Mascarades, de Betty Tchomanga, au Théâtre de la Bastille, Paris
  © Queila Fernandez   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Il n’y a de danse que possédée. J’emprunte l’assertion à Maya Deren, découverte à travers le récent spectacle éponyme de Daphné Biiga Nwanak et Baudouin Woehl. Parmi tous les sens possibles, Mascarades, de Betty Tchomanga choisit le plus littéral qui soit, le plus radical aussi, par une incarnation pleine jusqu’au débordement. Où il serait même impossible, prima facie, de poser des limites. Le rituel de possession met en crise la question de la propriété. In fine la question de l’identité. Car qu’est-ce que soi-même quand on n’est plus le même ? Betty Tchomanga incarne la divinité vaudou Mami Wata. En cela elle trouble le principe de représentation dans ce qu’elle charrie de conventions implicites et charge électriquement le rapport entre scène et public. Ainsi de son apparition, qui serait comme la découverte d’une présence que nous n’aurions pas remarquée jusque-là, en périphérie de notre champ de vision, et qui soudainement aspirerait toute notre attention. Alors que les portes de la salle ne sont pas refermées, alors que des bribes de conversations, des ronflements de moteurs actant la vie hors ses murs, se font encore entendre, s’immisce un chant lancinant, une plainte qui hésiterait entre le malheur et le bonheur de ce monde, déchirant les faux-semblants de la banalité. Suivra une silhouette fantomatique, à peine discernable, dans l’obscurité du plateau. Cette entrée en matière, assez stupéfiante, nous prenant au dépourvu, avouons-le, nous renvoyant à ces rencontres éphémères, subies, avec ces autres tristes et pauvres hères, blafards, drogués, crackeux, aux bordures de nos vies urbaines. En suggérant cette proximité, Betty Tchomanga joue de cette ambiguïté et déjoue le piège de l’exotisme : il n’est absolument pas question d’une quelconque reconstitution de rituel vaudou devant un parterre de touristes blancs. Mouvements syncopés, contorsions du corps, torsions faciales, yeux révulsés : nous reconnaissons ces traits sans pourtant les connaître. Quelque chose ici dénie ce qui ferait le génie autoproclamé de notre modernité, de notre occident. Puissant refoulement de cette prétention européocentrée. Cette danse d’un dérèglement de l’ordre du monde (ou de l’ordre d’un monde mis en coupe réglée), du dévoiement de l’ordre des corps, rationalisés pour mieux servir, cette intrusion du sauvage dans le policé, de l’animal dans l’humain, elle est une danse de résistance, elle est une offense à la bienséante fiction de l’exploiteur. Betty Tchomanga a écrit avec précision ce solo : la force de son incarnation n’a d’égale que l’exactitude de son écriture scénique. Ses cris n’ont de sens que parce qu’ils sont le contraire même d’un lâcher prise ou d’un abandon. Aucune improvisation mais une prise de position. Depuis cet autel qui n’exclut pas non plus le dispositif spectaculaire, bien au contraire, la danseuse porte haut et fort et magistralement ce masque grimaçant où ne se reflètent que nos propres peurs et nos désirs prédateurs, cette figure du vaudou réputée représenter la tension entre Afrique et Europe. L’acte se supporte lui-même, il n’a que faire d’une possible résolution, il est d’abord son propre nœud tordant ce corps. Vouloir le résoudre serait tordre le cou au passé, faire fi du présent. Mascarades nous promet un rituel comme pour mieux mettre à nu les liturgies rances de nos regards, les œillères de nos histoires. Mascarades est un artefact quand bien même il prendrait racine par une possession. Et c’est en cela qu’il est capable de créer son espace de liberté au-delà du capitalisme racial qui persiste à soumettre nos pensées.   © Queila Fernandez     Mascarades, conception et interprétation de Betty Tchomanga Création lumières : Eduardo Abdala Création sonore : Stéphane Monteiro Regard extérieur : Emma Tricard et Dalila Khatir Consultante travail vocal : Dalila Khatir Régie son : Stéphane Monteiro Régie lumières : Eduardo Abdala Durée : 45 minutes   Du 21 au 26 mars 2024 à 20h, sauf le 23 mars à 18h, relâche le dimanche 24     Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Métro Bastille   Tél : 01 43 57 42 14 https://www.theatre-bastille.com      Read More →
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Infra, de Vincent Dupuy, au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARDANTHE
  © Arnaud Bouvier   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Une jeune femme jaillit à jardin, s’arrête net. La tête partant en avant, comme un décrochement, comme un contrecoup, comme une secousse. A moins que cela ne soit l’inverse et que d’abord la nuque plia net, conduisant dans sa chute l’arrêt du corps en mouvement ? Infra nous place à cet endroit de perception : l’infime, la quantité négligeable qui deviendrait prépondérante. Une physique des corps et de la matière qui examinerait et révélerait l’imperceptible. Infra, projet chorégraphique singulier de Vincent Dupuy, agit à la façon d’un microscope, modifie la focale de nos regards, approfondit le niveau de notre conscience. La détente des interprètes, alliée à la force de l’exécution, crée les conditions d’un magistral délié donnant à voir le détachement d’une nuque ou la retenue d’une épaule avec l’éclat d’un grand jeté. Mais la force du geste artistique ne porterait pas sans le travail d’incarnation et de présence des trois danseuses. Dans le minimalisme des formes exécutées apparaît la singularité irradiante de chaque figure, comme si chacune transportait un monde en soi, irréductiblement sien. Un poids et un encombrement les occupent, décuplent la densité de leur présence, produisent une vibratoire à fleur de peau, touchent au nerf. La danse convoque ici une marche faite d’aléatoire et de combinatoire capable de composer une écriture : des gémellités apparaîtront, comme la déflagration d’un mouvement de l’une sur l’autre, dans une prégnance toute magnétique. Les circulations des trois corps obéissent à des lois, mais n’en demeurent pas moins éminemment sensibles, évitant tout formalisme. C’est l’indéniable réussite de cette pièce : l’écriture des corps semblent littéralement déferler depuis la psyché. La danse est celle des affects, tels qu’ils peuvent nous conduire ou nous éconduire, sans un mot. Les trajectoires dans cette triangulaire composent des rendez-vous de hasard, des éclatements, des alliances. La saccade du temps intime le rythme les corps. Les différentiels de vitesse rebattent les contours des forces en présence, striant le plateau comme une limaille de fer soumise à une aimantation. C’est étrange comme ce parcours heurté renvoie souterrainement au Quad de Beckett, qui est, lui, d’un grand formalisme, peut-être cela vient-il de cette mathématique qui régule l’infra comme le moléculaire et nous découvre absurdement seul quand bien même nous nous croisons sans cesse dans un entrechoquement de boules de billard. Infra travaille ses dimensions multiples, sonores, lumineuses : corpusculaires. Les compositions de Thomas Poli et la création lumière de Selma Yaker n’illustrent pas, mais irriguent ce monde à fleur de nerf comme un grand bain. Un souffle vital et spirituel soulève et suspend, arrache et rejette ces figures tournées sur elles-mêmes. Les costumes créés par Rachel Garcia, dans une matière semi-rigide, créent des volumes comme des hypertrophies, des « charges » mentales, et exhaussent la sensibilité des êtres et le déliement des mouvements comme peut le faire un kimono. En assistant à ce fascinant ballet d’âmes perdues, on est très vite envahi par la sensation de présences insaisissables, inconnues, dans le prolongement de ces corps. Comme dans un film de Kiyoshi Kurosawa, les fantômes entourent et se penchent sur nos épaules. Infra, délicatement, nous fait palper l’épaisseur de l’invisible et chorégraphie la diffraction de nos affects, pareille à des ronds dans l’eau se diffusant dans une étrange nuit.   © Arnaud Bouvier     Infra, chorégraphie de Vincent Dupuy Interprétation : Morgane Bonis, Alice Lada, Maureen Nass Compositeur : Thomas Poli Création lumière : Selma Yaker Conception des costumes : Rachel Garcia Durée : 45 minutes   Mardi 14 mars 2024 à 19h30   Théâtre de Vanves (salle Panopée) 12, rue Sadi Carnot 92170 Vanves   Tél : 01.41.33.93.70 https://www.theatre-vanves.fr      Read More →
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David et Jonathas, opera de Marc-Antoine Charpentier, direction musicale Sébastien Daucé, mise en scène Jean Bellorini, au Théâtre des Champs-Elysées
  © Philippe Delval ff article de Denis Sanglard  Commande du collège Louis-Legrand et non de la cour, crée en 1688 quelques mois après la mort de Lully, créateur de l’opéra français, David et Jonathas étonne par son expressivité, son épure relative, et son renoncement aux effets de machines. Marc-Antoine Charpentier fait montre ici de son originalité, se démarquant résolument de Lully et signe là son chef d’œuvre. A l’origine couplé et joué en alternance avec une tragédie en latin écrite par le père Chamillard, Saül, aujourd’hui disparue, reste le livret en français du père et prédicateur François de Paule Bretonneau. C’est une oeuvre hybride à vocation pédagogique contribuant à l’éducation jésuitique, à la formation des élèves issue de l’aristocratie scolarisés dans l’établissement. Histoire biblique traversée de passions humaines, interrogation sur le pouvoir aussi, c’est tout cela à la fois. Cette production du Théâtre de Caen ose le pari d’ajouter à l’original, suppléant à la tragédie manquante, une partition contemporaine. Le metteur en scène Jean Bellorini et l’auteur Wilfried N’Sondé font ainsi du premier roi d’Israël la figure centrale de l’opéra de Marc-Charpentier. Saül devenu amnésique, fou de douleur de la perte de son fils Jonathas. Une nouvelle trame dramatique qui inscrit cet opéra, par son sujet et cet éclairage singulier, dans une continuité créative mais également dans une contemporanéité