A D-N, de Régine Chopinot, à la MC93 de Bobigny
  © Vincent Lappartient   ƒ article de Marguerite Papazoglou Un trio féminin pour le mouvement et un trio masculin pour l’écrin — espace, lumière et son : c’est en sextet que la compagnie présente le spectacle, donnant ainsi une place égale à la création de l’espace vide et à celle de la forme. La feuille de salle nous introduit dans l’univers de celle qui est la source d’inspiration de la pièce, Alexandra David-Neel dont les initiales font le titre de la pièce. Nous pensons Extrême-Orient, courage de l’exploratrice, femme libre dès le début du XXème siècle, bouddhisme, unité de l’esprit et de la matière, et on se dit que ça commence bien. De l’obscurité émergent les trois femmes debout, à un souffle du public ; leurs visages alignés, leurs trois âges accolés ; un jeu d’écho dans leurs costumes épurés noir et blanc ; elles nous imprègnent. Un long temps, celui de la lenteur, de l’observation, celui où l’on peut toucher l’instant infiniment petit du présent qui passe continuellement. Une première scène qui active un regard curieux, désirant et ouvert. L’espace du plateau est noir et mystérieux, il en émane une lumière diffuse, presque sombre, presque palpable, qui avale les trois formes mouvantes — silouettes d’ombres à la tête invisible dans le paysage désertique créé par les lumières savantes de Sallahdyn Khatir — ; la guitare électrique de Nico Morcillo égrène des notes solitaires qui vibrent du medium aux fréquences ultrabasses ; un carré blanc délimite le tour d’un plateau sans bords tel un espace mental abstrait. Nous nous tenons entre la présence et l’absence, au ras du temps et de l’espace, nous sommes prêts. Seulement, nous resterons suspendus dans cette attente (tel le pèlerin allant chercher le secret de l’univers dans les montagnes tibétaines ?). Suivra une assez plate succession de trois soli, depuis la doyenne Régine Chopinot jusqu’à la plus jeune Prunelle Bry en passant par Phia Ménard. Quel dommage que de faire incarner à chacune l’image convenue de son propre âge biologique… Même si les danses sont loin d’être dénuées d’intérêt en elles-mêmes, le cadre de la co-présence des trois interprètes et l’attente créée font ressortir l’absence de rencontre véritable, ne serait-ce que vibratoire, entre elles et la démarcation douloureuse des états du corps et des âges. Le trouble entre ce qui est et ce qui n’est pas, la contemporanéité des âges dans un corps, l’entremêlement des identités, l’écho de l’autre, tout cela est tout juste suggéré… La majestueuse Régine Chopinot rencontre les basses organiques de la guitare dans une lenteur calligraphique. Elle va chercher, dans les nappes sonores coprésentes comme autant de plans potentiels dans l’espace, les courbes résonnantes et par son corps, elles apparaissent. Une danse de l’essence, une fluidité des bras et du haut du corps proche de l’expressionnisme et une temporalité à la fois lisse et acérée, donnant à voir dans la courbe et dans l’immobilité des subdivisions rythmiques infinies et des plans complexes. Phia Ménard « dans le rôle » de « la femme entre deux âges » fait un beau travail de nuances de présences entre humilité et espièglerie. Elle fait don d’une vérité humaine et d’une matérialité charnelle absolument poignantes qui ont du mal à trouver leur pendant dans la pièce. Vient en dernier le solo étincelant de Prunelle Bry, « la jeune » … A peine un corps, on la devine plutôt qu’on ne la voit, entre ombre et lumière, dans un air et un son raréfiés, furtive, animal non géolocalisable, esquisse au trait nerveux et précis, d’une rapidité jouant avec notre perception. La surprise est constante dans les qualités changeantes et la multidirectionalité de son mouvement. Esprit en apesanteur, sphinx éternel pour un quart de seconde, guépard, traits lumineux dans nos rétines, elle offre la boule de feu finale avalée par le vide, le retrait et la suspension qui régissent le spectacle. Depuis les années 2000, Alexandra David-Neel est sur les devants de la scène pourrait-on dire et Régine Chopinot n’est pas la première à faire le lien entre ses initiales ADN et la potentielle substantifique moelle de notre époque (ADN, spectacle de Marianne Zahar, 2015). On lui rend hommage et on s’intéresse à son enseignement. Régine Chopinot, elle, s’inspire judicieusement de la dimension physique de l’expérience de l’exploratrice, celle des longues marches, de l’immobilité de la méditation, de la fatigue, la dimension de l’humain. Cette voie aurait peut-être gagné à être plus affirmée. Plus d’intimité ou moins de sérieux, moins de volonté ou plus d’anarchie, quelque chose qui permette de mieux respirer dans la pièce aurait permis notre propre voyage sans doute.   © Vincent Lappartient   A D-N Régine Chopinot Conception Régine Chopinot Avec Danse : Prunelle Bry, Phia Ménard, Régine Chopinot Composition : guitare Nico Morcillo Son : Nicolas Barillot Lumière et scénographie Sallahdyn Khatir Christine Breton, docteur en histoire et Nadine Gomez, conservateur en chef du patrimoine et directeur de la maison d’Alexandra David-Neel à Digne-les-Bains, sont conseillères scientifiques.   Les 5 et 6 juin 2021 Durée 50 minutes   MC93 maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny 9 boulevard Lénine 93000 Bobigny   Réservation au 01 41 60 72 72 www.mc93.com      Read More →
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Je ne suis pas de moi, texte Roland Dubillard, adaptation et mise en scène Maria Machado et Charlotte Escamez, au Théâtre de Rond-Point
  © Giovanni Cittadini Cesi   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault Le hasard fait souvent bien les choses. Un petit service rendu avec plaisir et on en ressort plus heureux encore. Roland Dubillard ? Oui son nom bien sûr, mais rien de plus, j’entends déjà trembler les autres « fauteuils de l’orchestre ». Une scène presque vide, sombre, un frigidaire géant faisant penser à un coffre-fort magique. Et deux hommes, le même, plus jeune et moins jeune, presque les mêmes idées mais pas forcément le même mélange, pas forcément le même sens, un coup ici, un coup-là. Dubillard, et ses Carnets en marge, son journal intime, que Maria Machado, compagne de Dubillard et Charlotte Escamez qui, elle, a été sa secrétaire, mettent en scène, font trembler. Et tout arrive, apparaît. Deux hommes échangent, donc, et les dix premières minutes restent étranges, des mots résonnent, on cherche un sens, un ordre, une construction. Puis discrètement on se donne une gifle et on se dit qu’on est là pour entendre, voir, sentir. On commence tout doucement et hop ! on est entraîné ! Ces deux hommes, ces deux Dubillard vident leurs idées, leurs envies, dans tous les sens, des choses importantes ou non, de l’enfance à la vieillesse. Deux hommes échangent donc, ils sont le même et si différents, ils se donnent la main, se repoussent, s’aident et se laissent tomber, se rattrapent, sont ensemble, se chamaillant, l’un des deux semble se souvenir plus facilement, le plus jeune, l’autre étant l’essence même du présent, du maintenant, du tout de suite. Ils s’entendent bien néanmoins, une même essence à deux voix, deux corps, le même mais forcément, on a pris un journal tenu presque toute une vie, alors les images sont différentes. D’ailleurs, quand les deux Dubillard, qui se saoulent au Champagne toute la soirée, cessent de renverser leur table ou de marcher presque dans le vide, de s’élancer dans les airs, jusqu’à tout simplement tomber, quand ils n’échangent plus, juste un moment, quand ils ne s’aventurent pas dans le réfrigérateur, la musique prend le dessus, ou alors les images entrent en scène, une fillette au bord de la mer, par exemple, les remplacent, les effacent deux minutes, et nous entraînent ailleurs. Et cette petite heure, accompagnée de ses