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Électre des bas-fonds, écriture et mise en scène de Simon Abkarian, théâtre du Soleil, La Cartoucherie

Juin 14, 2022 | Commentaires fermés sur Électre des bas-fonds, écriture et mise en scène de Simon Abkarian, théâtre du Soleil, La Cartoucherie

 

© Antoine Agoudjian

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Simon Abkarian n’a pas froid aux yeux, il reprend l’opéra baroque qu’il a créé en 2019 dans ce même Théâtre du Soleil, Électre des bas-fonds, avec … vingt comédiens et comédiennes danseurs, quatre musiciens, trois chœurs. Mettre en scène plus de vingt-cinq personnes est une gageure quand la consigne est de réduire les coûts, à partir du mythe des Atrides et sur une musique rock de surcroît !

L’Électre de Sophocle, se languit du retour de son frère Oreste et voue une haine indéfectible à sa mère Clytemnestre qui ose mettre des offrandes sur la tombe de son mari qu’elle a assassiné. Le retour d’Oreste va permettre l’exécution de sa vengeance, son frère tue Clytemnestre. La pièce s’achève alors qu’il est sur le point de faire subir le même sort à Égisthe, l’amant de sa mère. Le récit grec est un sommet de dépouillement, l’insoutenable combat entre les dieux et les hommes se suffit à lui-même.

L’auteur transforme la tragédie grecque en véritable épopée sociale et féministe sans rien perdre de sa puissance originelle. Son héroïne déchue de ses droits, croupit dans un bordel « qui sent l’urine, l’ail et l’alcool ». Les bas-fonds de Maxime Gorky avait pour cadre un asile de nuit, une sorte de refuge où se retrouvaient pêle-mêle tous les rebuts de la société – voleurs, ivrognes, miséreux. Ici il s’agit d’un lupanar, un lieu de relégation où végètent les damnés de la terre, des prostituées « ventres soumis au premier chien qui passe ». Le chœur de ces captives troyennes raconte les viols comme arme de guerre, la réclusion. Envers et contre tout elles continuent le combat contre les monarques assassins, sont solidaires d’Électre. Ni Eschyle, ni Euripide, ni Sophocle n’ont fait entendre la voix des catins de la société. Filles de joie, servantes, sœur, mère, nourrice toutes sont condamnées à des choix funestes, rentrer dans le rang d’un mariage mortifère comme Chrysothémis sœur d’Électre ou fuir dans la folie pour l’autre. Le meurtre du père dans sa baignoire est figuré sur le plateau à la manière de la célèbre nature morte « Marat assassiné » du peintre David.

Simon Abkarian dote ses personnages d’épaisseur humaine. Telle Clytemnestre, magistrale Catherine Schaub Abkarian qui revendique sa liberté lors d’une dernière supplique « les filles sont‑elles des corps sans voix, offrandes dédiées au masculin triomphant, […] C’était un homme mal fini, un monarque imbu de son sexe et de son pouvoir, un vantard. Un intrigant, un envieux qui aimait régner dans la crainte des autres. Un pleutre qui se détourna quand Iphigénie rendit son dernier souffle. Moi j’ai regardé jusqu’au bout ». Elle caresse les cheveux de son fils avec tendresse et s’offre à sa main, insoumise jusqu’au bout, véritable héroïne de cette fable infiniment plus intelligente que sa fille vautrée dans sa souffrance.

Le chœur danseur et musicien donne leur puissance aux histoires individuelles. Il fait de ce spectacle une fête de la mort, une immense bacchanale prélude à l’inéluctable cérémonie qui verra le sang couler. Au Mexique bien connu de Simon Abkarian, les familles se rendent à cette occasion au cimetière, en traçant un chemin avec des pétales de fleurs et en allumant des bougies pour guider les âmes vers les tombes. On y mange, danse, chante, joue la musique que le défunt aimait !

Spectres et vivants fraternisent avec les Érinyes messagères de mort, accompagnés du blues rock électrique et ponctués du rébétiko cher au trio Hawlin’ Jaws. Les danses expressionnistes du Kathakali se fondent au souffle du ould, de la mandoline, du bandjo et du djura grec. On sentirait presque sur sa peau l’air chaud de la mousson et les vapeurs sableuses du Gange.

Selon Ariane Mnouchkine, « Homère a dressé pour nous, auteurs, metteurs en scènes, gens de théâtre et autres poètes, un banquet inépuisable ». La table est dressée sur l’arène de la Cartoucherie, Simon Abkarian et sa famille de saltimbanques vous attendent, ne les ratez pas !

 

© Antoine Agoudjian

 

Électre des bas-fonds, écrit par Simon Abkarian

Mis en scène par Simon Abkarian

Lumières : Jean Michel Bauer

Dramaturgie : Pierre Ziadé

Avec : Maral Abkarian Aurore Fremont, Catherine Schaub Abkarian Simon Abkarian, Eliot Maurel, Victor Fradet, Rafaela Jirkovsky, Christina Galstian Agoudjian, Chouchane Agoudjian, Nathalie Le Boucher, Annie Rumani, Frédérique Voruz, Nedjma Merahi, Laurent Clauwaert, Olivier Mansard, Maud Brethenoux, Suzana Thomaz, Anais Ancel et Manon.

Création musicale : Howlin’ Jaws  Djivan Abkarian, Baptiste Léon, Lucas Humbert

CD Électre des bas-fonds par Howlin ‘Jaws, Bellevue Musique 2022

 

Du 10 juin au 15 juillet les mercredi, jeudi, vendredi à 19 h 30

Samedi et dimanche à 15 h 30 

Durée du spectacle : 2 h 30

 

 

 

Théâtre du Soleil, La Cartoucherie

75012 Paris

Réservation : 01 43 74 24 08

soleil@theatre-du-soleil.fr

 

 

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