c’est combien ces deux écritures, ces deux voix, loin de se heurter, sont au contraire en parfaite harmonie, qui se répondent, dialoguent, et se font écho, de l’une à l’autre, avec une grande fluidité. C’est une histoire tragique, un polar sombre où la liberté d’aimer, la liberté tout court, se paie au prix cher, au prix du sang. Portrait d’une femme assassinée, féminicidée, on dira ça comme ça, qui hante, fantôme désormais, son passé. Il y a ces colliers de jules pour l’ennui, amants et amantes d’un soir ou plus, qu’on dénoue au petit jour comme le chantait madame Juliette Gréco. Ces amours mortes-nées, ces amours passées, ces amours défuntes et ces visages inoubliables vite oubliés. L’amour fou, aussi, et les désillusions post-coitum. Il y a monsieur Paul et mademoiselle Julie. Et le dernier, fatal, forcément fatal, l’amour à mort dans ce bar belge, l’Hemingway, où votre sang se mêle bientôt aux flaques de sauce barbecue. Helena Noguerra chante donc ses propres chansons mais se glissent ici et là, discrets hommage, Barbara et Dalida qui en connaissaient un rayon dans les amours déglinguées. Et plus gonflé et crâne, qui ouvre ce tour de piste, Jacques Higelin et son iconique Champagne pour planter fermement le décor. Tristes sont les cimetières, oui, mais passé l’antichambre, l’au-delà est un dancefloor, boules à facettes au plafond et dans la tête, où le rouge flamboyant et les paillettes effacent le noir de l’existence et les bleus à l’âme. Mise en scène sans chichi, sobre, Pierre Notte sait y faire pour aller sans s’égarer à l’essentiel, mettre à nu les personnages, exhausser les comédiens, où éclate de fait le talent fou et généreux d’Helena Noguerra chanteuse-comédienne, les deux allant de pair ici. Reine de la piste, oui, reine en son domaine et qui une heure trente durant tient royalement et sans faiblir, sans l’once d’un relâchement, sans fausse-note et sans faux-semblant, le destin tragique de son personnage.   © Fabrice Mabillot   La reine de la piste, écriture et mise en scène Pierre Notte Autour des chansons d’Helena Noguerra Création lumières : Leslie Horowitz Création de la robe rouge : Fleur de Mery Régie son : Philippe Bouic Régie plateau : Camille Urvoye Régie générale : Alexandre Jomaron Soutien inestimable : Arturo Giusi-Perier   Avec : Helena Noguerra, chant Philipe Eveno, guitares   Du 14 au 16 juin 2022 à 20 h   Théâtre de la Ville / Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris   Réservations 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Je m’en vais mais l’Etat demeure, d’Hugues Duchêne, au théâtre 13, site Glacière, Paris
  © Simon Gosselin   ƒƒ article de Sylvie Boursier Le soir de sa mort, Louis XIV déclara aux titulaires des grands offices : « Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours ; soyez-y fidèlement attachés. »  Il ne manque pas d’humour, Hugues Duchêne, pour plagier ainsi le roi Soleil avec ce titre aussi magnifique qu’étrange Je m’en vais mais l’Etat demeure. De quelle fin est-il le nom ? Peut-être celle de certaines utopies ou l’agonie possible de la sociale démocratie à l’heure des fakes news et tweets assassins. A chacun d’apprécier. Le metteur en scène conjugue ses deux passions, la politique et le théâtre, dans cet OVNI dramatique. Le spectacle débute en septembre 2016 et s’achève en 2022 à la date du jour de la représentation. Pendant ces années l’auteur s’est immergé (il réfute le terme d’infiltré) dans toutes les sphères politiques, juridiques, médiatiques et diplomatiques de son pays, partout où, comme il dit « il se passe quelque chose ». Grâce à de vieux badges, à une carte culture et surtout à un sacré bagout, ce tintin chef d’orchestre se faufile dans les salons VIP, les états-majors, les tribunaux, les meetings, à l’Assemblée nationale, aux QG de campagnes où il approche de près certains candidats. Son enquête solide avec croisements de sources écrites visuelles et sonores aboutit à une série théâtrale en six épisodes d’un peu plus d’une heure chacun, ce qui donne à ce jour… huit heures de spectacle. Des entractes sont organisés entre chaque épisode pendant lesquelles, sur un écran large, s’affiche le « contrat de fonctionnement » élaboré par l’auteur qui s’y connait en droit du travail. Astucieusement il fait se croiser l’histoire collective de son pays avec son histoire familiale, puisque la pièce est censée répondre à une question de son neveu chéri : « Tonton, comment en est-on arrivé là ? ». Il est cash et pour lever toute ambiguïté va jusqu’à jusqu’à révéler ses votes ainsi que ceux de sa famille. Accrochez vos ceintures, vous allez être propulsés sans transition des coulisses de la Comédie-Française aux ronds-points des gilets jaunes, vous suivrez les militants de plusieurs écuries sur les marchés ainsi que les procès retentissants des terroristes, les techniques des spin doctors n’auront plus de secrets pour vous. C’est beaucoup mieux que « Borgen », parce que c’est vrai même si Hugues Duchêne revendique sa part de subjectivité avec une certaine marge d’erreurs. En béton sur le fond le spectacle se révèle d’une originalité folle sur la forme. Il faut oser afficher sur l’écran géant la carte de France avec les scores impressionnants du Rassemblement National tandis que le clone de Juliette Armanet, la comédienne Marianna Granci, chante en live « Manque d’amour » très doucement comme on berce un enfant. Hilarant Jacques Alain Miller, l’ineffable lacanien, se lançant dans une prosopopée délirante au meeting des intellectuels anti-le Pen, complètement ésotérique pour le commun des mortels. Décoiffantes les potacheries de Frédéric Beigbeder, lors d’un flashback dans les réunions de Sciences Po. Et surtout les sept comédiens de sa compagnie « le Royal velours » sont sacrément talentueux. D’une énergie folle, ils se métamorphosent à vue dans une performance chorégraphique millimétrée ! Ils jouent collectif, choppent en un instant le geste, la mimique de leurs personnages. Il agace parfois le jeune Duchêne avec sa manie de multiplier le zapping visuel à la vitesse du TGV comme s’il craignait que le spectateur ne s’ennuie, au risque de survoler. On décroche de temps en temps mais on est rattrapé au bout du compte. L’ensemble est acide et drôle, personne n’est épargné. Les questions posées sont graves et même glaçantes à la toute fin qui laisse un sentiment de malaise. Le jeune trentenaire a une vraie envie de comprendre et pratique l’auto dérision sans aucun cynisme. « Le spectacle présente un monde complexe, fragmenté, quasiment chaotique, où chaque personnage doit composer ses décisions avec des vents contraires […] à l’opposé donc des thèses complotistes » note-t-il dans le dossier de presse. La saga se termine sur un épilogue hallucinant, diablement théâtral avec une dernière séquence dystopique que les spectateurs découvriront. Des sujets essentiels émergent alors frontalement, la déontologie, les limites d’une telle démarche, la valeur de l’engagement et les conséquences d’un jeu politique qui tournerait à vide. Ça ira, Louis, le pire n’est jamais sûr. Allez les voir !   © Simon Gosselin   Je m’en vais mais l’Etat demeure, conçu écrit et mis en scène par Hugues Duchêne Lumière : Hugo Dardelet Costumes : Sophie Grosjean et julie Camus Vidéo : Pierre Martin Avec : Pénélope Avril ou Juliette Damy, Vanessa Bile -Audouard, Théo Comby-Lemaître, Hugues Duchêne, Mariana Granci, Laurent Robert, Gabriel Tur ou Robin Goupil   Du 7 au 26 juin, Partie 1 (épisode 1,2,3) les mardis et jeudis à 20 h Partie 2 (épisodes 4,5,6) les mercredis et vendredis à 20 h Intégrale les samedis et dimanche à 15 h     Durée : 8 h avec entractes en intégrale ou 2 parties de 4 h chacune     Théâtre 13 Site Glacière, 103 Bd Auguste Blanqui 75013 Paris Réservation :0145881630 www.théatre13.com        Read More →
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59ème Palmarès des Prix de la critique de théâtre, de musique et de danse 2021-2022
