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C’est la vie, de Mohamed El Khatib, au Théâtre de Choisy-le-roi, Festival d’automne

Juin 10, 2021 | Commentaires fermés sur C’est la vie, de Mohamed El Khatib, au Théâtre de Choisy-le-roi, Festival d’automne

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Pour qui perd ses parents il existe dans la langue française le mot orphelin. Pour qui perd un enfant, il n’y a rien. Un vide sémantique comme si justement une telle expérience ne pouvait avoir de définition, être représentée, n’être que de l’ordre de l’innommable. Et c’est dans ce vide sémantique que s’engouffre avec beaucoup de tact et d’humour – celui du désespoir ? – Mohamed El Khatib qui après Finir en beauté, pièce intime sur la perte de sa mère, poursuit une réflexion sur l’impossible du deuil. Il n’y a que l’hébreu et l’arabe qui donne un nom, d’une poésie délicate, pour nommer cet impensé : Shakoul, « l’ourse à qui on a pris ses petits », et Takal, « dont on a coupé les bourgeons ». Et cette ourse et ce rameau ils sont là, sur le plateau. Deux comédiens qui ont vécu la perte d’un enfant. Fanny Catel et Daniel Kenigsberg. Comédiens de profession, ils brouillent ici le rapport entre la fiction et la réalité. Interprètes de leur propre expérience, de leur vie, à la fois sujets et objets d’une fiction théâtrale dont ils sont la source. Chacun raconte avec autant de douce impudeur que de délicatesse la perte, la déchirure irréparable. L’émotion est là, palpable, qui affleure mais tenue à bonne distance par l’humour de ces deux parents endeuillés qui ont accepté de se mettre à nu, de mettre à nu leur douleur. Daniel Kenigsberg prévient d’emblée que ce n’est pas toujours facile de maintenir cette souffrance encore vive à distance sur le plateau, quand le théâtre rattrape la réalité. Lui qui a joué dans Andromaque le rôle de Phoenix, restituant la mort d’Astyanax jeté du haut des remparts de Troie, alors même que son fils deux semaines plutôt se jetait dans le vide. Deux semaines n’est pas tout à fait exacte, cela relève de la fiction, mais un mois plus tard exactement comme il le précise dans le guide pratique qui porte le titre éponyme de la pièce. Ce guide indispensable, distribué à chacun des spectateurs et qui explique toute la genèse de la pièce, donne ainsi quelques éléments clefs, les matériaux utilisés, les e-mails échangés et surtout dépouille la fiction relative se jouant sur la scène de certains éléments replacés dans ce livret dans leur contexte originale, leur vérité factuelle et non plus théâtrale. Un fact-cheking où l’on découvre que la réalité est ainsi devenue support d’une matière fictionnelle et documentaire, ambiguïté volontaire et propre au travail de Mohamed El Khatib et dont il joue avec maîtrise et sans tricher. On glisse ainsi de l’intime à l’universel. Or donc ces deux sur le plateau nu sont-ils comédiens ou des parents ayant vécu la perte d’un enfant ? Les deux, certainement, mais là, devant nous, comment l’abordent-ils cette création singulière et sensible qui parfois sous la houlette de son auteur, s’accommode avec leur expérience, arrangements qu’ils ont peu ou prou acceptés ? Fanny Catel apporte une réponse définitive. « (…) Je me rends bien compte que ma qualité d’actrice ne peut rien à l’affaire, et que ma principale qualité pour ce projet est d’avoir perdu mon enfant. Mon ego d’actrice était relativement stabilisé, quand même ça fout un peu les boules, alors je me console en me disant que toutes les actrices qui ont perdu un enfant ne le ferait pas aussi bien que moi : pas le fait de perdre un enfant, ça tu te démerdes comme tu peux, mais pour porter cette parole à la scène (…) ». C’est précisément ce balancement, ce frottement qui donne tout le poids et la fragilité de cette création, son recul nécessaire pour ne jamais tomber dans la vulgarité, le pathos et le voyeurisme. La théâtralité comme garde-fou. Encore une fois c’est sur certains détails, même crus, voir insoutenables, comme l’agonie et la mort de la petite Joséphine, l’enfant de Fanny Catel, que Mohamed El Khatib s’attache, de menus faits, vagues annonciatrices d’un séisme, qui révèle tout incidemment et soudainement l’irréparable et la cruauté, la douleur de la perte définitive. Ce ne sont pas des parents-courages mais des êtres pris malgré eux dans une tourmente intime et violente dont on ne se relève pas. Ils font avec, comme ils le peuvent. On raconte des blagues juives comme Daniel Kenigsberg, qui n’en manque pas, ou on s’en tient strictement, voir froidement aux faits, malgré le sourire dont elle ne se dépare pas, comme Fanny Catel. C’est la vie, oui, mais comme l’écrit Fanny Catel, « Après la mort de Joséphine, moi, personne ne m’a dit « c’est la vie »… Dommage, ça m’aurait peut-être fait du bien de foutre mon poing dans la gueule de quelqu’un ! »

 

C’est la vie, une fiction documentaire du collectif Zirlib
Texte et conception  Mohamed El Kathib

Avec Fanny Catel et Daniel Kenigsberg

Réalisation sonore  Fred Hocké, Mohamed El Khatib
Environnement sonore  Nicolas Jorio
Collaboration artistique  Alain Cavalier
Psycho généalogie  Bruno Clavier

Du 16 et 17 juin 2021

Théâtre de Choisy-le-Roi – Scène conventionnée d’Intérêt National Art et création pour la Diversité Linguistique

Réservations 
Billetterie : +33 1 53 45 17 17

www.festival-automne.com

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