Zazie dans le métro, de Raymond Queneau, mise en scène de Zabou Breitman à la MC 93 de Bobigny
    © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒƒ article de Sylvie Boursier « Doukipudonctant !  Barbouze de chez Fior » C’est parti pour une folle journée vintage dans le Paname des rémouleurs, des poinçonneurs qui restent dans leur trou « à faire des petits trous… toujours des petits trous », sans effets spéciaux mais en chanson et en rythme. Zazie, vous connaissez ? Non, il ne s’agit pas de la célèbre chanteuse pop rock électro mais d’une sale gosse confiée à la garde de son oncle Gabriel, pour un week-end parisien et qui n’arrête pas de dire mon cul. Avec sept comédiens et six musiciens, Zabou Breitman adapte le texte de Raymond Queneau dans une comédie musicale qui fleure bon l’Opéra de quat’sous et Mackie-le-Surineur. Sans jamais s’essouffler, elle dessine d’un trait assuré des personnages « cartoonesques », de vraies pastilles de bande dessinée : un inspecteur La verdure qui rappelle le regretté Jacques Legras des branquignols, à moins qu’il ne s’agisse d’un des Dupont de Tintin, Mado la rosière qui « essuie les verres au fond du café » comme Piaf, amoureuse de Marcelline mais contrainte à  « s’établir » (rappelons que dans les années soixante les  « hormossessuels » selon l’expression de Zazie, encouraient de lourdes peines d’emprisonnement). Ils croisent la route de touristes très « parapluies de Cherbourg » en ciré jaune, qui ne jurent que par la sainte Chapelle, d’un capitaine Haddock en meringue boursouflée d’évêque, les plus infimes silhouettes sont sculptées et font mouche dans une esthétique qui rappelle The grand Hotel Budapest de Wes Anderson. La môme est jouée par la délicieuse Alexandra Datman, une jeune femme à la coiffure macaron et à la salopette de titi parisien, qui a l’abattage du rôle. Le placide Frank Vincent campe l’oncle Gabriel, une crème d’homme transformiste à ses heures. Tous les comédiens-chanteurs-danseurs jouent à plein le décalage, la loufoquerie des années 1960, la poésie, l’humour et la farce, sans édulcorer les préjugés et le conformisme d’une époque où les pères abusaient leurs filles impunément. Le film éponyme de Louis Malle gommait ces aspects pour passer le filtre de la censure mais Zabou Breitman restitue la verve subversive du texte originel. Zazie a échappé aux attouchements de son père, tué in extremis à coups de hache par sa mère, et aux tentatives de papouilles « zosées » de son beau-père. Les chansons savamment mises en musique par Reinhardt Wagner sont épatantes, on a un faible pour Jeanne Lalochère, mère de Zazie qui chante  « Je vais prendre mes deux jambes à son cou, il paraît que c’est un sacré coup… me coller contre son corps de braise… par derrière, par devant », une sacrée chanson de jambe en l’air… tralalère, on adore aussi le blues du travesti Gabriel « où es-tu ma vie d’artiste ? Dans ce cabaret triste, dans ce trou à deux balles au parfum de Pigalle, je suis bien loin de celle qui me faisait rêver, je ne suis plus si belle, s’est brisée la poupée ». Par-dessus tout il y a ce langage unique, à mi-chemin entre Céline et Audiard, un florilège cruciverbiste « quand c’est qu’elle va finir cette grève ? Je sais pas, je fais pas de politique », « tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire ». L’interlope sans chi-chi, la java des faubourgs, la gouaille burlesque, la poésie des petits métiers qui ne connaissent pas la crise, bon, on arrête la réclame, ne boudez pas votre plaisir, ça fait du bien vous savez, merci à Zabou Breitman d’oser si joliment être inactuelle et merci à la Maison de la culture d’Amiens d’avoir soutenu ce projet à qui on souhaite de devenir culte comme le fut l’opéra rock Starmania !   © Christophe Raynaud de Lage   Zazie dans le métro, de Raymond Queneau Adaptation, scénographie et mise en scène : Zabou Breitman Musique originale : Reinhardt Wagner Lumières : Stéphanie Daniel Chorégraphies : Emma Kate Nelson Son : Unisson Design Costumes : Agnès Falque Perruques : Cécile Kretschmar Avec : Alexandra Datman, Franck Vincent, Gilles Vajou, Fabrice Pillet, Jean Fürst, Delphine Gardin, Catherine Arondel Musiciens : Fred Fall, Ghislain Hervet, Ambre Tamagna, Maritsa Ney, Scott Taylor, Nicholas Thomas   Crée à la Maison de la culture d’Amiens le 12 mars Durée : 1h45   Du 20 au 23 mars 2024 à 20h, le samedi à 18h   Maison de la culture de Seine-Saint Denis 9 boulevard Lénine 93000 Bobigny   Réservations : 01 41 60 72 72 www.reservation@mc93.com   Tournée : 27 au 28 mars 2024 L’Azimut | Antony – Châtenay-Malabry (92) 3 et 4 avril 2024 Le Volcan – Le Havres (76) 10 au 13 avril 2024 Théâtre de Liège (Belgique) 16 au 18 avril 2024 l’Anthéa, Antipolis Théâtre d’Antibes (06) 24 avril 2024 l’Equilibre Nuithonie – Fribourg (Suisse) 2 et 3 mai 2024 à la Scène nationale Sud-Aquitain – Anglet (64) 14 et 15 mai 2024 à La Coursive Scène nationale La Rochelle (17) 22 au 25 mai 2024 au Théâtre national populaire – Villeurbanne (69)      Read More →
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Love me, texte et direction Marina Otero et Martín Flores Cárdenas, Théâtre de la Ville - Sarah Bernhardt (Coupole)
  © Mariano Barientos ff article de Denis Sanglard Love Me, titre de la dernière création de Marina Otero est un bel euphémisme. Certes, tout aussi radical que Fuck Me, son précédent opus, mais dans son contraire exact. Danseuse, « de celles qui ne dansent pas », déportant la danse vers l’autofiction, une quête de compréhension de soi au présent dans l’interrogation d’une généalogie familiale, sociale et politique dont l’Argentine serait en filigrane le centre, et de tout ça, de sa vie bousculée, faire une œuvre. De danse ici il sera peu question et nous en serons à nos frais pour qui attendions la même flamboyance blessée contenue dans Fuck Me. Déroutés sommes nous devant elle, assise sur ce tabouret, évitant notre regard et résolument muette, qui déroule les dernières péripéties de sa vie, le covid, une rupture, et son installation à Madrid, en un long texte s’affichant derrière elle. Radicalité de moyen n’exprimant rien d’autre au final qu’une réalité économique propre à la scène underground de Buenos Aires ravagée par le Covid qu’elle transporte avec elle comme une identité. Emigrée désormais, déracinée donc, « en fuite » dit-elle, et nous voilà bientôt au centre de son questionnement, toujours cette même violence intrinsèque qui l’habite toute entière dont l’origine se perd mais avec la certitude qu’elle, Marina Otero, ne fait que reproduire ad nauseam un schéma familial, voire politique. Et de cette violence qui la constitue, qu’en faire alors qui ne la détruise pas, ni ne détruise les autres. Que faire aussi de ce corps aujourd’hui réparé, dont il était question dans Fuck Me, comment danser avec ce corps devenu en quelque sorte étranger, en fuite lui aussi ? Mais au jeu de la vérité ou de la fiction, Marina Otero brouille les pistes. De la vérité ou de la fiction qui nourrit l’un ou l’autre ? Elle-même l’affirme, du moins le comprend-on, cette ambivalence ne cesse de construire son oeuvre, si elle n’est pas l’œuvre elle-même, dans une mise en abyme de soi qui finit par faire de Marina Otero un objet performatif fictionnel avec l’appui ici de Martín Flores Cárdenas. Marina Otero n’existe pas ou alors dans ce qu’elle projette d’elle dans une nouvelle version rimbaldienne du « Je est un autre », ou plus simplement « du mensonge qui dit la vérité » propre à Cocteau. Et puisqu’il faut bien danser, exprimer ça, cette violence, s’en libérer peut-être, Marina Otero improvise une courte danse. Torse nu, un masque de catcheur sur le visage, tout un symbole, elle fait du plateau la manifestation d’une rage, d’une énergie brut de coffre et d’une folle générosité. Et la vérité de Marina Otero apparaît là, profondément, dans cette danse qui la révèle telle qu’en elle-même dans l’épuisement de tout discours. Love me n’est pas l’avers ni le revers de Fuck Me. C’est la même affirmation ironique, le récit d’une émancipation qui ne peut, ni ne veut échapper à cette violence irrépressible, symptomatique, parfaitement assumée qui passe par le corps, conséquemment le sexe, et dont elle fait à découvert, crânement et à rebours des conventions l’objet et le sujet de son œuvre performative qui n’est autre qu’elle même.   © Frédéric Rouverand   Love me, texte et direction Marina Otero et Martín Flores Cárdenas Traduction : Fanny Ribes, Bernardo Haumont Lumière : Matías Sendón Photographie : Nora Lezano Illustrations : Martín Flores Cárdenas   Avec Marina Otero   Du 11 au 19 mars 2024 Le lundi à 19h, Du mardi au samedi à 20h, Le dimanche à 18h Durée 55 mn   Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt 2, Place du Châtelet 75004 Paris   Réservations : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com    Read More →
