Kevin, de Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, Compagnie Chantal et Bernadette, au Théâtre du Rond-Point
    © J. Van Belle – WBI  ƒ Article de Hoël  Le Corre  Kevin, ce pourrait Dylan, Jordan, Assia ou encore Mohammed. A l’inverse d’Apolline, Joséphine et Augustin, Kevin aura statistiquement plus de risques de ne pas obtenir de mention au Bac et d’être orienté vers les filières technologiques, bref, d’être « en échec scolaire ». Sauf que… Sauf que ce Kevin n’est pas un élève en particulier, c’est une moyenne, une figure sociologique, une métaphore de l’élève moyen. C’est son parcours qu’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron décortiquent à l’aide de courbes et de schémas. Pendant 1h15, cette pièce de théâtre documentaire porte un regard sur le système scolaire français. Ces deux anciens professeurs sont bien placés pour parler d’un milieu qu’ils ont eux-mêmes côtoyé, en agrémentant les études sociologiques de leurs propres expériences et de leurs auto-critiques. Et leur constat est sans appel : non seulement l’égalité des chances serait un mythe, mais en plus, la mission éducative des professeurs n’aurait pas tellement évolué depuis 400 ans !  Selon eux, l’école aurait pour but de trier les élèves en trois catégories : les meilleurs, le ventre mou, et les « perdus ». Et malgré les discours politiques et les rêves pédagogiques d’égalité, les élèves n’auraient pas tellement le choix d’entrer dans les bonnes ou les mauvaises écoles, et ce dès le collège… Loin d’être défaitiste ou moralisateur, Kevin nous détaille ce dont nous nous doutions, avec une pincée d’humour. Malheureusement, si la répétition des notions peut aider la pédagogie, ici, le manque de théâtralité rend ce spectacle assez didactique malgré la participation d’un public plutôt acquis à la cause.  Même si nous passons un relativement bon moment, nous avons plus l’impression d’avoir été conviés à un cours du soir qu’à un spectacle.   © J. Van Belle – WBI   Kevin, conception et écriture : Arnaud Hoedt, Jérôme Piron Mise en scène : Arnaud Hoedt, Jérôme Piron, Antoine Defoort, Clément Thirion Avec : Arnaud Hoedt, Jérôme Piron, Kevin Matagne Création vidéo, décors et accessoires : Kevin Matagne Régie générale et direction technique : Charlotte Plissart Conseils techniques et programmation : Nico Callandt Assistanat : Marcelline Lejeune Du 23 avril au 11 mai 2024 Du lundi au vendredi à 19h30 Le samedi à 18h30 Le dimanche à 15h30 Durée : 1h15   Théâtre du Rond-Point 2bis av Franklin D. Roosevelt 75008 Paris Réservations : 01 44 95 98 00    Read More →
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YAKAMOZ, co-mise en scène de Benjamin Migneco et Arthur Baratin, Théâtre des Clochards Célestes, Lyon
  © Deniz Türkmen ƒ article de Paul Vermersch Yakamoz en turc est une créature marine unicellulaire qui émet de la lumière lorsqu’elle est stimulée. La proposition attrape immédiatement par son aspect plastique immersif : on entre dans la pénombre de la petite salle des Clochards Célestes et tout de suite le plaisir de pénétrer quelque part ailleurs, l’odeur d’humidité, on entre déjà dans la fiction. Une fable sans parole ou presque, qui raconte en un peu plus d’une heure la découverte par deux hommes d’un lieu clos hybride (à mi-chemin entre la grotte, et l’abris sous-terrain inondé). Au fur et à mesure que les deux personnages semblent avancer dans une quête dont l’objet reste plus ou moins vague tout au long du spectacle, le lieu se transforme et les objets sur le plateau redessinent de nouveaux espaces dans une atmosphère postapocalyptique. L’aspect qui séduit le plus dans la proposition est pour moi évidemment son caractère immersif. Une scénographie très opérante dans ce qu’elle dit d’un lieu abandonné, des restes qui y ont été laissés, on perçoit très bien la dimension dystopique du propos, jusqu’au sol recouvert d’eau, le geste est abouti et assez radical. Les lumières tamisées qui forcent parfois à tirer l’œil, une création son qui reprend les codes de la grotte, qui propose des textures expérimentales avec une composition ambient, des personnages qui rentrent dans le dispositif avec des lampes frontales, on se raconte déjà le bunker abandonné, la situation apparaît clairement, et c’est assez joyeux. La théâtralité choisie est celle du cartoon, du gag, le jeu est épais et assez jouissif, les interprètes libres dans une forme grotesque, assumée, vivante : beaucoup de plaisir à regarder les figures se dessiner et à évoluer dans l’intrigue. La forme explore pendant un moment cet espace fermé, mais la proposition se brouille rapidement. Les personnages essaient de sortir, échouent, s’endorment, puis comprennent qu’ils peuvent, en réalité, changer le lieu d’eux-mêmes en ré-agençant la scénographie. On passe alors sur un bateau, sur une mer agitée, dont ils manquent de tomber, puis encore un espace hybride pour finir ensuite sur la Lune ? Dans une atmosphère spatiale en tous cas. On aimerait pouvoir s’imaginer dans leur espace mental, on aimerait pouvoir se raconter une petite histoire à soi en fonction de ce que l’on perçoit au plateau mais justement ce que l’on voit sur scène, ce sont des signes très précis, qui ont l’air de faire sens en provoquant la progression de la fable, tout en restant peu clair pour le public. Au plateau, les efforts sont très grands pour figurer les nouveaux espaces, les modalités de passages d’un lieu à l’autre, comme s’il fallait que le public comprenne quand même. On saisit donc vaguement la progression de l’intrigue, mais finalement le choix d’un jeu muet ou en gromelots finit par desservir un peu la proposition. Malgré l’accumulation des signes sur scène et la volonté très nette qui tente de nous exposer la situation, elle demeure opaque. Sur la plaquette la compagnie explique vouloir créer une forme qui permette à « chacun.e de se raconter sa propre histoire ». Que la forme raconte avec humour, par le grotesque, le gag, une situation très extrême c’est-à-dire deux hommes enfermés dans un climat visiblement de catastrophe, apparaît comme un projet loufoque et très excitant mais cette dimension « évocatrice » de la fable n’opère pas vraiment, au contraire, la précision de ce qui advient au plateau (qui va plus ou moins nécessairement de pair avec la théâtralité choisie) ramène à une réalité très concrète que le public est davantage amené à déchiffrer plutôt qu’à inventer, et c’est dans ce déchiffrement parfois difficile que finalement on perd un peu de vue le projet poétique.   © Deniz Türkmen   Yakamoz Conception et jeu : Arthur Baratin et Benjamin Migneco Création sonore : Benjamin Migneco Création lumière : Remy Caillavet   Du 02 au 06 mai 2024 Jeudi, vendredi et lundi : 19h30 Samedi et dimanche : 16h30 Durée 1h10   Séance scolaire : Lundi 6 mai à 14h30     Théâtre des Clochards Célestes 51 rue des Tables Claudiennes 69001 Lyon   Réservation : 04 78 28 34 43 www.clochardscelestes.com      Read More →
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London Bridge, écriture et jeu de Iman Kerroua, mise en scène de Laetitia Gonzalbes, Théâtre de Belleville, Paris
  © Geoffrey Serguier   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette Comment dire… Un sujet terrible, une femme battue, de l’alcool, des enfants spectateurs de tout cela. Peur, éloignement de tous les éléments de notre enfance, normalement positifs qui peuvent nous mettre en place. De London Bridge écrit et joué par Iman Kerroua, on pourrait se dire que ces sujets ont été hélas si souvent vus, revus même, que malgré leur importance, n’est-il pas un peu risqué de se déplacer pour cela ? Vraiment ? Nous allons être baignés dans du mou pointu, avec un peu de sel pour nous faire pleurer à la fin ? N’a-t-on pas mieux à faire ? Non. London Bridge est une petite merveille, que dire de négatif ? Texte, jeu, musique – cette dernière jouée directement sur scène par Dogan Poyraz et que, parfois, on a envie de prendre un peu de temps pour saisir sa façon de faire – bref, London Bridge nous emporte, nous fait réfléchir, rire, du début à la fin, sans que nous ayons envie de regarder ailleurs pour admirer le plafond de la salle, savoir si nous avions donné à manger aux chats ou non. Nous sommes pris, pas écrasés, pris, et admirons tous ces personnages, le père, la mère, les enfants, les instits. Iman Kerroua a été toute petite un de ces enfants. Dans une grande tour entourée d’autres