volontaire. Sont dénoncés la violence meurtrière et les ravages de la guerre. Mais la parole ici est donnée aux « oubliés », toutes les victimes innocentes des conflits, que représente une nouvelle figure inédite introduite dans ce palimpseste. Une infirmière (Hélène Patarot) qui dans cet hôpital où est enfermé Saül qu’elle soigne avec dévotion, prolongement de la pythonisse, dont la parole lucide s’oppose à la folie et le cauchemar qui hante le chant de Saül. La mise en scène de Jean Bellorini est exemplaire de sobriété qui ne s’oppose pas à l’œuvre mais l’accompagne au plus près. Nulle scorie, rien qui ne fasse obstacle au chant et à son expressivité, rien qui encombre les chœurs ou les chanteurs. Sur ce plateau nu, en pente, les passions humaines et les conflits sont exposées sans fard dans un dénuement scénographique absolu. Pas de machine sinon cette chambre d’hôpital austère où repose Saül, dénuée de tout, qui monte vers les cintres libérant selon les scènes le plateau. Un dépouillement d’une intelligence dramaturgique qui n’enlève rien à la théâtralité de l’œuvre mais au contraire l’oblige et l’accentue davantage. Ici la parole fait écho au chant, les deux avançant de pair dans un parfait équilibre. Surtout le cauchemar de Saül imprime la scénographie, où la réalité semble parfois troublée, les masques grotesques portés par le chœur n’étant que la vison d’un homme en son délire. Dans la fosse Sébastien Daucé est à son affaire qui maîtrise sur le bout de sa baguette Charpentier et dirige l’ensemble Correspondance avec une sureté sans faille, déployant toute la richesse expressive de cette partition d’une subtilité dramatique et psychologique qui jamais ne fait défaut. Le chœur dont les interventions sont nombreuses participent bellement à cette intensité dramatique et tragique. Même si Saül est l’objet de toute l’attention de Jean Bellorini nous aurions tord d’oublier les deux qui donnent à cet opéra son nom. Un plateau vocal d’exception même si on peut regretter que ni David ni Jonathas ne soient desvoix de haute-contre comme originellement qui pouvaient apporter à cette amitié particulière un certain trouble homoérotique. Pour mémoire l’œuvre fut dédicacée à Philippe d’Orléans. Indépendamment de leur talent on peine un peu à croire à l’ambiguïté de leur relation qui manque de sensualité, résumé à une simple camaraderie dans cette mise en scène et qui ne justifie de fait nullement, voire désamorce paradoxalement, l’histoire d’un amour absolu et déchirant par la douleur de la perte exprimée par le chant. Petr Nekoranec (David) est un ténor dont la voix assurée (et les aigus sans défaut) est aussi expressive que son jeu. Gwendoline Blondeel (Jonathas), voix cristalline et d’une grande pureté, émeut certes mais ne convainc pas dans ce personnage travesti. Cependant le duo, vocalement, est parfaitement accordé pour apporter l’émotion attendue et nichée dans leur partition. Jean-Christophe Lanièce est un roi Saül crédible dans ce cauchemar sans fin. La mezzo-soprano Lucile Richardot est une pythonisse éblouissante, Etienne Bazola (Baryton) le traitre idoine et Alex Rosen (basse) un roi Achis d’une grande magnanimité.   © Philippe Delval   David et Jonathas, opéra de Marc-Antoine Charpentier Direction musicale : Sébastien Daucé Mise en scène, scénographie et lumières : Jean Bellorini Livret théâtral : Wilfried N’sondé Co-scénographie : Véronique Chazal Costumes : Fanny Brouste Maquillage, masques, perruques et coiffures : Cécile Kretschmar Son et vidéo : Léo Rossi-Roth Avec : Petr Nekoranec, Gwendoline Blondeel, Jean-Christophe Lanièce, Lucile Richardot, Etienne Bazola, Alex Rosen, Hélène Patarot (comédienne) Et l’ensemble Correspondance   18 et 19 mars 2024 à 19h30   Théâtre des Champs-Elysées 15 avenue Montaigne 75008 Paris Réservations : www.theatredeschampselysées.fr        Read More →
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Walser Show, conception et mise en scène d’Olga Grumberg à L’Échangeur, Bagnolet
  © Ludo Leleu     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Les textes de Robert Walser forment une petite communauté, un archipel de vies minuscules dirait Pierre Michon. Ces récits communiquent, résonnent entre eux, comme s’ils échangeaient eux-mêmes au bord d’un comptoir, avec l’allant d’une parole capable d’engloutir des montagnes en quelques mots. On peut entrer dans ces textes comme dans un moulin, ou mieux encore, comme dans un cabaret. Prenez le Cabaret de la Montagne. Non pas des grands airs vous entendrez, mais l’air de la montagne : les mots y semblent plus vifs, plus sauvages, moins usés que dans la plaine des mornes écrits. Avec une vraie pertinence dramaturgique Olga Grumberg compose son spectacle, ce Walser Show, comme un cabaret : rien d’ébouriffant, peu de strass (hormis une veste à paillette), mais quelques chansons bien enlevées, et surtout des mots en scène. La scène des mots. La beauté simple qui nous cueille réside aussi dans son invisible : cette apparente