vingt minutes, bonnes copines sans en douter un instant, nous emportent. On est avec Dubillard, avec cet homme tout simplement, et si on ne le connaissait pas, eh bien il ne se découvre pas là tout à fait, mais on se dit qu’il faut courir très vite après, pour en savoir plus, pour se laisser mener avec plus de confiance encore dans une joie certaine, lire. Accepter que les lignes droites s’avouent et rebondissent. Que les mots, le rythme, le son savent faire la fête, oui, comme si eux aussi buvaient du Champagne et savaient s’étendre, jusqu’à n’en presque plus finir. Je ne suis pas de moi est un des projets de la Compagnie Tangente, utilisant tout l’œuvre de Dubillard. Un journal intime au théâtre. Bien sûr. Le résultat est entraînant, drôle, fait réfléchir, nous perd. On est face à un ballet, on sent que la danse effectivement, n’est pas loin. Les deux corps bougent, sont. Des questions, des doutes, des réponses. De la joie et de la souffrance. Sans doute appelle-t-on ça de la vie, ici où là. On reste séduit, étonné, paumé. Denis Lavant et Samuel Mercer sont, comment dire… fabuleux ? Oui. Ils sont tous les deux sur scène, oui, mais ils sont le même, ils sont un, s’assemblent. Ils ne se comprennent pas, font semblant, et la solidarité est tenace. Le lien entre les deux est visible, superbe. On ne connaît toujours pas Dubillard, mais on veut tout faire pour que ça ne dure pas trop longtemps. Un homme fabuleux, sans aucun doute, qui nous est offert avec beaucoup de talents.   © Giovanni Cittadini Cesi     Je ne suis pas de moi, de Roland Dubillard Adaptation et mise en scène par Maria Machado et Charlotte Escamez Avec Denis Lavant et Samuel Mercer   Vidéo Maya Mercer Design sonore Guillaume Tiger Lumière Jean Ridereau Décor Didier Naert Chorégraphie Julie Shanahan (Tanztheater Wuppertal Pina Bausch) Régie Christian Lapaillote Stagiaire mise en scène Eugénie Divry Coordinatrice de production Danièle Ridereau     Du 10 au 23 juin 2021, 21 heures Dimanche 15 h 30, relâche les lundis Durée 1 h 20 environ     Théâtre du Rond-Point Salle Jean Tardieu (176 places)  2Bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris   T+ 01 44 95 98 00 www.theatredurondpoint.fr            Read More →
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Présentation de saison 2021-2022 du Théâtre des Célestins, Lyon
  Skylight création (15 sept – 3 oct.) en ouverture de saison 21/22 mise en scène Claudia Stavisky © Simon Gosselin   article de Victoria Fourel Si les saisons qui s’achèvent n’ont cessé de lancer des défis aux artistes et aux programmateurs, cela ne semble pas avoir découragé la scène lyonnaise, qui repart de plus belle pour 2021-2022. Preuve en est la présentation de saison menée par Claudia Stavisky et Pierre-Yves Lenoir. L’heure est avant tout au bilan. Et aussi, malgré tout, à la gravité. Le théâtre empêché a été cruel pour les équipes, les publics et la salle elle-même, mais il a aussi démontré le manque de plateaux disponibles à Lyon, tout comme les inégalités de traitement entre salles. En effet, les Célestins est l’un des deux théâtres assimilables à des CDN en France n’ayant pas été éligibles aux fonds de solidarité. Spécificité que n’ont pas manqué de noter les co-directeurs, soulignant par la même le solide soutien de la ville de Lyon, sans laquelle peu de choses auraient pu être engagées et maintenues. Et cela donne sans nul doute une saison à venir chargée et complètement inédite : une cinquantaine de spectacles et 365 levers de rideaux auront lieu sur la scène de la presqu’île. Un effort surhumain de toutes les équipes pour ne laisser tomber aucun spectacle prévu et reporté, le tout en faisant la part belle à des nouveautés. Au rayon des reports, on note Ivres, d’Ivan Viripaev mis en scène par Ambre Kahan, ou encore Change me, un spectacle de Camille Bernon et Simon Bourgade, tous deux très attendus la saison dernière. C’est aussi une saison qui s’engage sur le front de la jeune création ambitieuse, mobilisant de larges équipes, et sur celui de la pluridisciplinarité : adaptation de films et de séries, classiques, créations contemporaines. Un pas est aussi fait vers le jeune public, avec une programmation familiale qui fait entrer les plus jeunes aux Célestins (Fracasse, d’après Théophile Gautier, mis en scène Jean-Christophe Hembert, dès 12 ans, ou une Carte Blanche au Krump dans le cadre du festival Karavel, à partir de 10 ans). C’est une saison intense qui s’annonce, et qui va chercher à faire entrer le plus grand nombre au théâtre. Aussi, il est important de noter la création de nouvelles offres pour répondre aux difficultés des uns et des autres. Un abonnement étudiant prévoit de proposer trois spectacles pour 30 € en tout, et un abonnement trimestriel permettra aux spectateurs de ne s’engager que sur une période courte. Enfin, un système de billets suspendus sera mis en place pour proposer des places solidaires à ceux qui en ont le besoin. Car oui, la scène est un besoin dans la cité, et le nombre d’œuvres qui attendent les projecteurs est là pour nous le rappeler, ainsi que la mobilisation des équipes. La légèreté n’est pas revenue, mais elle reviendra. Dès la rentrée, peut-être.     Le ciel de Nantes création (6-13 nov.) mise en scène par Christophe Honoré © Jean-Louis Fernandez     Saison 2021-2022, Théâtre des Célestins Théâtre des Célestins 4 rue Charles Dullin 69002 Lyon Réservation au 04 72 77 40 40 www.theatredescelestins.com      Read More →
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C'est la vie, de Mohamed El Khatib, au Théâtre de Choisy-le-roi, Festival d'automne
© Christophe Raynaud de Lage   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Pour qui perd ses parents il existe dans la langue française le mot orphelin. Pour qui perd un enfant, il n’y a rien. Un vide sémantique comme si justement une telle expérience ne pouvait avoir de définition, être représentée, n’être que de l’ordre de l’innommable. Et c’est dans ce vide sémantique que s’engouffre avec beaucoup de tact et d’humour – celui du désespoir ? – Mohamed El Khatib qui après Finir en beauté, pièce intime sur la perte de sa mère, poursuit une réflexion sur l’impossible du deuil. Il n’y a que l’hébreu et l’arabe qui donne un nom, d’une poésie délicate, pour nommer cet impensé : Shakoul, « l’ourse à qui on a pris ses petits », et Takal, « dont on a coupé les bourgeons ». Et cette ourse et ce rameau ils sont là, sur le plateau. Deux comédiens qui ont vécu la perte d’un enfant. Fanny Catel et Daniel Kenigsberg. Comédiens de profession, ils brouillent ici le rapport entre la fiction et la réalité. Interprètes de leur propre expérience, de leur vie, à la fois sujets et objets d’une fiction théâtrale dont ils sont la source. Chacun raconte avec autant de douce impudeur que de délicatesse la perte, la déchirure irréparable. L’émotion est là, palpable, qui affleure mais tenue à bonne distance par l’humour de ces deux parents endeuillés qui ont accepté de se mettre à nu, de mettre à nu leur douleur. Daniel Kenigsberg prévient d’emblée que ce n’est pas toujours facile de maintenir cette souffrance encore vive à distance sur le plateau, quand le théâtre rattrape la réalité. Lui qui a joué dans Andromaque le rôle de Phoenix, restituant la mort d’Astyanax jeté du haut des remparts de Troie, alors même que son fils deux semaines plutôt se jetait dans le vide. Deux semaines n’est pas tout à fait exacte, cela relève de la fiction, mais un mois plus tard exactement comme il le précise dans le guide pratique qui porte le titre éponyme de la pièce. Ce guide indispensable, distribué à chacun des spectateurs et qui explique toute la genèse de la pièce, donne ainsi quelques éléments clefs, les matériaux utilisés, les e-mails échangés et surtout dépouille la fiction relative se jouant sur la