  Un fauteuil pour l’orchestre a le grand plaisir de vous annoncer le 59ème Palmarès des Prix de la critique de théâtre, de musique et de danse 2021-2022. Depuis 1963, ce palmarès est issu du vote des critiques professionnels, récompensant les artistes, les spectacles et les créations de toute une saison. La cérémonie de la remise des Prix de la critique, réunissant les lauréats de 2021-2022, a eu lieu le 13 juin 2022, au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris.   Meilleure création d’une pièce en langue française Le Ciel de Nantes, de Christophe Honoré © Jean Couturier   PRIX THÉÂTRE Grand prix (meilleur spectacle théâtral de l’année) Illusions perdues, d’après Honoré de Balzac, mise en scène de Pauline Bayle Prix Georges-Lerminier (meilleur spectacle théâtral créé en Province) La Seconde Surprise de l’amour, de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon Meilleure création d’une pièce en langue française  Le Ciel de Nantes, de Christophe Honoré – Célestins, Théâtre de Lyon Meilleur spectacle étranger  L’Odyssée. Une histoire pour Hollywood de Krzysztof Warlikowski Prix laurent-Terzieff (meilleur spectacle présenté dans un théâtre privé) Comme il vous plaira, de William Shakespeare, mise en scène Léna Bréban Meilleur comédien Adama Diop dans La Cerisaie d’Anton Tchekhov, mise en scène de Tiago Rodrigues Meilleure comédienne Georgia Scalliet dans La Seconde Surprise de l’amour de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon Prix Jean-Jacques-Lerrant (révélation théâtrale de l’année) Suzanne de Baecque dans La Seconde Surprise de l’amour de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon Meilleur créateur d’éléments scéniques  Ariane Mnouchkine pour L’Île d’or Meilleur compositeur de musique de scène  Pascal Sangla pour Andando Lorca 1936, mise en scène de Daniel San Pedro Meilleur livre sur le théâtre Dans le cerveau des comédiens d’Anouk Grinberg, Éditions Odile Jacob     Révélation musicale de l’année Marie-Laure Garnier, soprano © Jean Couturier   PRIX MUSIQUE Grand prix (meilleur spectacle musical de l’année) Œdipe d’Enesco mise en scène Wajdi Mouawad direction musicale d’Ingo Metzmacher Prix Claude-Rostand (meilleur spectacle lyrique en régions) The Rake’s progress de Stravinski mise en scène Mathieu Bauer direction musicale Grant Llewellyn et Rémi Durupt Prix de la meilleure coproduction européenne  Le lac d’argent de Weill mise en scène d’Ersan Mondtag direction musicale de Karel Deseure Prix des meilleurs éléments scéniques / Meilleure scénographie  Grégoire Pont et James Bonas pour La reine des neiges d’Abrahmasen Prix de la création musicale  Words and music, musique de scène de Pedro Garcia Velasquez pour la pièce de Beckett Personnalité musicale (ex aequo) Catherine Hunold, soprano Klaus Mäkelä, chef d’orchestre directeur musical de l’Orchestre de Paris Mention spéciale  Philippe Boesmans in memoriam Révélation musicale de l’année  Marie-Laure Garnier, soprano Meilleure initiative pour le développement et le rayonnement musical (ex aequo) Projet Ponant de l’Orchestre national de Bretagne Festival L’Offrande Musicale direction artistique David Fray Meilleurs livres sur la musique  Reynaldo Hahn de Philippe Blay, Éditions Fayard Résurgences du secret : l’œuvre pour piano de Jacques Lenot de Bertrand Bolognesi, Éditions Aedam Musicae Saint-Saëns, un esprit libre sous la direction de Marie-Gabrielle Soret. Catalogue de l’exposition Saint-Saëns à l’Opéra de Paris, BNF/ Opéra de Paris)     Meilleur livre Danser Hip Hop de Rosita Boisseau, photos de Laurent Philippe © Jean Couturier   PRIX DANSE Meilleur spectacle chorégraphique  Encantado, chorégraphie de Lia Rodrigues, Théâtre national de la danse – Chaillot (première en France), Paris, 2021 Meilleure interprète chorégraphique  Dorothée Gilbert, étoile de l’Opéra national de Paris Meilleure compagnie CCN – Ballet de Lorraine Personnalité chorégraphie (ex aequo) Brigitte Lefèvre François Alu, étoile de l’Opéra national de Paris Meilleure performance  Somnole, chorégraphie et interprétation de Boris Charmatz Révélation chorégraphique  Leïla Ka Meilleur livre Danser Hip Hop de Rosita Boisseau, photos de Laurent Philippe, Nouvelles Éditions Scala, 2021 Meilleur film En Corps de Cédric Klapisch, produit par Ce Qui Me Meut, 2022        Read More →
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Électre des bas-fonds, écriture et mise en scène de Simon Abkarian, théâtre du Soleil, La Cartoucherie
  © Antoine Agoudjian   ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Simon Abkarian n’a pas froid aux yeux, il reprend l’opéra baroque qu’il a créé en 2019 dans ce même Théâtre du Soleil, Électre des bas-fonds, avec … vingt comédiens et comédiennes danseurs, quatre musiciens, trois chœurs. Mettre en scène plus de vingt-cinq personnes est une gageure quand la consigne est de réduire les coûts, à partir du mythe des Atrides et sur une musique rock de surcroît ! L’Électre de Sophocle, se languit du retour de son frère Oreste et voue une haine indéfectible à sa mère Clytemnestre qui ose mettre des offrandes sur la tombe de son mari qu’elle a assassiné. Le retour d’Oreste va permettre l’exécution de sa vengeance, son frère tue Clytemnestre. La pièce s’achève alors qu’il est sur le point de faire subir le même sort à Égisthe, l’amant de sa mère. Le récit grec est un sommet de dépouillement, l’insoutenable combat entre les dieux et les hommes se suffit à lui-même. L’auteur transforme la tragédie grecque en véritable épopée sociale et féministe sans rien perdre de sa puissance originelle. Son héroïne déchue de ses droits, croupit dans un bordel « qui sent l’urine, l’ail et l’alcool ». Les bas-fonds de Maxime Gorky avait pour cadre un asile de nuit, une sorte de refuge où se retrouvaient pêle-mêle tous les rebuts de la société – voleurs, ivrognes, miséreux. Ici il s’agit d’un lupanar, un lieu de relégation où végètent les damnés de la terre, des prostituées « ventres soumis au premier chien qui passe ». Le chœur de ces captives troyennes raconte les viols comme arme de guerre, la réclusion. Envers et contre tout elles continuent le combat contre les monarques assassins, sont solidaires d’Électre. Ni Eschyle, ni Euripide, ni Sophocle n’ont fait entendre la voix des catins de la société. Filles de joie, servantes, sœur, mère, nourrice toutes sont condamnées à des choix funestes, rentrer dans le rang d’un mariage mortifère comme Chrysothémis sœur d’Électre ou fuir dans la folie pour l’autre. Le meurtre du père dans sa baignoire est figuré sur le plateau à la manière de la célèbre nature morte « Marat assassiné » du peintre David. Simon Abkarian dote ses personnages d’épaisseur humaine. Telle Clytemnestre, magistrale Catherine Schaub Abkarian qui revendique sa liberté lors d’une dernière supplique « les filles sont‑elles des corps sans voix, offrandes dédiées au masculin triomphant, […] C’était un homme mal fini, un monarque imbu de son sexe et de son pouvoir, un vantard. Un intrigant, un envieux qui aimait régner dans la crainte des autres. Un pleutre qui se détourna quand Iphigénie rendit son dernier souffle. Moi j’ai regardé jusqu’au bout ». Elle caresse les cheveux de son fils avec tendresse et s’offre à sa main, insoumise jusqu’au bout, véritable héroïne de cette fable infiniment plus intelligente que sa fille vautrée dans sa souffrance. Le chœur danseur et musicien donne leur puissance aux histoires individuelles. Il fait de ce spectacle une fête de la mort, une immense bacchanale prélude à l’inéluctable cérémonie qui verra le sang couler. Au Mexique bien connu de Simon Abkarian, les familles se rendent à cette occasion au cimetière, en traçant un chemin avec des pétales de fleurs et en allumant des bougies pour guider les âmes vers les tombes. On y mange, danse, chante, joue la musique que le défunt aimait ! Spectres et vivants fraternisent avec les Érinyes messagères de mort, accompagnés du blues rock électrique et ponctués du rébétiko cher au trio Hawlin’ Jaws. Les danses expressionnistes du Kathakali se fondent au souffle du ould, de la mandoline, du bandjo et du djura grec. On sentirait presque sur sa peau l’air chaud de la mousson et les vapeurs sableuses du Gange. Selon Ariane Mnouchkine, « Homère a dressé pour nous, auteurs, metteurs en scènes, gens de théâtre et autres poètes, un banquet inépuisable ». La table est dressée sur l’arène de la Cartoucherie, Simon Abkarian et sa famille de saltimbanques vous attendent, ne les ratez pas !   © Antoine Agoudjian   Électre des bas-fonds, écrit par Simon Abkarian Mis en scène par Simon Abkarian Lumières : Jean Michel Bauer Dramaturgie : Pierre Ziadé Avec : Maral Abkarian Aurore Fremont, Catherine Schaub Abkarian Simon Abkarian, Eliot Maurel, Victor Fradet, Rafaela Jirkovsky, Christina Galstian Agoudjian, Chouchane Agoudjian, Nathalie Le Boucher, Annie Rumani, Frédérique Voruz, Nedjma Merahi, Laurent Clauwaert, Olivier Mansard, Maud Brethenoux, Suzana Thomaz, Anais Ancel et Manon. Création musicale : Howlin’ Jaws  Djivan Abkarian, Baptiste Léon, Lucas Humbert CD Électre des bas-fonds par Howlin ‘Jaws, Bellevue Musique 2022   Du 10 juin au 15 juillet les mercredi, jeudi, vendredi à 19 h 30 Samedi et dimanche à 15 h 30  Durée du spectacle : 2 h 30       Théâtre du Soleil, La Cartoucherie 75012 Paris Réservation : 01 43 74 24 08 soleil@theatre-du-soleil.fr      Read More →
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Archée, de Mylène Benoît à Chaillot - Théâtre national de la Danse
  © Patrick Berger   ƒ article de Nicolas Thevenot Une enclume bleue (comme une réminiscence affadie d’Yves Klein ? ou alors une esthétique pop telle qu’on l’applique à la statuaire grecque ?). Deux femmes s’affairent et martèlent à tour de rôle une forme argentée. Rythme de la frappe, harmonie métallique de l’éclat sonore. Âge de fer. Avec Archée, Mylène Benoît a le projet de remonter à un âge des femmes, rêvé et réinventé à partir d’une rencontre fondatrice qu’elle fit lors d’un séjour au Japon avec un groupe de femmes pratiquant cet art ancestral : le tir à l’arc. Et si elle invite et s’invite avec ce titre dans l’imaginaire des arts martiaux, un monde habituellement dévolu aux hommes, elle s’intéresse peut-être plus encore à la racine grecque (arkhè) de ce mot qui renvoie à l’origine. Repenser l’origine, la reformuler, faire l’hypothèse d’un autre commencement pour offrir au développement historique une destinée autre, se substituant au patriarcat actuel. D’emblée Archée trouve une vraie justesse dans le saisissement de sa quête anticipatrice par l’acoustique, le son, ce sens le plus archaïque après l’odorat. Plongeant les spectateurs dans le noir, alors que se sont épuisés les coups sur l’enclume, émergent de l’obscurité des cris, des chants, des rires, une polyphonie spatialisée dans les entrailles de Chaillot, résonnant depuis ses couloirs alentour, ses coursives, ses fonds perdus. Les corps apparaissent, invisibles, dans leurs habits de souffle, dans leur enveloppe vibratoire, les corps sont les instruments qui chacun à sa mesure façonnent une note particulière et tirent chacun à son origine. Indéniablement la partie la moins immédiatement lisible de la pièce de Mylène Benoît est celle qui opère le plus sûrement et creuse au plus profond en chacun des spectateurs. Lorsque la lumière reviendra, des corps surgiront de trous dans les murs, tel un processus larvaire, tête en bas. Il y a du butō dans cette entrée en matière. Puis les danseuses s’apparieront initiant des danses rythmées par des respirations sonores dans une belle continuité de l’ouverture. Cette rythmique biologique, et ancestrale, pulsation dont la fréquence variera, porte le corps collectif que forment les danseuses tout autant que celui des danseuses qui se succéderont dans des solos se rapprochant par leur performance intense de la transe. La suite d’Archée perdra le fil sensible qui l’avait introduit. D’une part l’exposition d’informations scientifiques et statistiques, dans un mode conférencier, aussi juste et louable en soit l’intention, ne trouvera pas son chemin organique dans la matière spectaculaire, malgré la tentative de déplacer le propos par un jeu de traduction, lequel rendait probablement encore plus abstrait le geste artistique sous tendant le geste théorique. D’autre part, Archée dans sa dernière partie, pénétrant la caverne originelle, reproduisant notamment dans un tableau « pré-historique » mains négatives et mains positives, aurait pu être percutante dans sa performance mais se retrouve spectacularisée et tenue à distance comme si le geste de la chorégraphe et de ses danseuses était trop chargé de sens symbolique et qu’elles-mêmes étaient trop imbues de cette charge symbolique pour exécuter et faire vivre pleinement le geste au plateau, sans le montrer du doigt. Le sens, le signe, précédant, écrasant l’acte. La danse et l’acte se réduisent alors pour le spectateur à une frise de bacchanales ou encore à une ronde telle que peinte en aplat par Matisse. On ne peut s’empêcher de comparer enfin Archée de Mylène Benoît à Ruuptuur de Mercedes Dassy vu récemment aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis. Quand l’une s’enferme dans une image (les peintures rupestres), l’autre fait détaler dans le contemporain le plus prosaïque des centauresses. Cette fétichisation d’une origine dans Archée ne devrait-elle pas être abandonnée pour une autre appréhension, disruptive, du présent telle que le suggère Ruuptuur ? Et comme Deborah Levy dans son récit intitulé Etat des lieux, maculer le monde contemporain de ces empreintes tout en regardant vers l’avenir : « Si ce monde se mourait et qu’il en existait un autre à l’intérieur, peut-être que je laisserais mes empreintes de main sur les murs des 7-Eleven, Carrefour et Intermarché pour que les anthropologues de l’autre monde les étudient.»   © Patrick Berger   Archée, conception, mise en scène : Mylène Benoit Avec Célia Gondol, Hanna Hedman, Sophie Lebre, Agnès Potié,Tamar Shelef, Wan-Lun Yu, Bi-Jia Yang (danse en alternance)et Pénélope Michel (musique) Création musique et voix : Pénélope Michel et Anne-Laure Poulain Dramaturgie : Céline Cartillier Assistante artistique : Lilou Robert Dramaturgie sonore : Manuel Coursin Création lumière et objets lumineux : Rima Ben Brahim Scénographie : Juliette Dupuy / Studio Formule  et Mylène Benoit Costumes : Frédérick Denis assisté de Louise Dael   Durée : 1 h 15 Du mercredi 8 juin au vendredi 17 juin 2022, sauf lundi et mardi, à 19 h 30 sauf jeudi à 20 h 30       Chaillot – Théâtre national de la Danse 1 place du Trocadéro 75116 Paris Tél : 01 53 65 30 00 https://theatre-chaillot.fr      Read More →
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Le Crépuscule des singes, d’après les vies et œuvres de Molière et Boulgakov, d’Alison Cosson et Louise Vignaud, mise en scène de Louise Vignaud, Théâtre du Vieux-Colombier / Comédie Française
  © Christophe Raynaud de Lage, collection Comédie-Française   ƒƒ article de Denis Sanglard Boulgakov, Molière, le destin de deux écrivains, protégés par le pouvoir et soumis paradoxalement à la censure par ce même pouvoir. Deux vies, deux œuvres mises en regard, destin parallèle ou le second éclairerait de ses feux le premier, témoignage aussi de la résistance de la littérature, de l’imaginaire, à toute tentative d’oppression et de mise à mort. Louise Vignaud et Alice Cosson interrogent dans cette création, qui est un bel hommage au théâtre, les rapports ambigus entre le politique et l’artiste. Boulgakov admirait Molière, La cabale des dévots (1929), pièce sur Le Tartuffe et son interdiction et surtout son remarquable Roman de monsieur de Molière (1933), refusé à la publication, en témoigne. Alors pourquoi ne pas faire se rencontrer ces deux hommes ? Un soir, qu’après avoir reçu notification que toutes ses pièces seront retirées de l’affiche, ses romans retirés des bibliothèques, et malgré l’admiration que lui porte Staline, Boulgakov désespéré reçoit la visite des poètes Boileau, Chapelle et La Fontaine. Nous sommes au théâtre, tout est possible. Et ces trois-là, l’emmènent illico rencontrer Molière − il suffit d’ouvrir comme au théâtre un rideau pour qu’opère la magie − au sortir Des Précieuses ridicules. Pièce soumise à la vindicte des précieuses, représentée par Madame de Rambouillet, exigeant dans une scène cocasse − Thierry Hancisse est hilarant dans ce personnage plus dragonne que précieuse − de retirer la pièce ou de lui apporter de sévères modifications. Et c’est ainsi que l’on pendule de la loge de Molière au bureau de Boulgakov, d’un siècle à l’autre, le plus naturellement du monde, avec une belle fluidité. Rien qui n’étonne donc, en cela nous retrouvons l’esprit de Boulgakov, celui injecté dans le roman Le maître et Marguerite. De tableaux en tableaux, où l’imaginaire s’émancipe de la réalité, où le théâtre balaye pour un temps toutes inquiétudes, où les coulisses sont l’enjeu d’une bataille pour la survie d’une œuvre et de sa propre vie, Louise Vignaud et Alice Cosson établissent un étrange jeu de correspondance, réelle ou fictive, certaines figures semblant se superposer comme un seul et même visage, d’une époque à l’autre, soulignant une communauté de destin.  