facilité, cette indéniable évidence, dans l’enchaînement des textes et des séquences. Comme l’écrit Walser dans L’étang, Walser Show coud ses pièces comme on rapiècerait la vie. Un fil les parcourt, une même note se met à résonner, une harmonie se construit petit à petit, une justesse irise et électrise l’entrelacement des fragments : une émotion, entre caresse et brûlure, entre plaisir et souvenir, nous prend dans ses bras. Si L’étang, pièce plus conséquente que les autres, prend ses appartements dans la famille de Fritz, la forme cabaret persiste (à moins que cela ne soit la force de sa rémanence) donnant ce caractère de vignettes, de miniatures à chacune des étapes de son développement. Cela procure également une distanciation bienvenue et particulièrement opérante, conduisant à une encore plus grande émotion, éthique et esthétique, en évitant ainsi de coller à la psychologie de son personnage principal. On est étreint, de part en part, comme si dans un même mouchoir on avait ramassé des larmes, des éclats, de la lumière. C’est cela qui est incroyable et que l’on redécouvre avec cette mise en scène fine et sensible, avec l’interprétation d’une belle exactitude, humble et entière à la fois, fière aussi comme un coup de nerf, c’est combien Robert Walser dans cet art de la réduction est capable de tous les exploits, et d’embrasser dans le mineur l’immensité humaine, son désespoir le plus cruel comme son bonheur le plus ingénu, en quelques mots jetés avec le destin heureux des dés. C’est un festin de mots que met en partage et en bouche Walser Show, et l’on ne boude vraiment pas son plaisir : il y a paradoxalement une faconde, une rondeur dans les coups de trique que sa langue peut lancer. Olga Grumberg fait entendre avec bonheur les mots dans la bouche des acteurs sans en annuler complètement leur origine littéraire, en leur conservant cette singularité « non théâtrale » (mais qui finalement l’est bien plus) tout en basculant dans la même phrase vers une mise en jeu des mots dans le réel du plateau. Dans ce balancier virtuose, dans ce jeu d’équilibristes, Olga Grumberg et ses comédiens tiennent la dragée haute au théâtre avec les mots de Walser en étendard, comme un pas sur le côté quant à la fiction théâtrale, et, maintenant le cap du cabaret, atteignent au nu de l’existence.   © Ludo Leleu     Walser Show, conception & mise en scène Olga Grumberg   D’après L’Étang (Ed. Zoe), Petite prose (Ed. Zoe), Petits essais (Ed. Gallimard) de Robert Walser & Promenades avec Robert Walser de Carl Seelig (Ed. Rivages) Assistée de Jean-Pierre Petit Avec Renaud Danner, Olga Grumberg, Esteban Lima de Carvalho, Jean-Pierre Petit, Julie Pouillon Scénographie : Marine Brosse Toiles peintes : Emmanuelle Mafille Costumes : Caroline Tavernier & Sarah Barzic Lumières : Jean-Yves Courcoux Son & création musicale : Arthur Verret et Jean-Pierre Petit Travail sur le corps : Delphine Brual Régie générale : Emmanulle Phelippeau-Viallard Son & création musicale : Arthur Verret et Jean-Pierre Petit   Durée : 1h     Du 18 mars au 23 mars à 19h30 sauf le samedi 18h   Théâtre L’Échangeur – Bagnolet 59 avenue Général du Gaulle 93170 Bagnolet   Réservations : 01 43 62 71 20 https://lechangeur.org      Read More →
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Duchesses, conception et performance de Marie-Caroline Hominal et François Chaignaud, à la Ménagerie de verre, Paris, dans le cadre du festival INACCOUTUMÉS 2024
  © Mélanie Groley   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot L’essieu de la course infinie de ces Duchesses est celui-là même d’une princesse au petit pois, en plus raide. Un empilement de praticables (six, que je comptai séance tenante). Sur ce mille-feuilles, où c’est la scène même qui se serait rassemblée, entassée, pour mieux les exhiber, ils sont pareils à un triomphe en char. Il faut les voir sur leur monture, secoués, agités, d’une dignité qui n’a d’égale que leur résistance musculaire et articulaire. Car Duchesses, c’est cela en premier lieu, une performance physique et artistique s’écoulant sur trente-cinq minutes, construite dans le plus simple appareil de ses performeurs, harnachés eux-mêmes du plus simple appareillage qui soit : un cerceau de hula hoop. Ce cerceau que l’on fait tourner autour de son bassin par un chaloupement nerveux des hanches. Si la lumière froide et laiteuse d’un clair de lune leur donne immédiatement des airs de statues marmoréennes posées sur leur piédestal dans un jardin, cette première image, figée, convenue, sera bien vite balayée par la cohorte de figures, expériences, représentations, dimensions, qui se bousculent dans une production ininterrompue, stimulée par la performance aux portillons de notre imaginaire. Duchesses nous met en orbite tout autant que les hyperboles physiques, mathématiques, littéraires. L’asymptote vers laquelle cette pièce tend à travers le réel de ces trente-cinq minutes est un sommet de soumission, qui requiert paradoxalement un acte d’égale résistance pour