scène de certains éléments replacés dans ce livret dans leur contexte originale, leur vérité factuelle et non plus théâtrale. Un fact-cheking où l’on découvre que la réalité est ainsi devenue support d’une matière fictionnelle et documentaire, ambiguïté volontaire et propre au travail de Mohamed El Khatib et dont il joue avec maîtrise et sans tricher. On glisse ainsi de l’intime à l’universel. Or donc ces deux sur le plateau nu sont-ils comédiens ou des parents ayant vécu la perte d’un enfant ? Les deux, certainement, mais là, devant nous, comment l’abordent-ils cette création singulière et sensible qui parfois sous la houlette de son auteur, s’accommode avec leur expérience, arrangements qu’ils ont peu ou prou acceptés ? Fanny Catel apporte une réponse définitive. « (…) Je me rends bien compte que ma qualité d’actrice ne peut rien à l’affaire, et que ma principale qualité pour ce projet est d’avoir perdu mon enfant. Mon ego d’actrice était relativement stabilisé, quand même ça fout un peu les boules, alors je me console en me disant que toutes les actrices qui ont perdu un enfant ne le ferait pas aussi bien que moi : pas le fait de perdre un enfant, ça tu te démerdes comme tu peux, mais pour porter cette parole à la scène (…) ». C’est précisément ce balancement, ce frottement qui donne tout le poids et la fragilité de cette création, son recul nécessaire pour ne jamais tomber dans la vulgarité, le pathos et le voyeurisme. La théâtralité comme garde-fou. Encore une fois c’est sur certains détails, même crus, voir insoutenables, comme l’agonie et la mort de la petite Joséphine, l’enfant de Fanny Catel, que Mohamed El Khatib s’attache, de menus faits, vagues annonciatrices d’un séisme, qui révèle tout incidemment et soudainement l’irréparable et la cruauté, la douleur de la perte définitive. Ce ne sont pas des parents-courages mais des êtres pris malgré eux dans une tourmente intime et violente dont on ne se relève pas. Ils font avec, comme ils le peuvent. On raconte des blagues juives comme Daniel Kenigsberg, qui n’en manque pas, ou on s’en tient strictement, voir froidement aux faits, malgré le sourire dont elle ne se dépare pas, comme Fanny Catel. C’est la vie, oui, mais comme l’écrit Fanny Catel, « Après la mort de Joséphine, moi, personne ne m’a dit « c’est la vie »… Dommage, ça m’aurait peut-être fait du bien de foutre mon poing dans la gueule de quelqu’un ! »   C’est la vie, une fiction documentaire du collectif Zirlib Texte et conception  Mohamed El Kathib Avec Fanny Catel et Daniel Kenigsberg Réalisation sonore  Fred Hocké, Mohamed El Khatib Environnement sonore  Nicolas Jorio Collaboration artistique  Alain Cavalier Psycho généalogie  Bruno Clavier Du 16 et 17 juin 2021 Théâtre de Choisy-le-Roi – Scène conventionnée d’Intérêt National Art et création pour la Diversité Linguistique Réservations  Billetterie : +33 1 53 45 17 17 www.festival-automne.com  Read More →
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La voix perdue, un récit(al) de Juliette Flipo inspiré du conte de Pascal Quignard, au LoKal, Saint-Denis, Festival Temps nu avec Textes 2ème édition
    © Didier Monge   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Un conte de Pascal Quignard, c’est toujours plus qu’un conte. Une écriture pointue, précise et minutieuse pour des récits érudits, hermétiques aussi parfois, mais dont le charme et la clarté, toujours, n’oblitèrent jamais la valeur philosophique et leur portée générale. La voix perdue est une sourde plainte, celle de Jean de Vair, dont l’accident brutal d’un carrosse renversé laisse orphelin. Le hante la voix de sa mère agonisante. A la recherche d’une voix perdue, d’un passé révolu, d’un jadis, il rencontre au bord d’un lac, le lac des reines ainsi nommé parce que plein de grenouilles, une femme à la robe verte. Chaque nuit cet être merveilleux le rejoint. Une nuit, de sa gorge s’échappe un soupir comme un chant. Ce chant fascine Jean qui lui demande de chanter pour lui. Elle refuse, évoque le péril à l’entendre. Puis devant tant d’insistance elle cède mais attache auparavant Jean aux montants du lit. Et devant ce chant inouï qui traverse son âme, Jean tombe amoureux. Mais la jeune fille disparaît. Jean découvre qu’elle est un être féérique, une grenouille. Et celle qui n’est plus qu’une voix au bord du lac le supplie de l’abandonner. Jean refuse, tente de la rejoindre et se noie. Et ce conte cruel est dit par Juliette Flipo, merveilleuse conteuse à cette occasion, accompagnée de sa harpe électrique. Vêtue d’une simple robe, un costume de peau et d’écailles comme il en existe dans les contes, et dont elle se défait bientôt parce sont nues les nymphes et les fées aquatiques. Elle dit, et sa voix se module au gré du récit. Enfle et murmure, gronde et soupire. Mise en scène légère, réduite à l’essentiel et parfois laissée à l’improvisation, cette voix qui conte et la harpe qui accompagne. Mais ce qu’elle tire de cette harpe est plus qu’une illustration, une nappe sonore. C’est un autre récit, une autre voix, un autre écho. Plus ancien, archaïque et primal. De ce récit de Pascal Quignard s’élève ainsi, presque malgré lui, d’étranges sonorités : plaintes, cris et chuchotements contenus et retenus entre les lignes du récit et que la harpe libère. Cette voix de jadis, ces gémissements anciens étouffés sous la parole, sons informulés, langages inarticulés, extension dans son expression la plus brute de ce conte. Et c’est entre ces deux mondes, entre l’écrit et le cri, entre le dit et le silence, qu’oscille avec grande justesse et talent, sirène aux voix captivantes, à la harpe magique en sautoir, Juliette Flipo.   La voix perdue conception, adaptation, jeu et musique Juliette Flipo Collaboration artistique et lumières Jean-Claude Fonkenel Création costume Sophie Hampe Œil extérieur Sébastien Ribaux   Festival Temps nu avec texte, 2ème édition Du 4 au 12 juin 2021   Phèdre (Brisures) C. Degliame, Jean-Michel Rabeux / Racine La voix perdue J. Flipo / Pascal Quignard Le bourdon Vaslav de Folleterre Horace C. Théodoly / H. Muller La fin de Satan S. Auvray-Noroy / V. Hugo       Le Lokal 3 rue Gabriel Péri 93200 Saint-Denis Renseignements et réservations relationspubliques@rabeux.fr P+ 06 67 50 64 01      Read More →
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Solaris, texte Stanislas Lem, adaptation, conception et mise en scène de Pascal Kirsch, au Théâtre des Quartiers d’Ivry
  © Géraldine Aresteanu   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Plus que tout autre le théâtre est un art du temps. Le théâtre sait, par son geste dans l’instant, dérouler le passé comme un à venir, ouvrir les entrailles d’un texte pour y lire ce qu’il présage de notre temps présent. Il y a, c’est certain, de la divination dans cette pratique. Lorsque l’on assiste à Solaris, on ne peut alors qu’être profondément admiratif et stupéfait du choix de Pascal Kirsch de monter le chef d’œuvre SF de Stanislas Lem paru en 1961. Car ce projet d’adaptation pour la scène a pris racine bien avant que la pandémie n’explose, que ne réapparaissent des mots d’un autre âge, couvre-feu, quarantaine… et que l’on ne découvre le roi Progrès bien nu. Aujourd’hui ce texte vient à point nommé diagnostiquer une maladie qui ne dirait pas son nom. A ce titre, Solaris est le spectacle essentiel de notre époque. Solaris est un miroir tendu, depuis cette autre rive temporelle, au visage grimaçant de nos certitudes, un contre-récit à la glorieuse histoire des sciences et de l’esprit humain, à notre quête exploratoire inextinguible et à la dévoration du monde qu’elle engendre. Il y a de la vanité, et pour tout dire, de la nature morte dans l’épopée que raconte Solaris. Il y a de la mort dans l’âme des personnages qui composent l’équipage de cette station spatiale en vol au-dessus