L’histoire, même réinventée, est un éternel recommencement. Et s’il est une belle réussite ici, elle est sans nul doute dans les scènes de théâtre, celui de Molière, où la troupe de L’Illustre Théâtre, entre masques et visages fardés, impose au roi son talent. Théâtre de tréteaux flamboyant qui se délite au fil de la représentation, il n’y aura bientôt plus que cendres dans les coulisses du Théâtre d’Art de Moscou hantés par les purges staliniennes. Et si étrangement Boulgakov et Elena Sergueïevna Boulgakova évitent le destin de Meyerhold, exécuté, et Elena Sergueïevna Zinaïda Reich, assassinée, – car il est aussi ici question de l’importance des femmes – la mort néanmoins est en filigrane de cette création. Où la résistance d’une œuvre est la survie de l’artiste condamné par le pouvoir et ses enjeux. Une scène fort drôle résume parfaitement cette ambiguïté, où louis XIV, jouée avec finesse par Géraldine Martineau, reçoit successivement l’archevêque menant cabale contre Le Tartuffe et Molière pour sa défense. L’ensemble de la distribution fait montre encore une fois de l’excellence actuelle de la troupe du Français (ajoutons, délicieuse ironie, Éric Ruf prêtant sa voix pour le rôle de Staline…), auquel il faut ajouter désormais Nicolas Chupin dans le rôle de Molière et dont ce sont les premiers pas dans la Maison, donnant à cette création ne manquant pas de qualité mais un peu trop sage et qui aurait mérité sans doute plus d’âpreté, une dynamique qui lui manque parfois.   © Christophe Raynaud de Lage, collection Comédie-Française   Le Crépuscule des singes d’après les vies et œuvres de Molière et Boulgakov, d’Alison Cosson et Louise Vignaud Mise en scène de Louise Vignaud Dramaturgie : Alison Cosson Scénographie : Irène Vignaud Costumes : Cindy Lombardi Lumières : Julie-Lola Lanteri Son : Orane Duclos Maquillages et perruques : Judith Scotto Assistanat à la mise en scène : Margot Thery   Avec la troupe de la Comédie Française : Thierry Hancisse, Coralie Zahonero, Christian Gonon, Pierre Louis-Calixte, Gilles David, Géraldine Martineau, Claïna Clavaron, Nicolas Chupin Voix off : Éric Ruf En Partenariat avec la Compagnie La Résolue     Du 1er juin au 10 juillet 2022 Le mardi à 19 h Du mercredi au samedi à 20 h 30 Le dimanche à 15 h       Théâtre du Vieux-Colombier 21 rue du Vieux Colombier 75006 Paris Réservations : www.comedie-française.fr    Read More →
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Oh Johnny, de Liora Jacottet, Théâtre de l’Athénée, au Festival JT22
  © Valérie Borgy   ƒƒƒ article de Corinne François-Denève Faire du théâtre documentaire est parfois un exercice bien ingrat. Il s’agit souvent d’aller vous immerger dans des milieux interlopes – par exemple, cette secte étrange que constituent les « fans de Johnny », ces êtres un peu inquiétants, souvent tatoués, souvent bikers, qui connaissent toutes les paroles de « Que je t’aime », et ont beaucoup pleuré le 5 décembre 2017, et encore plus à la Madeleine, ou devant leur télé, quelques jours plus tard. Pas « fan » de Johnny elle-même, Liora Jaccottet n’a pourtant pas hésité. Désireuse d’en savoir plus sur ce « mythe national », elle est allée, pour son projet de fin d’études à la Comédie de Saint-Etienne, collecter les témoignages d’admirateurs et admiratrices de la première heure de Johnny Hallyday. En est sorti ce spectacle « Oh Johnny », qui n’est d’ailleurs pas du tout documentaire au final : même si « Ginette », « Jocelyne », « Gérard », « Yves » et « Nicole » y ont donné leurs mots, ainsi que divers anonymes qui se sont épanchés sur les registres de la Madeleine, Liora Jaccottet a troussé une fiction, re-mélangeant tout cela, faisant intervenir également son personnage (ou sa persona) de jeune intervieweuse timide, parfois un peu effarée par ce qu’elle voit et entend. Il est beaucoup question de Johnny, dans ce Oh Johnny : on y chante, on y danse, on s’y trémousse sur des swings fous, on pousse des « ah l’amuuuur » de circonstance. Il y a des bikers, des tatoués, des éplorés, des collectionneurs, des sosies. En ce sens, la pièce est aussi un tombeau pour l’idole, proprement baroque, qui se construit métaphoriquement et littéralement au fil de la pièce-liturgie. « Coincé » dansa la petite boîte qu’est la salle Christian Bérard, le spectacle se fait à vue, avec une ingéniosité qui force l’admiration – sèche-cheveux pour faire voler les brushings, machine à fumée, néons, ombres chinoises, micros, descente dans la salle, nappe en strass qui transforme la boulotte Stéphanoise en madone à la Pierre et Gilles. Car la pièce est aussi, on s’en doute, un retour au « peuple » qui a aimé cette idole populaire – petites gens cassés par la vie dès leur naissance, à qui « Johnny » a offert des souvenirs extraordinaires, qui ont rompu la monotonie, ou plutôt la cruauté, de leurs existences si désespérément ordinaires. Il y a parfois une antienne doloriste qui sourd de ces témoignages lancinants, faits de maladies, de deuils, de handicaps subis, d’humiliations diverses. L’une des prouesses de la pièce est bien que ces Ginette ou Gérard sont interprétés par de très jeunes comédiens, dont l’art de la métamorphose, et de l’empathie, mérite d’être souligné. Chacun et chacune a, dans l’heure et demie que dure la pièce, la possibilité d’avoir « son » moment, art du collectif encore une fois admirable. On notera aussi une autre merveille de ce « Oh Johnny » : une distribution qui fait fi des assignations de genre – que les conservateurs reprennent une gorgée d’eau fraîche, l’Athénée est toujours debout, et tout cela reste très fluide…   © Valérie Borgy   Oh Johnny, mise en scène et écriture Liora Jaccottet Scénographie : Marlène Charpentié Conseil dramaturgique : Julien Ticot Création lumières : Sébastien Combes Création sonore : Pierre Lemerle Avec Pascal Cesari, Clément Debœur, Lise Hamayon, Mathis Sonzogni   Durée : 1 h 30 Pièce vue le 10 juin 2022 dans le cadre du festival JT22 au Théâtre de l’Athénée, Paris, salle Christian Bérard   Prochaines dates : Du 27 au 29 janvier 2023  Théâtre du Point du Jour 7 rue des Aqueducs, Lyon 5e 04 78 25 27 59 www.pointdujourtheatre.fr      Read More →
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13, de Pierre Azéma, avec Alex Metzinger et Pauline Gardel, au Studio Hébertot, Paris
