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Terreur, Ferdinand von Schirach, mis en scène par Michel Burstin, Bruno Rochette, Sylvie Rolland, Théâtre de Belleville

Juin 08, 2021 | Commentaires fermés sur Terreur, Ferdinand von Schirach, mis en scène par Michel Burstin, Bruno Rochette, Sylvie Rolland, Théâtre de Belleville

 © ZZIIGG

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Terreur est la seule pièce écrite à ce jour par Ferdinand von Schirach, avocat pénaliste allemand qui a commencé par publier des nouvelles (Crimes, Coupables), puis a connu un succès mondial (et des prix) avec son roman L’affaire Collini. L’auteur s’inspire dans toute son œuvre d’affaires réelles, qui servent de matière première à des réflexions politiques, éthiques, et philosophiques.

Terreur est un procès fictif dont les spectateurs sont les jurés. Ils doivent juger le pilote de chasse Lars Koch qui a abattu un avion de ligne et causé la mort de 164 passagers, alors qu’un terroriste menaçait de le faire écraser sur un stade de 70 000 spectateurs. Or, Lars/Laura Koch n’avait pas reçu l’ordre d’abattre l’avion. Le pilote a pris cette décision seul et sa motivation s’opposait sur le fond à une décision (réelle) du Tribunal constitutionnel allemand ayant jugé qu’il est « contraire à la Constitution de tuer des personnes innocentes pour sauver d’autres personnes innocentes » et qu’il aurait dû en tout état de cause respecter en tant que dépositaire de la force publique.

Dans sa création française, la compagnie Hercub’ a changé plusieurs choses par rapport au texte publié en 2015 (et en 2017 à L’Arche en français) de von Schirach. Tout d’abord l’âge et le genre de l’accusé ont été modifiés (Lars, 49 ans devient Laura, 45 ans interprétée par l’excellente Céline Martin-Sisteron), ce qui peut interroger sur l’impact que cela pourrait avoir sur le vote. Ensuite, la date (2020 au lieu de 2013). Enfin, des coupes assez nombreuses ont été faites dans le texte, ainsi que certains redécoupages, ce qui permet de faire tenir la pièce, sans rien perdre de l’essentiel, dans un format d’une heure trente. Les choix sont dans la majorité extrêmement pertinents et permettent sans prendre le risque d’ennuyer le public (non juriste) de rester au cœur des questionnements dans lesquels souhaite nous placer von Schirach : la responsabilité, l’intime conviction, la vérité, le Bien et le Mal, la raison d’Etat, l’Etat de droit, le droit de désobéissance, la morale, la dignité de l’homme, la Justice. Et au final, il nous place devant notre conscience : « Y-a-t-il des situations dans notre vie dans lesquelles il est juste, raisonnable et judicieux, de tuer un être humain ? Et davantage encore : dans lesquelles ne pas le faire serait absurde et inhumain ? » (Acte I) ou : « Avons-nous le droit de sacrifier des innocents pour sauver d’autres innocents ? » (Acte II).

La démonstration de la procureure (en particulier sur le choix de ne pas faire évacuer le stade à temps), tout comme la plaidoirie de l’avocat viennent bouleverser les certitudes éventuelles de leurs auditeurs d’un soir.

La scénographie et la mise en scène sont réduites au strict minimum. Le président est juché sur une chaise et table hautes à jardin, la procureure assise à une table normale à cour, l’avocat et l’accusée en retrait derrière elle. Le régisseur est également sur le plateau et le dessinateur de presse Zziigg juste devant, qui croque, comme dans un véritable procès où les caméras sont interdites, les différents protagonistes. Un témoin (Mme Meiser, qui est aussi partie civile) est assis parmi les spectateurs qui le découvrent au bout d’une heure quand il est appelé à la barre. C’est la seule surprise véritable de la mise en scène (avec celle qui est de faire dire le début de l’Acte I au président à l’extérieur du théâtre avant que les spectateurs n’y entrent). Certes le texte de von Schirach mérite à lui seul le déplacement et on sait gré à la compagnie Hercub’ de le monter pour la première fois en France, après avoir créé un autre texte puissant (Espace Vital de Israel Horovitz).

Au bout de plus d’une heure de représentation, les spectateurs sont invités à se prononcer en glissant un dé (pour rappeler que l’on joue la vie d’un être humain ?) dans la case Acquittement ou Condamnation d’une urne noire, qui Covid oblige est déplacée par une comédienne, alors que le metteur en scène avait prévu un autre mode de vote (proche de celui à la Chambre des communes britannique par deux portes différentes selon le sens du vote) qui nécessiterait un déplacement physique des spectateurs. Le Président décompte les dés, annonce le résultat et prononce le verdict. Si bien que dans chaque salle où se joue la pièce, des résultats différents sont attendus. Ce jour-là à Belleville, 17 votes étaient en faveur de l’acquittement et 11 en faveur de la condamnation.

Ferdinand von Schirach a évidemment écrit deux sentences. C’est celle de l’acquittement qui a le plus souvent été lue (à 92 %) dans les 28 pays du monde où la pièce a été jouée.

Avignon, où la compagnie présentera sa pièce au Théâtre 11 dans le off tout le mois de juillet, ne fera sans doute pas exception.

 

© ZZIIGG

 

Terreur

Mise en scène Michel Burstin, Bruno Rochette, Sylvie Rolland

Scénographie et décor Thierry Grand

Costumes Elise Guillou

Lumière Vincent Tudoce

 

Avec :

Michel Burstin

Frédéric Jeannot

Céline Martin-Sisteron

Bruno Rochette

Sylvie Rolland

Johanne Thibaut

 

Durée 1 h 30

 

Vu en séance professionnelle au Théâtre de Belleville

 

Tournée :

Festival d’Avignon du 7 au 29 juillet 2021 au Théâtre 11

Théâtre de Belleville en septembre 2021

La Rue les Arts à Villecresnes en janvier 2022

L’Espace Sorano à Vincennes en janvier 2022

 

 

 

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