de Solaris. Bien sûr, le roman de Stanislas Lem reflète les inquiétudes de son époque, d’un monde en pleine guerre froide, inquiétudes augmentées par un développement des sciences et techniques jusque-là inégalé. Mais le mal est bien plus profond, et nous en sommes encore aujourd’hui porteur sans en être toujours conscients. Flotte encore et toujours cette mélancolie post-coloniale, telle que l’universitaire Paul Gilroy la décrit avec acuité pour parler des héritiers des empires défaits : une mélancolie mortifère, destructrice, résultant à la fois de l’affaissement du bien-fondé moral de leur mission colonisatrice (qu’avons-nous fait !) et de l’écroulement des empires coloniaux (qu’avons-nous perdu !). Solaris ne dit pas autre chose, sauf qu’il le dit à travers le genre de la science-fiction, pointant le désastre en germe de l’anthropocentrisme et cette remise en cause de la colonisation. La pierre angulaire de Solaris est sans conteste sa scénographie. Invention parfaite, qui se révèle une évidence agissante au plateau. Déjouant les pièges du décor de space opera, Sallahdyn Khatir a imaginé un espace d’une grande puissance plastique usant de peu de matériau : trois énormes disques blancs flottent, à bâbord, tribord et surplombant l’espace. A la fois hublots, corps célestes, et plus encore : lentilles de microscope, nous rappelant que ce qui se joue est peut-être une vivisection de l’esprit humain opérée par une intelligence autrement supérieure. Et puis, il y a surtout au sol des lignes et des rangées de parpaings simplement posés, formant un immense damier rectangulaire aux allures de caillebotis. Pierre philosophale et pierre de construction, de notre monde en perpétuelle expansion. Vision futuriste en lego de béton, de notre propension à s’approprier et coloniser l’espace sans fin… Si ces symboliques apparaissent et essaiment leur polysémie tout au long du spectacle, l’espace est aussi envisagé dans son prosaïsme : les acteurs évoluent sur ces plots, simplement posés au sol, dans une instabilité, produisant tensions et accidents, sculptant les corps. Cette tension entre symbole et réel, entre abstraction et familiarité, à l’instar de ce fauteuil désuet à la proue du damier de parpaings, est comme une autre traduction de ces deux lignes de force qui structurent Solaris : d’une part l’exploration de l’infini, cette fuite en avant, hors de soi, et ce retour en soi, en cet intérieur peuplé de souvenirs, de fantasmes, sorte de retour durable et terrible à l’être aimé… Après avoir récemment travaillé les langues poétiques de Hans Henny Jahnn, ou de Maeterlinck, Pascal Kirsch privilégie ici la narration, l’histoire, adaptation d’un matériau romanesque oblige. Cela n’empêche les plus belles scènes de se poser dans le silence et dans l’écho de présences fantomatiques. Le jeu est résolument incarné, figuré, sans s’interdire la subtilité. Solaris, enfin, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, offre une merveilleuse mise en abime de l’acte théâtral, le vaisseau spatial étant lui-même le théâtre proprement dit d’apparitions. Dans ce jeu de miroirs, et d’illusions, l’esprit du spectateur s’absorbe dans un régénérant abandon au spectacle de l’inconnu et de l’incertain.   © Géraldine Aresteanu     Solaris texte de Stanislas Lem Traduction Jean-Michel Jasienko Adaptation, conception et mise en scène Pascal Kirsch Avec Yann Boudaud, Marina Keltchewsky, Vincent Guédon, Elios Noël en alternance avec Éric Caruso, François Tizon, Charles-Henri Wolff Collaboration artistique Charles-Henri Wolff Musique Richard Comte Scénographie Sallahdyn Khatir Costumes Virginie Gervaise Lumière Nicolas Ameil Son Lucie Laricq   Du 4 au 6 juin (17 h sauf dimanche 16 h) et du 10 au 12 juin 2021 (19 h sauf dimanche 18 h) Durée 2 h 35   Théâtre des Quartiers d’Ivry Manufacture des Œillets 1 place Pierre Gosnat 94200 Ivry-sur-Seine Réservation : 01 43 90 11 11 www.theatre-quartiers-ivry.com      Read More →
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Music-Hall, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Glysleïn Lefever, Studio Théâtre de la Comédie Française
  © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française   ƒƒ article de Denis Sanglard Elle est là, comme tous les soirs. A raconter sur son tabouret, important le tabouret, son histoire. Son Music-Hall. Cette tournée qui s’étiole et n’en finit pas de mourir, de théâtres en cabarets, dans l’indifférence d’un public de plus en plus rare. Avec ce même rituel, cette entrée lente et désinvolte, du fond du plateau, accompagnée de ces deux boys. Ces deux-là qui furent sans doute ses amants. Ces deux qui un jour, lassés, disparaîtront sans bruit comme les autres avant eux. Comme tous les soirs, la même histoire, anecdotes de tournées, d’une vie traversée, échouée là dans sa vacuité pour un soir, avant le suivant, à Montargis peut être, à recommencer. A tricher, à faire semblant, peut-être. Music-Hall, pièce de l’immense et délicat Jean-Luc Lagarce. Et toujours cette écriture singulière, minutieusement ciselée, reconnaissable en toutes. Cette mélodie, on peut dire ça, ce rythme si discret et prégnant qui vous happe d’emblée et ne vous lâche plus. Pas une rengaine dans la réitération obstinée, le bégaiement des anecdotes, non, mais cet art si particulier de la répétition têtue, à trouver enfin le mot juste, toujours. Et cette douce amertume d’un spleen tenace, la mélancolie derrière le sourire, l’humour acide et le mensonge, la triche assumée. Cette distance amusée avec les évènements d’une vie, avec la vie même. Et la mort au travail. Dans l’Apprentissage, un de ses trois récits, cette phrase abrasive qui sans doute résume son œuvre « Je suis vivant puisqu’à nouveau je fais semblant. » Mais est-elle encore vivante celle-là qui raconte, déroule son récit ? C’est dans un espace abstrait, sophistiqué, tendu de soyeux voile blanc, loin du cabaret minable attendu, plumes fanées et paillettes éteintes espérées, que la metteuse en scène et chorégraphe Glysleïn Lefever pose ce personnage énigmatique et ses deux boys. Espace mental ou cellule psychiatrique, la frontière est soudain poreuse. Espace fantasmé par celle qui raconte ? Elle-même sublimée, transfigurée par ce décor, elle dans sa robe rouge écarlate éloignée soudain d’une réalité par trop miteuse. Et comme tout rêve qui oblitère le cauchemar d’une vie c’est d’une légèreté presqu’insoutenable. On peut ne pas aimer cette distorsion volontaire de la mise en scène, ce frottement rêche entre la réalité acide du texte et ce décor trompeur. Mais ce mensonge-là, c’est celui de celle qui raconte obstinément. Françoise Gillard, glamour au possible, clone d’une Zizi Jeanmaire hallucinée, est fascinante qui délabyrinthe l’écriture de Jean-Luc Lagarce et lui donne corps et souffle. Et le corps est important ici, toujours chez Lagarce. Un corps qui défie l’obsolescence. Une question de rythme aussi, de souffle, oui, qui vous entraîne dans les méandres d’une pensée qui se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît sous la légèreté apparente. Profonde et en distance tout à la fois, perce chez Françoise Gillard une légère ironie, signe que celle qui raconte n’est sans doute au final pas si dupe que ça malgré tout le tralala qu’impose cette scénographie trompeuse. L’œil, lui, reste « fixé sur ce trou noir où je sais qu’il n’y a personne. » Cette chambre ardente n’est peut-être après tout que l’antichambre de la mort. Et cette mise en scène, au final, celle d’un mensonge, d’une vie broyée par l’illusion.   © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française   Music-Hall de Jean-Luc Lagarce Mise en scène de Glysleïn Lefever Scénographie Chloé Bellemère, de l’académie de la Comédie Française Costumes Laurent Mercier Lumières Pascal Laajili Musiques originales et son Sylvain Jacques Collaboration artistique Anne Poirier-Busson Assistanat à la mise en scène Leah Lapiower, de l’académie de la Comédie Française Assistanat à la chorégraphie Rafael Linares Torres   Avec la troupe de la Comédie Française Françoise Gillard, Gaël Kamilindi, Yoann Gasiorowski Et la voix off d’Hervé Pierre   Du 2 juin au 11 juillet 2021 à 18 h Relâche les lundi et mardi   Studio-Théâtre de la Comédie Française 99 rue de Rivoli Galerie du Carrousel du Louvre Place de la Pyramide inversée Paris 1er Réservations www.comedie-française.fr      Read More →