grandes tours, elle a vu sa maman débordée de travail être insultée, battue, par un papa ne semblant avoir aucune habitude de mari ou papa, sauf celle de multiplier les enfants. Pour se sortir de tout cela, Iman Kerroua s’est dirigée vers le milieu financier, ses bagarres et sa violence. Elle s’est installée à Londres avec son diplôme, et a changé toute sa vie. Les bagarres étaient différentes, et plus rentables sans doute, lui permettant aussi de se pencher sur toutes celles qu’elle avait ressenties. Et ce n’est pas un personnage terne et noué allongé sur un canapé et racontant sa vie que nous avons sur scène mais un musicien presque invisible derrière une multitude d’instruments, batteries, triangles, fils étranges, tubes, etc. Puis une femme qui va être elle-même ses frères et sœurs, son père, ses collègues et clients. Cette violence, cette douleur, cette peur qu’elle a su fuir pour se reconstruire. Sur scène ces personnages et ce musicien nous emportent, accumulent les éléments fous d’une histoire simple, ne nous font pas peur, au contraire nous éclatons de rire, très souvent. Tout est rapide, une création passant par le corps, le son, le haut, le bas, tout cela tordu, détendu, étendu. Accumulation de gestes, de pas, comme noués, lancés dans le vide, la danse épousant l’histoire, le drôle s’approchant du terrifiant. Les personnages s’accumulent, nous les voyons, vraiment. Ils nous racontent. Iman Kerroua ne nous fait pas sortir anéantis de London Bridge mais curieusement à la fois le sourire aux lèvres et en pleine réflexion. Une réussite évidente. À aller voir pour ce texte, cette musique, cette danse. Et ce personnage(s). Des moments liés et déliés, s’éloignant, se faisant plus proches, allant et venant comme on dit, nous montrant comment ces enfants ont pu ressentir cette violence faite sur leur mère, sur eux donc. Sur toutes ces années qui les fondent. Bravo donc et London Bridge, ici salvateur, est une alarme, qui nous pousse à l’attention, qui montre aussi que toute cette douleur peut s’épanouir d’autres voies, positives et engageantes. Et sans doute ce spectacle peut-il venir en aide, d’une façon ou d’une autre ?   ©  Geoffrey Serguier     London Bridge, texte et jeu d’Iman Kerroua Mise en scène et création lumière de Laetitia Gonzalbes Création musicale de Laetitia Gonzalbes et Dogan Poyraz Musique live de Dogan Poyraz   Du 2 au 31 mai 2024 Durée 1h20 Les jeudis, vendredis et samedis à 19h Les dimanches à 15h   Théâtre de Belleville 16, passage Piver 75011 Paris   Réservation 01 48 06 72 34 Adresse du site email : www.theatredebelleville.com      Read More →
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L’impresario de Smyrne, de Carlo Goldoni, mise en scène de Laurent Pelly, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet
  © Dominique Breda  ff article de denis Sanglard Venu de Smyrne un marchand turc qui ne connaît rien à la musique, mandaté par ses amis, débarque à Venise pour recruter les meilleurs artistes lyriques et les embarquer pour Istamboul pour y monter un opéra. Agent sans scrupule, poète sans talent, sopranos vaniteuses et rivales, castrat famélique, tous se précipitent, réclament, s’écharpent. Qui sera la Prima Donna ? Quel salaire pour mon talent ? Une guerre d’égo, une foire d’empoigne, un bûcher des vanités qui aura raison du turc lequel laissant à quai ces artistes imbus d’eux-mêmes, repartira seul, en catimini, en Turquie. Une scène inclinée comme un pont de bateau encalminé, une toile de scène poussiéreuse au lointain pour voile, qu’entoure un manteau d’arlequin incliné comme un mât prêt de tomber, c’est Venise et c’est le théâtre réunis en un seul geste scénographique. Sur ces planches blanches vont et viennent, s’agitent, toupillent des silhouettes fébriles et inquiètes vêtues de noir, à l’identique, dans des costumes du XVIIIème revisité, le visage blafard pour masque de comédia dell’ arte. Au lointain du  jardin l’Ensemble baroque Masque, trio emmené par le claveciniste Olivier Fortin qu’accompagnent les violoncellistes Mélisande Corriveau et Arthur Cambreling (en alternance), les violonistes Ugo Gianotti et Paul Monteiro (en alternance), donne un la discret, soulignant les rythmes arythmiques de cette comédie cruelle. Où Goldoni, fin connaisseur d’un milieu qu’il réforma, vivant de près la vie des artistes toujours aux abois, agrège les ambitions et les angoisses d’un milieu soumis aux aléas de commanditaires, de mécènes et protecteurs. Laurent Pelly ne charge pas la barque, au contraire. Il y a quelque chose de doux-amer dans l’appréhension de ces personnages qui les sauve du ridicule de la caricature purement bouffe. Leurs ambitions, leurs exigences, leur arrogance, leur âpreté pécuniaire n’expriment rien d’autre qu’un instinct de survie chevillé devant la précarité de leur condition. Castrat sans le sou, sans contrat, acceptant un salaire au rabais. Chanteuse sans réelle talent prêt à se vendre à un protecteur. Comte impécunieux improvisé agent, escroc, plus Weinstein que Casanova. Diva entre deux âges soumise à la concurrence de la jeunesse. Auteur opportuniste et plagiaire pour combler la béance d’une inspiration asséchée. Sur le plateau c’est une surexcitation devant cette offre inespérée qui voit les jalousies s’exacerber, s’aiguiser les  rivalités devant un turc qui, n’y connaissant rien, il faut duper et gruger. Laurent Pelly orchestre tout ça avec le talent et l’inventivité subtile qu’on lui connaît, ici une épure sèche qui met à nu les rouages et la dynamique de cette comédie, à vif les personnages et les corps toujours impatients. Et dans ce jeu de dupe qui masque à peine leur misère morale et financière, ils sont absolument tous formidables, dirigés au cordeau, Laurent Pelly excellant dans la direction de ses acteurs. Toujours justes jusque dans leur cabotinage outré. Derrière le masque, une humanité. Et celle que tous attendent ici, reconnaissons-le, Nathalie Dessay, qui fut de nombres de productions légendaires à l’Opéra sous la direction de Laurent Pelly, ne se la joue pas plus diva que ça, ce qu’elle ne fit jamais, sauf dans son personnage (Tognina) où elle puise matière dans un milieu qu’elle connaît bien, faisant corps avec la troupe au diapason où visiblement elle jubile dans cette mise en abîme d’un art lyrique qu’elle maîtrise toujours et dont elle se joue avec bonheur. Alors quand elle chante, un seul air d’une poignante mélancolie, sposa, son disprezzata (Irene) de Bajazet, de Vivaldi, le contraste avec son personnage de chanteuse redoutant le déclin et la vieillesse est bouleversant qui résume lapidairement toute la violence de sa condition. Julie Mossay ( Annina) n’est pas en reste, dans cette féroce compétition égotique, cette rivalité à couteau-tiré, et son unique air, stizzoso, mio stizzoso, de La serva padrona, de Pergolese, est un petit bijou d’humour… Malheureusement ni l’une ni l’autre ne sera prima donna, éteignant là leurs ambitions désespérées. Il est curieux par ailleurs que l’heureuse élue, Lucrezia (Jeanne Piponnier, parfaite en petite vipère dévorée d’ambition plus que de voix), est la seule que nous n’entendrons pas chanter. Le choix de l’élue résidant sans doute en d’autres talents… dure réalité dénoncée là par Carlo Goldoni ! Mais tout ce petit monde ne verra jamais la Turquie. Une bourse en dédommagement, captée par le comte, les obligera à faire société, mettre en commun leur talent et taire leur rivalité (provisoirement ?) pour un prochain spectacle. La comedia non e finita !   © Dominique Breda     L’impresario de Smyrne, de Carlo Goldoni, D’après l’imprésario de Smyrne (1759) et Le théâtre comique (1750), traduction et adaptation d’Agathe Mélinand Mise en scène de Laurent Pelly Avec : Nathalie Dessay, Julie Mossay, Jeanne Piponnier, Eddy Letexier, Thomas Condemine, Damien Bigourdan, Antoine Minne, Cyril Collet L’Ensemble baroque Masque dirigé par Olivier Fortin avec : Olivier Fortin, Ugo Gianotti / Paul Monteiro (en alternance) au violon, Mélisande Corriveau / Arthur Cambreling (en alternance) au violoncelle Scénographie : laurent Pelly et Mathieu Delcourt Lumières : Michel Le Borgne Son : Aline Loustalot   Jusqu’au 5 mai 2024 à 20h Samedi 16h et 20h   Athénée Théâtre Louis-Jouvet 2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet 75009 Paris   Réservations : 01 53 05 19 19 www.athenee-theatre.com   Tournée : 22/24 mai 2024 Théâtre de Caen  Read More →