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Petit Eyolf, d’Henrik Ibsen, mise en scène de Sylvain Maurice au Théâtre des Quartiers d’Ivry
    © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒ Article de Sylvie Boursier Le plateau de laque noire coupe le mur de scène irisé de masses chromatiques en suspension qui tendent à s’équilibrer. Progressivement, elles se confondent et il ne reste plus qu’un immense écran bleuté, puis vert sapin et orangé soleil couchant à la fin. Les lignes des pontons étroits séparent l’intérieur d’une maison et l’extérieur. Est-on chez Ibsen ou Mark Rothko ? Un peu les deux, l’espace mental d’Ibsen et l’abstraction de Rothko se conjuguent sur cette surface épurée et l’on sent l’appel du vide avant même l’arrivée des comédiens. On n’est pas déçus puisque Petit Eyolf est l’histoire atroce d’un enfant paralysé d’une jambe suite à une chute et qui se noie dans les eaux profondes de la mer toute proche. Sa disparition laisse Alfred et Rita, ses parents, ainsi qu’Asta, sa tante, seuls face à eux-mêmes et à la culpabilité qui les ronge. La traversée est rude et le fragile équilibre du couple menacé. L’évènement génère aussi une évolution et une possibilité pour les conjoints de vivre en assumant leurs responsabilités. La pièce en trois actes ressemble à un haïku, une déflagration suite à la noyade, l’implosion du couple puis sa transformation avec cette obsession d’un enfant aux yeux grands ouverts et à la béquille flottante avalé par les eaux sombres de la mer de Norvège. La scénographie épurée de Sylvain Maurice, avec une ligne d’horizon ciel d’eau, est parfaite pour mettre en valeur les transformations psychologiques du couple. Le metteur en scène a eu raison de respecter les ellipses d’Ibsen. Face à une telle perte, l’émotion tétanise et se passe de démonstrations. Mais   Sophie Rodrigues, Rita, et David Clavel, Alfred, restent trop figés, on ne les sent pas vraiment sidérés, c’est comme si d’emblée ils avaient digéré l’évènement et étaient passés à autre chose. Ibsen montre un couple égoïste au départ qui ne prend pas en compte les besoins de son enfant et vacille au bord d’un gouffre. On n’éprouve pas leur béance, exceptée au troisième acte où les personnages s’ouvrent au monde et ou les comédiens lâchent prise. Murielle Martinelli est un formidable Eyolf vif argent avide d’expériences et Nadine Berland, une demoiselle aux rats, clownesque dans une séquence poétique émouvante au premier acte. Malgré une relative déception, ce spectacle force le respect par sa simplicité, son fil ténu fidèle au texte d’Ibsen, la beauté des images qu’il génère, un enfant disparaît et le monde se vide brusquement de sa substance.                                     © Christophe Raynaud de Lage   Petit Eyolf, d’Henrik Ibsen Mise en scène : Sylvain Maurice Avec : Nadine Berland, Maël Besnard, David Clavel, Constance Larrieu, Murielle Martinelli, Sophie Rodrigues. Lumières : Rodolphe Martin Son : Jean de Almeida Costumes : Olga Karpinsky   Jusqu’au 16 mars à 20h, samedi à 18h Durée : 1h30 Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN Val de Marne 1 rue Raspail 94 200 Ivry sur Seine   Réservations : 01 43 90 49 49 www.billeterie.theatre-quartiers-ivry.com   Tournée : 21 mars 2024 : L’Archipel, Scène de territoire de Fouesnant 9 au 11 avril : Le Quai, CDN d’Angers Automne 2024 – Théâtre Montansier, Versailles      Read More →
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Eurydice, de Jean Anouilh, mise en scène par Emmanuel Gaury, Le Lucernaire, Paris
  © Studio Vanssay   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette Ah, comment dire… Eurydice… Jean Anouilh… du théâtre au théâtre, du bonheur double ? Oui, et en plus nous sortons, sans doute aucun, vivants de ce spectacle mis en scène avec talent, simplicité et efficacité par Emmanuel Gaury. Chaque personnage semble s’être évacué « pour de vrai » de ces pages pourquoi pas sombres ici où là, ou au contraire chargées de lumière, d’humour léger, allez savoir. Eurydice, une troupe de comédien, le chef et sa femme, la très belle et jeune Eurydice. Des couples qui se font, défont, d’un seul coup, enroulés dans la peur et la sérénité, sinon est-ce un couple ? Le mal qui en ressort, les erreurs. Ici, Eurydice est assassinée et un fantôme bien costaud revient, là, pour de vrai, presque. Elle est morte « encore », il suffit juste qu’elle tienne le coup jusqu’au soir, sans regarder Orphée, vraiment, dans les yeux. Si elle y parvient, joie, bonheur et prospérité, leur bonheur sera offert vraiment, elle reviendra de ses limbes étranges qui l’ont laissé sortir un instant, pour voir ce que cela pouvait donner, l’amour. Les limbes savent s’amuser et ne ratent aucune occasion de faire parler d’elles, de contempler joyeusement ces petites choses étranges, les vivants, se rouler idiotement à leurs pieds. Les limbes et leurs pieds… Ils sont vraiment simplets ces humains. Eurydice est un texte simple, écrit en 1941 et dans lequel on évolue avec une facilité déconcertante, oui, mais qui justement fait un bien fou et après cette mise en scène d’Emmanuel Gaury, donne envie d’aller relire ou lire Anouilh, d’aller aussi faire un petit tour à travers les mythes antiques, la musique, l’opéra, sans forcément chercher des liens entre les uns et les autres, mais se faire du bien. Avancer, approfondir, frémir, pleurer, en silence ou non. Eurydice d’Emmanuel Gaury donne toutes ces envies. La mise en scène semble écrire « pureté » puis la surligne en fluo. Nous avons devant nous une simplicité tenace, des scènes qui se suivent et se mettent en place devant nous, les mini changements de décor sont faits par les comédiens et comédiennes, sous une lumière tout simplement moins forte, et ils nous expliquent que là, nous sommes dans le salon, qu’ici, certainement, nous serons cachés et qu’Orphée et Eurydice, les nouveaux, ne nous apercevront pas, si tout se passe bien. Ils sont tellement emportés qu’il n’y a aucune raison qu’ils jettent un œil vers nous, Eurydice ferait mieux d’ailleurs, elle essaie un instant puis n’avance pas plus loin, cesse, heureusement encore, et une dernière fois le regard glisse et se perd. Dommage. Pour elle. Pour nous, c’est presque un cadeau. Désolé de l’avouer. Cette équipe n’est ni comédiens ni comédiennes. Ce sont les vrais, rue Notre-Dame-des-Champs, nous avons Orphée et Eurydice, oui, le père d’Orphée, la mère d’Eurydice, le monde du théâtre, le bon dieu ou le diable, allez savoir… Ils se recherchent, se courent après, une fois trouvés se battent, se tuent, s’enfuient, rebondissent. Ils sont aussi à la terrasse d’un petit café et se posent mille questions. Menu ou plat seul ? Café avec ou sans sucre… La vie est bien difficile, vraiment. Comment savoir vers quel chemin s’avancer. Où est la simplicité, l’amour existe-t-il ? Oui, bien-sûr, mais l’ont-ils trouvé elles et eux ? Et une fois trouvé, faut-il le garder bien au chaud ou bien tout secouer suffisamment fort pour que tout s’écroule ? Le bonheur, la vérité, ça fait mal, non ? Orphée et Eurydice n’ont pas de chance, ils se trouvent d’un seul coup d’un seul, loin de la version « on réfléchit, hésite et pleure pendant des heures ». Là, c’est beaucoup plus simple, tout tombe au mauvais moment, oui, et hop ! le vent a tourné, sans prévenir personne. Joie, force et cendres. C’est la vie en quelque sorte. Eux ne le savaient pas et nous faisions semblant de ne pas y penser, jamais. Alors Anouilh s’est dit qu’il allait tenter de faire quelque chose pour nous avec Eurydice. Emmanuel Gaury suit l’exemple et nous fait du bien. Pas complètement, pas seulement, mais n’est-ce pas une preuve de très efficace talent ? Aucun doute, ici. Petit détail, certains rôles sont en alternance l’envie est immense de venir ressentir comment évoluent ces personnages, comment seront les doutes, les sourires et la mort, vraie ou fausse. La curiosité est grande oui, et les remerciements sont soufflés à travers les applaudissements, pour de vrai !    © Studio Vanssay    Eurydice, de Jean Anouilh Mise en scène par Emmanuel Gaury Musique : Mathieu Rannou Lumières : Dan Imbert Costumes : Guenièvre Lafarge   Avec : Bérénice Boccara (Eurydice en alternance) Lou Lefèvre (Eurydice en alternance) Gaspard Cuillé (Orphée) Benjamin Romieux (Monsieur Henri) Corinne Zarzavatdjian (la mère d’Eurydice) Jérôme Godgrand (le père d’Orphée, le chauffeur de car) Maxime Bentégeat ou Victor O’Byrne ou Pierre Sorais (le garçon de café, Mathias, le garçon d’hôtel, le petit régisseur, le secrétaire du commissaire de police, en alternance)   Du 13 mars au 5 mai 2024 A 18h30 du mardi au samedi A 15h le dimanche Durée du spectacle : 1h10   Eligible aux Molières 2024   Le Lucernaire 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris   Réservation : 01 45 44 57 34 www.lucernaire.fr    Read More →
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En travers de sa gorge, texte et mise en scène de Marc Lainé, au Théâtre du Rond-Point, Paris
  © Christophe Raynaud de Lage     ƒƒ Article de Sylvie Boursier  Lucas Malaurie, interprété par Bertrand Belin, a disparu sans laisser d’adresse. Suicide ? Accident ? Fugue ? On l’a vu dans le Vercors « sauter à l’élastique voleur d’amphores au fond des criques… ». Le disparu revient hanter sa femme, jouée par la céleste Marie Sophie Ferdane, qui entend sa voix à la Baschung tandis que sa silhouette fantomatique erre sur le plateau. Entre sa gorge démarre comme un polar, évolue en fantasmagorie chamanique et s’achève sur un tournage allenien à New York. Marianne Leidgens, l’épouse de Lucas, dont on finit par retrouver le corps, a quelque chose de l’héroïne de Mankiewicz dans L’aventure de Mme Muir, une femme illuminée par son amour pour un capitaine qu’elle était la seule à voir. Lucas se réincarne dans la peau d’un artiste plasticien, Medhi, et le désir est plus fort que la mort. La scène d’accouplement charnel entre Marianne et son mari défunt par tiers interposé a la beauté des fantasmes. Marc Lainé célèbre la puissance de l’imaginaire. Il a raison, l’amour se joue des disparitions et « l’aventure de Mme Muir » est le plus beau film du cinéaste. On est à nouveau bluffé par la maîtrise plastique du metteur en scène dont la sophistication sert une histoire parfaitement incarnée. La synchronisation des voix entre le fantôme présent sur scène et son double, joué par Yanis Skouta, remarquable en médium possédé par Lucas, est un véritable défi pour les comédiens. C’est drôle, émouvant et parfaitement crédible. On retrouve avec joie la comédienne Adeline Guillot, du cycle Liliane et Paul, représentant une amie du couple, seule à dénoncer la part d’ombre du spectre, en brossant le tableau d’un écrivain raté, assez minable, qui trompait son épouse, une cinéaste reconnue, et était jaloux de son talent. Le défunt règle ses comptes avec sa femme, par le biais du plasticien mais son ironie porte peu face à une Marianne dominatrice qui assume ses rêves, fussent-ils irréalisables. Le décor sobre, arty tendance cosy, s’ouvre sur les cimes du Vercors puis sur les toits de Manhattan. Pourtant on n’est pas complétement conquis, trop d’affectation peut-être qui génère une certaine lassitude dans la seconde partie, un peu bavarde, avec une fin tirée par les cheveux. L’utilisation systématique de la vidéo projetée sur grand écran prend trop de place contrairement à Nos paysages mineurs où elle appuyait le récit en faisant défiler des paysages informes derrière la fenêtre du compartiment de Liliane et Paul. Malgré ces réserves ce spectacle nous touche, il parle de notre relation aux morts et de notre besoin de fictions dont les rêves sont faits, ce qui pousse le romancier à écrire et le metteur en scène à créer d’autres vies que la sienne.   © Christophe Raynaud de Lage     En travers de sa gorge, texte, mise en scène et scénographie de Marc Lainé Musique : Superpoze Lumières : Kevin Briard Vidéo : Baptiste Klein Son : Morgan Conan-Guez Costumes : Benjamin Moreau Avec Bertrand Belin, Jessica Fanhan, Marie-Sophie Ferdane, Adeline Guillot en alternance avec Clémentine Verdier, Yanis Skouta et la participation de Dan Artus, Tünde Deak, Thomas Gonzalez, Laurie Sanquer, David Hanse, Farid Laroussi   Jusqu’au 16 mars 2024 Du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 19h30 Durée du spectacle : 2h15   Théâtre du Rond-Point 2bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris   Réservations : 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr      Read More →
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Blue Roses, de Thibault Lac, à la Ménagerie de verre, Paris, dans le cadre du festival INACCOUTUMÉS 2024
    © Camille Leprince     ƒƒ article de Nicolas Thevenot Blue Roses a le charme de l’esquisse. Du trait mal assuré côtoyant le trait de génie. Thibault Lac danse régulièrement chez le chorégraphe américain Trajal Harrell, sa présence magnétique et ses volutes, pareilles à un iris noir, électrisaient ainsi son avant-dernière pièce présentée au Festival d’Automne, The Köln Concert. A la Ménagerie de Verre, dans la salle du rez-de-chaussée, au plafond bas étirant la vision en cinémascope, c’est à une performance s’élaborant sous nos yeux que nous assistons à un work in progress évolutif selon les lieux, dont une autre version sera présentée lors d’un prochain festival au Pays-Bas. Empruntant certains éléments au cabaret drag, comme ce podium, ou encore cette manière de détourner en accroche les poutres métalliques du plafond pour un pole dance renversé, Blue Roses se produit pour autant sans préséance spectaculaire, dans une sorte de dénuement du regard. Une modestie que ne remettent pas en cause les étoffes chatoyantes et autres accessoires qui habillent sa longue silhouette : ce qu’il aura à faire il le fera, délivré de tout récit, de toute histoire, au doigt mouillé. L’ingénuité du réel au prise avec l’élan de la rêverie. Ce qui a lieu devant nous est de l’ordre de la fleur coupée, de la fleur cueillie et jetée, sans plus d’états d’âme, sans un regard au public. Une esthétique de la dépense et de la perte. Cheminement métamorphique, Thibault Lac débutera sur des chaussures plateformes sans talon, le projetant dans un imaginaire équidé, puis les troquera pour des plumes d’autruche, voletant ainsi, de pacotilles, entre Pégase et Icare. Le frétillement des ailes succède à la ruade des sabots, servie comme sur un plateau, dans cette proximité que nous avons avec le podium en plexiglas, exposant ses fleurs et fougères à la manière d’un herbier. Thibault Lac est une énigme : il en impose par sa taille mais échappe comme un homme en fuite, d’une troublante intranquillité. A quelques pas de nous, il est inatteignable dans cette chambre à soi qu’il convoque devant nous. Utilisant la force et les spécificités du lieu, Blue Roses prendra dans un second temps ses distances, cavalcade dans le lointain de la salle. Allongement de la focale qui transforme ce qui, sous nos yeux, semblait hésitant, en geste chorégraphique affirmé, comme si cet éloignement était nécessaire pour qu’advienne et se détache effectivement le tracé d’un mouvement et d’un poème. Et qu’une figure autre émerge. D’un avant-bras replié à hauteur de visage, comme la visière derrière laquelle le chevalier guette l’ennemi, de ce détail parfaitement dessiné, Thibault Lac fait surgir le roman à la rose ! c’est d’une économie exemplaire et d’une ineffable poésie.   © Camille Leprince   Blue Roses, conception et interprétation de Thibault Lac Accompagnement technique et artistique, lumière : Alice Panziera Regard extérieur : Bryana Fritz Durée : 45 minutes   Les 7 et 8 mars 2024, à 20h30   La Ménagerie de verre 12/14 rue Léchevin 75011 Paris Tel : 01 43 38 33 44 www.menagerie-de-verre.org      Read More →