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Tosca, musique de Giacomo Puccini, livret de G. Giacosa et Luigi Illica, direction musicale Carlo Montanaro, mise en scène de Pierre Audi, Opéra Bastille
  © Vincent Pontet / Opéra national de Paris   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Tosca, l’opéra de Puccini créé en 1900 d’après une pièce de Victorien Sardou écrite pour Sarah Bernhardt en 1887, est l’expression d’un vérisme porté à son acmé qui mêle à la passion, la politique et la religion ancrés dans une ville qui résume en elle-même ces trois aspects, Rome. En trois lieux non moins symboliques, Sant’ Andrea della Valle qui ouvre la tragédie, le palais Farnese qui la porte à son incandescence, et le Château Saint-Ange pour sa résolution dramatique. Lieux de pouvoir spirituel et temporel, intimement tressés. Et chaque metteur en scène de chercher l’angle d’attaque, tâche ardue depuis sans doute la mise en scène de Zeffireli qui avait trouvé en La Callas l’interprète absolue pour une révolution de la mise en scène opératique initiée déjà par Visconti et aujourd’hui sans doute obsolète (je me souviens d’une reprise à Covent Garden dans les années 1990 de cette mise en scène qui accusait là fortement un sacré coup de vieux.) Pour David Bobée récemment à Rouen qui de Tosca faisait un flamboyant et glaçant manifeste politique ou de Christophe Honoré à Aix-en-Provence, axant sa mise en scène sur la transmission d’une œuvre et d’un personnage emblématique, chacun donc tente avec plus ou moins de succès de trouver son chemin dans cette œuvre iconique. Pierre Audi choisi le poids de la religion. On sait Tosca pieuse, vissi d’arte vissi d’amore, prière à la vierge comme étendard, mais fallait-il pour autant par la scénographie forcer le trait ? Sant’Andrea della Valle, immense croix posée au sol qui la transforme en bunker, tel un lieu assiégé, il fallait oser et ce n’est pas du plus bel effet qui écrase de tout son poids l’espace et les chanteurs. Et cette même croix immense suspendue aux cintres et qui surplombe le plateau, pèse sur les deux derniers actes, assène un message plus qu’elle ne le distille, évacuant peu ou prou la question du politique. Pour le reste la mise en scène est littérale qui respecte l’œuvre au plus près, sans vraiment d’audace ni innovation. À cela il faut ajouter un dernier acte, dans sa fin, raté. Tosca évite le saut de l’ange, pourquoi pas, mais c’est une fin qui fait ici pschitt et, au regard de la tension dramatique et musicale dans sa sécheresse et brutalité, tombe malheureusement à plat. Et si cette création tient le choc, c’est qu’elle mérite avant tout d’être entendue, par la grâce de ses interprètes et un orchestre en pleine forme dirigé de main de maître par Carlo Montanaro qui pousse l’orchestre de l’Opéra National de Paris dans ses retranchements les plus ténus. Capable de faire monter la tension dramatique à son point de rupture comme de trouver des nuances d’une infinie délicatesse et poésie. La partition de Puccini révèle ainsi toute sa complexité et sa modernité dans le dessein de ses personnages et d’une situation dramatique mouvante. Et puis il y a le trio infernal et passionnel. Trois chanteurs qui donnent là, outre leur voix d’exception, toute la dimension sans réserve de leur personnage. Ludovic Tézier, Scarpia, voix sombre et large, scansion volontairement heurtée, d’une froideur imparable. Le parfait salaud qu’on aime à détester. Michael Fabiano, Mario Cavaradossi, voix puissante et prenante, ne manquant pas de souffle incarne son personnage avec une fougue révolutionnaire ad-hoc mais devant Tosca est capable de nuances intimistes, oublieux de cette voix projetée avec fougue pour des piani sensuels. Sans doute son dernier air, attendu, Et lucevan le stelle, de par cette voix si ample aurait mérité un peu plus de nuance ou de douceur. Mais qu’importe, l’émotion était palpable et l’emportait. Il suffisait d’écouter la salle pour comprendre combien toute critique était inutile. Maria Agresta, Tosca aux aigus tranchants et vifs comme une lame, mais sans effort apparent, donne au personnage une délicatesse et une étonnante jeunesse. Capable elle aussi de nuances infimes jusqu’à la retenue. L’air Vissi d’arte, vissi d’amore est une dentelle de soie prêt à se déchirer. L’ensemble de la distribution, chœur de l’Opéra de Paris compris, est d’une belle homogénéité qui donne à l’ensemble sa force et sa cohérence. Et s’il fallait résumer cette matinée (couvre-feu oblige), une salle debout à peine le rideau tombé est sans doute l’expression la plus juste qui balaie toute critique.   © Vincent Pontet / Opéra national de Paris     Tosca musique de Giacomo Puccini Livret de G. Giacosa et L. Illica D’après Victorien Sardou Direction musicale Carlo Montanaro Mise en scène de Pierre Audi Décors Christophe Hetzer Costumes Robby Duiveman Lumières Jean Kalman Dramaturgie Klaus Bertish Chef des chœurs Alessandro di Stefano Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris Maîtrise des Hauts de Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris Avec Maria Agresta, Michael Fabiano, Ludovic Tézier, Guilhem Worms, Frédéric Caton, Carlo Bosi, Philippe Rouillon, Florent Mbia   Les 4, 8, 11, 14, 18 et 25 juin 2021   Opéra Bastille Réservation 08 92 89 90 90 www.operadeparis.fr      Read More →
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Tout le monde ne peut pas être orphelin, Les chiens de Navarre, mise en scène de Christophe Meurisse, Théâtre des Bouffes du Nord
  © Ph. Lebruman     ƒƒ article de Denis Sanglard La famille, c’est les Atrides. Faut que ça saigne ! Ou comment tuer père et mère et sauver sa peau avant qu’ils ne vous fassent la vôtre. Lieu de toutes les névroses, des non-dits, du pas-assez-dit, du trop-dit qui vous pourrissent le cerveau et votre réveillon de Noël devenu un enfer. Lieu d’explosion, d’implosion. De solitude. De réconciliation, parfois. Toujours provisoire. Il n’y a que la vieillesse et la mort pour vous réconcilier. Et encore… Ce n’est pas la première fois que Les Chiens de Navarre s’attaquent à la famille. Sujet déjà abordé au fil de leur création mais jamais encore de front. Là, nos chiens mordent encore férocement jusqu’à l’os qu’ils rongent jusqu’à la moelle. Jeu de massacre, curée trash, cash, crue. Sanglant et scato, aussi. Avec ça des dialogues, paroles comme jets d’acides pour dissoudre ce qui restait d’amour, filial ou propre, ou ce qui en tenait lieu, cette hypocrisie, cette obligation qui vous relie les uns aux autres et qu’on dit famille. Entre amour et détestation c’est kif-kif bourricot. Nous sommes victimes et bourreaux, sado et maso. De la cuisine au salon les situations dégénèrent salement jusqu’à l’absurde, l’incontrôlable. Les chiens de Navarre dézinguent sans honte et sans coup-férir la famille qu’elle fouille et fouaille dans tous ses états les plus inavouables. Meurtre symbolique, sexe, inceste fantasmé… ici, finir aux chiottes n’est pas qu’une image. C’est une thérapie de groupe sauvage où nul ne sort indemne. C’est à hurler de rire comme toujours. Les chiens de Navarre s’en donne à cœur joie dans ce terrifiant et jubilatoire chamboule-tout. Encore une fois il démontre leur grande maîtrise dans le dérapage plus ou moins contrôlé. Peut-être davantage écrit encore que leur précédente création, moins foutraque en apparence, sans tableaux qui s’enchaînent, Les Chiens de Navarre ont comme mûri, atteint un âge de raison sans rien perdre de leur cynisme abrasif gorgé de folie, de leur causticité impitoyable. Pour preuve il y a comme une poignée de cheveux dans le bouillon, une pointe de tendresse inattendue qui conclut cette féroce création. De l’émotion chez Les Chiens de Navarre, voilà qui est nouveau et désarmant ! Parce que c’est ça aussi qui est dénoncé, notre foutue contradiction, notre tragédie d’adulte, le refus et la peur d’être un jour orphelin malgré la haine qui nous vrille… Et ces chiens-là sont tous nouveaux. Une famille recomposée pour une décomposition de la famille. Dont deux illustres Deschiens, Lorella Cravotta et Olivier Saladin ont rejoint cette meute déchaînée et qui dans l’abjection donnent le meilleur d’eux-mêmes. Parfaits parents indignes, égoïste, monstrueux et sans culpabilités aucune à vouloir se débarrasser de leur progéniture pour filer baiser au Portugal. Mais aux dignes rejetons, tout aussi frappadingues que leurs géniteurs.   © Ph. Lebruman     Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin mise en scène de Jean-Christophe Meurisse Avec Lorella Cravotta, Charlotte Laemmel, Vincent Lécuyer, Olivier Saladin, Lucrèce Sassela, Alexandre Steiger et Hector Manuel en alternance avec Cyprien Colombo. Collaboration artistique Amélie Philippe Régie générale François Sallé Régie générale plateau Nicolas Guellier Création lumières Stéphane Lebaleur et Jérôme Pérez Régie Lumière Stéphane Lebaleur Création son Isabelle Fuchs et Jean-François Thomelin Régie son Isabelle Fuchs ou Pierre Routin Costumes et régie plateau Sophie Rossignol Décors et construction François Gauthier-Lafaye   Du 11 juin au 4 juillet 2021 Durée 1 h 30   Théâtre des Bouffes du Nord 37bis boulevard de la Chapelle 75010 Paris Réservations 01 46 07 34 50 location@bouffesdunord.com www.bouffesdunord.com        Read More →
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Terreur, Ferdinand von Schirach, mis en scène par Michel Burstin, Bruno Rochette, Sylvie Rolland, Théâtre de Belleville
 © ZZIIGG   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Terreur est la seule pièce écrite à ce jour par Ferdinand von Schirach, avocat pénaliste allemand qui a commencé par publier des nouvelles (Crimes, Coupables), puis a connu un succès mondial (et des prix) avec son roman L’affaire Collini. L’auteur s’inspire dans toute son œuvre d’affaires réelles, qui servent de matière première à des réflexions politiques, éthiques, et philosophiques. Terreur est un procès fictif dont les spectateurs sont les jurés. Ils doivent juger le pilote de chasse Lars Koch qui a abattu un avion de ligne et causé la mort de 164 passagers, alors qu’un terroriste menaçait de le faire écraser sur un stade de 70 000 spectateurs. Or, Lars/Laura Koch n’avait pas reçu l’ordre d’abattre l’avion. Le pilote a pris cette décision seul et sa motivation s’opposait sur le fond à une décision (réelle) du Tribunal constitutionnel allemand ayant jugé qu’il est « contraire à la Constitution de tuer des personnes innocentes pour sauver d’autres personnes innocentes » et qu’il aurait dû en tout état de cause respecter en tant que dépositaire de la force publique. Dans sa création française, la compagnie Hercub’ a changé plusieurs choses par rapport au texte publié en 2015 (et en 2017 à L’Arche en français) de von Schirach. Tout d’abord l’âge et le genre de l’accusé ont été modifiés (Lars, 49 ans devient Laura, 45 ans interprétée par l’excellente Céline Martin-Sisteron), ce qui peut interroger sur l’impact que cela pourrait avoir sur le vote. Ensuite, la date (2020 au lieu de 2013). Enfin, des coupes assez nombreuses ont été faites dans le texte, ainsi que certains redécoupages, ce qui permet de faire tenir la pièce, sans rien perdre de l’essentiel, dans un format d’une heure trente. Les choix sont dans la majorité extrêmement pertinents et permettent sans prendre le risque d’ennuyer le public (non juriste) de rester au cœur des questionnements dans lesquels souhaite nous placer von Schirach : la responsabilité, l’intime conviction, la vérité, le Bien et le Mal, la raison d’Etat, l’Etat de droit, le droit de désobéissance, la morale, la dignité de l’homme, la Justice. Et au final, il nous place devant notre conscience : « Y-a-t-il des situations dans notre vie dans lesquelles il est juste, raisonnable et judicieux, de tuer un être humain ? Et davantage encore : dans lesquelles ne pas le faire serait absurde et inhumain ? » (Acte I) ou : « Avons-nous le droit de sacrifier des innocents pour sauver d’autres innocents ? » (Acte II). La démonstration de la procureure (en particulier sur le choix de ne pas faire évacuer le stade à temps), tout comme la plaidoirie de l’avocat viennent bouleverser les certitudes éventuelles de leurs auditeurs d’un soir. La scénographie et la mise en scène sont réduites au strict minimum. Le président est juché sur une chaise et table hautes à jardin, la procureure assise à une table normale à cour, l’avocat et l’accusée en retrait derrière elle. Le régisseur est également sur le plateau et le dessinateur de presse Zziigg juste devant, qui croque, comme dans un véritable procès où les caméras sont interdites, les différents protagonistes. Un témoin (Mme Meiser, qui est aussi partie civile) est assis parmi les spectateurs qui le découvrent au bout d’une heure quand il est appelé à la barre. C’est la seule surprise véritable de la mise en scène (avec celle qui est de faire dire le début de l’Acte I au président à l’extérieur du théâtre avant que les spectateurs n’y entrent). Certes le texte de von Schirach mérite à lui seul le déplacement et on sait gré à la compagnie Hercub’ de le monter pour la première fois en France, après avoir créé un autre texte puissant (Espace Vital de Israel Horovitz). Au bout de plus d’une heure de représentation, les spectateurs sont invités à se prononcer en glissant un dé (pour rappeler que l’on joue la vie d’un être humain ?) dans la case Acquittement ou Condamnation d’une urne noire, qui Covid oblige est déplacée par une comédienne, alors que le metteur en scène avait prévu un autre mode de vote (proche de celui à la Chambre des communes britannique par deux portes différentes selon le sens du vote) qui nécessiterait un déplacement physique des spectateurs. Le Président décompte les dés, annonce le résultat et prononce le verdict. Si bien que dans chaque salle où se joue la pièce, des résultats différents sont attendus. Ce jour-là à Belleville, 17 votes étaient en faveur de l’acquittement et 11 en faveur de la condamnation. Ferdinand von Schirach a évidemment écrit deux sentences. C’est celle de l’acquittement qui a le plus souvent été lue (à 92 %) dans les 28 pays du monde où la pièce a été jouée. Avignon, où la compagnie présentera sa pièce au Théâtre 11 dans le off tout le mois de juillet, ne fera sans doute pas exception.   © ZZIIGG   Terreur Mise en scène Michel Burstin, Bruno Rochette, Sylvie Rolland Scénographie et décor Thierry Grand Costumes Elise Guillou Lumière Vincent Tudoce   Avec : Michel Burstin Frédéric Jeannot Céline Martin-Sisteron Bruno Rochette Sylvie Rolland Johanne Thibaut   Durée 1 h 30   Vu en séance professionnelle au Théâtre de Belleville   Tournée : Festival d’Avignon du 7 au 29 juillet 2021 au Théâtre 11 Théâtre de Belleville en septembre 2021 La Rue les Arts à Villecresnes en janvier 2022 L’Espace Sorano à Vincennes en janvier 2022        Read More →
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Exit, Stéphane Laporte et Gaétan Borg, mis en scène par Patrick Alluin et Gaétan Borg, Théâtre de la Huchette
