© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Lucas Malaurie, interprété par Bertrand Belin, a disparu sans laisser d’adresse. Suicide ? Accident ? Fugue ? On l’a vu dans le Vercors « sauter à l’élastique voleur d’amphores au fond des criques… ». Le disparu revient hanter sa femme, jouée par la céleste Marie Sophie Ferdane, qui entend sa voix à la Baschung tandis que sa silhouette fantomatique erre sur le plateau. Entre sa gorge démarre comme un polar, évolue en fantasmagorie chamanique et s’achève sur un tournage allenien à New York. Marianne Leidgens, l’épouse de Lucas, dont on finit par retrouver le corps, a quelque chose de l’héroïne de Mankiewicz dans L’aventure de Mme Muir, une femme illuminée par son amour pour un capitaine qu’elle était la seule à voir. Lucas se réincarne dans la peau d’un artiste plasticien, Medhi, et le désir est plus fort que la mort. La scène d’accouplement charnel entre Marianne et son mari défunt par tiers interposé a la beauté des fantasmes.
Marc Lainé célèbre la puissance de l’imaginaire. Il a raison, l’amour se joue des disparitions et « l’aventure de Mme Muir » est le plus beau film du cinéaste.
On est à nouveau bluffé par la maîtrise plastique du metteur en scène dont la sophistication sert une histoire parfaitement incarnée. La synchronisation des voix entre le fantôme présent sur scène et son double, joué par Yanis Skouta, remarquable en médium possédé par Lucas, est un véritable défi pour les comédiens. C’est drôle, émouvant et parfaitement crédible. On retrouve avec joie la comédienne Adeline Guillot, du cycle Liliane et Paul, représentant une amie du couple, seule à dénoncer la part d’ombre du spectre, en brossant le tableau d’un écrivain raté, assez minable, qui trompait son épouse, une cinéaste reconnue, et était jaloux de son talent. Le défunt règle ses comptes avec sa femme, par le biais du plasticien mais son ironie porte peu face à une Marianne dominatrice qui assume ses rêves, fussent-ils irréalisables. Le décor sobre, arty tendance cosy, s’ouvre sur les cimes du Vercors puis sur les toits de Manhattan.
Pourtant on n’est pas complétement conquis, trop d’affectation peut-être qui génère une certaine lassitude dans la seconde partie, un peu bavarde, avec une fin tirée par les cheveux. L’utilisation systématique de la vidéo projetée sur grand écran prend trop de place contrairement à Nos paysages mineurs où elle appuyait le récit en faisant défiler des paysages informes derrière la fenêtre du compartiment de Liliane et Paul.
Malgré ces réserves ce spectacle nous touche, il parle de notre relation aux morts et de notre besoin de fictions dont les rêves sont faits, ce qui pousse le romancier à écrire et le metteur en scène à créer d’autres vies que la sienne.
© Christophe Raynaud de Lage
En travers de sa gorge, texte, mise en scène et scénographie de Marc Lainé
Musique : Superpoze
Lumières : Kevin Briard
Vidéo : Baptiste Klein
Son : Morgan Conan-Guez
Costumes : Benjamin Moreau
Avec Bertrand Belin, Jessica Fanhan, Marie-Sophie Ferdane, Adeline Guillot en alternance avec Clémentine Verdier, Yanis Skouta et la participation de Dan Artus, Tünde Deak, Thomas Gonzalez, Laurie Sanquer, David Hanse, Farid Laroussi
Jusqu’au 16 mars 2024
Du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 19h30
Durée du spectacle : 2h15
Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin Roosevelt
75008 Paris
Réservations :
01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
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