© Jean Sentis   ƒƒ article de Hoël  Le Corre A jardin, un imposant système de baffles orange fluo, enclave d’où sera jouée la musique live du spectacle. A cour, ce qui s’apparente à une chambre, qui se révélera tour à tour chambre d’hôpital, d’adolescent, d’hôtel, etc. Le ton est donné dès les premières notes de guitare électrique, interprétées par Pauline Gardel, et dès les premiers mots prononcés par Alex Metzinger qui interprétera principalement Erwan, mais aussi une myriade de figures de son entourage : ce spectacle sera et parlera du rock. Ou plutôt de la passion pour cette musique d’un adolescent curieux et obéissant, devenu un adulte romancier et toujours aussi féru de concerts. Le texte est tiré d’un témoignage réel d’Erwan Larher, « Le livre que je ne voulais pas écrire ». Tout commençait bien, mais voilà, la brutalité du monde a frappé, et, justement, Erwan était alors « au mauvais endroit au mauvais moment » quand cela est arrivé. Le 13 novembre 2015, Erwan était au Bataclan. Et, lui, la brutalité du monde l’a frappé d’une balle dans la fesse gauche. Il devient un de ces survivants, mais sans haine, et sans culpabilité. Avec une question cependant, fichée en réalité bien plus loin et plus tragiquement que les mots qui la forment : vais-je rebander un jour ? Seulement, face à cette question qui parait bien futile, les proches d’Erwan lui opposent une demande, voire une injonction : « tu dois partager ». C’est qu’Erwan est écrivain, et ceux qui n’ont pas vécu l’enfer d’être pris au piège des terroristes ont besoin de savoir, de comprendre, et quoi de mieux qu’un témoin pour mettre des mots ? Au son des mélodies de la guitare et d’un synthé, Erwan va alors s’engager dans un voyage littéraire et intime qui le mènera au-delà de ce qu’il avait imaginé. Le comédien joue habilement et avec engagement tous les rôles, du papa philosophe au meilleur ami d’enfance à la voix caverneuse en passant par le chirurgien, ou encore la petite amie. Nous retiendrons une scène savoureuse entre ostéopathe (alors campée par Pauline Gardel) et Erwan. Au final, même si on pourrait regretter que les deux interprètes paraissent un peu « mangés » dans un décor quelque peu encombrant, 13 parvient à nous transmettre l’essentiel, sans pathos, avec sensibilité et humour : « le corps ne se répare pas sans amour ».   © Jean Sentis   13, de Pierre Azéma et Alex Metzinger Mise en scène : Pierre Azéma Avec : Alex Metzinger et Pauline Gardel Lumières : Sébastien Lanoue Création sonore : Emeric Renard Scénographie : Honneur Society Costumes : Julia Allègre Assistante mise en scène : Laurence Gray   Durée : 1 h 15 Du 6 mai au 8 juin 2022 à 19 h   Studio Hébertot 78 bis Boulevard des Batignolles 75017 Paris Réservations : 01.42.93.13.04 www.studiohebertot.com   Puis à l’Espace Roseau Teinturiers au Festival OFF d’Avignon 2022 du 7 au 30 juillet À 20 h        Read More →
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Les dix commandements de Dorothy Dix, texte de Stéphanie Jasmin, mise en scène de Denis Marleau, Théâtre de la Colline, Paris
  © Yanick Macdonald     ƒƒƒ article de JB Corteggiani « N’oubliez pas de dormir. Ne donnez pas de conseils. Prenez grand soin de vos dents et gencives. », écrivait le poète Ron Padgett dans son recueil Comment devenir parfait. Et puis :  « Soyez gentils avec les gens avant qu’ils aient l’occasion d’être nuisibles. » « Si quelqu’un tue votre enfant, faites-lui sauter la cervelle avec un fusil de chasse. » La journaliste Dorothy Dix dispensait des conseils non moins utiles aux ménagères américaines dans les années 1930-1940 : « Fuyez les inimités et les rancunes » ; « Ne vous prenez pas trop au sérieux » ; « Évitez le désœuvrement »… Des conseils qu’elle a réunis dans un bréviaire publié par le le New York Journal , « Dix commandements pour être heureuse ». Credo central : tu es responsable de ton bonheur. Énorme retentissement. Pendant un demi-siècle, 60 millions de lectrices (et de lecteurs) lisent les chroniques de Dorothy Dix à la recherche de tips pour leur vie conjugale, professionnelle, ou l’éducation de leurs enfants. Parmi ces lectrices, la grand-mère de Stéphanie Jasmin. Une femme aimable et toujours souriante, vouée à ses sept enfants, qui un jour laisse échapper, d’une voix jamais entendue par sa petite fille : « Tout ça pour ça… » C’est à partir de cette discordance que l’autrice (et scénographe) canadienne a écrit un monologue en dix séquences : « celui d’une voix plus sombre et profonde. la voix d’une femme qui aurait voulu écrire et qui déroule le film de sa vie comme un trop-plein qui déferle, en désordre et en un souffle ». D’emblée, trois écrans blancs se lèvent autour de la scène, comme des voiles. S’y projettent les images d’une mer cinémascopée. Au centre, une femme (Julie Le Breton) assise devant un rocher feuilleté : les strates d’une vie prête à se dévoiler. Dans un seul en scène, c’est dans les premières minutes que ça se gagne. Quelle est cette voix prodigieuse et lente, tombale, rassasiée d’années, longtemps dans la pénombre ? Elle dit : « je plonge mes doigts dans la crème et l’étends sur mon visage, je deviens toute blanche, comme les femmes japonaises aux lèvres rouges marchant à petit pas ». Elle dit qu’elle a cent ans. Elle dit encore : « il faut peindre le bonheur sur mon visage, ainsi les autres seront plus heureux de me voir et je serai plus heureuse qu’ils me regardent ». Que cette voix est ensorcelante, que le texte est simple est beau : c’est gagné. Cette femme sans nom aura plus tard vingt ans, puis soixante, trente, quatre-vingts, quarante, de nouveau vingt ans. Glissant d’un âge à l’autre, au gré des souvenirs, elle évoque une mère indifférente, une enfance chez les bonnes sœurs (les mains sur la couverture, toujours, jamais dessous), un mariage qui verrouille sa vie, toute une existence engloutie par les tâches ménagères et le soin des enfants, puis le soin du mari qui, après avoir frôlé un arrêt du cœur, place son espoir dans le jus de carotte, « un élixir magique qui nous verra vivre cent ans mon mari et moi, l’éternité grâce aux carottes ». Il y a un coin de sourire, parfois, qui nuance le regret, la sensation de ne pas avoir été « dans la bonne vie, au bon endroit ». Et une révolte finale : « j’ai cent ans et je déserte, Dorothy Dix, je ne suis plus une de vos soldates, une fille obéissante, une spartiate du bonheur ». Habile à moduler sa voix (ses voix), maîtresse du souffle et du rythme, Julie Le Breton fait entendre chaque mot, chaque délicatesse d’un texte qu’elle achève à fond de train, dans un long sprint étourdissant. Elle est exceptionnelle.   © Yanick Macdonald     Les dix commandements de Dorothy Dix, texte, vidéo et scénographie de Stéphanie Jasmin Mise en scène : Denis Marleau Avec : Julie Le Breton Lumières : Étienne Boucher Musique : Denis Gougeon Costumes : Linda Brunelle Diffusion et montage vidéo : Pierre Laniel Design et régie son : François Thibault Régie lumière et vidéo : Marguerite Hudon Assistanat au décor : Marine Plasse Assistanat aux costumes : Marie-Audrey Jacques Direction technique : Mélissa Perron Construction du décor : Atelier Morel Leroux, Lesna, Showtex Coupe costumes : Michel Savoie assisté de Martine Dubé Confection : Carole Larivière, Mélanie Goulet, Nathalie Martel Musiciens : Nathalie Milot à la harpe, Jocelyne Rpy à la flûte, Stéphane Tetreault au violoncelle Ingénieur du son : Boris Petrowski – Studio Mixart   Durée : 1 h 15   Du du 7 au 26 juin 2022 au Petit Théâtre Le mardi à 19 h, du mercredi au samedi à 20 h et le dimanche à 16 h (relâche le dimanche 12 juin)     Théâtre de la Colline 15, rue Malte-Brun 75 020 Tél : 01 44 62 52 52 www.colline.fr      Read More →
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Roommates, par (La) Horde – Ballet National de Marseille, au Théâtre de la Ville, Paris