  © Fabienne Rappeneau   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Exit est une comédie musicale sur le papier assez improbable. Sybille (excellente Marina Pangos) scénariste de jeux vidéo, est en couple depuis 7 ans avec Antoine (attachant Simon Heulle), éternel adolescent, qui les produit. A la recherche d’un graphiste, elle travaille sur son nouveau projet avec Mark (séduisant Harold Savary), citoyen britannique, posé et cultivé, qui lui redonne confiance en ses aspirations plus intellectuelles que ce qu’Anachronia l’autorise à créer (des scénarios pseudo historico-déjantés comme « Marie Curie super radium »). Sur fond de campagne pour le Brexit (avec de vrais extraits audio de David Cameron, mais aussi dialogue fictif avec Boris Johnson), de traversées de la Manche en Eurostar (et les délices des conversations téléphoniques dans le tunnel), de pilotes de jeux vidéos chantés en empruntant tous les styles (oriental, slam, opérette…) du temps qui passe dans un couple et des directions nouvelles que chacun prend, le nouveau projet de Sybille centré sur la vie exceptionnelle d’Aliénor d’Aquitaine (successivement Reine de France avec Louis VII et Reine d’Angleterre avec Henri II) sert de transposition au progressif balancement de son cœur entre la France et le Royaume-Uni. En dépit de son intérêt pour les comédies musicales et le Brexit, l’auteur de ces lignes peu friande des comédies de mœurs, n’a pourtant pas mis très longtemps à sourire, puis à franchement rire. Contre toute attente, une alchimie improbable se créé très rapidement. Cela fonctionne si bien car au-delà des apparences, le texte est d’une grande finesse sur le fond, drôle le plus souvent, très bien joué et assez bien chanté, inventif et enlevé sur le plan de la mise en scène. Sur le petit plateau de ce théâtre de la Huchette qu’on aime tant, les auteurs-metteurs en scène ont réalisé des prouesses pour nous transporter toutes les 10 minutes dans un univers différent : l’appartement de Sybille et Antoine, le bureau et l’appartement de Mark à Londres, l’Eurostar, et les jeux vidéos (notamment l’hilarante ouverture avec « Marie Antoinette et les moutons Danton » où le comédien interagit avec une bande vidéo au-dessus de lui). Sur le fond, la question centrale est celle du choix. Sortir ou ne pas sortir de l’Union européenne, café latte ou serré, rester dans son couple par habitude mais renoncement ou donner suite à « un mot (peut-être) dit trop tôt ». Sybille pour la première fois fait un choix, que nous ne divulguerons pas pour laisser tout le plaisir de l’attente et de la découverte aux spectateurs à venir. Une belle soirée entre amis. Ou seul(e), c’est très bien aussi…     © Fabienne Rappeneau   Exit Mise en scène Patrick Alluin Assistant à la mise en scène Gaétan Borg Compositeur Didier Bailly Costumes Julia Allègre Lumière Laurent Béal Chorégraphie Mariejo Buffon Arrangements musicaux Jérémy Branger, Marie-Anne Favreau, Paul Cépède Animation et projection vidéo Stéphane Gérard   Exit Mise en scène Patrick Alluin Assistant à la mise en scène Gaétan Borg Compositeur Didier Bailly Costumes Julia Allègre Lumière Laurent Béal Chorégraphie Mariejo Buffon Arrangements musicaux Jérémy Branger, Marie-Anne Favreau, Paul Cépède Animation et projections vidéo Stéphane Gérard   Avec : Harold Savary, Marina Pangos, Simon Heulle   Durée 1 h 35 Du mercredi au vendredi 21 h 10, samedi et dimanche 15 h   Exit Théâtre de la Huchette 23 rue de la Huchette, 75005 Paris www.theatre-huchette.com      Read More →
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Stallone, de Fabien Gorgeart, Clothilde Hesme et Pascal Sangla, au Théâtre des Célestins, Lyon
  © Huma Rosentalski   ƒƒƒ article de Victoria Fourel C’est l’histoire de Lise. Lise a une vie tranquille, bien réglée et sans ambition. Une vie transformée, retournée par Rocky III. Oui, une vie changée par Sylvester Stallone. Subjuguée par le grand écran, elle remet tout en cause, change tout. Cette nouvelle, et ce spectacle, c’est une toute petite histoire de vie. Enfin, à l’échelle de Lise, le personnage principal, c’est un chamboulement total, mais il n’est ni question d’héroïsme, ni de grandes aventures. Il est seulement question de la force des images que l’on croise, du besoin des rencontres, mêmes virtuelles, que l’on fait. Et des transformations que l’on est capable de mener sur sa propre existence. C’est une histoire ordinaire mais si lumineuse, si tendre, si facile à penser. Et finalement très surprenante. Une grande poésie règne, et nous amène à chercher ceux et celles qui dans nos parcours, ont laissé leurs empreintes sur nos vies, comme Stallone sur celle de Lise. Le texte est livré au micro, conservant la qualité littéraire, et un aspect conté tout au long du spectacle. C’est sur le rythme et sur le son que joue cette mise en scène, proposant une immersion dans la nouvelle, une discussion, presque, avec la comédienne et le musicien. Cela convient complètement à Clothilde Hesme, qui pose, technique, le texte, avec une sincérité désarmante, quelque chose de très jeune, très innocent. Comme si Lise était elle-même surprise en permanence de sa propre trajectoire. Jouer le juvénile n’est pas toujours bien vu, et n’est pas toujours aisé non plus. Ici, c’est très bien fait, et cela correspond à une forme scénique légère, mobile. On apprécie l’utilisation du son au théâtre, ces dernières années, qui devient acteur au plateau, et plus seulement figurant en coulisses. Pascal Sangla est musicien, arrangeur en direct, et comédien, aussi. Sa présence, parfois séduisante, parfois hilarante, parfois très carrée, soutient Clothilde Hesme, apporte une atmosphère, et crée le rythme, si important à ce type de spectacle. Au final, on se fait la réflexion, que l’on pourrait écouter ce spectacle au casque, ou en podcast. Malgré une apparente simplicité, il a de nombreux niveaux de lecture et fait travailler notre imaginaire. On rit, parce qu’un petit décalage navigue dans cette histoire. On est touché, parce que c’est une vie que l’on connaît ou que l’on a vécue. On est bercé, parce que la musique est omniprésente et si bien menée. Cela nous conforte dans l’idée qu’un excellent texte, avec une belle idée inattendue, une comédienne technique et une ambiance très écrite suffisent à un spectacle parfaitement juste.   © Huma Rosentalski   Stallone d’après Stallone, d’Emmanuelle Bernheim De Fabien Gorgeart, Clothilde Hesme et Pascal Sangla   Création sonore et music live Pascal Sangla Lumière Thomas Veyssière Assistanat à la mise en scène Aurélie Barrin Avec Clothilde Hesme et Pascal Sangla     Du 3 au 12 juin 2021 Le 3 juin à 18 h 30, les 4 et 5 à 19 h, le 6 à 16 h 30, le 8 à 18 h 30 et du 9 au 12 à 20 h 30.     Théâtre des Célestins 4 rue Charles Dullin 69002 LYON Réservation au 04 72 77 40 40 www.theatredescelestins.com      Read More →
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Maîtres anciens, de Thomas Bernhard, mise en scène d’Éric Didry, Théâtre de la Bastille