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Une saison de machettes de Jean Hatzfeld, mise en scène de Dominique Lurcel, au théâtre de l’Epée de Bois
© passeursdemémoire   ƒƒ Article de Sylvie Boursier Couper un cou de poulet ou la veine jugulaire d’un homme, quelle différence ?  C’est le premier pas qui coûte, et encore quand la victime est agonisante c’est presque un service à lui rendre. « Pour celui qui est habile au maniement d’un outil, c’est facile de l’utiliser pour toutes les activités, tailler les plantations ou tuer dans les marais ». Les témoignages des génocidaires hutus recueillis par Jean Hatzfeld et mis en scène avec la sobriété qui convient par Dominique Lurcel décrivent sans pathos ni  sadisme une journée de travail ordinaire. On se lève le matin, on embrasse ses proches et on part faire son travail, avec sa machette ou son fusil. Puis on rentre le soir, on embrasse sa femme et ses enfants, on se couche, la vie continue. On fait le job, c’est tout, chacun son rythme « il y a ceux qui chassaient moutonnement, ceux qui chassaient férocement. Ceux qui chassaient lentement parce qu’ils étaient apeurés ; ceux qui chassaient lentement parce qu’ils étaient paresseux ; ceux qui cognaient lentement par méchanceté et ceux qui cognaient vite, pour terminer le programme et pour rentrer plus tôt. » Un million de morts en 3 mois, le résultat est sidérant pour un génocide dit « agricole » comparé aux usines de mort nazies avec 6 millions de juifs exterminés. Même banalité dans les témoignages des employés d’Auschwitch, un ouvrier du camp écrivait à sa famille : « naturellement nous épurons beaucoup, surtout les juifs […] j’ai un appartement confortable […] il ne me manque presque rien, sauf ma femme et mes enfants, ce n’est pas bon d’aimer autant ses enfants » (Myriam Revault d’Allones ce que l’homme fait à l’homme, essai sur le mal politique). Ce spectacle n’en est pas un, il n’interprète pas, n’accuse personne, il fait entendre la voix de frères comme vous et moi, des anonymes ordinaires pris dans une histoire extraordinaire dont ils n’ont pas conscience. Il débute comme une chronique sociale bucolique au cœur d’un paysage campagnard gorgé d’eau, l’aurore aux doigts de rose lustre la rosée des marais de Nyamata, à une trentaine de kilomètres de Kigali. La lumière du plateau ac­compagne la montée progressive de la tension sur un lieu neutre qui rappelle un mur de prison. Un malaise nous saisit à l’écoute d’un récit choral surnaturel relaté le plus naturellement du monde, presque avec douceur, par une bande de copains du même village. Sympathiques ces bourreaux qui ont dépecé 11 000 victimes par jour « sans rien penser », on pourrait leur serrer la main, si on les rencontrait par hasard. Cancrelats, cochons, vermine, Schweine, Stücke, quelles que soit leur lexique les génocidaires européens ou africains ne pourront pas abolir l’appartenance de chacun, bourreau ou victime, à la même espèce « on peut tuer un homme, disait Robert Anthelme mais on ne peut pas le changer en autre chose » ça change tout mais n’empêche rien. Le « devoir de mémoire, plus jamais ça » quelle blague ! Ecoutez leur parole est une épreuve ontologique unique qui laisse des traces avec un gout de moisi dans la bouche. Aujourd’hui le mot génocide est galvaudé, Une saison de machettes, incarné par quatre comédiens justes de bout en bout, montre les mécanismes individuels, collectifs et politiques qui président à une entreprise concertée d’extermination de masse. Votre voisin avec qui vous partagiez les repas de fêtes peut se révéler le plus sanguinaire, quand il est permis de chasser, voilà ce que retiennent les rescapés. In fine le mystère demeure quant au pardon, chacun appréciera.   © passeursdemémoire   Une saison de machettes, récits recueillis par Jean Hatzfeld Adaptation et mise en scène : Dominique Lurcel Lumière : Philippe Lacombe Décor : Gérald Ascargorta Musique : Yves Rousseau Avec : Céline Bothorel, Maï Laiter Omar Mounir Alaoui Tadié Tuéné   Jusqu’au 12 mai 2024 Les jeudi et vendredi à 21h, samedis à 16h30 et 21h, dimanches à 16h 30 Durée : 1h 25   Théâtre de l’Epée de Bois route du champ de manœuvre 75012 Paris Réservation : 0148083972 wwwepeedebois.com Tournée : Maison de l’Etudiant à Nanterre le 14 mai 2024 Théâtre de la Concorde à Paris (anciennement Espace Cardin), 4 représentations à partir du 4 novembre 2024 Théâtre Paul Garcin (Lyon) à partir du 13 novembre 2024, 6 représentations.  Read More →
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Dans ton cœur, un spectacle de la compagnie Akoreacro, mise en scène de Pierre Guillois, au Théâtre du Rond-Point
  © Richard Haughton ff article de Denis Sanglard Dans ton cœur, osmose parfaite et réussie entre le cirque et le théâtre, c’est une scène de ménage où les corps en émoi sont en apesanteur, c’est normal on s’aime – du moins au début -, s’envoient en l’air, qui n’est pas ici qu’une métaphore. Sur le plateau valdinguent les sentiments et la machine à laver – non il n’y pas Isabelle Huppert dans la distribution -, le frigidaire et les amoureux de moins en moins transis, de plus en plus lassés l’un de l’autre. Plus la famille s’agrandit, plus la cuisine prend du volume, plus le linge s’entasse et devient montagne, plus la plante verte pousse haut, plus l’amour rapetisse comme peau de chagrin. Monsieur la trompe bientôt et grimpe au septième ciel, acrobaties érotiques et suggestives dans les cintres avec une drôle de créature sortie d’un cabaret, madame fantasme et prend des bains. Mais tout finira bien, les histoires d’A. ne finissent pas toujours mal. Pierre Guillois, pour mémoire créateur avec Olivier Martin Salvan de Les gros patinent bien, signe une mise en scène jubilatoire et fort drôle pour ces circassiens, acrobates-voltigeurs et trapézistes, de la compagnie Akoreacro. C’est alerte, ça court, ça saute, ça voltige, ça cabriole, ça se chiffonne et se tamponne et ça vole de plus en plus haut. Il y a du slapstick aussi dans tout ça et pour un peu, dés l’ouverture originale de cette création, on se croirait dans l’univers de Jacques Tati mais on reconnaît la patte malicieuse de Pierre Guillois, son sens du gag et du décalage toujours à-propos. Côté cirque c’est impressionnant de maîtrise dans la prise de risque, c’est fichtrement bien pensé dans les enchaînements qui suivent et soulignent les péripéties de notre couple élastiques se déchirant dans un ballet acrobatique et volant étourdissant. Le fil narratif est solide, se tient, se tend, ne se relâche jamais qui ouvre des perspectives insensées et vertigineuse aux numéros qui s’enchaînent avec une cohérence infernale. Un rythme soutenu par un orchestre en direct, joueur et facétieux aussi, et tout aussi déchaîné que ces circassiens plus que doués et d’une énergie sans faille. Dans la salle ça fait des ho et des ha, ça rit aux éclats, ça prend peur, ça tremble, les mirettes sont pleines d’étoiles comme sur ce plateau devenue piste d’un charivari acrobatique et théâtral, où l’effort physique, comme allant de soi, ne se voit même pas. Chapeau bas !   © Richard Haughton   Dans ton cœur, un spectacle de la compagnie Akoreacro Mise en scène de Pierre Guillois Avec : Manon Rouillard, Romain Vigier, Maxime Solé, Basile Narcy, Maxime La Sala, Antonio Segura Lizan, Pedro Consciênsa ou Tom Bruyas, Joan Ramon Graell Gabriel, Stéphane Harisson, Gaël Guelat, Robn Mora, Johan Chauveau Oreilles extérieures : Bertrand Landhauser Assistanat à la mise en scène : Léa de Truchis Costumes et accessoires : Elsa Bourdin Assistée de Juliette Girard, Adélie Antonin Scénographie circassienne : Jani Nuutinen / Circo Aero Assistée d’Alexandre De Dardel   Du 25 avril au 26 mai 2024 Lundi, mercredi, jeudi et vendredi à 20h30 Dimanche 15h Relâche les mardis, les mercredi 1er et 8 mai, jeudi 9 mai, dimanche 19 mai et lundi 20 mai   Théâtre du Rond-Point 2bi avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris   Réservations :01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr    Read More →
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Le jeu des ombres, de Valère Novarina, mise en scène de Jean Bellorini, au Théâtre des Bouffes du Nord
  © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Le jeu des ombres, de Valère Novarina, revisite à sa façon le mythe d’Orphée et d’Eurydice, texte de haut vol qu’il greffe avec les thèmes musicaux de l’Orfeo de Monteverdi. Réécriture à la demande de Jean Bellorini. Rien de dire que c’est un enchantement. Le langage ici est un formidable espace de liberté, d’anarchie poétique, où l’invention et l’érudition caracolent et se carambolent de conserve. Pour Valère Novarina le langage nous est constitutif. Le verbe ici ne se fait pas chair il est notre chair même. « Emettons du sang en langage » dit-il. On ne communique pas chez cet auteur, on poétise comme Monsieur Jourdain fait de la prose. L’essence du langage est dramatique en ce sens qu’il met en branle, porteur de conflits, nos tragédies et détermine notre destin commun. On ne comprend pas toujours tout dans ce qui est énoncé ici, dans cette profusion éruptive, cette logorrhée inflammable et explosive, mais les enjeux au centre de l’œuvre, perforant la réalité et la logique, sont d’une limpide clarté, miraculeusement compréhensible. Parce que la façon dont les comédiens s’emparent de leur partition est tout simplement pharamineuse, du grand art, et c’est miracle de les entendre exprimer la substantifique moëlle de ce texte ô combien ardu et profus avec une si confondante simplicité et de nous le donner à entendre comme s’il n’y avait rien de plus naturel et d’évident.  Bref, comme il est dit avec ce bel oxymore, « Entends ce que tu ne comprends pas ». Dans ce Jeu des ombres pourtant si lumineux, éblouissant, on parle de notre horizon indépassable, la mort. Cette pièce est une méditation, une vanité autour de ce désastre irrésistible. La descente aux enfers n’exprime rien d’autre que le néant de notre condition que l’amour seul et le langage, la poésie pour le dire, peuvent sauver de notre anéantissement. Et Valère Novarina de façon discursive pose la question de Dieu, de son absence ou de sa présence, cette autre sublimation pour tenter de combler le vide existentiel de notre être et le vertige du doute qui assaille. Orphée, mi-dieu mi-homme, triomphe de la mort par son chant mais perd Eurydice parce qu’il doute. Cette pendulation infernale, c’est le destin de tout homme que le langage et sa maîtrise ne sauveront pas de sa fin mais que le verbe rend parfois immortel. Même si « Le langage se déchire pour voir et comme toute chose disparaît une fois dite. » Impermanence de toute chose. Et pourtant rien que de plus joyeux dans cette écriture du désastre. Valère Novarina, entourant Orphée et Eurydice d’une troupe de musiciens et de conteurs, dans ce cabaret existentiel, chante la vie et l’amour à plein verbe. Puisqu’il faut sauver ce qui peut l’être, ces histrions dansant sur un volcan, soufflant sur les braises d’un langage en agonie, prêt de s’éteindre, réaniment sa flamme et crament la scène d’un sacré et vital incendie. Jean Bellorini est un magicien qui donne à entendre ce texte avec une simplicité de moyen radicale et une inventivité sans esbrouffe. Une mise en scène d’une sobriété exemplaire qui jamais, jusque dans sa belle scénographie, ne fait obstacle au texte profus de Valère Novarina, ajouré en contre-point de la partition de Monteverdi. Ce verbe il le pousse en avant, dépouillé de tout apparat inutile. Nulle lourdeur donc mais une légéreté, une apesanteur même, une fluidité et ce texte de passer crème. Bénéficiant d’acteurs investis, plongés en apnée dans ce haut verbe difficultueux, dirigés au cordeau, chorégraphiés même, éclairant par on ne sait quel miracle ce qui nous reste paradoxalement obscur et dont on se contrefiche de ne pas comprendre parce qu’il y a là une partition textuelle et musicale d’une invention folle et phénoménale, d’une poésie incandescente, étourdissante qui vous tourneboule. Un vrai shoot hallucinogène pour qui aime la langue et ses possibles poétiques infinis. Et Jean Bellorini fait de ce texte un vaste terrain de jeu, une drôle et ludique cartographie de nos âmes perdues dans les enfers de nos vies, exprimé par cette langue exclamatoire et jubilatoire secouée en tous sens par Valère Novarina et que Jean Bellorini à raison refuse d’assagir et d’étouffer parce qu’il y là ce qui fait le théâtre, entre ombre et lumière, le verbe et l’éphémère.   © Christophe Raynaud de Lage     Le jeu des ombres, de Valère Novarina Mise en scène de Jean Bellorini Avec : François Deblock, Mathieu Delmonté, Karyl Elgrichi, Anke Engesmann, Aliénor Feix en alternance avec Isabelle Savigny, Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Laurence Mayor, Liza Alegria Ndikita, Marc Plas, Ulrich Verdoni Et : Anthony Caillet (Euphonium), Guilhem Fabre (piano), Barbara Le Liepvre, Benoit Prisset (percussions) Collaboration artistique : Thierry Thieû Niang Scénographie : Jean Bellorini et Luc Muscillo Vidéo : Léo Rossi-Roth Costumes : Macha Makeïeff, assistée de Claudine Crauland Coiffure et maquillage : Cécile Kretschmar Construction des décors, réalisation des costumes : ateliers du TNP Assistanat à la mise en scène : Mélodie-Amy Wallet Musique : extraits de l’Orféo de Claudio Monteverdi, et compositions originales de Sébastien Trouvé, Jérémie Poirier-Quinot, Jean Bellorini et Clément Griffault Direction musicale : Sébastien Trouvé, en collaboration avec Jérémie Poirier-Quinot   Du 25 avril au 5 mai 2024 Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h Relâche le 1er mai   Théâtre des bouffes du Nord 37bis, boulevard de La Chapelle 75010 Paris   Réservations : 01 46 07 34 50 www.bouffesdunord.com      Read More →
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Dom Juan, de Molière, mise en scène de Macha Makeïeff, Odéon - Théâtre de l’Europe, Paris
  © Juliette Parisot   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Visiblement fascinée par les personnages de prédateurs dans le théâtre de Molière (Les Femmes savantes, Tartuffe), Macha Makeïeff s’est attaquée au plus archétypique de tous : Dom Juan. A la solution de facilité de transposition dans le monde contemporain des thématiques touchant aux violences faites aux femmes, elle a choisi plutôt de déplacer son Dom Juan seulement un siècle après le sien, c’est-à-dire dans le XVIIIe de Sade. On pourrait se laisser bercer par sa petite musique, par le confort du visuel scénographique (un décor feutré et chatoyant que Macha Makeïeff signe également, ainsi que des costumes somptueux), par le jeu irréprochable des comédiens, les superbes lumières de Jean Bellorini, autant d’éléments bien huilés qui pourraient presque conduire à l’ennui ceux qui en ont vu des Dom Juan se succéder sur les plateaux, décennies après décennies. Pourtant la proposition de Macha Makeïeff mérite qu’on s’y arrête de plus près car elle est plus subtile. Elle entend présenter le personnage le plus célèbre de Molière comme un homme, qui au-delà des apparences, a perdu de sa superbe. Sans pour autant le faire renoncer à sa consommation effrénée de tout ce qui porte jupon, Dom Juan présente un visage et une gestuelle, qui en dépit de l’espace feutré dans lequel il évolue, est dominé par la contrariété. C’est un homme las et usé, c’est un Dom Juan « empêché » qu’a découvert la metteuse en scène en se replongeant dans le texte, et qu’elle a présenté devant le public de l’Odéon, après l’avoir créé au TNP de Villeurbanne. Le sadisme anachronique de Dom Juan révèle ses paradoxes. Un homme sacrifiant tout sur son passage pour satisfaire sa propre jouissance, mais finissant par se détruire lui-même face aux résistances qui se mettent malgré tout en place et surtout à l’impasse dans laquelle il avance inexorablement. L’unité de lieu de sa chambre illustre bien cette symbolique. L’autre choix délibéré de la metteuse en scène est de s’éloigner de la dimension surnaturelle ou mystique (« le courroux du ciel ») de la condamnation par la statue du Commandeur, non seulement en la détournant (puisque le rôle est joué par une femme), mais surtout en lui donnant, en quelque sorte, un ressort plus psychanalytique en insistant sur le rejet materno-paternel à proprement parler (« la honte de t’avoir fait naître »), condamnation plongeant immanquablement dans l’abîme le héros, dont le rôle a été confié à Xavier Gallais (après Tartuffe notamment). Mais ce qu’il y a de plus intéressant dans ce Dom Juan c’est le regard porté sur les femmes. Macha Makeïeff les fait se redresser et souligne tous les paradoxes et contradictions dans lesquels une femme peut être soumise par la perversité et l’emprise d’un homme. Les tourments d’Elvire (Irina Solano) sont ceux de millions d’autres. En utilisant finement ce personnage de Molière, Macha Makeïeff fait d’Elvire une femme universelle, en s’éloignant de l’imagerie de la simple femme bafouée, rejetant son statut de victime. Elle déculpabilise aux yeux de la société, celle qui certes n’en finit pas de déconstruire et reconstruire l’image de cet homme qu’elle a éperdument aimé, mais a courageusement emprunté le long chemin pour la conduire à l’acceptation de ce qu’il est réellement, un séducteur usant de mécanismes de manipulation, voire de perversité narcissique (culpabilisation, silence, victimisation…). Difficile de ne pas penser au parcours personnel de la metteuse en scène et à celui de milliers d’artistes femmes qui se lèvent, dénoncent et rejettent désormais en conscience toutes les formes de paternalismes et violences, servant ainsi de modèles à toutes les autres.   © Juliette Parisot   Dom Juan, de Molière Mise en scène, décor, costumes : Macha Makeïeff Lumière : Jean Bellorini, assisté d’Olivier Tisseyre Son : Sébastien Trouvé, assisté de Jérémie Tison Maquillages, perruques : Cécile Kretschmar Mouvement : Guillaume Siard Toile peinte : Félix Deschamps Mak Assistante à la mise en scène : Lucile Lacaze Assistante à la scénographie : Nina Coulais Assistante aux costumes : Laura Garnier Assistante aux accessoires : Marine Martin Avec : Xavier Gallais (Dom Juan) ; Vincent Winterhalter (Sganarelle) ; Irina Solano (Elvire, le spectre) ; Pascal Ternisien (Dom Luis, Monsieur Dimanche) ; Jeanne-Marie Lévy (une libertine, musicienne) Xaverine Lefebvre (Charlotte, une libertine, le commandeur) ; Khadija Kouyaté (Mathurine, une libertine) ; Joaquim Fossi (Dom Alfonse, Pierrot) ; Anthony Moudir (Dom Carlos, Gusman)   Durée : 2h30 (sans entracte) Jusqu’au 19 mai 2024, à 20h, les dimanches à 15h    Odéon Théâtre de l’Europe Place de l’Odéon 75006 Paris www.theatre-odeon.eu   Stage de jeu pour personnes entendantes et sourdes / malentendantes Samedi 4 et dimanche 5 mai – Odéon Théâtre de l’Europe Donjuanisme et séduction à l’ère post-‘Me Too’ Séminaire contrepoints en écho au spectacle Mercredi 15 mai à 18h – Odéon Théâtre de l’Europe Rencontre avec Macha Makeïeff et l’équipe artistique Dimanche 28 avril à l’issue de la représentation –Odéon Théâtre de l’Europe    Read More →
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Niki de Saint Phalle vivre !, écriture et mise de scène Juliette Andréa Thierrée, avec Juliette Andréa Thierrée, Studio Hébertot, Paris
  © Alice de Lencquesaing   ƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette Oui, quelques petites choses ne vont pas, ici ou là. Un texte lu, on ne sait pas si cela est voulu, fait partie de la mise en scène ou si la première est difficile et que la mémoire flanche. Ce texte dérape aussi, glisse. Il y a une lutte avec les costumes, qui refusent d’être mis facilement, ou au contraire qui luttent pour rester en place. La lumière découpe Niki de Saint Phalle en deux, pendant assez longtemps, à plusieurs moments. On peut parfois y trouver une éventuelle raison, parfois non, découpage raté. Le pire peut-être ? Une fausse fin : le noir se fait, les applaudissements jaillissent, mais non !!! Pas tout de suite voyons, il faut encore brandir une pancarte, vous l’avez déjà vue, mais bon, c’est comme prévu comme ça, silence, un petit plus de « tartinage », deux fois la pancarte et hop, c’est à vous pour les bravos. Voilà, tout le négatif est dit. Pas grand-chose en fait. Niki de Saint Phalle, vivre ! pour tout le reste, nous transporte, énormément. Nous empêche de prendre le métro tout de suite, une balade fera beaucoup de bien. Juliette Andréa Thierrée accumule les « de », « par » et « avec ». C’est un spectacle entièrement d’elle, oui. Et chapeau bas pour cette sorte de bio vivante de Niki de Saint Phalle. Niki est sur scène et se raconte, s’autobiographie. Elle a gardé une robe ou deux, un sac, une courte veste en autruche, et elle parle, explique, montre. Et dessine, presque. Elle raconte Maman, Papa, ces deux maris, Harry Mathews, oui, à 18 ans, le copain d’enfance, poète, et Jean Tinguely, surtout. les enfants. Difficultés, souffrances ou non. Ce viol, l’inceste. Les tarots. Elle dit pourquoi ces sculptures, leurs formes si vivantes, réelles en fait. Et il faut aussi que nous nous remuons un peu, que l’on participe un rien tout de même. Allez. Montrez que vous êtes là, que vous faites attention. Niki est douce, drôle, forte. Elle n’est pas là pour s’amuser. Oui, vivre, cela a du bon, même s’il faut se battre pour. Juliette Andréa Thierrée tresse les aléas de cette vie. Des éclats de rire se font entendre au début, oui, elle dit des choses sérieuses, pas sérieusement. Puis le sens véritable s’impose, comme s’il tapait du poing sur la table. « Oui je fais rire, c’est léger, mais écoutez bien… ». Elle ne dit pas cela, mais la salle saisit la violence dissimulée, la réalité. De la peinture balancée contre les murs, des sculptures folles et rondes ?  Réfléchissez. Quand nous passerons devant Beaubourg, dans les musées, nous regarderons plus attentivement. Nous chercherons à mieux comprendre ce combat, cette explosion. Nous lirons « Mon secret », que Niki de Saint Phalle publie à 64 ans, comme une lettre écrite à sa fille. Grâce à ce triple travail de Juliette Andréa Thierrée.     © Alice de Lencquesaing   Niki de Saint Phalle, vivre ! de Juliette Andréa Thierrée Mise en scène par Juliette Andréa Thierrée Musique originale : Mia Delmae Création lumières : Jean-Luc Chanonat Son : François Vatin Costumes : Salina Dumay Avec Juliette Andréa Thierrée     Du 25 avril au 16 juin 2024 Les jeudis et vendredis Durée : 1h   Réservation 01 42 93 13 04 Adresse du site email : www.studiohebertot.com   Studio Hébertot 78bis, Boulevard des Batignolles 75017 Paris      Read More →
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Sweet Mambo, mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt
  © Oliver Look   ƒƒƒ Article de Denis Sanglard Ne nous fions pas à ce titre, ce bel euphémisme, nul douceur dans ce mambo, peut être une certaine nonchalance, mais de la violence sûrement, une radicalité qui anticipait ce qui aujourd’hui et depuis nous saute à la figure. Pina Bausch n’anticipait pas mais lucide donnait à voir ce que nous refusions de regarder alors, subjugué par la danse en oubliant ce qu’elle dénonçait. Sweet Mambo, avant-dernière œuvre de Pina Bausch créée en 2008, continuait cette interrogation lancinante et toujours posée, des relations entre les hommes et les femmes, de cette violence patriarcale qui empoisonne. Seules les danseuses parlent ici, il suffit de les écouter hurler leur rage et leur défaite. « La vie c’est comme le vélo. Ou tu roules ou tu tombes » résume lapidairement Nazareth Panadero qui, illustration, ne cesse de bomber le torse et de s’effondrer aussitôt. Alors elles dansent, éperdues, pour ne pas chuter. S’obligent à sourire malgré tout. Un sourire factice, qui masque à peine leur désillusion et la pugnacité dans la résistance. Même le rire éclatant et inoubliable de Nazareth Panadero sonne creux. Elles nous donnent chacune à leur tour leur prénom et leur nom en insistant bien pour qu’on ne les oublie pas. Etrange écho avec ce qui se dira plus tard, « Je vais bien. Morte. Mais bien. » On songe bien évidemment aux féminicides, à ces victimes à qui désormais on donne enfin leurs identités, pour mémoire. Les hommes, au nombre de trois, sont étrangement muets ou peu diserts. Essuyant refus sur refus devant leur sollicitations pressantes, leurs harcèlements, et se résignant, au mieux, à les accompagner, les entourer, les porter, voire les empêcher, leur tirer les cheveux, soulever leurs robes, ultime et dérisoire sursaut machiste. Hommes objets portant cette souffrance-là, déplacée. Et la danse ? Rien, absolument, n’a bougé, rien ne pouvait bouger se dit-on. Ces bras qui caressent l’air, enserrent le buste, en écho aux voiles flottants de la scénographie légère et enveloppante de Peter Pabst. Ces mains qui dessinent du bout des doigts d’étranges arabesques. Ces pieds toujours nus qu’on déchaussent de leur stiletto pour glisser sur le sol, ses cheveux longs et dénoués que l’on secoue, parure féminine aussi emblématique que les robes longues et vaporeuses qui renferment autant d’attraits que de pièges. Oui mais à l’exception de deux nouveaux danseurs (en alternance) et d’une danseuse auxquels est passé avec beaucoup de classe le relais, ce sont les danseurs d’origine qui sont là. Le corps a vieilli, c’est empâté