   Concerto © Pierre Girardin   ƒƒƒ article de Hoël  Le Corre Depuis son arrivée à la tête du Ballet National de Marseille en 2019, le collectif (La) Horde travaille à mettre en valeur une danse à la frontière du ballet classique et de la danse contemporaine. La diversité des approches esthétiques et techniques est à son apogée avec les six pièces courtes qu’il présente avec Roommates. Comme un hommage aux artistes qui les ont inspirés et émus, on y croisera les fulgurances de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, la musicalité et la fluidité de Lucinda Childs, le théâtre de danse surréel de Peeping Tom, l’audace technique et esthétique de François Chaignaud et Cecila Bengolea. Sans oublier un extrait du si réussi Room With A View, qui a l’intelligence et le mérite de réunir les dix artistes qui auront interprété tour à tour les différentes pièces. Tout comme dans une « collocation » (le titre est explicite), chaque habitant d’un logement possède ses propres caractéristiques, et pourtant, vivant sous le même toit, ils se retrouvent parfois, se répondent, voire s’influencent quand on prend du recul sur la personnalité de chacun. C’est le défi que s’est lancé (La) Horde : proposer un patchwork qui, au final, tisse une cohérence entre les morceaux. C’est là que l’imagination, l’autonomie du spectateur entre en jeu ; on trouvera, ou pas d’ailleurs, des échos, des ponts, des suites entre les six fragments. Dans ce kaléidoscope, on se prend à s’attacher aux danseurs qui nous reviennent chaque fois sous un autre jour, dans d’autres costumes, avec d’autres fluidités de corps. Si cela peut paraître  laborieux de réussir sans transition à passer d’un univers à l’autre, la beauté des corps et des tableaux suffit à nous embarquer chaque fois. C’est donc avec audace et panache que (La) Horde réussit ici le pari de créer un ensemble cohérent et surprenant à partir de répertoires divers !    Room with a view © Aude Arago   Roommates, par (La) Horde Concept : (La) Horde Sur des chorégraphies de : Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, Gabriella Carrizo et Franck Chartier, Lucinda Childs, Franois Chaignaud et Cécilia Bengolea Avec : Les danseurs du Ballet National de Marseille   Grime ballet (Danser parce qu’on ne peut pas parler aux animaux) Chorégraphie : Cécilia Bengolea & François Chaignaud Assistante chorégraphie : Erika Miyauchi Musique : Stitches, Label Butterz Uk Lumières : Eric Wurtz Weather is sweet Chorégraphie : (La) Horde Costumes : Salomé Poloudenny Assistée de : Alexandra Aleynikova Musique : Pierre Avia Lumières : Eric Wurtz Oiwa De : Peeping Tom Chorégraphie : Franck Chartier Assistant chorégraphie : Louis-Clément Da Costa Musique : Atsushi Sakai Design sonore : Raphaëlle Latini Assistante costumes : Heloïse Bouchot Création lumières : Eric Wurtz Concerto Chorégraphie & costumes : Lucinda Childs Assistant Chorégraphie : Jorge Perez Martinez Musique : Henryk Gorecki Création Lumières : Eric Wurtz Les indomptés Chorégraphie : Claude Brumachon Assistant chorégraphie : Benjamin Lamarche Musique : Wim Mertens Création Lumières : Eric Wurtz Room with a view – extrait Chorégraphie : (la) Horde Costumes : Salomé Poloudenny Musique : Rone Creation Lumieres : Eric Wurtz Extrait de Room with a view – commande du Théâtre du Châtelet, en accord avec Decibels Production et Infine.     Durée : 1 h 45 (avec entracte) Du 25 mai au 4 juin 2022 Du lundi au mardi à 20 h Samedi à 15 h et 20 h Dimanche à 15 h     Théâtre de la Ville – Espace Cardin 1, avenue Gabriel 75008 Paris, France Réservations : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Phèdre, de Racine, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, Théâtre de la Ville - Espace Cardin, Paris
  © Cosimo Mirco Magliocca   ƒƒƒ article de JB Corteggiani On l’attend au tournant, Phèdre, à l’entrée de la scène 3 de l’acte I, son entrée : « Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne ». Il nous la faut dolente, égarée, honteuse, éplorée. C’est aussi facile à jouer que, disons, le rôle de Mabel (Gena Rowlands) dans Une femme sous influence, le film de John Cassavetes. Raphaèle Bouchard est bien cette Phèdre. Elle se lamente, se tord et se ravage entre un cyclo en dur qui bombe et monte vers cour, et un monolithe derrière quoi se glisser, disparaître, revenir à vue – un monolithe très semblable à la pierre noire debout du début de 2001, Odyssée de l’espace. Rien d’autre. Brigitte Jaques-Wajeman aime les décors dépouillés, qu’elle monte Corneille (beaucoup) ou Racine (un peu). Pour Phèdre, ce parti-pris de nudité s’imposait encore davantage : place aux passions dans la langue. Les costumes n’ont pas plus de munificence : hommes en capote de surplus militaire, dans les gris-beiges, femmes en robe de satin (seule brillance). On est en 1677 ou en 2022, comment savoir ? Dans la palette de registres et de couleurs qu’offrent les tragédies de Racine depuis Andromaque (poésie descriptive dans le goût baroque, élégie, flamboiements d’épopée, cruauté des passions), Brigitte Jacques-Wajeman a choisi : ce sera la cruauté, et la fureur. Retour aux Grecs. A « cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie » (préface de Bérénice) fait place une tristesse convulsée. Difficile d’oublier, dans sa mise en scène de Britannicus, en 2004, cet arbre rouge à tentacules, organique, écorché, qui montait du plancher jusqu’aux cintres – sorte de bête immonde qui semblait représenter ce que le texte de la pièce dérobait. Ici, Phèdre, de dos, défait le haut de sa robe, s’offre seins nus au regard d’Hippolyte crucifié d’horreur, s’approche, frôle sa braguette : « Au défaut de ton bras prête-moi ton épée » (la tragédie n’empêche pas des pointes d’humour). Pus tard, la voici assise, toujours de dos, robe relevée à mi-cuisse, qui fourrage entre ses jambes puis exhibe les mains sanglantes du sang de son sexe. Dans cette manière de gratter sous la langue galante (« fers », « flammes », « glaces », « cruelles », « tigres »…) et de fouiller profond, on reconnaît l’empreinte de François Regnault, compagnon de route de Brigitte Jaques-Wajeman depuis quatre décennies, dramaturge, traducteur et… professeur de psychanalyse. La grande affaire d’une mise en scène de Racine, c’est bien sûr l’alexandrin : « une langue étrangère installée à l’intérieur de notre langue », dit la metteure en scène (en écho peut-être aux mots de Phèdre : « Songez que je vous parle une langue étrangère ») Est-il assez bien maltraité, donc vivant ? En gros, oui, notamment par Bertrand Pazos, qui compose un impressionnant Thésée rugissant, et par Pauline Bolcatto – elle a dans la voix quelque chose de rauque, et dans le maintien quelque chose de cambré, d’animal, qui donnent du corps à son Aricie. En revanche, on n’entend pas toujours le texte de Raphaël Naasz (Hippolyte) dès qu’il chute à mi-voix, et ce qu’il estropie le vers en avalant les « e » dits muets … Voyez comme le spectateur écoutant Racine exige son clavecin tempéré, sa cadence habituée. Il est accro à « cet abominable métronome dont le battement de tournebroche couvre notre jeu » – Claudel à propos de l’alexandrin – et à « la voix de cette vieille maîtresse de piano qui ne cesse de hurler à notre oreille : Un, deux, trois, quatre, cinq, six ! » Il assiste, ce spectateur, à une sorte de cérémonie du patrimoine. On lui a répété que Phèdre était une pièce géniale, la plus géniale d’un auteur génial. Voici qu’il doute. Il y a sans doute de beaux vers : « Et la voile flottait aux vents abandonnée », « La fureur de mes feux, l’horreur de mes remords », et surtout, si on veut bien pardonner la cheville initiale : « Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts ? » Mais autour ? N’y a-t-il pas beaucoup de remplissage, comme dans certains poèmes de Baudelaire ? Et puis, qui sont ces Pallantides voués à l’esclavage ? qui est ce monsieur Pasiphaé ? Il essaie, le spectateur de 2022, d’enjamber les siècles, de se mettre dans la tête d’un spectateur de 1677, familier de mythologie gréco-romaine, de Port-Royal et du moule cornélien. Il y échoue parfois et pique du nez, malgré l’excellence de la mise en scène, la fine intelligence du texte, l’engagement physique des comédiens, tous muscles dehors et tendons bandés. A mesure que ses paupières tombent en casquette, il a de mauvaises pensées, des réminiscences : « Si la foule actuelle ne comprend plus Œdipe roi, j’oserais dire que c’est la faute à Œdipe roi et non à la foule. » (Artaud, Pour en finir avec les chefs d’œuvre). Il se souvient de ce récent spectacle musical qui faisait vraiment swinguer l’alexandrin, Trézène Mélodies (L’histoire de Phèdre en chansons), de Cécile Garcia Fogel. Mais voici que Phèdre expire, ayant pris « Un poison que Médée apporta dans Athènes ». Une lumière d’or tombe des cintres, l’enveloppe, la torsade, l’apprête pour la mort. Cette image, il la gardera. Allons, c’était peut-être juste un coup de fatigue.     © Cosimo Mirco Magliocca   Phèdre, de Racine Mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman Avec : Pascal Bekkar, Pauline Bolcatto, Raphaèle Bouchard, Sophie Daull, Lucie Digout, Kenza Lagnaoui, Bertrand Pazos et en alternance : Timotée Lepeltier, Raphaël Naasz Collaboration artistique : François Regnault, Clément Camar-Mercier Assistant à la mise en scène : Pascal Bekkar Scénographie : Grégoire Faucheux Musique et sons : Stéphanie Gibert Costumes : Pascale Robin, assistée d’Angèle Levallois     Durée : 2 heures Du 7 au 12 juin 2022 à 20 h (15 h le dimanche)   Théâtre de la Ville – Espace Cardin 1, avenue Gabriel 75 008 Paris tél : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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RUUPTUUR, de Mercedes Dassy au Théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin à Montreuil dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