  © Jean-Louis Fernandez   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Jubilatoire performance de Nicolas Bouchaud ! Dans Maîtres anciens de Thomas Bernhard toute la démesure de l’acteur éclate magistralement. Reger, vieux critique musical assis sur une banquette du musée de L’Histoire de l’Art de Vienne devant une toile de Tintoret, tous les deux jours depuis trente ans, attend son ami philosophe Atzbacher. Pourquoi, on le saura à la fin et là on ne dira rien, la surprise étant de taille. Entre-temps c’est à nous qu’il s’adresse, directement. Et c’est un exercice de détestations grandiose, de misanthropie absolue. Reger voue aux gémonies la musique, particulièrement le « kitsch » de Beethoven, la peinture et la vénalité des peintres de commande dont il souligne les défauts des tableaux, les professeurs qui vous dégoûtent à jamais de l’art, les philosophe dont Heidegger particulièrement et dont la description est au vitriol, la littérature avec Stifter en tête de turc, l’état, les politiciens, la religion catholique qui envahit tout, la famille… L’Autriche jamais vraiment dénazifiée. Rien n’échappe à son dégoût, tout est « répugnant ». Et au milieu de tout ça, l’évocation douloureuse d’un deuil, d’un unique amour, comme une bouffée d’air dans cette acrimonie. Une pensée paradoxale pour le moins ; malgré tout on ne peut se passer malgré tout de l’objet de sa haine… Un humour grinçant, crissant comme une craie sur de l’ardoise, franchement hilarant (le roman est sous-titré « Comédie »), c’est un jeu de massacre de haute volée, d’une liberté totale. Thomas Bernhard explose de rage, une rage obsessionnelle, martelée. Reger dispense sa parole, exécute sans sommation, véritable logorrhée, flot continu où les idées atrabilaires se chevauchent au galop, porté par Nicolas Bouchaud avec une intelligence et un souffle impressionnant. Pas de colère mais une assurance, un calme trompeur, juste quelques éclats de voix aussitôt maîtrisés et jamais attendues, du moins certes pas là où on l’aurait cru. Nicolas Bouchaud soliloque en virtuose, prend le texte à bras le corps, en extrait toute la saveur, les pleins et les déliés, en révèle sa dynamique, ses tensions contradictoires, loin de l’invective stérile. Du grand art mené tambour battant. Car le roman de Thomas Bernhard ne se réduit pas à ça, une diatribe véhémente. Et Nicolas Bouchaud évite avec justesse le piège de l’imprécation, de la haine recuite. Évitant le contre-sens. Il y a quelque chose de très physique dans l’appréhension de cette parole tranchante et vive. Nous ne sommes pas très loin du burlesque, de la farce… Mais tout au bord avec ce qu’il faut de distance, voire d’ironie, pour ne pas y sombrer. Avec ça quelque trouvailles scéniques explosives. Après tout Thomas Bernhard dynamite le monde de l’art, autant le prendre à la lettre… Le tour de force de Nicolas Bouchaud est de ne pas se laisser enfermer dans ce discours volontairement provocateur, un faux-nez à vrai dire, et de laisser, ici et là, des ouvertures, de sacrés appels d’air où la parole prend alors un tout autre sens, à rebours de ce qui est énoncé si vertement. C’est toute l’ambiguïté de Reger, et de Thomas Bernhard, de dénoncer et de ne pas pouvoir faire autrement que de vivre avec cet héritage donné. Après tout Reger est aussi un critique musical. Et de cet héritage culturel, politique si vilipendé, il en a aussi sa part. Et cette part là il ne l’exclue pas. Sa liberté est de l’accepter, de la refuser, de la dénoncer. Et c’est donc cette liberté frondeuse en filigrane que Nicolas Bouchaud met en avant formidablement. Il y a une certaine distance envers la misanthropie de son personnage que la fin, véritable pied-de-nez, nous n’en dirons rien, du moins pas plus, éclaire d’un nouveau jour. Et que l’épreuve du deuil, la perte de son épouse, sans doute le cœur du roman, déjà ébréchait. Alors oui ce n’est pas tant un exercice de détestation, un chamboule-tout mordant et libératoire auquel nous assistons avec gourmandise qu’une réflexion profonde sur un héritage détesté et encombrant et la revendication d’une liberté et le refus du déterminisme.     Maîtres anciens de Thomas Bernhard Mise en scène d’Éric Didry Un projet de et avec Nicolas Bouchaud Adaptation  Nicolas Bouchaud, Éric Didry et Véronique Timsit Collaboration artistique  Véronique Timsit Traduction française  Gilberte Lambrichs publiées aux Editions Gallimard Scénographie  Élise Capdenat, Pia de Compiègne Lumière  Philippe Berthomé Son  Manuel Coursin Régie générale  Ronan Cahoreau-Gallier   Du 9 au 30 juin 2021 à 20 h 30 Relâche le dimanche et les 17, 18, 19  et 21 juin     Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Réservations 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com    Read More →
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Eurydice aux enfers, Gwendoline Destremau, mis en scène par Gwendoline Destremau, Espace Saint Jo de Clamart
  © Lucie Langlois   ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Eurydice aux enfers présenté en mai à la presse et aux professionnels à l’Espace Saint Jo à Clamart, par la Compagnie de l’Eau qui Dort, revient sur le mythe d’Orphée et Eurydice qui a déjà suscité tant d’adaptations et de variations. On est très loin de Virgile et d’Ovide, de Gluck et même de Cocteau. Gwendoline Destremau inverse le conte. C’est Eurydice qui va chercher Orphée aux Enfers. Et c’est une Eurydice des temps modernes, une femme moderne même, qui ne s’en laisse pas conter. Ni par son amoureux, Orphée, qui s’est laissé aller une fois condamné par la maladie ; ni par les Enfers et ses gardiens, les affrontant un à un jusqu’à sa confrontation avec la Mort elle-même car « Eurydice refuse la mort » et la Mort voudrait sentir la vie, avec un cœur qui bat et fait souffrir. Sa descente aux Enfers volontaire, où Eurydice parvient après avoir creusé la croute terrestre, a pour objectif premier de ramener Orphée, mais c’est surtout un moyen pour elle, face aux épreuves, d’être consciente de sa résilience. Elle ne sauvera pas Orphée, qui ne l’a jamais voulu vraiment, ni vivant, ni mort, mais elle se trouvera elle, en dépit de sa douleur, de cet amour perdu, grâce à cette pulsion de vie qui l’a toujours animée. Dans son Eurydice aux enfers Gwendoline Destremau chante un hymne à la vie, et aux êtres qui la choisissent face à la mort ou à ce qui y ressemble, c’est-à-dire des existences vécues à moitié, à côté, par renoncement ou épuisement ou même tempérament. Le message pourrait être encore plus puissant si le texte comme la mise en scène ne donnaient pas l’impression d’hésiter entre des registres différents. La force de certaines formules n’exclut pas l’humour, mais par moments le texte s’essouffle et n’est pas toujours soutenu par la mise en scène. Le grotesque ou le burlesque peuvent convaincre, comme la scène au cours de laquelle Eurydice s’arrache les yeux pour que Caron la laisse entrer ou encore celle au cours de laquelle une certaine Emma supplie Cerbère de la laisser remonter, mais finit par lâcher prise et accepter de traverser le Léthé, quand sa vie – peu glorieuse – si elle n’avait pas eu un accident de la route, lui est contée. Le ralentissement des battements du cœur avec la musique créée sur le plateau est une idée peut-être banale, mais bien réalisée. Les scènes de flash-back sont également intéressantes. En revanche, ne séduisent vraiment pas les dialogues avec le garçon d’ascenseur faisant passer toutes les étapes de la descente aux enfers à Eurydice et certaines scènes comme celle des créatures rampantes dévorant les cadavres, dont on n’a pas compris si elles représentaient de manière allégorique les Furies ou autre chose. Reste qu’Eurydice aux enfers offre une belle proposition métaphorique que les comédiens de la Compagnie de l’Eau qui Dort portent avec conviction et énergie pour valoriser cette Eurydice « qui a foutu le bordel dans les enfers » en donnant les moyens à Caron d’explorer le monde et donc de ne plus compter les morts, mais en refusant à la Mort son cœur dont elle a besoin « pour tous les amants qu’elle n’a pas encore eus », et ressentir la simple fortune d’être vivante.   © Lucie Langlois     Eurydice aux enfers Mise en scène Gwendoline Destremau Musique Tom Mihaileanu Costumes Maxence Rapetti-Mauss Création lumière Louise Bouchez   Avec : Pierre-Louis Gastinel Emilie Bouyssou Tom Berenger Louise Herrero   Durée 1 h 15   Vu en séance professionnelle au : Espace Saint Jo 54 Rue du Moulin de Pierre, 92140 Clamart   Samedi 19 juin 2021 à 19 h Et nouvelles dates à partir du 11 septembre 2021      Read More →
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