ne pas s’effondrer sur lui-même. Il y a de la prison et du prisonnier dans ces deux figures tressautantes, cerclées, comme des esclaves. Ceux de Michel-Ange viennent à l’esprit, dans leur pause serpentine, et de la même façon que le génial sculpteur fit sortir des figures de la pierre informe, Marie-Caroline Hominal et François Chaignaud font sortir de leur chair l’indescriptible et ineffable destin, miroitant dans le crépitement des corps. Prenant encore une autre perspective, ces deux corps énergiques sont pareils à des noyaux atomiques d’une densité rare, autour desquels gravite, en une folle révolution formant couronne, cerceau elliptique, un cortège d’électrons. Il y a d’ailleurs du magnétisme, des forces d’attraction et de répulsion entre les deux podiums, lorsque leurs planètes s’alignent ou au contraire s’éloignent. Duchesses ressort du sidéral autant que du moléculaire. Entre les deux, ils se tiennent, tournant fermement leur cercle infernal, mettant en branle et abîmant leurs forces vitales dans une dépense qui ne compte pas. Dans cette éternelle bataille (et sous le regard de George Bataille), la chair est travaillée par le supplice, la sueur patine les muscles endoloris, les visages se creusent, donnant cet avant-goût de quand nous ne serons plus. Et lorsque les bras s’élèvent au ciel tandis que le bassin se tord, écartelant ce torse offert aux flèches de nos regards, c’est bien un double portait, en pied, de Saint-Sébastien torturé et extatique qui apparaît sous nos yeux. Toutefois la question de la douleur et du plaisir de ces Duchesses restera insoluble, se fondra dans l’intrication de ses parties, comme un regard révulsé signe à la fois l’insoutenabilité d’une jouissance extrême comme celle d’une absolue souffrance. Car Duchesses a un fondement résolument sexuel, comme le porte à croire, pour qui sait aussi écouter, cette musique lancinante et en rythme de grincements de sommiers, de souffles incontrôlés, de gémissements étouffés. Les corps dans leur mécanique inextinguible, mouvement de bielle, rejoignent l’organicité pure et insatiable de l’acte sexuel, dans la répétition, ils deviennent presque plastiques, effigies fantasmatiques, non pas percées d’aiguilles mais rouées de ces cercles infinis. Sade et ses machines attendent au tournant, mais c’est finalement à la littérature de Pierre Guyotat que l’on se réfèrera : Duchesses produit les derniers outrages au corps glorieux, mais c’est bien à une sorte d’Eden Eden Eden que nous assistons bouche bée, les figures fantasmatiques y sont capables de la même plasticité dans la volupté comme dans la douleur, et, inépuisables, toujours à la tâche, jamais ne succomberont à la mort du corps comme à celle des désirs.       Duchesses, conception et performance : Marie-Caroline Hominal et François Chaignaud Régie générale : Anthony Merlaud Durée : 35 minutes   Le 15 mars 2024 à 21h30, et le 16 mars 2024 à 19h et 22h     Ménagerie de verre 12/14 rue Léchevin 75011 Paris   Tel : 01 43 38 33 44 https://www.menagerie-de-verre.org    Read More →
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L’abolition des privilèges, d’après Bertrand Guillot, mise en scène d’Hugues Duchêne, au Théâtre 13, Paris
  © Blokaus 808   ƒƒ article de Sylvie Boursier « Je serai le président de la fin de tous les privilèges », François Hollande, janvier 2012. « C’est une chance d’être Français, c’est un privilège », Nicolas Sarkozy, juin 2016 « Je mettrai définitivement fin aux privilèges migratoires exorbitants des algériens », Éric Zemmour, mars 2022. « Il nous faut une nouvelle nuit du 4 août », François Ruffin, août 2022. Et si la Révolution française, loin d’avoir aboli les privilèges, avait simplement remplacé les privilégiés ? Hugues Duchêne veut comprendre et nous accueille dans l’hémicycle divisé en quatre gradins de part et d’autre de la scène, un soir d’août 1789. Votre chroniqueuse se retrouve sur les bancs du Tiers-État, normal, et le champagne de bienvenue, réservé à la noblesse, lui passe sous le nez. Ça, ce n’est vraiment pas juste. Nous plongeons en direct dans l’actualité des événements, les orateurs sont des anonymes, pour la plupart ils le resteront, Adrien Duquesnoy et Joseph Delaville Le Roulx, députés du Tiers-État, le président de l’Assemblée, Isaac Le Chapelier, Talleyrand, alors simple député du Clergé ainsi que Louis Marie Antoine de Noailles, Guy Le Guen de Kerangal ou encore Armand-Désiré de Vignerot du Plessis, duc d’Aiguillon. La Révolution à hauteur d’homme, ces hommes ordinaires qui pas à pas, font l’Histoire, dans les comités de quartier ou à l’Assemblée nationale. Maxime Pambet, caméléon virtuose, endosse tous les rôles dans une composition magistrale, une heure et quart pour changer le monde ! On a un faible pour de Kerangal, un  breton au sourcil broussailleux et à la voix rocailleuse, il en impose à la tribune. Le temps presse, depuis trois mois ça traîne dans l’hémicycle à coups d’obstructions, de débats spécieux qui noient le poisson, beaucoup se