parfois, asséché aussi, mais nulle cruauté à le constater. Ce qui se joue là, sur le plateau, est d’une densité phénomènale qu’apporte l’âge et qui porte la danse au-delà d’elle-même. Ils sont la mémoire de cette création et de fait ils incarnent profondément son essence. Avec beaucoup d’humour, Nazareth Panadero expliquait dans un entretien il y a quelques temps que c’était bien d’être une vieille danseuse chez Pina Bausch. Ce n’était pas une boutade, désormais sur le plateau ces corps dansants, ces individualités, ces identités fortes que l’on reconnaît et retrouve avec impatience comme pour un rendez-vous différé, apportent aujourd’hui une incarnation unique, vibrante, dans une continuité qui lui donne toute sa valeur, sa puissance et sa beauté. Ils ne dansent plus, ils sont la danse transfigurée dans sa profondeur intrinsèque, sa grandeur, le geste et le mouvement sublimés par l’âge qu’ils oblitèrent. Ils nous épargnent de fait toute nostalgie demeurant étonnement dans le présent de la danse, augmentée, enrichie par les années, et préservant encore et malgré tout l’éphémère de l’instant qui la détermine. Pour autant la nouvelle génération se glissant dans leur pas n’est pas en reste. Il est troublant de constater qu’entre les anciens et les nouveaux nulle différence. L’exemple de Naomi Brito, sculpturale et féline, en est la preuve éclatante. Une vraie personnalité qui ajoute sans rien retirer à l’ensemble. Qu’elle ouvre par un solo incandescent cette chorégraphie prouve combien le futur ici leur appartient désormais, et que toute la place leur est offerte. Il ne s’agit pas seulement de la survie de la compagnie. Parce que les problématiques soulevées par Pina Bausch, leur implacable pertinence, n’en finissent pas de résonner aujourd’hui encore. Et cette nouvelle génération, au cœur de cette thématique qu’on peut nommer désormais #meetoo, ils sont à même de la danser en toute légitimité. Force est de constater que la danse de Pina Bausch résiste aux temps et aux critiques parce qu’elle porte en elle, dans sa légéreté feinte comme dans sa gravité réelle, une humanité qui jamais, jusque dans le tragique, ne lui fait défaut. « Je m’appelle Naomie, n’oubliez pas ». Promis, on ne vous n’oubliera pas.   © Karl-Heinz Krauskopf   Sweet Mambo, mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch Collaboration : Marion Cito, Thusnelda Mercy, Robert Sturm Décor & vidéo : Peter Pabst Collaboration musicale : Matthias Burkert, Andreas Eisenchneider Assistant déco : Geburg Stoffel Assistante costumes : Svea Kossak Supervision artistique de la reprise : Alain Lucien Øyen Direction des répétitions : Azusa Seyama, Robert Sturm Avec : Andrey Berezin, Naomi Brito, Nayoung Kim, Daphnis Kokkinos, Alexander Lopez Guerra/ Réginald Lefebvre, Nazareth Panadero*, Héléna Pikon*, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Aida Vainieri (* invités) Direction artistique : Tanztheater Wuppertal Pina Bausch + Terrain Boris Charmatz   Du 23 avril au 7 mai 2024 à 20h Dimanche à 17h   Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt 2 place du Châtelet 75004 paris   Réservation : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com    Read More →
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Clôture de l’amour, texte et mise en scène de Pascal Rambert, Théâtre 14, Paris
  © Marc Domage   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette Clôture de l’amour est un texte écrit et mis en scène par Pascal Rambert et présentant, en deux « volets », la dernière bagarre d’un couple se séparant. Un couple a toujours, pour le moins, un peu de mal à mettre fin à son histoire, un petit claquement de doigts et hop ! Déménagement et nouveauté. Non. Donc il faut chercher mille preuves encourageant cet événement, mille preuves de la culpabilité de l’autre, là, en face, plus du tout à côté, sinon la fin du monde est plus terrible encore. Un homme et une femme, Stan et Audrey, les prénoms sont les « vrais », se hurlent dessus, encore. Dans ce sens-là, Stan, puis Audrey. Apparemment ensemble depuis un petit bout de temps, ce n’est pas une liaison de rien du tout qui s’assassine. D’où cette accumulation de coups de poing, de gifles, de ripostes. C’est le post déchirure, ce sont les coups de balais, l’aspirateur, pour être certain de la Fin, pour bien tout secouer et s’assurer qu’il ne reste rien. Blesser encore. Lui débute donc. Ils sont tous les deux dans ce décor vide, juste des murs blancs. Ils sont loin l’un de l’autre, de temps en temps se rapprochent, pour être sûr qu’Audrey, puis Stan, sera bien sous cette pluie de reproches. Ils se placent sur une ligne, sur des remparts dont ils tentent à peine de se défaire. Tout est déchiré en deux parties donc, comme deux textes, cela tombe bien. Stanislas Nordey commence, hurle, accuse. Tente parfois de se rapprocher de cette silhouette en face de lui, qui ne bouge pas, reste droite, presque. Il vide des années et des années de maudits petits cailloux dans les chaussures. Elle est là, debout, les larmes présentes ou bien s’évadant, mais elle reste droite. Quasiment une heure. Puis c’est à Audrey Bonnet de répondre à Stanislas Nordey. Pour passer le flambeau, curieusement des gamins débarquent et une petite chanson quasi scolaire nous explique la fin du monde entre ces deux-là. Audrey Bonnet bouge, parle, pleure. Explose, elle aussi. Et d’une façon bien plus forte. Ce n’est pas l’actrice que nous avons là, mais le personnage, l’histoire. Stanislas Nordey reste un peu trop comme un bon acteur en train de bosser, cela se sentait ici où là, imperceptiblement mais tout de même. Nous nous rappelions alors où nous étions, que le public était très jeune, a ri très souvent au début puis a été conquis par le silence. Cette petite impression disparaît totalement avec le jeu d’Audrey Bonnet, elle quitte « pour de vrai » son amour, elle en souffre réellement, s’arrache de lui. Elle n’est pas actrice mais personnage. Elle nous terrifie presque, nous transporte à nos disputes lointaines, à nos fins d’un monde. Nos Clôture de l’amour. Nous avons comme un psychopathe plongé dans la réalité, face à une femme dans l’image de l’amour, son sens et sa vérité menacé par un premier degré. Elle est plus forte, vivante, sincère. Elle vibre, lui tente de bander. Il reste loin d’elle alors qu’elle s’approche. Leurs hurlements sont d’une différence terrible. Les derniers soubresauts d’une guerre entre muscles et cheveux longs, cette lenteur de la rupture, sa douleur. La violence pour être sûrs de l’explosion, le terme est ici évident. Comme une explosion en pleine falaise, des rochers qui s’effondrent, d’autres pierres qui jaillissent. Un psychopathe face à une femme anéantie ? Ils parlent différemment des enfants. Une image floue chez lui, réalité chez elle. Ils évoquent le sexe, matériel contre beauté. On voit dans la salle quelques couples qui tremblent, se resserrent ou tentent de s’éloigner, coincés par le texte et les sièges. Le même texte sur scène et dans la salle, ici où là ? Nous sommes face aux images de l’avant et de l’usure, de l’explosion. Aucune tentative de se rattraper, l’attention est morte, lasse. Stan reste axé sur son nombril, la preuve, lorsqu’Audrey parle il finit par se recroqueviller sur lui-même, pour tenter de ne plus être atteint. C’est elle qui gagne en disant combien elle a perdu. Je t’aime, sois donc à mes pieds, salope. Je t’aime, je suis à tes pieds, ordure. Le passage avec les petits chanteurs est une pause, une respiration, oui. Mais cette chanson mignonnette est en désaccord avec le spectacle. Tout comme les coiffes en plumes bleues à la fin. Le sens ? Pas celui des plumes mais de cet instant ? Nous faire redescendre ? Mais du coup on chute vers le réel, trois pas en arrière d’un seul coup. Peut-on trouver ici un symbole particulier, sauf celui de permettre une très belle et curieuse photo pour l’affiche ? Les plumes de l’ange de l’amour mort ?? Les plumes bleues laissent le spectateur un brin dépourvu, départi de cette si belle violence. Détails. Bravo aux deux, et des applaudissements debout pour Audrey Bonnet.   © Marc Domage   Clôture de l’amour, de Pascal Rambert Mise en scène par Pascal Rambert Avec Audrey Bonnet et Stanislas Nordey Lumières : Pascal Rambert et Jean-François Besnard Régie générale et lumières : Olivier Bourguignon Parures : La Bourette Musique : arrangement d’Alexandre Meyer de la chanson Happe (Alain Bashung-Jean Fauque) avec l’aimable autorisation des éditions Barclay/Universal Chœur interprété par la chorale de la Cité scolaire François Villon, Paris 14e, sous la direction de Clémence Labarthe   Clôture de l’amour a été créé au Festival d’Avignon le 17 juillet 2011 et a reçu depuis : Le Prix du théâtre public au Palmarès du Théâtre 2013-Dithea Le Prix de la Meilleure création d’une pièce en langue française par le Syndicat de la Critique 2012 Le Prix de littérature dramatique du Centre national du Théâtre en octobre 2012     Du 23 avril au 4 mai 2024 Durée du spectacle : 2 heures Mardi, mercredi, vendredi à 20h Jeudi à 19h Samedi à 16h Autour du spectacle, à l’issue de la représentation : Jeudi 25 avril, rencontre avec l’équipe artistique Samedi 4 mai, Karaoké Chansons d’amour    Théâtre 14 20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris Réservation 01 45 45 49 77 www.theatre14.fr      Read More →