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Hamlet de William Shakespeare, un spectacle de Christiane Jatahy à l’Odéon – Théâtre de l’Europe, Paris
© Simon Gosselin     ƒƒ article de Nicolas Thevenot Dans l’épaisse forêt des œuvres dramaturgiques, Hamlet convoque les fantômes. Ceux de son histoire, bien sûr, le père d’Hamlet en premier lieu, assassiné par son frère Claudius, aidé de Gertrude, qui l’épousera en secondes noces, à peine l’oraison funèbre de son premier époux prononcée, suivi de toute la cohorte de ceux-là mêmes que le drame shakespearien fera passer par le fil de son histoire, Polonius, Ophélie… Et puis, il y a sur un autre plan encore les fantômes des innombrables mises en scène qui précédèrent celle de Christiane Jatahy, et qui, pour chaque spectateur, officient comme autant d’images fantômes peuplant leur imaginaire, en l’occurrence, celle de Georges Lavaudant en 1994 à la Comédie Française avec le fragile et magnétique Redjep Mitrovitsa. Le spectacle de Christiane Jatahy sort du lot, se singularise dans ses choix qui vont bien au-delà du savoir-faire qu’elle a développé au fil des ans quant à une hybridation du théâtre et du cinéma. Mais, le travail d’incrustation vidéo, toujours aussi virtuose, s’il est très présent et est même la pierre de touche de l’amorce du spectacle, le sera beaucoup moins sur l’ensemble. Une réserve bienvenue dans l’usage de cet effet comme si son association avec le littéral fantomatique de la pièce le dévaluait en simulacre ne produisant plus d’autre sens qu’anecdotique. La superposition, plutôt que celle des images filmées sur celle des acteurs en jeu au plateau, est avant tout celle du texte de Shakespeare sur le scénario imaginé par Christiane Jatahy, comme un chemin parallèle prenant ses aises avec sa source. Dans cet appartement classieux au vaste salon ouvrant sur une cuisine façon loft, à l’immense baie vitrée aux ventaux allongés, au canapé modulable et design, bref, dans ce lieu qui évoquerait, tel un appartement en bord de plage à Ipanema ou sur la côte d’azur, bien plus encore le cénacle des très riches que le monde bourgeois, le texte de Shakespeare flotte comme un fantôme sur le dérèglement capitaliste dont c’est la tête pourrissante qui est donnée à voir par ce drame familial. Il est presque comme un habit trop grand pour ce monde-là, bien rétréci quand bien même il gouvernerait aux autres. Son trône est celui d’une chiotte, comme nous l’a appris Freud. Dans ce monde-là, on s’arroge tous les droits, et l’art même n’est que divertissement sans valeur. Christiane Jatahy a la brillante idée de déporter la célèbre scène de théâtre dans le théâtre où le crime est rejoué devant le nouveau roi en projetant la séquence dans un jeu de société. De manière générale, ce Hamlet exhale un sentiment de « hors-sol », de futilité, de superficiel, assumé notamment par le jeu des acteurs, dont l’affectation serait elle-même fausse, à l’instar de Gertrude, en larmes et jouant les pleurs alors qu’elle vient d’éplucher et couper des oignons. Cette troublante facticité est encore accusée par l’intervalle que le texte crée entre ce qu’il déploie par sa poétique (toujours perceptible) et ce que les situations scénarisées convoquent. Dans le monde de l’argent, on cite le texte comme un faire-valoir mondain, et le poème est réduit à la citation, sans plus d’incarnation, comme une pizza en tranches que l’on se partagerait. Dans ce jeu de massacre social et politique, Shakespeare se travestit en Pasolini. Le spectacle de Christiane Jatahy est un malaise, un symptôme, révélé par cet adolescent.e d’Hamlet, remarquablement interprété par Clotilde Hesme qui arrache, dans sa folie, le voile hypocrite qui recouvre le dépérissement de ce monde. Le choix d’une actrice pour le rôle, s’il permet de faire résonner certaines questions de genre (« ce n’est pas se comporter en homme » lui dira son beau-père), ne chamboule pas outre-mesure la problématique que soulève la mise en scène : cette perte de réel qui fait dire à un personnage, on ne peut plus justement, « seuls nos mendiants sont de chair et de sang ». Ce monde-là manque de consistance, sa vanité est l’autre nom de son néant. Ce monde-là ne saurait être aimé ni même avoir notre sympathie, cela participant sans doute à l’insurmontable fossé entre salle et scène, alors que l’on sait combien Christiane Jatahy aime à la gommer. Son spectacle est empreint d’un pessimisme noir, d’un désenchantement envers le monde mis en coupe par le matérialisme et la finance. Citant la célèbre scène de la bougie de Nostalghia, elle filme Ophélie en lieu et place du poète dans le film de Tarkovsky, et semble suggérer que le monde sera sauvé en en finissant avec le patriarcat. On aimerait la croire.   © Simon Gosselin     Hamlet, mise en scène, adaptation, et scénographie de Christiane Jatahy Traduction : Dorothée Zumstein Collaboration artistique, scénographie, lumière : Thomas Walgrave Direction de la photographie, caméra : Paulo Camacho Costumes : Fauve Ryckebusch Système vidéo : Julio Parente Musique originale : Vitor Araujo Conception son : Pedro Vituri Collaboration pour le développement, technique du décor : Marcelo Lipiani Conseil dramaturgique : Márcia Tiburi, Christophe Triau Directeur de production et diffusion de la compagnie Vértice : Henrique Mariano Assistante à la mise en scène : Laurence Kelepikis Assistante aux costumes : Delphine Capossela Stagiaire à la mise en scène : Maëlle Puéchoultres Stagiaire à la scénographie et à la lumière : Kes Bakker Réalisation du décor : Atelier de construction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe et l’équipe technique de l’Odéon-Théâtre de l’Europe     Durée : 2h15 Du 5 mars au 14 avril 2024 Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h Relâches les lundis   Odéon – Théâtre de l’Europe Place de l’Odéon 75006 Paris Tél : 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.eu    Read More →
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Phèdre, de Jean Racine, mise en scène de Matthieu Cruciani, assisté de Jules Cibriario, scénographie de Nicolas Marie, Scène Nationale Les Gémeaux, Sceaux
  © Simon Gosselin   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette   « Je voudrais saisir le subconscient de cette pièce, le grand refoulé, les arcanes et les ombres, voilà ce qui m’attire dans Phèdre : un grand songe noir », a expliqué le metteur en scène, Matthieu Cruciani. Que dire d’autre, qu’ajouter, sinon que Phèdre vous abandonne sur un petit nuage, après presque deux heures d’émerveillement dont il est difficile de redescendre. Phèdre peut faire peur, vers quoi peut-on être « embarqués » ? Le fantôme de Racine va-t-il bien se tenir, accepter, comprendre ? Là, ce fût très périlleux, ce fantôme était intenable, applaudissant violemment du début à la fin. Pour être honnête, le tout début peut faire un peu peur : les voix résonnent presque froidement, comme celles des enfants peuvent le faire à l’école, récitant Racine notamment. Méchamment ou trop pressé, on se dit qu’il faudrait souffler, pensant avoir tout saisi déjà, tout vu. Erreur monumentale, c’était la première, toujours impressionnante des deux côtés, et ceci explique peut-être la lenteur monumentale de ces dix minutes ? Peu importe, tout s’envole ensuite, vers la beauté de ce texte, oui, de toutes ces tensions, ces mensonges ou vérités trop rapides, bien entendu. Mais les voix aussi « sortent », s’emportent. Le public se penche ici ou là vers cette scène d’une pureté rare, menaçante et complexe, un public tendu, « sur-attentif », comme éperdument emporté vers Trézène, cette ville du Péloponnèse où tout explose. La modernité de Phèdre nous prend à la gorge, certes ici soutenue par ces costumes extraordinaires, un décor simple et plus fort encore. L’amour, la trahison, la fierté et les combats, les mensonges ou les pieds dans le plat, Phèdre les mélange, on imagine Racine écrire, déchirer, reprendre et nous permettre d’avoir autant de bonheur, là, avant de regagner le RER. Racine voyait en ce texte une réussite parfaite. Oui. Et là, en plus il y a le travail de Matthieu Cruciani, de cette troupe jeune et vivante. Qui donne envie de (re)lire ce texte, de s’y (re)plonger et sentir à nouveau tout ce qui nous a été offert à Sceaux.   © Simon Gosselin   Phèdre, de Jean Racine Mise en scène : Matthieu Cruciani Assisté de : Jules Cibriario Scénographie : Nicolas Marie Costumes : Pauline Kieffer Création musicale : Carla Pallone Création lumières : Kelig Le Bars   Avec : Lina Alsayed, Jade Emmanuel, Ambre Febvre, Thomas Gonzalez, Maurin Ollès, Hélène Viviès, Philippe Smith   Du 7 au 17 mars 2024 Première en Ile-de-France   Durée 1h50   Les Gémeaux 49 avenue Georges Clemenceau 92330 Sceaux   Réservation 01 46 61 36 67 Adresse du site email : www.lesgemeaux.com      Read More →
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L’Art de la joie, d’après Goliarda Sapienza, mise en scène de Ambre Kahan, MC 93
© Christophe Raynaud de Lage    ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia  De manière générale, l’imaginaire que crée la littérature fictionnelle, et plus encore celle qui appartient à la catégorie des romans initiatiques, de ceux que l’on ne pourra jamais oublier, de ceux qui participent à leur manière à notre construction, voire même à notre déconstruction, rendent toute acceptation d’une adaptation théâtrale périlleuse. L’Art de la joie est l’archétype de ce phénomène. Chacun a son propre Art de la joie, chacun a sa propre Modesta. Ma Modesta et mon Art de la Joie ne sont pas ceux d’Ambre Kahan, mais cela importe-t-il ? Le plus important n’est-il pas que la salle soit remplie, et pas seulement de femmes ; l’important n’est-il pas qu’une partie du public qui n’avait pas encore lu l’ouvrage avant de voir son adaptation, se rue à l’entracte à la librairie pour acheter un exemplaire de l’ouvrage traduit en français (par Nathalie Castagné) depuis à peine 20 ans ? Si ce roman a été une déflagration pour un grand nombre de femmes, il est si important qu’il soit lu et maintenant entendu par le plus grand nombre possible d’hommes aussi. Il y a peu d’équivalent en littérature pour expliquer sans tabou le désir féminin, les paradoxes de l’intimité, les limites des compréhensions mutuelles entre hommes et femmes et plus généralement dans les relations amoureuses. « Vos mères ne vous apprennent-elles rien ? » s’étonne Modesta à plusieurs reprises. Mais comment expliquer les méandres, complexités et chausse-trappes des relations amoureuses, nécessitant un équilibre difficile et précaire entre sexualité, tendresse, complicité et partage ; comment transmettre ce qu’il faut dire et faire, ce qu’il ne faut pas dire et ne pas faire ; comment ne pas reproduire les schémas imposés ? Modesta s’accepte et se découvre femme, s’autorise à dévorer la vie et à ne pas se laisser dominer par les hommes, tout en les aimant à la folie. Elle se pose en égal dans une société patriarcale, que ce soit dans l’engagement politique, dans la capacité à gérer des affaires et à décider de son intimité. L’Art de la joie ou comment accepter d’être femme et en jouir aux sens propre et figuré. Des quelques 400 pages des deux premières parties, la metteuse en scène a retenu tout particulièrement en deux Actes de 2h30 entrecoupés d’un entracte de 30 minutes, l’auto-éducation dans la jouissance sexuelle. Elle en fait, il faut bien le dire, des tableaux de toute beauté, qui tiennent bien sûr à la perfection plastique des protagonistes, mais tout autant au réalisme dénué de toute vulgarité, en dépit d’une récurrence des scène sexuelles variées (de la masturbation à la pénétration dans toutes les positions, en passant par la fellation et le cunnilingus) de manière très explicite et d’une nudité qui semble omniprésente, jusque dans less gradins. L’amour physique dans toute sa plénitude et splendeur quand il est partagé et non pas imposé par l’homme. La performance de Noémie Gantier y est évidemment pour beaucoup. On se prend à se demander en sortant comment on peut se remettre d’un tel rôle. Là où la présente chroniqueuse est le moins convaincue, c’est sur le registre comique qu’Ambre Kahan a retenu, renforcé en outre par l’ajout d’un personnage, Giùfa, une sorte de bouffon à la sauce contemporaine en slip et talons, qui joue les Monsieur Loyal et utilise la parabase pour donner des précisions historiques ou résumer quelques pages du roman, parfois accompagné d’autres comédiens. En soi, ses interventions (en la personne de Florent Favier qui joue aussi Carlo) sont très cocasses, tout comme les gesticulations de certains personnages qui semblent presque être des hommages par instants à la comedia del arte, mais c’est une interprétation qui nous semble assez éloignée de l’esprit du roman, tout comme l’hystérie avec laquelle frise parfois Modesta, que l’on considère même comme un contresens pour cette héroïne indomptable à l’image de son autrice. Si l’on ne connaissait pas le roman, ou s’il s’était agi d’une autre œuvre, la riche scénographie au cordeau, la performance des comédiens, tous excellents, au premier rang desquels Noemie Gantier déjà citée, Serge Nicolaï (dans le rôle de Carmine), Louise Rieger (Vif-Argent), Aymeline Alix (notamment la Princesse Gaia), et la mise en scène millimétrée, voire trop léchée (ainsi que la bande son quand ce n’est pas le live du violoncelle, du cor et du piano) convaincraient pleinement. Mais c’est L’Art de la joie et l’on aurait rêvé sans doute une adaptation plus subversive et risquée du chef d’œuvre que cette femme exceptionnelle que fut Goliarda Sapienza qui mit dix ans à l’écrire, sans pouvoir le voir publié avant sa mort, après 20 années de tentatives et refus. Il faut tout de même aller le voir (encore des dates de tournée, y compris en région parisienne) et on ne saurait que trop conseiller en attendant peut-être la deuxième saison de cette fresque sicilienne, la lecture des Carnets parus récemment aux éditions du Tripode.   © Christophe Raynaud de Lage   L’Art de la joie d’après Goliarda Sapienza Adaptation et mise en scène : Ambre Kahan Ecriture (pour le rôle de Giùfa) : poète Paradis Assistanat à la mise en scène : Romain Tamisier Accompagnement artistique et éducatif : Léonard Prego, Amélie Gratias en alternance avec Karine Guibert Lumière : Zélie Champeau Son : Mathieu Plantevin Création musicale : Jean-Baptiste Cognet Scénographie : Anne-Sophie Grac Costumes : Angèle Gaspar Perruques et maquillage : Judith Scotto Régie générale : Charles Rey Régie plateau : Ida Renouvel Décor : Ateliers de la MC93   Avec : Aymeline Alix, Jean Aloïs Belbachir, Florent Favier, Noémie Gantier, Vanessa Koutseff, Élise Martin, Serge Nicolaï, Léonard Prego, Louise Rieger, Richard Sammut, Romain Tamisier, Sélim Zahrani Et : Amandine Robilliard (violoncelle) et Romain Thorel (cor, piano)   vu le 10/03/2024 Durée : 5h30 (avec entracte)   MC 93 9 boulevard Lénine, Bobigny (93) Jusqu’au 10 mars 2024   En tournée en 2024 : L’Azimut à Châtenay-Malabry, les 16 et 17 mars ; Malraux, scène nationale de Chambéry Savoie les 28 et 29 mars ; scène nationale de Châteauvallon- Liberté, les 11 et 12 octobre.                Read More →
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La Terre d’après Emile Zola, adaptation d’Anne Barbot et Agathe Peyrard, mise en scène d’Anne Barbot au TGP Saint Denis.
