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Archée, de Mylène Benoît à Chaillot – Théâtre national de la Danse

Juin 14, 2022 | Commentaires fermés sur Archée, de Mylène Benoît à Chaillot – Théâtre national de la Danse

 

© Patrick Berger

 

ƒ article de Nicolas Thevenot

Une enclume bleue (comme une réminiscence affadie d’Yves Klein ? ou alors une esthétique pop telle qu’on l’applique à la statuaire grecque ?). Deux femmes s’affairent et martèlent à tour de rôle une forme argentée. Rythme de la frappe, harmonie métallique de l’éclat sonore. Âge de fer. Avec Archée, Mylène Benoît a le projet de remonter à un âge des femmes, rêvé et réinventé à partir d’une rencontre fondatrice qu’elle fit lors d’un séjour au Japon avec un groupe de femmes pratiquant cet art ancestral : le tir à l’arc. Et si elle invite et s’invite avec ce titre dans l’imaginaire des arts martiaux, un monde habituellement dévolu aux hommes, elle s’intéresse peut-être plus encore à la racine grecque (arkhè) de ce mot qui renvoie à l’origine. Repenser l’origine, la reformuler, faire l’hypothèse d’un autre commencement pour offrir au développement historique une destinée autre, se substituant au patriarcat actuel.

D’emblée Archée trouve une vraie justesse dans le saisissement de sa quête anticipatrice par l’acoustique, le son, ce sens le plus archaïque après l’odorat. Plongeant les spectateurs dans le noir, alors que se sont épuisés les coups sur l’enclume, émergent de l’obscurité des cris, des chants, des rires, une polyphonie spatialisée dans les entrailles de Chaillot, résonnant depuis ses couloirs alentour, ses coursives, ses fonds perdus. Les corps apparaissent, invisibles, dans leurs habits de souffle, dans leur enveloppe vibratoire, les corps sont les instruments qui chacun à sa mesure façonnent une note particulière et tirent chacun à son origine. Indéniablement la partie la moins immédiatement lisible de la pièce de Mylène Benoît est celle qui opère le plus sûrement et creuse au plus profond en chacun des spectateurs.

Lorsque la lumière reviendra, des corps surgiront de trous dans les murs, tel un processus larvaire, tête en bas. Il y a du butō dans cette entrée en matière. Puis les danseuses s’apparieront initiant des danses rythmées par des respirations sonores dans une belle continuité de l’ouverture. Cette rythmique biologique, et ancestrale, pulsation dont la fréquence variera, porte le corps collectif que forment les danseuses tout autant que celui des danseuses qui se succéderont dans des solos se rapprochant par leur performance intense de la transe.

La suite d’Archée perdra le fil sensible qui l’avait introduit. D’une part l’exposition d’informations scientifiques et statistiques, dans un mode conférencier, aussi juste et louable en soit l’intention, ne trouvera pas son chemin organique dans la matière spectaculaire, malgré la tentative de déplacer le propos par un jeu de traduction, lequel rendait probablement encore plus abstrait le geste artistique sous tendant le geste théorique. D’autre part, Archée dans sa dernière partie, pénétrant la caverne originelle, reproduisant notamment dans un tableau « pré-historique » mains négatives et mains positives, aurait pu être percutante dans sa performance mais se retrouve spectacularisée et tenue à distance comme si le geste de la chorégraphe et de ses danseuses était trop chargé de sens symbolique et qu’elles-mêmes étaient trop imbues de cette charge symbolique pour exécuter et faire vivre pleinement le geste au plateau, sans le montrer du doigt. Le sens, le signe, précédant, écrasant l’acte. La danse et l’acte se réduisent alors pour le spectateur à une frise de bacchanales ou encore à une ronde telle que peinte en aplat par Matisse.

On ne peut s’empêcher de comparer enfin Archée de Mylène Benoît à Ruuptuur de Mercedes Dassy vu récemment aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis. Quand l’une s’enferme dans une image (les peintures rupestres), l’autre fait détaler dans le contemporain le plus prosaïque des centauresses. Cette fétichisation d’une origine dans Archée ne devrait-elle pas être abandonnée pour une autre appréhension, disruptive, du présent telle que le suggère Ruuptuur ? Et comme Deborah Levy dans son récit intitulé Etat des lieux, maculer le monde contemporain de ces empreintes tout en regardant vers l’avenir : « Si ce monde se mourait et qu’il en existait un autre à l’intérieur, peut-être que je laisserais mes empreintes de main sur les murs des 7-Eleven, Carrefour et Intermarché pour que les anthropologues de l’autre monde les étudient

 

© Patrick Berger

 

Archée, conception, mise en scène : Mylène Benoit

Avec Célia Gondol, Hanna Hedman, Sophie Lebre, Agnès Potié,Tamar Shelef, Wan-Lun Yu, Bi-Jia Yang (danse en alternance)et Pénélope Michel (musique)

Création musique et voix : Pénélope Michel et Anne-Laure Poulain

Dramaturgie : Céline Cartillier

Assistante artistique : Lilou Robert

Dramaturgie sonore : Manuel Coursin

Création lumière et objets lumineux : Rima Ben Brahim

Scénographie : Juliette Dupuy / Studio Formule  et Mylène Benoit

Costumes : Frédérick Denis assisté de Louise Dael

 

Durée : 1 h 15

Du mercredi 8 juin au vendredi 17 juin 2022, sauf lundi et mardi, à 19 h 30 sauf jeudi à 20 h 30

 

 

 

Chaillot – Théâtre national de la Danse

1 place du Trocadéro

75116 Paris

Tél : 01 53 65 30 00

https://theatre-chaillot.fr

 

 

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