  © Michiel Devijver     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot RUUPTUUR est de son temps. Les tables jonchées des reliefs d’une fête, les quatre jeunes femmes, cuir ou simili, débardeur, tee-shirt, formant tribu, la musique actuelle samplée depuis une tablette, tout l’atteste. Et pourtant, Mercedes Dassy, ce temps présent, celui de la fête performée dans l’instant du plateau, elle l’enjambera de part et d’autre avec une hardiesse et une justesse époustouflante. Car RUUPTUUR réussit l’exploit de convoquer, dans une même danse, passé rêvé et futur fantasmé, embrassant dans un puissant geste syncrétique mythologie et science-fiction. Harnachées d’un attelage articulé prolongeant leur corps d’un train arrière et de deux jambes supplémentaires, les performeuses de RUUPTUUR sont à la fois centauresses et cyborgs. Ce corps augmenté nous entraînant dans un imaginaire indécidable, fécond. Cronenberg bien sûr, quand le métal, la prothèse emboutissent la chair, mais tout aussi sûrement des réminiscences archaïques, animales, au-delà des mots : le mythe. La beauté magique du travail de Mercedes Dassy tient dans ce dévoilement des plis du temps capable de faire surgir ce qui était enfoui dans le présent, dans le banal instant, mêlant des signes aux temporalités disparates, produisant de nouvelles formes du visible. Avec RUUPTUUR, Mercedes Dassy s’attaque à la racine du mâle : plutôt qu’une dénonciation en règle et explicite (comme c’est le cas chez Phia Ménard), elle travaille ce qui n’est pas énoncé. Fouillant la mémoire humaine, elle extrait de l’histoire des femmes cette force oubliée, refoulée, pour n’être désormais que l’apanage des hommes. Produisant cette chimère spectaculaire, RUUPTUUR déblaye alors les constructions de nos imaginaires, lave notre regard et renouvelle la pensée. En investiguant notamment le cinéma de genre (science-fiction), Mercedes Dassy interroge le genre. A la manière de Penthésilé.e.s de Marie Dilasser mis en scène par Laëtitia Guédon, qui réactivait la figure de l’amazone, RUUPTUUR invite à l’expérience immédiate d’une autre nature. Chemin faisant, au galop dirons-nous, cette réappropriation saute les obstacles jusqu’à décentrer notre regard empreint, quoiqu’on en pense, d’anthropocentrisme. C’est renversant, troublant, de se voir apparaître animal, de se reconnaître simplement frère, sœur du vivant. On pense ici à Baptiste Morizot, à son élan, à ses égards, pour ces autres manières d’être vivant. Au pied de biche, ce quatuor de femmes qui n’a pas peur de faire danser les biceps, démonte les cadenas stéréotypés qui verrouillent et instrumentalisent le corps des femmes dans leur présence au monde : qu’il s’agisse du défilé de mode, de la danse telle que gesticulée dans les clips musicaux, de l’hystérie féminine, de sexualité… Par un effet de montage (comme au cinéma) ou de collage (comme dans les arts plastiques), l’ajout de ce train et de ces pattes déplace le déjà vu à l’endroit d’une dialectique et d’une poétique inédites. Dans ce qui pourrait simplement faire signe, et par là-même n’être qu’un signe parmi tant d’autres dans ce monde qui nous en sature, RUUPTUUR trouve son temps, infiniment précieux, prend son temps, résolument nécessaire, pour que le geste artistique échappe à l’oubli des formes périssables, se dépose dans le nu de l’instant. Si RUUPTUUR s’attaque à la représentation des femmes, de leurs corps, de leurs psychés, RUUPTUR ne s’inscrit pas dans la représentation théâtrale ou chorégraphique, mais bien dans la performance. C’est un rapport loyal et précis à ce que le moment trame, à soi, à la vie qui refuse justement toute fiction. Pour cela RUUPTUUR fait effraction dans le réel tellement habitué à n’être effleuré que par l’écume des gestes fictionnés. RUUPTUUR fait événement. Il me revient ces regards frontaux, dans des sortes d’arrêt de jeu, aussi troublant et dérangeant que lorsqu’un acteur se met à vous regarder à travers un écran de cinéma, faisant voler en éclats cet écran imaginaire qui paraissait nous protéger jusque-là de ce qui avait lieu. Si Helmut Newton fut le parangon d’une certaine mise en scène et en image du corps de la femme — à talons, cambrée, offerte sur un plateau fantasmé par l’homme, RUUPTUUR, performance d’une bande de filles montées sur leurs grands chevaux, en est l’antidote indispensable, travaillant au corps nos regards biaisés et dressés par une culture et une histoire des mâles.   © Laetitia Bica     RUUPTUUR, concept et chorégraphie de Mercedes Dassy Collaboration et interprétation : Kanessa Aguilar, Rodriguez, Kim Ceysens, Justine Theizen, Mercedes Dassy Dramaturgie et conseil artistique : Sabine Cmelniski Création costumes : Justine Denos Création sonore : Clément Braive Création lumière : Caroline Mathieu Collaboration dramaturgique : Maria Kakkogianni Regard extérieur : Judith Williquet   Durée : 1 h Le 31 mai et 1er juin 2022, à 20 h   Théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin 6, rue Marcellin-Berthelot 93 100 Montreuil Tél. 01.71.89.26.70 https://tmb-jeanguerrin.fr/   Tournée : 7 et 8 juillet 2022 : Festival de la Cité, Lausanne 30 septembre et 1 octobre : Festival actoral, Marseille 21 et 22 décembre 2022 : Théâtre de Liège      Read More →
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An untitled love, de Kyle Abraham au Théâtre de la Ville (Théâtre des Abbesses) à Paris
  © Christopher Duggan     ƒƒ article de Nicolas Thevenot Sur la scène, un immense sofa au damier rose et bordeaux couvert par une housse plastique, un tapis au motif noir et blanc ethnique, une plante derrière le sofa, une lampe sur pied, et un lustre au plafond. An untitled love a quelque chose de commun, d’impersonnel, à l’image de nos intérieurs de plus en plus uniformisés. Quelque chose de lisse. Une peau superficielle où le vivant affleure de plus en plus difficilement, mais où l’on peut entendre un pouls battre si l’on veut bien s’en donner la peine. La musique de D’Angelo & The Vanguard qui accompagne la quasi-totalité de An untitled love est une production des années 1990 et 2000 référencée sous le terme de Nu Soul. Cette néo soul est un peu à l’image de la scénographie : neutralisée sous le vernis d’une production toute commerciale, mais en y prêtant un peu plus une oreille attentive une vibration est perceptible. Dans cette ambiance littéralement lounge, les huit danseurs arriveront progressivement comme on arriverait à une fête chez des amis : en ordre dispersé. Kyle Abraham écrit sa pièce chorégraphique comme une conversation entre amis, où les mouvements dansés émergent comme s’ils émanaient de la matière même des dialogues. La sociabilité, la mondanité, à l’aune bien sûr ici de la communauté, segment indispensable à la compréhension de la société américaine, forment leur rituel. Nous n’en n’avons même plus conscience, mais ils forment des corps et des rapports entre ces corps. An untitled love pourrait se voir comme une spectacularisation de ces linéaments gestuels, irrigant la matière de la danse de salon de ce lounge. Des bribes de conversation (dont la feuille de salle offre quelques traductions) émaillent la pièce, où il est question de trouver un homme qui a une