      © Simon Gosselin   ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Autour d’une vaste tablée de cour à jardin comparable aux jours de batteuse chez nos arrières grands parents, on joue aux cartes, on mange, on boit et on se raconte des histoires. A Rognes, un village beauceron, la terre de glaise et d’ombre est marron gris comme les paysans qui la retournent, une couleur abondamment utilisée par les peintres depuis Lascaux jusqu’à Georges Braques. Un jour de moissons, en été au coucher du soleil, on est dans la salle commune, séparée de l’étable par des plaques de plexiglass, le bétail est au milieu du foin au fond.  Le clan Fouan au grand complet nous apostrophe joyeusement, On trinque ? Vous habitez où ? Paris Connaissez-pas mon fils, Ernest Delhomme ? Et là un monde vous tombe dessus, à 50 km de la capitale. Anne Barbot est coutumière d’une proximité avec le public qu’elle immerge dans un milieu aux enjeux évidents dès le premier tableau. Le patriarche, trop vieux pour cultiver ses terres, se résout à en faire don à ses trois enfants : Fanny, mariée à monsieur Delhomme, cultivateur et maire du village ; Hyacinthe dit Jésus-Christ, épicurien révolté qui dilapide ses sous au bistrot, et Joseph dit Buteau, violent et obsédé par un sentiment d’infériorité. Ce prologue ouvre sur toutes les questions posées par Zola qui restent d’une grande actualité. Que faire quand on hérite de surfaces peu fertiles ou trop petites ? Peut-on s’exclure de la communauté quand on n’a pas la terre dans le sang ? Comment rester compétitif face à l’invasion du blé étranger qui casse les prix ? vendre, emprunter, mécaniser ? Après le Baiser comme une première chute sur le monde ouvrier d’après l’Assommoir, Anne Barbot adapte la Terre, autre volet des Rougon Macquart. Elle resserre l’intrigue autour de la famille Fouan et peint des personnages attachants loin des pochtrons bestiaux de Zola qui passaient leur temps à travailler et à forniquer. Leurs fêlures apparaissent, à la fois viscéralement attachés à leur famille et capables de tuer pour un lopin de terre. Le pater familias autoritaire est démuni face à la dépression de son fils, anarchiste sensible qui ne supporte pas les conflits. Françoise, la sœur que l’on croyait soumise, réclame in fine son dû avec beaucoup de finesse. Pas de narration chez Anne Barbot, tout est action, dialogue. On vit au présent l’enchainement des tableaux rythmés par des temps forts, le partage, le mariage, la naissance, la faillite, l’enterrement …l’anatomie d’une chute et la dégringolade d’obscurs paysans. Pas d’esthétisme non plus, on vit, on lutte, on tombe et on crève, la metteure en scène ne craint pas le réalisme et peut compter sur une troupe à l’engagement physique total. On pouvait craindre le misérabilisme mais il n’en est rien, Anne Barbot porte haut une fresque sociale aux accents shakespeariens, le vieux Fouan, remarquable Philippe Bérodot, est un roi Lear déchu dont les enfants sucent le sang, il erre de maison en maison accompagné de son fou Hyacinthe, impressionnant Ghislain Decléty, le seul qui lui témoigne un peu d’affection. Il en mourra de chagrin tandis que ses enfants héritent d’une terre qui ne vaut plus rien, victimes de leur bêtise et de leur incapacité à faire front commun. À la fin il ne reste plus rien des granges à céréales excepté des cendres, vulgaires gravats que le vent disperse dans un nuage de chagrin et de regret. L’incendie, le battage, la tempête, autant de moments tragiques dignes du maitre anglais sur fond d’observation clinique des ravages du délirium tremens. On rit au début de leurs blagues, de leur propension aux ripailles, plus du tout au milieu tant la dureté laisse présager un épilogue terrible et à la fin on souffre avec eux. Un grand spectacle populaire, juste et rigoureux, l’adaptation, la mise en scène, la direction d’acteurs et l’interprétation, tout est impeccable sans les inévitables fumerolles et sans relecture militante imbécile des classiques, ça devient rare. Le théâtre Gérard Philippe à Saint Denis confirme la qualité de sa programmation, courrez y avant le 21 mars !               © Simon Gosselin   La Terre d’après Emile Zola Adaptation d’Anne Barbot et Agathe Peyrard Mise en scène : Anne Barbot Scénographie :  Camille Duchemin Lumière : Felix Bataillou Musique : Mathieu Boccaren Costumes : Gabrielle Marty Avec : Milla Angid, Philippe Bérodot, Benoit Carré, Wadith Cormier, Benoit Dallongeville , Ghislain Decléty, Rébecca Finet, Sonia Georges.   Jusqu’au 21 mars du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 15h30, relâche le mardi Durée du spectacle 2h 15   TGP Saint Denis 59, boulevard Jules Guesde Saint Denis 93   Réservation : 01 48 13 70 00 reservation@theatregerardphilippe.com   Tournée : 5 avril, espace Marcel Carné, Saint- Michel- sur – Orge,  91 3 mai, Théâtre Châtillon -Clamart, 92        Read More →
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Painkiller, écrit et mise en scène par Pauline Haudepin, Théâtre La Colline, Paris
  © Jean-Louis Fernandez article de Nicolas Brizault-Eyssette Painkiller ou l’histoire d’une déception. D’un vide lassant. Le spectacle commence sur un ton un peu plus mouvementé. Un (vieux) roi de du football, Sadking, prend en otage, ou plutôt met de côté rien que pour lui seul, dans un terne caprice, un (jeune) humoriste (humoriste, il faut le deviner), Painkiller, dans une belle salle de bains, dont la forme, le décor, est probablement issu de DUST #13, une installation numérique de Frederik Heyman : de grandes marches de carrelage, support quasi majestueux d’une baignoire banale. Dans cette baignoire, qui elle, développe un intérêt majeur, règne à demi le vieux bonhomme, triste et comme tentant de faire encore quelques pas sur un fil, avant d’abandonner son superbe travail. Pour s’amuser, il a enlevé ce jeune prince de l’humour, paumé lui aussi. Nous allons donc tenter d’assister à ce conflit plus que paisible entre ces deux hommes. Comme l’avoue Painkiller : « C’est l’histoire d’un homme qui achète un jeune homme pour le divertir et qui se rend compte que la marchandise est pourrie (…) ». En fait, l’a-t-il acheté, volé ? On n’en sait presque rien, et cela durera tout le long de cet ennui démarrant après les dix toutes premières minutes, qui promettent beaucoup, mentent et prédisent un spectacle remuant et surprenant. Ces dix minutes passées on s’écrase cruellement dans un texte plat, lent. Texte qui nous pousse davantage à songer au linge propre mis à sécher dans notre salle de bains qu’au sens véritable de Painkiller, un antalgique en anglais. Substance que l’on serait tenté d’ajouter à cette liste lors de notre prochain petit tour dans un supermarché et passant devant la première pharmacie venue. Painkiller est séquestré dans la baignoire, dans la salle de bains de Sadking. Celui-ci quitte son costume, s’habille, les deux en même temps, allez savoir. Il se souhaite enfin prince télé-éteinte. Plongé dans un ennui lent et contagieux, il enferme Painkiller pour que celui-ci l’amuse. Painkiller ne veut pas, ne se laisse pas faire sans menacer faussement de cogner, c’est une blague, ou se laisse faire sans bouger c’est selon. Sadking essaie de comprendre, pour rire un rien. Nous sommes pourtant plongés dans la mollesse, la baignoire serait-elle remplie de sédatif ? Le texte de Pauline Haudepin est une série de mots secoués, ne libérant aucunes phrases donnant envie d’entrer réellement, dans ce Painkiller, de le suivre. On nous parle de folie, de conte, de torture ou de roi, de fou. De douleur aussi, la nôtre ? Le texte ne fascine pas, le jeu ne semble pas savoir dépasser les limites. On se demande juste quels sont les produits sous le miroir de la salle de bains, si la baignoire va se remplir d’eau. Si Pauline Haudepin, étant la Sirène des égouts dans Painkiller, sait justement les dépasser, les limites : un fou de la niaiserie amusante est sensé tartiner un roi du ballon rond de mousse à raser pour tenter de lui faire reprendre un éventuel droit chemin vers le rire et la vie ? Il le fait bien proprement. C’est vilain les taches et le trop, quelle horreur ! De temps en temps, simplement, le danger de molles lumières stroboscopiques, pour faire plus grand, plus impressionnant. Bref, de l’incompréhensible mal secoué, un texte pénible et mal offert et, ici ou là, dans la salle, l’idée de changer d’appartement ou de faire des travaux. Painkiller.   © Jean-Louis Fernandez   Painkiller, écrit et mis en scène par Pauline Haudepin Création (Pauline Haudepin est en résidence de création et d’actions artistiques au Théâtre de la Cité internationale, Paris) Scénographie et costumes : Constant Chiassi-Polin Son : Sarah Munro Lumières : Laurence Magnée Collaboration artistique : Alexandre Ben Mrad Assistanat à la mise en scène : Léon Ostrowsky Régie générale et plateau : Marion Koechlin Fabrication des accessoires, costumes et décor : Atelier de la Colline Administration et production : Agathe Perrault – La Kabane, assistée de Sarah Baranes   Avec John Arnold, Mathias Bentahar, Pauline Haudepin   Du 6 au 30 mars 2024 Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h Durée du spectacle : 1h20     La Colline Au Petit théâtre 15 rue Malte-Brun 75020 Paris Réservation 01 44 62 52 52 www.colline.fr      Read More →