disent qu’ils vont encore être venus pour rien, ils regrettent déjà leur chère province. Mais la dette explose, le peuple a faim et brûle des châteaux. Les événements s’accélèrent et, même si on connaît la fin, on est suspendu aux espoirs des uns, aux doutes des autres, à la peur d’un embrasement généralisé du pays. Du rythme, une belle alternance des prises de parole au perchoir et dans les travées, l’occupation de l’espace est épatante. Loin du grand soir abolitionniste, la fin des privilèges est le fruit d’un concours de circonstances avec quelques meneurs et une majorité dépassée par la situation, même si beaucoup savaient que le système était condamné à brève échéance. « Qu’avons-nous fait ? » réalise Duquesnoy au petit matin, une fois dégrisé, faisant écho au « J’ai participé à un coup d’État contre le roi de France… et je ne l’ai pas réalisé immédiatement » d’un député du tiers dans Ça ira, fin de Louis, de Joël Pommerat. Hugues Duchêne revient ensuite sur l’avant et l’après 4 août pour en expliquer la genèse et les suites. Il s’immisce sur le plateau et imagine avec son comédien ce que serait aujourd’hui une nuit de l’abolition. Cette suite, plus narrative, perd en intensité malgré un moment totalement hilarant sur comment, messieurs, vous pouvez vous « contracepter » vous-même. Radical ! Hugues Duchêne, en Tintin pourfendeur des privilèges modernes, n’a rien perdu de son envie d’en découdre, qu’on avait adoré dans Je m’en vais mais l’État demeure. Entre docu-fiction politique et théâtre forum à la scénographie magnétique L’abolition des privilèges réhabilite le débat démocratique, tant vilipendé de nos jours. Inventif, enlevé et drôle ! En sortant, on a en tête la formule du Général de Gaule « Tout Français désire bénéficier d’un ou plusieurs privilèges. C’est sa façon d’affirmer sa passion pour l’égalité. » Bien vu !   © Blokaus 808   L’abolition des privilèges d’après Bertrand Guillot, Éditions Points Adaptation et mise en scène d’Hugues Duchêne Lumière et son : Jérémie Dubois Avec : Maxime Pambet Durée : 1h15   Jusqu’au 30 mars 2024 Du 26 au 29 mars à 20h, le 30 mars à 18h.   Théâtre 13 30 rue du Chevaleret 75013 Paris   Réservation : 01 45 88 16 30 www.théatre13.com   Tournée  Le 11 avril : Houplines (59) Le 12 avril : Annoeulin (59) Le 13 avril : Marquette-lez-Lille (59) Le 18 avril : Lezennes (59) Le 19 avril : Mézières-sur-Oise (02) Le 31 mai : Erquinghem (59) Le 01 juin : Neuville-en-Ferrain (59) Le 27 juin : Malaz (74) Du 03 au 21 juillet : Festival off d’Avignon, Théâtre du Train Bleu (84)      Read More →
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Love Chapter 2, chorégraphie de Sharon Eyal et Gai Behar, au Théâtre du Rond-Point
  © André Le Corre ff article de Denis Sanglard Où l’on retrouve avec le même enthousiasme Sharon Eyal et Gai Behar, le théâtre leur a fait ce soir de première un triomphe, et cette façon bien particulière d’envisager la danse, une danse sans défaut ni aspérité et toujours dans l’extension volontaire, les corps étirés à l’extrême dans une verticalité exacerbée, jambes tendues et sur la pointe des pieds, toujours, aux mouvements déliés et prêt à se rompre, se rompant soudain, une désarticulation imprévisible, comme provoquée par une explosion interne spasmodique avant de se rassembler de nouveau jusqu’à la prochaine implosion.  Une forte tension et un tonus qui jamais semble ne vouloir se relâcher, jouant de l’écartèlement maximum, qui n’est pas grand écart, et de son contraire, la fermeture têtue. Un mouvement se refusant aux relâchement, et comme toujours dans une retenu absolue, voire contraint, tant qu’il finit par se briser, se disloquer, s’effondrer de lui-même, sur lui même,  et de son épuisement, de cet effort désespéré à ne pas se rompre. Et de recommencer. C’est dans cette oscillation, cette saccade continue entre ses deux pôles que s’épanouit cette chorégraphie vite captivante. Etrange cérémonie amoureuse autant sensuelle que sèche comme un coup de trique, on marche ici comme des grues cendrées à la parade, les bras s’ouvrant comme des ailes fouettant l’espace, les mains comme des rémiges brisées, on s’élance pour un bref envol qui n’est qu’un saut, une provocation, un défi. Quelques éléments épars de danses traditionnelles font de brèves incursions, intégrées et transformées illico. Une géométrie angulaire mouvante et précise sculptant le groupe, ordonnant de même l’espace qui semble être lui aussi mouvant. Encore une fois est privilégié l’énergie du groupe que même quelques échappées d’un danseur ou d’une danseuse pour un bref solo où quelques mouvements se distinguant de l’ensemble ne parvient pas ou si peu à rompre. Comme si sans le groupe le danseur ne pouvait être totalement lui ou ne pouvait être que par lui, puisant là et donnant de même son énergie et sa raison. Un groupe compact comme un seul corps, masse organique bougeant d’un même élan, tout de fluidité, pour un même mouvement, une transe vite collective au rythme binaire et tambourinant, lancinant de la musique du DJ Ori Lichtik qui allant crescendo donne aussi son impulsion martelée terriblement techno, ce rythme énergique, énergisant, à cette danse extrêmement concentrée, virtuose et au cordeau où les corps et la musique se rencontrent pour une transe qui les emporte loin…et nous avec.   © André Le Corre   Love Chapter 2, chorégraphie de Sharon Eyal et Gai Behar Musique : Ori Lichtik Danseurs : Frida Dam Seidel, Darren Devaney, Guido Dutilh, Juan Gil, Alice Godfrey, Johnny McMillan, Nitzan Ressler Lumières : Alon Cohen Costumes : Odelia Arnold, Rebecca Hytting, Gon Biran Directeur technique : Alon Cohen Techniciens : Yair, Salman, Oren Elimelech, Hillel Sharp   Du 21 au 23 mars 2024 Jeudi, vendredi à 20h30 Samedi 19h30   Théâtre du Rond-Point 2bis avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris   Réservations : 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr  Read More →
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May B, chorégraphie de Maguy Marin, au T2G
© Hervé Deroo   ƒƒƒ article de Denis Sanglard May B ou le crépuscule d’une humanité en déroute. Maguy Marin, en 1981, signait cette chorégraphie, cette parade grotesque, pathétique carnaval, loin des corps triomphants qui hantaient la danse contemporaine. Ils sont vieux, ils sont sales, ils éructent, ils rampent, ils ricanent, ils se masturbent, ils se chiffonnent pour une part de gâteau. Gestes usés d’être répétés, corps râpés par la vie. Petits pas qui frottent le plancher. Mémoire et vie en en lambeaux, fouaillées à espérer une fin qui ne vient pas. L’impossible du vivre ensemble et l’impuissance à se quitter. Reste la fuite, impossible elle aussi. « (…) Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (…) .» Cette réplique de Beckett (in « Fin de partie ») en préambule et conclusion pour viatique. D’ailleurs ils surgiront plus tard, Hamm, Clov, Lucky et Pozzo… ombres tutélaires de ce croupion d’humanité perclus de contradictions, entre apathie et agitation vaine, perdu sur un plateau nu et poussiéreux. De Beckett, Maguy Marin retient l’absurdité de notre condition, chorégraphie avec la même âpreté et le même dépouillement que son écriture, usant de la répétition et du bégaiement comme leitmotiv, métamorphose le corps qui devient signe, signifiant et signifié expressionnistes, burlesques de notre catastrophe. Des corps qui hurlent leur défaite et leur condition absurde. Clowns célestes, métaphysiques et tragiques comme le sont Vladimir et Estragon ou personnages muets et mus par un même coup de sifflet impératif, celui d’Acte sans parole I et II. Maguy Marin dissémine ainsi avec malice quelques indices. Ou veut-on, nous, les voir comme autant d’emprunts assumés. Un bibi, un personnage qui disparaît et Winnie frôle notre mémoire… Néanmoins et c’est un tour de force, ces figures prégnantes et clefs de voûte de cette création hallucinée n’embarrassent pas plus que ça Maguy Marin. En nommant sa source, elle s’en libère, nous en libère de même. Une fois énoncée, ce qui se joue sur le plateau dépasse très vite les références obligées. Pour cette ronde infernale, cette danse macabre et terriblement vivante c’est moins à Pina Bausch, qui serait ici sur le plan purement esthétique – mais non sur la forme –  son exact contraire, qu’à Kurt Joos que l’on pense. Pour son expressionnisme et sa théâtralisation affirmée. Importe moins ici la personnalité du danseur que la capacité à s’effacer sous l’argile qui le masque et s’écaille pour n’être que des figures, des personnages emblématiques, des archétypes monstrueux et grotesques d’une condition humaine désespérante et désespérée. May B brosse un tableau féroce du monde comme il va, c’est-à-dire mal. Féroce mais non sans tendresse. Cette humanité blafarde, dépenaillée et déglinguée, c’est la nôtre. Ce n’est pas pour rien que depuis plus de 40 ans cette pièce abrasive reste toujours aussi contemporaine et terriblement pertinente.   © Hervé Deroo   May B chorégraphie de Maguy Marin Lumières : Alexandre Beneteaud Costumes : Louise Marin Musique : Franz Schubert, Gilles de Binche, Gavin Bryars Avec : Kostia Chaix, Kaïs Chouibi, Lazare Huet, Daphné Koutsafti, Louise Mariotte, Lisa Martinez, Alaïs Marzouvanlian, Isabelle Missal, Rolando Rocha, Ennio Sammarco Répétiteur : Ulises Alvarez Lumière : Albin Chavignon Costumes : Louise Marin Musique originale : Franz Schubert, Gilles de Binche, Gavin Bryars   Du 26 au 28 mars 2024 à 20h   T2G 41 avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers réservations : www.theatredegennevilliers.fr (vu le 27 février 2019 au Théâtre de la Ville, Espace Cardin)                Read More →
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Nom, adapté du roman de Constance Debré, mise en scène Hugues Jourdain, Théâtre du Rond-Point, Paris