maison, de ragots sur un couple fabricant des enfants comme les mois du calendrier… entre les approches, et les tentatives de séduction, le prosaïsme surnage donc. Revenons à la danse : virtuose dans ses déliés, ses ondulations, la chorégraphie de Kyle Abraham est d’une insolente rondeur produisant une sorte d’impression ouatée. Rythmée par les basses de la Nu Soul, elle nous cueille avec une certaine facilité mais finit par troubler. Ce monde dansé, dont émane une saveur hédoniste, est semblable à celui des peintures de David Hockney : la saturation d’un certain bonheur peut devenir étouffante. Dans cette pièce, An untitled love, la vie est une fête sans fin où l’on se rencontre, s’aime, sous le regard des autres. Jusqu’à ce que ce que la fête s’assombrisse par une danse qui annonce, polysémie oblige du mouvement, la séparation, la maladie, et/ou la mort. A ce moment-là, la musique de D’Angelo se taira et laissera entendre Doc Rivers, entraîneur à la NBA, réagissant à une énième mort de noir aux Etats-Unis (2020, shooting de Jacob Blake): « it’s amazing to me why we keep loving this country and this country does not love us back ». Par cet effet de montage cut, la politique de l’amour s’énonce comme une impossible politique. Comme un retour du réel, Martell Ruffin entamera la dernière danse de Untitled love heurtée, aiguë, son corps tendu et précis traversant l’espace comme un couteau déchirant la toile d’un tableau.   © Christopher Duggan     An untitled love, chorégraphie : Kyle Abraham En collaboration avec A.I.M Avec Logan Hernandez, Keerati Jinakunwiphat, Claude « CJ » Johnson, Jae Neal, Donovan Reed, Martell Ruffin, Gianna Theodore, Keturah Stephen Musique : D’angelo & The Vanguard Scène & Lumières : Dan Scully Costumes : Karen Young, Kyle Abraham Son : Sam Crawford Conseil Artistique : Risa Steinberg Dramaturgie : Charlotte Brathwaite   Durée : 1 h Du 4 au 10 juin 2022, à 20 h, jeudi 9 juin à 14 h 30 et 20 h     Théâtre des Abbesses (Théâtre de la Ville) 31 rue des Abbesses 75018 Paris Réservation au 01 42 74 22 77 https//www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Le Barbier de Séville, de Rossini, direction musicale de Roberto Abbado, mis en scène par Damiano Michieletto, Opéra Bastille
  © Elisa Haberer / Opéra national de Paris   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Le Barbier de Séville, opéra en deux Actes que Rossini composa en l’espace d’un mois à l’âge de 24 ans (1816), est, dans la mise en scène de Damiano Michieletto et la direction musicale de Roberto Abbado à l’Opéra Bastille, un tourbillon de vie, un cyclone de perfection vocale, une tornade de belles idées scénographiques. Créé en 2010 au théâtre de Genève, et au répertoire depuis 2014 à l’Opéra national de Paris, il en était déjà à sa 42ème représentation au second soir de cette saison 2021-22 et à sa 1279ème représentation toutes productions confondues, succès non démenti qui ne relevait pourtant pas de l’évidence puisqu’à sa création à Rome fut très chahutée. Après une ouverture tout en délicatesse, presque trop sage, de l’orchestre de Paris, excellemment dirigé tout le long de cet opéra buffa par Roberto Abbado, le rideau se lève sous les applaudissements laissant découvrir un décor époustouflant. Le choix scénographique essentiel repose sur une façade d’immeuble méditerranéen, avec du linge et des habitants (cigarettes aux lèvres ou agitant des éventails) aux fenêtres, un café à jardin et une voiture bleu électrique au centre du plateau. Les applaudissements retentissent à nouveau spontanément quand le décor se met en branle, c’est-à-dire quand la partie centrale du bâtiment se met à tourner sur elle-même en faisant voir l’intérieur des pièces sur trois étages aux papiers peints qui pourraient tout droit être sortis de Volver d’Almodovar et des escaliers intérieurs et extérieurs sur les côtés. A la fin de l’Acte I, quand l’intrigue est à son acmé, que les complots des uns et des autres ont échauffé les esprits et les cœurs, la rotation de l’immeuble autour et au sein duquel chanteurs et figurants virevoltent est presque digne de La maison démontable de Buster Keaton. La précision de la décoration dans son luxe de détails est en outre stupéfiante. Du bureau du docteur Bartolo et de la chambre de Rosina, jusqu’à celle de Berta tout en haut, en passant par la cuisine équipée entre mille autres choses d’une cafetière à moka italienne. Peu importe que l’histoire se situe originellement (y compris dans le texte de Beaumarchais) à Séville au XVIIIème. L’exactitude des lieux et des époques est délibérément rejetée, les anachronismes assumés, notamment, lorsque dans cette ambiance années 1970 le conte d’Almaviva sort un téléphone portable pour attester de son identité véritable. Si René Barbera semble un conte d’Almaviva un peu timide dans ses premières phrases, la finesse de sa tessiture cristalline de ténor enchante très vite. De même, si Renato Girolami présente de prime abord une forme de rudesse, l’impression qui se renverse peu à peu, lorsque sa voix de baryton fait preuve de toute sa richesse, ainsi que par sa présence et son jeu qui en font un Bartolo finalement très convaincant et extrêmement comique. Andrzej Filończyk dans le rôle titre est un Figaro virevoltant comme il se doit, un baryton brillant et puissant, facétieux et séduisant. Même si la partition n’offre pas une grande place à la truculente Berta, Katherine Broderick honore ce petit morceau pour soprane et réjouit le public par son talent de comédienne en bigoudis et robe de chambre s’essayant au 3ème étage de l’immeuble aux haltères devant une série télé. Alex Esposito en Basilio (notamment dans l’air de la calomnie qui est par ailleurs un chef d’œuvre de mise en scène et de direction d’acteurs), Armando Noguera en Fiorello et Christian Rodrigue Moungoungou complètent le magnifique plateau vocal, qui est non pas dominé, mais sublimé par la découverte de la soirée. Aigul Akhmetshina est la mezzo-soprano rêvée pour cette Rosina ingénue à souhait, qui avec une facilité déconcertante peut presser des oranges tout en chantant un air virtuose, qui sait jouer avec le plus grand naturel une adolescente à la limite du gothique mettant son casque sur les oreilles pour ne pas écouter son tuteur qui lui fait des avances et la réprimande sur sa conduite légère dans sa chambre tapissée de posters. Son phrasé rossinien est impeccable, la projection de sa voix dans les aigus comme dans les graves est prodigieuse, aussi bien au 2ème étage qu’au rez-de-chaussée de cette bâtisse fantastique. Ce Barbier de Séville peut réjouir aussi bien les amateurs de bel canto que les réticents ou lassés des opéras italiens, les habitués des salles de concerts comme les novices et doit être absolument recommandé à ceux qui hésiteraient encore à se rendre à l’opéra pour la première fois ou à faire découvrir à leurs enfants ce genre du spectacle vivant, qui se termine en happy end avec des canettes en guise de casseroles accrochées à une moto à gros cylindres qui a remplacé dans le second Acte la voiture du début. Et le public se retient, avant de se lever en masse pour applaudir, d’entonner avec le chœur ses adieux : « que l’on voie l’amour et la foi éternelle triompher en vous » !   © Elisa Haberer / Opéra national de Paris     Le Barbier de Séville Musique de Gioacchino Rossini Livret de Cesare Sterbini D’après Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais Direction musicale : Roberto Abbado Mise en scène : Damiano Michieletto Décors : Paolo Fantin Costumes : Silvia Aymonino Lumières : Fabio Barettin Chef des chœurs : Alessandro Di Stefano Avec : René Barbera, Renato Girolami, Aigul Akhmetshina, Andrzej Filończyk, Alex Esposito, Armando Noguera, Katherine Broderick, Christian Rodrigue Moungoungou   Durée 3 h 15 (dont un entracte de 30 mn) Prochaines dates : les 7, 10, 14, 17 et 19 juin à 19 h 30     Opéra national de Paris – Opéra Bastille Place de la Bastille, 75012 Paris www.operadeparis.fr      Read More →
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