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Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris, d’après la nouvelle de Franz Kafka, mise en scène de Régis Hebette, à L’Échangeur de Bagnolet
  © Connie Martin   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot D’une ouverture à l’iris, faire un trou de souris. D’un premier plan de cinéma muet, faire fuser les mots de Franz Kafka comme un feu d’artifice dans la nuit noire de l’époque. Ce petit trou de souris, imaginé par l’écrivain dans son dernier texte publié avant sa mort, opère pareillement à celui percé dans la cloison de la camera oscura projetant dans la chambre noire une image insoupçonnée du monde. Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris est un changement de perspective, un décentrement et une brèche qui permettent de mieux y voir et penser. Un procédé qui, dans sa forme, pourrait se comparer à celui d’un Bourdieu choisissant la Kabylie comme terrain d’étude et, par l’écart culturel, par le déplacement, révélant une domination masculine qui sans cela resterait invisible sous nos propres yeux. Sauf qu’il ne s’agit pas ici de sociologie, mais de littérature, l’une des plus affutées qui soit, Franz Kafka, par le pouvoir de l’écriture, donnant voix à une figure animalière comme il le fit fréquemment dans son œuvre. C’est à une souris, digne et incisive représentante de son peuple, qu’il délègue ce discours sur l’état de l’Art, en quelque sorte, si l’on veut bien élargir la focale de la fable du champ « lyrique » (puisqu’il est question d’une célèbre souris cantatrice) à celui du champ artistique global. Et c’est surtout un renversement de point de vue, puisqu’il s’agit d’écouter celles et ceux habituellement assignés à écouter, qui n’ont jamais voix au chapitre. A petit pas trottiné, dans le grignotement des syllabes, c’est donc le cheminement d’une pensée à rebrousse-poil que nous suivrons, décoiffante et vivifiante, creusant son tunnel dans la gangue de nos idées reçues, parole toujours à pied d’œuvre d’un humble prosaïsme mais jamais obtuse, déconstruisant en quelque sorte le piédestal de l’artiste et son discours messianique surplombant, pour finalement apercevoir la part irréductible de l’art et de sa nécessité, inexplicable mais pas moins impérieuse. Il faut l’avouer : découvrir ce texte dans cette mise en scène et interprétation justes de perfection de bout en bout, produit un véritable sursaut de la pensée, une vraie joie de l’esprit. Un retour au cœur du théâtre, à ce qui fait théâtre, à ce qui nous fait public et à ce qui continue de nous interroger depuis le théâtre de mie de pain du ghetto de Vilno. A la littéralité du dispositif littéraire de Kafka, qui ne fait pas dans la métaphore mais pénètre le corps des êtres et la matière des mots, répond la pleine incarnation de la comédienne. Au travail des mots de l’auteur correspond le fascinant travail de composition d’un personnage. Régis Hebette se fait révolutionnaire en œuvrant dans ce théâtre que certains diraient passé de mode quand ils sont eux-mêmes pris dans les œillères d’une autre vogue. C’est un théâtre de l’artisan, au plus près du texte, non pas comme un manque d’horizon mais au contraire comme un univers en puissance dans la germination des mots. Laure Wolf est grimée entre figure du peuple, blouse grise, mitaines, visage fatigué, toujours affairée, et petite souris sifflante, oreilles pointues et queue flottant au détour de sa blouse. La pertinence de cette approche esthétique est évidente dans la déflagration du texte. De même que la nouvelle officie un passage à travers la figure animalière, le théâtre se devait également d’être un passage vers et non un reflet de l’humanité. C’est dans cette trajectoire et dans cet écart que réside l’art et que les mots peuvent faire caisse de résonnance. La mise en scène de Régis Hebette procède à sa façon comme un retour au masque originel du théâtre, et c’est par cet artefact, à l’instar de la nouvelle de Kafka, c’est par la stylisation virtuose du geste de la comédienne, qu’il atteint à sa nécessité. Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris endosse une sublime exactitude, se nichant dans ses détails, remplissant les moindres syllabes, façonnant ses échos, densifiant ses gestes et regards. Rarement mots auront été aussi bien portés avec une précision digne d’une miniature de la Renaissance. Et puis il y a ce vertigineux jeux de rôle où l’actrice sous couvert de la narratrice se fait elle-même cantatrice sous nos yeux, dénigrée et glorifiée d’un même geste. Laure Wolf « fait face » devant nous comme Joséphine devant son peuple, creusant, questionnant, expérimentant elle-même, cette mystérieuse tension et cette ambivalente fascination qui relient peuple et artiste comme l’eau et l’huile. Kafka écrivait à son ami Max Brod que le titre de sa nouvelle était comme une balance. Régis Hebette et Laure Wolf font advenir cet impondérable, cet inqualifiable, cet éternel recommencement, miraculeusement à l’œuvre entre ses deux plateaux.   © Connie Martin   Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris, mise en scène, adaptation et scénographie de Régis Hebette D’après la nouvelle de Franz Kafka Avec Laure Wolf Dessins & collaboration à la scénographie : Jean-Marc Musial Dispositif projection images : Guillaume Junot Création Lumière : Éric Fassa Création sonore : Samuel Mazzotti Costumes : Alice Touvet Maquillage : Julie Poulain   Du 29 février au 8 mars 2024 Du lundi au samedi à 20h30, sauf samedi 18h, relâche le dimanche Durée : 1h10   Théâtre L’Echangeur – Bagnolet 59 avenue Général du Gaulle 93170 BAGNOLET   Réservations : 01 43 62 71 20 https://lechangeur.org   Tournée : Le vendredi 29 mars à 19h30 La Commune – CDN d’Aubervilliers 2, rue Édouard Poisson 93300 Aubervilliers Tél : +33(0)1 48 33 16 16 https://www.lacommune-aubervilliers.fr/      Read More →
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Laodamie, écrit par Catherine Bernard, mise en scène d’Aurore Evain, Ferme de Bel-Ebat