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Corps premiers, texte et mise en scène de Cédric Orain, à L’Echangeur de Bagnolet
  © Christophe Raynaud de Lage ff article de Denis Sanglard Le corps dans tous ses états. A travers le sport, Cédric Orain interroge avec beaucoup de malice et un semblant de sérieux, pas mal d’intelligence aussi, les possibles du corps poussé dans ses retranchements les plus ultimes, voire intimes, parfois, par les sportifs de haut-niveau ou bien encore moyen. Moyen comme Dick Fosbury par exemple. Franchement pas au niveau à ses débuts mais qui devint champion olympique en 1968 à Mexico, en inventant un saut inconnu des juges, perplexes devant cet enroulé du dos si peu réglementaire, qui lui permit de franchir la barre à 2,24m. Le fosbury-flop, ainsi fut nommée désormais cette technique, n’étant que le fruit d’un hasard, un arbre sur le chemin du sautoir d’entraînement. Oui, il suffit de peu, un ruban rouge dans les cheveux pour déjouer les pronostiques et franchir la ligne du 400m féminin en 52,03 s, et devenir championne olympique comme Colette Besson aux mêmes jeux de Mexico. Ce ruban là, ce fut comme la plume de l’éléphanteau Dumbo… La question que pose Cédric Orain au fond, à travers quelques moments emblématiques de l’histoire du sport, c’est comment un corps génère de la pensée, hors de la pensée. Ou pas. Parce que le corps peut aussi la précéder, penser par lui-même, et par là même créer de l’imprévue. Et comprendre cela, y être attentif, pour un sportif c’est se permettre un sacré pas de côté qui défiant tous les pronostics, ouvre potentiellement la victoire. Ainsi naissent les légendes. En somme, ici et dans ce cas précis, une pensée qui ne viendrait pas du corps ne peut être que fausse. Puis vient la réitération du geste et celui-ci une fois acquis, s’installant définitivement à l’intérieur de soi s’oublie, devient réflexe, automatisme, sans qu’aucunement n’intervienne la conscience. Dans son infini possible le corps est aussi porteur de mémoire. Et c’est sans doute ça que l’on vient voir, nous spectateur, des corps qui s’échappent, des sportifs en quête d’absolu, un dépassement des limites où le corps est mis en jeu et qui finit par les dépasser eux-mêmes. C’est Anquetil, c’est Bernard Hinault, c’est Laurent Fignon, cyclistes poussant leur corps au-delà des normes attendues avec une puissance inédite. Et la fascination qu’ils exercent, victorieux ou vaincus, participe pour les spectateurs, pratiquant ou pas, de la même quête d’absolu, de vivre ce moment où tout bascule, où l’inédit et l’invention surgissent et se dire, j’y étais, je l’ai vécu. Le sport est aussi une catharsis. C’est l’enfance de Cédric Orain, minot fracassé par la victoire de la Bulgarie devant la France en 1993 au Parc des Princes et dont il fut le témoin dévasté. Pourtant, dit-il, l’amertume de cette défaite fut oblitéré au final par le sentiment joyeux d’avoir participé là à quelque chose d’historique. Et la découverte du cyclisme, les transmissions par la radio, fut une exaltation sans pareille devant une compétition où tout peut arriver, jusqu’au pire mais où s’écrit l’Histoire et le mythe. Et sur ce plateau, reproduction a minima d’un gymnase, ils sont trois à raconter tout ça, tout ce qu’ils ne sont pas, sportifs, mais auquel nous croyons ferme. Miracle du théâtre. Trois athlètes de la scène, Aurora Dini (circassienne), Maxime Guyon et Claude Degliame. Ils sont sans rien d’autre que leur présence Dick Fosbury, Colette Besson, Jim Hines (premier coureur à courir le 100 m en moins de 10s.) … Cédric Orain, aussi. Le gamin pour qui les histoire de cyclisme étaient des comme histoires de pirates. Et dans une séquence hilarante, commentateurs sportifs aux discours abscons, au sabir incompréhensible, phrasé véloce et emportement hystérique soudain. Entre ces trois-là qui font une sacrée équipe, la parole circule, témoin de relais de l’un à l’autre avec juste quelques images d’archives, quelques photos de ces héros contemporains pour illustrations et pour balayer les clichés. Jamais dans la performance, l’imitation mais dans l’évocation et la parole performative. Il suffit à Claude Degliame, impériale toujours, le phrasé musical, de dire sans se départir d’elle-même, « je suis Fosbury » pour qu’elle le soit. Aussi simple que cela et confondant. Et Maxime Guyon de retrouver lui, l’émerveillement de l’enfance devant les exploits de ces héros à vélo. Cela participe de la création, de l’invention de soi justement, de l’impossible matérialisé, et c’est ce lien-là, ténu et secret, qui relie sans doute le théâtre et le sport. Tout comme la catharsis justement. Parce qu’au fond et sans doute réside là le propos de Cédric Orain, il n’y a pas grande différence. Le théâtre aussi est une question de pas de côté, de corps, de sa mémoire, de son dépassement, d’exploit parfois. Un corps en jeu, un corps qui pense, un corps agissant, un corps qui crée. C’est l’expérience même d’Aurora Dini, gymnaste devenue circassienne, qu’elle-même raconte ici. Pas pour rien qu’en conclusion est évoqué la grande pianiste Maria Joao Pires, de ses mains qui ne la trahissant pas, seules sauvèrent un concerto parce qu’elles avaient en elles la bonne partition que n’avait pas la concertiste.   © Christophe Raynaud de Lage   Corps premiers, texte et mise en scène de Cédric Orain Avec Claude Degliame, Aurora Dini, Maxime Guyon Scénographie vidéo : Pierre Nouvel Lumière : Bertrand Couderc Création son : Lucas Lelièvre et Camille Vitté Costumes : Karin Serres Assistant à la mise en scène : Edouard Liotard Khouri-Haddad Regard chorégraphique : Bastien Lefèvre Regard dramaturgique : Guillaume Clayssen Régie générale et lumière : Boris Pijetlovic Régie son et vidéo : Théo Lavirotte   Du 22 au 27 avril 2024 à 20h30 Jeudi 14h30 et 20h30, samedi 18h   L’Echangeur de Bagnolet 59 avenue du général de Gaulle 93170 Bagnolet Réservations : 01 43 62 71 20 www.lechangeur.org    Read More →
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corde. raide de debbie tucker green, mise en scène de Cédric Gourmelon au Théâtre de la Tempête, Paris
  © Simon Gosselin ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Avez-vous déjà eu recours à un service client ? Certainement, on ne peut plus échapper aux conseillers en ligne dont on vous demande de noter la prestation de 0 à 5. Tous suivent des protocoles bien rodés, accueil du client, expression de sa demande, diagnostic, reformulation …et renvoi à un conseiller de niveau 2 pour toute question particulière. Imaginez ce même service en présentiel face à une femme noire confrontée à une décision radicale. Quatre chaises, un distributeur d’eau avec des gobelets en plastique, une table, deux agents administratifs et cette femme dont on ne sait pas au début si elle est accusée ou victime, dans un open-space aseptisé, qui semble engloutir son corps tremblant. La tension est électrique avec un jeu de lumières blafardes ou stroboscopiques qui éclairent les trois personnages, les deux agents embarrassés face au mutisme de leur cliente, et l’inconnue prostrée, le dos raide au bord de sa chaise serrant son sac et claquant des dents. Bienvenue chez Orwell dans un futur dystopique où le droit commercial aurait supplanté le code pénal, avec des sociétés privées chargées d’accompagner les prévenus et les victimes. On comprend au bout de quarante-cinq minutes que cette femme est là pour choisir le châtiment qu’elle va infliger à l’agresseur de sa famille, injection