© Camille Leprince
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
Blue Roses a le charme de l’esquisse. Du trait mal assuré côtoyant le trait de génie. Thibault Lac danse régulièrement chez le chorégraphe américain Trajal Harrell, sa présence magnétique et ses volutes, pareilles à un iris noir, électrisaient ainsi son avant-dernière pièce présentée au Festival d’Automne, The Köln Concert. A la Ménagerie de Verre, dans la salle du rez-de-chaussée, au plafond bas étirant la vision en cinémascope, c’est à une performance s’élaborant sous nos yeux que nous assistons à un work in progress évolutif selon les lieux, dont une autre version sera présentée lors d’un prochain festival au Pays-Bas. Empruntant certains éléments au cabaret drag, comme ce podium, ou encore cette manière de détourner en accroche les poutres métalliques du plafond pour un pole dance renversé, Blue Roses se produit pour autant sans préséance spectaculaire, dans une sorte de dénuement du regard. Une modestie que ne remettent pas en cause les étoffes chatoyantes et autres accessoires qui habillent sa longue silhouette : ce qu’il aura à faire il le fera, délivré de tout récit, de toute histoire, au doigt mouillé. L’ingénuité du réel au prise avec l’élan de la rêverie. Ce qui a lieu devant nous est de l’ordre de la fleur coupée, de la fleur cueillie et jetée, sans plus d’états d’âme, sans un regard au public. Une esthétique de la dépense et de la perte. Cheminement métamorphique, Thibault Lac débutera sur des chaussures plateformes sans talon, le projetant dans un imaginaire équidé, puis les troquera pour des plumes d’autruche, voletant ainsi, de pacotilles, entre Pégase et Icare. Le frétillement des ailes succède à la ruade des sabots, servie comme sur un plateau, dans cette proximité que nous avons avec le podium en plexiglas, exposant ses fleurs et fougères à la manière d’un herbier.
Thibault Lac est une énigme : il en impose par sa taille mais échappe comme un homme en fuite, d’une troublante intranquillité. A quelques pas de nous, il est inatteignable dans cette chambre à soi qu’il convoque devant nous.
Utilisant la force et les spécificités du lieu, Blue Roses prendra dans un second temps ses distances, cavalcade dans le lointain de la salle. Allongement de la focale qui transforme ce qui, sous nos yeux, semblait hésitant, en geste chorégraphique affirmé, comme si cet éloignement était nécessaire pour qu’advienne et se détache effectivement le tracé d’un mouvement et d’un poème. Et qu’une figure autre émerge. D’un avant-bras replié à hauteur de visage, comme la visière derrière laquelle le chevalier guette l’ennemi, de ce détail parfaitement dessiné, Thibault Lac fait surgir le roman à la rose ! c’est d’une économie exemplaire et d’une ineffable poésie.
© Camille Leprince
Blue Roses, conception et interprétation de Thibault Lac
Accompagnement technique et artistique, lumière : Alice Panziera
Regard extérieur : Bryana Fritz
Durée : 45 minutes
Les 7 et 8 mars 2024, à 20h30
La Ménagerie de verre
12/14 rue Léchevin
75011 Paris
Tel : 01 43 38 33 44
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