  © Elise Prévost   ƒƒƒ article de Corinne François-Denève Depuis plus d’une dizaine d’années, Aurore Evain et sa compagnie La Subversive s’emploient à donner vie au « théâtre de femmes de l’Ancien Régime ». Mme Ulrich, Madame de Villedieu, Marie-Catherine d’Aulnoy, autant d’invisibles que la metteuse en scène édite, présente, met en lumière, et ressuscite sur les planches. Comment, toutefois, en 2024, représenter un « classique » du matrimoine ? Laodamie est la première tragédie écrite par une femme représentée à la Comédie-Française. Las ! Voltaire, arguant que le style en était sans doute bien trop haut pour être le fait d’une femme, l’attribua à Fontenelle. « Succès de larmes », la pièce fut peu à peu oubliée. Les pièces de Catherine Bernard sont devenues largement inconnues, faute d’avoir été lues et jouées. Il faut donc les rendre « accessibles » à un public rompu à Racine, Corneille ou Molière, dont les pièces sont incessamment reprises, modernisées, relues, revisitées. Il est peu de dire qu’Aurore Evain se confronte à une gageure. Laodamie raconte l’histoire d’une jeune reine, contrainte d’épouser un prince, Attale, pour conclure une alliance qui protégerait son royaume de la menace d’une guerre. Pour rester dans le répertoire classique, elle semble fournir un pendant tout à fait intéressant à Bérénice – mais Bérénice brûle seulement d’amour.  Laodamie parle de sentiments et de raison d’Etat. Mais, femme, Laodamie a-t-elle vraiment le choix, et, reine, a-t-elle vraiment le pouvoir ? La pièce se rapproche de cette Dissection d’une chute de neige, jouée il y a peu aux Amandiers, qui voyait Christine de Suède s’interroger sur son sort, dans un style néo-queer très tendance. Laodamie, en effet, évolue au sein d’un gynécée – une sœur, des confidentes. Laodamie, en outre, est éprise du fiancé de sa sœur Nérée. Et Gélon préfère la princesse à la reine. C’est bien la question du pouvoir des femmes qui se pose, ou du pouvoir au féminin. Aurore Evain a fait le choix d’une scénographie très sobre. Son plateau noir, dans le fond duquel se découpe une funeste fumée, est coupé par un trône immense, d’un gris métallique, carcasse de robe inversée. L’état de reine est une servitude, comme le manifeste le lourd accessoire, que Laodamie traine derrière elle, enchainée aux poignets par lui. Dans le rôle de Laodamie, Nathalie Bourg a la fragilité pleine de fougue d’une Falconetti, voix pleine et décidée, déliant les alexandrins, mais le regard trouble, et le front vacillant sous la couronne. A ses côtés, Mona el Yafi, splendide Galatée antique, joue Nérée, la sœur, toute de douceur et de tendresse. Catherine Piffaretti complète la distribution féminine. Du côté des hommes, Nathan Gabily (aussi créateur de la musique originale) et Matila Malliarakis apportent la noirceur masculine. Amal Allaoui, comme dans nombre de spectacles d’Aurore Evain, propose des intervalles musicaux qui sont autant de belles respirations dans une intrigue touffue, dont on sait qu’elle finira mal. Mais pas de la façon attendue. Les images créées sont splendides : les éclairages, subtils, dessinent des espaces symboliques et beaux, entre proche et lointain. Les costumes de Tanya Artioli, la scénographie de Carmen Mariscal, tout aussi magnifiques, se situent dans un entre-deux : on pense parfois aux vases antiques, aux mythiques Perses de Jean Prat, pour l’instant suivant être propulsés dans un univers de série dystopique, façon Game of Thrones. La fin arrive, tragique, mais sans violence aucune : douceur/douleur d’un destin de femme ; mort chuchotée ; noble sacrifice. On ne se demande qu’une chose : à quand le retour triomphal de Catherine Bernard à la Comédie Française, et la possibilité, pour Aurore Evain, de faire découvrir ce nouveau théâtre classique et populaire au très, très grand public ?   © Elise Prévost   Laodamie, écrit par Catherine Bernard Mise en scène par Aurore Evain   Avec : Amal Allaoui, Nathalie Bourg, Mona El Yafi, Nathan Gabily, Matila Malliarakis, Catherine Piffaretti Création musicale : Nathan Gabily Chant : Amal Allaoui Scénographie : Carmen Mariscal Costumes : Tanya Artioli Regard extérieur : Sophie Daull Collaboratrice artistique : Elise Prevost Spectacle en coproduction avec le Théâtre des Îlets – CDN de Montluçon, La Ferme de Bel Ébat – Théâtre de Guyancourt, Le Vivat, scène conventionnée d’Armentières.   Vu le 27 février 2024 Durée du spectacle : 1 h 40   Ferme de Bel-Ebat 1 Place de Bel Ébat 78 280 Guyancourt www.lafermedebelebat.fr   Tournée en cours : Montreuil, Montluçon, Armentières (29 avril 2025), etc., en 2024-2025. www.lasubversive.org    Read More →
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Le Consentement, écrit par Vanessa Springora, mise en scène de Sébastien Davis, Théâtre du Rond-Point
© Christophe Raynaud de Lage ƒƒƒ article de Corinne François-Denève Au début, elle s’avance sur la scène, comme pour se présenter, ou jauger ceux et celles qui vont l’écouter. Elle respire, le souffle un peu précipité déjà, sourit à certains et certaines, observe, accroche des regards. Puis elle disparaît derrière la toile de fond, sorte de membrane plastique qui, selon qu’elle s’approche ou s’éloigne, efface ou dessine les contours de son corps. Derrière cet écran, elle se déshabille. Elle se met nue, à nu. Elle l’a fait tellement de fois. Mais cette fois, c’est pour raconter sa vérité, écrire et dire sa fiction. L’ouvrage de Vanessa Springora, également adapté pour le cinéma, est bien connu. Cette « V. » et ce « G. » sont transparents. On connaît Le Consentement, on sait ce qu’on va entendre : l’histoire d’un littérateur épris de nymphettes, disait-on en gloussant dans les émissions littéraires, ou plutôt, donc, le récit de la dégueulasserie paisible et satisfaite d’un prédateur connu et protégé de tous, d’un pédophile avéré, qui guette les gamines à la sortie du collège, pour les « initier » et, à rebours, se nourrir de leur chair fraîche, et gloutonnement jouir d’une jeune inspiration pour ses abjects ouvrages. Mais comment le dire, et surtout comment le représenter ? Ludivine Sagnier, au Théâtre du Rond-Point, est seule en scène, ou presque : un batteur l’accompagne. Elle interprète tous les personnages du livre de Springora. Elle est la mère dépassée, le psychanalyste stupide, le médecin moins bête, mais aussi « V. » et « G. ». Les gestes sont esquissés, abstraits, tenus à distance, loin de l’obscène ou de l’explicite. Ce sont les mots qui disent les choses. Là où l’autrice s’emparait de l’arme de prédation qu’était devenue, entre les mains de « G. », la littérature, pour écrire un contre-récit aux souillures plumitives de l’auteur, s’accaparant enfin la parole, reprenant son « je », et inversant la domination, le théâtre porte une parole incarnée par Ludivine Sagnier. On l’a connue blonde fragile ou sculpturale dans les Ozon. Elle a été la fée Clochette de Spielberg. Ses grands yeux bleus, sa chevelure blonde et sa moue enfantine, coincés dans un coin de notre rétine collective, n’ont pas changé, non plus que sa voix, un peu cassée et boudeuse. Elle est la petite collégienne à la queue de cheval qui balance lorsque, de dos, elle remonte la rue qui conduit chez sa mère, que l’on a envie d’arrêter, de saisir par le bras, pour lui dire « N’y va pas ! ». Et c’est elle qui livre le terrible récit, chronologique, d’une emprise, et d’une agression. Un lit de soie noire d’un côté, une table et une chaise de l’autre : point d’afféteries de scénographie. La musique, en live, pour scander ces instants d’une enfance fracassée. Des passages ritualisés derrière le fond de scène, déshabillage, rhabillage en flouté, avant que le personnage n’en ressorte, dans ses propres habits de femme enfin révélée à elle-même et on l’espère réparée. On craignait le buzz, le sensationnalisme facile. Mais Sagnier porte à bout de bras, avec émotion, indignation et sincérité, le spectacle, de vraies larmes au bord de ses grands yeux d’enfant. Le propos est odieux et terrible, mais l’actrice réussit, en de fulgurants moments, à faire passer de lumineux moments d’humour et d’espoir, tenant le reste à bout de bras, sur le fil.   © Christophe Raynaud de Lage   Le Consentement, écrit par Vanessa Springora Mise en scène par Sébastien Davis Avec : Ludivine Sagnier, Pierre Belleville Collaboration artistique : Cyril Cotinaut Création musicale : Dan Levy Création lumière : Rémi Nicolas Assistante à la mise en scène : Dayana Bellini Scénographie : Alwyne de Dardel Assistante scénographie : Claire Gringore Stagiaire scénographie : Sabine Rolland Régie générale : Julien Alenda Régie son : Warren Dongué Directrice de production : Véronique Felenbok Chargée de production : Aliénor Suet   Du 7 mars au 6 avril 2024  Du mardi au vendredi, 19h30 Samedi, 18h30 Dimanche, 15h30 Relâche : Les lundis et les dimanches 17, 24 et 31 mars   Durée du spectacle : 1h20 Ce spectacle fait référence à une relation pédophile et peut heurter la sensibilité des personnes concernées.     Théâtre du Rond-Point (salle Tardieu) 2bis av Franklin D. Roosevelt 75008 Paris Réservation 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr      Read More →
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