léthale, chambre à gaz, décapitation ou pendaison. La sollicitude va jusqu’à demander à une victime dévastée de choisir le mode opératoire d’exécution de son bourreau, bref la pousser à assumer la loi du talion, en lui laissant le choix des armes. Chaque option est détaillée dans son rapport cout/bénéfice mais on sent bien que les préposés penchent pour l’injection, plus propre, plus rapide et plus efficace. On ne veut pas la brusquer et on lui donne les moyens de réfléchir grâce à un accompagnement « personnalisé » dument codifié que les deux agents tentent d’appliquer. Sauf que cette fois ci ils tombent de haut, la victime se reprend et met en échec leur obséquiosité dénuée d’émotions « prenez une chaise, …N’importe laquelle, il n’y a pas de plan de – non…. Rien de particulier dans la façon dont les chaises sont disposées – pas de noms dessus ni rien, c’est juste des chaises…. N’importe laquelle ». Ils marchent sur des œufs, louvoient et tournent autour pot face à une victime qui leur oppose une résistance passive en ne répondant pas à leurs questions. Progressivement elle va même les confronter à leur absence d’humanité. debbie tucker green démonte les  signes de condescendance, la sémiologie des rapports de domination sous couvert d’extrême politesse. Rarement une mise en scène n’aura aussi bien montré la déshumanisation de nos systèmes. Le statut de la parole en est la symbolique la plus visible. Ces agents veulent « se mettre à la place » de la victime mais comment osent t’ils prétendre comprendre une femme crucifiée ? La « plaignante » cherche un peu de solidarité, pas grand-chose, une présence, mais cela ne figure pas dans les fameux protocoles. Les conseillers sont dans un poste ou ils ne peuvent pas regarder dans les yeux la victime et risquer de l’influencer sauf à désobéir. Ils sont tout aussi piégés qu’elle, on finit par avoir de la sympathie pour eux. De toutes façons personne n’a de nom, d’histoire, d’identité (dans le texte ils s’appellent UNE, DEUX, TROIS).  Encore plus terrible qu’en venir aux mains, l’ubérisation du langage vidé de tout affect. Ce théâtre rend palpable la douce violence que nous subissons au quotidien. Les trois comédiens servent remarquablement une partition hachée, les didascalies de l’auteur multiplient les chevauchements de répliques sans temps mort, c’en est presque étouffant, un vrai défi pour eux relevé haut la main. Cédric Gourmelon évite le piège du naturalisme, maintient un ton décalé, un faux rythme délié qui transforme la confrontation judiciaire en un ballet mystérieux, presque atemporel dans un espace sidéral, l’ère du vide. Laetita lalle Bi Benie dans le rôle de la victime a le coffre d’une Pretty Yende pour décocher le coup de grâce final dont, on l’imagine, les agents ne se remettront pas. On sort lessivé, franchement raide la corde !   © Simon Gosselin                     corde.raide de debbie tucker green Mise en scène : Cédric Gourmelon Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy Lumières : Erwan Orhon Son : Julien Lamorille Traduction Emmanuel Gaillot Blandine Pellissier et Kelly Rivière Avec Lætita Lalle Bi Benie, Frédérique Loliée et Quentin Raymond Durée : 1h 20 Jusqu’au 5 mai, du mardi au samedi à 20h30, dimanche 16h30   Théâtre de la Tempête Cartoucherie, route du Champ-de Manœuvre 75012 Paris   Réservation :  01 43 28 36 36 www.la-tempête.fr   Tournée : Du 14 au 17 mai 2024 Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine    Read More →
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Le Mandat, de Nicolaï Erdman, mise en scène de Patrick Pineau, au Théâtre de la Tempête, Paris
   © Simon Gosselin   ƒƒƒ article de Sylvie Boursier   Dieu, Marx, le tsar, maman et le Parti tournent comme des poulets sans tête dans Le Mandat, ça court, ça saute, ça gigote, ça fait le grand écart et ça jacasse frénétiquement, on se croirait chez Feydeau. Résumer l’intrigue équivaut à dessiner le parcours de milliers d’abeilles une fois la ruche détruite : la révolution d’octobre a bousillé, sept ans auparavant, la maison des abeilles, petits bourgeois affairistes et nobles déchus, bref tous ceux qui ont perdu leurs petites combines et leurs privilèges. De communistes on ne verra pas la couleur mais ils sont partout selon la colonie de fourmis moscovite dépassée par l’histoire. L’auteur n’épargne pas non plus les bolcheviques. Générer une paranoïa débilitante est un ressort bien connu des dictateurs pour museler le peuple. L’argument de départ est simple, Nadejda Goulatchkine veut marier sa fille Varvara avec un homme de sa classe, la petite-bourgeoisie d’avant la révolution russe, mais la belle-famille réclame en dot un communiste, ça vous protège et vous évite le bannissement, imagine-t-elle. Nadejda va donc demander à son fils Pavel de se sacrifier, d’entrer au Parti et d’avoir ce fameux mandat, dont on ne saura rien, est-ce la carte du parti ? Mais elle n’a jamais protégé quiconque des purges. Ça commence très fort, Pavel plante un clou pour accrocher un tableau à deux faces, d’un côté figure une icône intitulée « Je crois en Toi, Seigneur » et, de l’autre, la tête de Karl Marx, histoire de parer à toutes les éventualités.­ « Qu’est-ce que tu me suspends là ? interroge sa mère… Voilà, j’ai tout de suite pensé que ce n’était pas un Russe… ». Mais en plantant ses clous, il fait sursauter le voisin qui se reçoit un bol de vermicelles au lait sur le crâne et menace de se plaindre au commissaire politique, les cloisons sont minces dans les appartements collectifs des nostalgiques du tsar. Puis tout s’emballe sur un rythme d’enfer jusqu’à l’apothéose quand les abeilles croient reconnaître leur reine (la tsarine) et là on nage en plein surréalisme, imaginez un duo Chaplin-Beckett, toute la Russie s’écroulerait de rire encore aujourd’hui si la pièce était à nouveau montée, hélas… Patrick Pineau maîtrise la rythmique si particulière du dramaturge proche du dessin animé, il l’avait déjà montré avec sa mise en scène du Suicidé. Il lance ses comédiens sur une piste de grand huit et ça joue plein pot, c’est inventif, décapant, explosif. Au début on atterrit dans un intérieur étriqué, tout est confiné chez ces gens, l’âme autant que le salon. Dans ce mouchoir de poche les fourmis entrent et sortent, croient être surprises en flagrant délit d’embourgeoisement, imaginent le pire à la moindre sonnerie. La seconde partie, sur un espace sépulcral, vire à la métaphysique. Autour de Patrick Pineau, patriarche raspoutinien complètement allumé, toute la tribu imagine des lendemains qui chantent, chacun se voit en héros défenseur des Romanov ou tribun qui zigouillera la terre entière, génial Ahmed Hammadi Chassin en Pavel hystérique dès qu’il croit détenir le moindre pouvoir. Il faudrait tous les citer. Le moment où le patriarche joue au petit Napoléon avec ses soldats de plomb au bord de sa baignoire sabot rappelle la fameuse scène de la mappemonde du Dictateur quand Hynkel faisait tourner son globe jusqu’à l’explosion. Du grand art ! C’est tragique et pitoyable, ces russes blancs sont creux, leurs idoles interchangeables, tout juste bonnes à donner le change. Ils ont tout raté, même pas capables d’inquiéter le pouvoir soviétique conclut le dictateur en herbe dans un sursaut de lucidité « S’ils ne veulent même plus nous arrêter, alors, comment vivre, maman, comment vivre ». Un état omnipotent règne sur une société civile décérébrée à la devise glaçante « ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire », Nicolaï Erdman est un incroyable visionnaire, la bête noire de Staline. Le théâtre de la Tempête termine (presque) la saison en majesté ! Glaçant !   © Simon Gosselin   Le mandat de Nicolaï Erdman, traduction André Markowicz Mise en scène : Patrick Pineau Lumières : Christian Pinaud Musique : Jean-Philippe François Costumes Gwendoline Bouget Avec : François Caron, Ahmed Hammadi Chassin, Marc Jeancourt, Aline Le Berre, Virgil Leclaire, Jean-Philippe Lévêque, Yasmine Modestine, Nadine Moret, Arthur Orcier, Sylvie Orcier, Patrick Pineau, Eliott Pineau-Orcier, Lauren Pineau-Orcier, Jean-Philippe François, Christian Pinaud Durée 2 h 15     Réservation T+ 01 43 28 36 36 Jusqu’au 5 mai 2024, du mardi au samedi à 20h, dimanche 16h Tournée en cours de finalisation   Théâtre de la Tempête Cartoucherie, route du Champ-de Manœuvre   75012 Paris www.la-tempête.fr        Read More →
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