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Le Mandat, de Nicolaï Erdman, mise en scène de Patrick Pineau, au Théâtre de la Tempête, Paris

Avr 21, 2024 | Commentaires fermés sur Le Mandat, de Nicolaï Erdman, mise en scène de Patrick Pineau, au Théâtre de la Tempête, Paris

 

 © Simon Gosselin

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier  

Dieu, Marx, le tsar, maman et le Parti tournent comme des poulets sans tête dans Le Mandat, ça court, ça saute, ça gigote, ça fait le grand écart et ça jacasse frénétiquement, on se croirait chez Feydeau. Résumer l’intrigue équivaut à dessiner le parcours de milliers d’abeilles une fois la ruche détruite : la révolution d’octobre a bousillé, sept ans auparavant, la maison des abeilles, petits bourgeois affairistes et nobles déchus, bref tous ceux qui ont perdu leurs petites combines et leurs privilèges. De communistes on ne verra pas la couleur mais ils sont partout selon la colonie de fourmis moscovite dépassée par l’histoire. L’auteur n’épargne pas non plus les bolcheviques. Générer une paranoïa débilitante est un ressort bien connu des dictateurs pour museler le peuple.

L’argument de départ est simple, Nadejda Goulatchkine veut marier sa fille Varvara avec un homme de sa classe, la petite-bourgeoisie d’avant la révolution russe, mais la belle-famille réclame en dot un communiste, ça vous protège et vous évite le bannissement, imagine-t-elle. Nadejda va donc demander à son fils Pavel de se sacrifier, d’entrer au Parti et d’avoir ce fameux mandat, dont on ne saura rien, est-ce la carte du parti ? Mais elle n’a jamais protégé quiconque des purges. Ça commence très fort, Pavel plante un clou pour accrocher un tableau à deux faces, d’un côté figure une icône intitulée « Je crois en Toi, Seigneur » et, de l’autre, la tête de Karl Marx, histoire de parer à toutes les éventualités.­ « Qu’est-ce que tu me suspends là ? interroge sa mère… Voilà, j’ai tout de suite pensé que ce n’était pas un Russe… ». Mais en plantant ses clous, il fait sursauter le voisin qui se reçoit un bol de vermicelles au lait sur le crâne et menace de se plaindre au commissaire politique, les cloisons sont minces dans les appartements collectifs des nostalgiques du tsar. Puis tout s’emballe sur un rythme d’enfer jusqu’à l’apothéose quand les abeilles croient reconnaître leur reine (la tsarine) et là on nage en plein surréalisme, imaginez un duo Chaplin-Beckett, toute la Russie s’écroulerait de rire encore aujourd’hui si la pièce était à nouveau montée, hélas…

Patrick Pineau maîtrise la rythmique si particulière du dramaturge proche du dessin animé, il l’avait déjà montré avec sa mise en scène du Suicidé. Il lance ses comédiens sur une piste de grand huit et ça joue plein pot, c’est inventif, décapant, explosif. Au début on atterrit dans un intérieur étriqué, tout est confiné chez ces gens, l’âme autant que le salon. Dans ce mouchoir de poche les fourmis entrent et sortent, croient être surprises en flagrant délit d’embourgeoisement, imaginent le pire à la moindre sonnerie. La seconde partie, sur un espace sépulcral, vire à la métaphysique. Autour de Patrick Pineau, patriarche raspoutinien complètement allumé, toute la tribu imagine des lendemains qui chantent, chacun se voit en héros défenseur des Romanov ou tribun qui zigouillera la terre entière, génial Ahmed Hammadi Chassin en Pavel hystérique dès qu’il croit détenir le moindre pouvoir. Il faudrait tous les citer. Le moment où le patriarche joue au petit Napoléon avec ses soldats de plomb au bord de sa baignoire sabot rappelle la fameuse scène de la mappemonde du Dictateur quand Hynkel faisait tourner son globe jusqu’à l’explosion. Du grand art !

C’est tragique et pitoyable, ces russes blancs sont creux, leurs idoles interchangeables, tout juste bonnes à donner le change. Ils ont tout raté, même pas capables d’inquiéter le pouvoir soviétique conclut le dictateur en herbe dans un sursaut de lucidité « S’ils ne veulent même plus nous arrêter, alors, comment vivre, maman, comment vivre ». Un état omnipotent règne sur une société civile décérébrée à la devise glaçante « ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire », Nicolaï Erdman est un incroyable visionnaire, la bête noire de Staline. Le théâtre de la Tempête termine (presque) la saison en majesté ! Glaçant !

 

© Simon Gosselin

 

Le mandat de Nicolaï Erdman, traduction André Markowicz

Mise en scène : Patrick Pineau

Lumières : Christian Pinaud

Musique : Jean-Philippe François

Costumes Gwendoline Bouget

Avec : François Caron, Ahmed Hammadi Chassin, Marc Jeancourt, Aline Le Berre, Virgil Leclaire, Jean-Philippe Lévêque, Yasmine Modestine, Nadine Moret, Arthur Orcier, Sylvie Orcier, Patrick Pineau, Eliott Pineau-Orcier, Lauren Pineau-Orcier, Jean-Philippe François, Christian Pinaud

Durée 2 h 15

 

 

Réservation

T+ 01 43 28 36 36

Jusqu’au 5 mai 2024, du mardi au samedi à 20h, dimanche 16h

Tournée en cours de finalisation

 

Théâtre de la Tempête

Cartoucherie, route du Champ-de Manœuvre

 

75012 Paris

www.la-tempête.fr

 

 

 

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