  © Simon Gosselin   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette Nom. Au début, des phrases apparaissent tout au fond de la scène nue, le texte de ce que nous sommes venus voir s’étale sur le mur en face de nous. Présentation pas très bouleversante, pas très originale, même si ce texte montre un rien sa force, déjà. Que va donner le reste ? Le reste nous scotche, nous attaque, nous éblouit. Pendant un peu plus d’une heure, nous allons avoir face à nous, tout près, Victoria Quesnel, comédienne formidable, puissante. Sur cette petite scène vide, sombre, comme rugueuse, Victoria Quesnel va se transformer, rayonner. Oui, elle n’existe plus pour un moment, elle reviendra ensuite, sous les applaudissements, c’est promis. Pour l’instant, elle est ici ou là, à deux doigts de nous faire peur ou pleurer, avec toute cette violence cinglante, désespérée, qui déborde. Nom, être Constance, la fille de, et nous expliquer tout, avec des histoires qui se mêlent, résonnent, des histoires fortes ou non, des questions, le tout terminant par choisir un cri, devenant presque permanent, pour « sortir ». Le cri d’une femme paumée qui tente de nous expliquer comment, pourquoi. Et une comédienne, une femme qui y parvient. Plus que bien même. Constance perd son père, oui, ce n’est pas la première, elle le sait, a presque envie de nous dire qu’elle s’en fout, qu’elle n’est pas spécialement proche de cet homme, et puis qu’elle le comprend, et puis la lumière de la chambre, l’hôpital… Constance ne veut pas être une femme comme les autres, pas comme sa sœur, par exemple, sa sœur parfaite, sa sœur pleine d’enfants propres et rangés, sa sœur qui pleure comme il faut quand il faut, de loin. Constance n’a pas les mêmes envies, pas les mêmes désirs, si elle en a, c’est quoi un désir au juste ? Ça fait mal ou non ? Faut-il être comme toutes les femmes ? « Toutes les femmes » veut-il dire quelque chose ? Et même ferait-elle semblant de le vouloir, elle n’y parviendrait pas. Son père est mourant, son père est à l’hôpital et elle doit tenter de savoir faire quelque chose, mais quoi, après toutes ces années ? S’approcher ? Comment ? Pourquoi, une fois de plus ? La mort du père, la lenteur de la mort du père qui aurait mieux fait d’avoir une crise cardiaque plutôt qu’un cancer, il serait parti plus vite. Constance est avocate, on pourrait baisser les yeux, applaudir déjà, mais apparemment la réussite n’est pas là, le fric ne semble pas déborder, mauvais début ? Pas facile ? Curieux dans une famille comme celle-ci, les Debré. Les vrais de vrais. Cette femme veut expliquer qui elle est, comment elle fonctionne. Plus rapide ici, lente là, se foutant de ce qui nous semble parfois primordial, ou, tout bête. Les fringues, tiens, rangés dans deux sacs et tout ce qui dépasse, poubelle ! C’est pour tout pareil. On jette, pour ne pas réfléchir. La fin serait bonne à un moment où le fort est sublime, mais du calme revient, puis même rythme, répétition. Pas grave, cela « re » montre pourquoi tout explose, montre ce qu’est un nom, avec parfois sa puissance et ses revers. Nom est à voir, à lire, les deux. Quelle chance dans cette petite salle où nous sommes heureux d’être les uns contre les autres, nous protégeant un peu de cette furie exceptionnelle. Nous avons peur, elle non. Elle sait vivre, mourir, tenter, tomber, toucher, partir, revenir et recevoir, elle ne sait pas ce qu’elle veut, elle découvre et sort tout d’elle-même. Vérité, pâleur, mort.   © Simon Gosselin   Nom, adapté du roman de Constance Debré Mise en scène : Hugues Jourdain Création lumières : Coralie Pacreau Création sonore : Hippolyte Leblanc Création musicale : Samuel Hecker Avec Victoria Quesnel Texte paru en février 2022, aux éditions Flammarion     Du 19 mars au 6 avril 2024 Du mardi au vendredi à 20h Samedi à 19h et relâche les lundis et les dimanches Durée estimée 1h15   Salle Roland Topor   Théâtre du Rond-Point 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris   Réservations 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr    Read More →
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Kill Tirésias, de Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos, au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARDANTHE
  © Futur Immoral   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Il est de voir comme d’un paresseux organe : c’est peu dire que, sous l’avalanche d’images, nous sommes devenus aveugles à notre temps. Dans la salle Panopée du Théâtre de Vanves, la nuit noire décille nos regards, et le crépitement d’un invisible feu, comme un chiffrement mystérieux, éveille notre compréhension. Kill Tirésias interroge et travaille ce qu’est voir et prévoir, avec une intelligence toute poétique, spectaculairement. Dans une atmosphère laiteuse et mordorée, faiblement éclairée, le mouvement lent des corps semble encore plus s’étirer comme si la persistance rétinienne fondait dans une même image le passé, depuis son élan, jusqu’au présent dans son déploiement. Les corps des deux danseurs finiront par s’emmêler, comme la verticale se coule dans l’horizontale, comme ces deux serpents s’accouplant, ne formant qu’un et que Tirésias séparera en les frappant d’un bâton. Cela lui vaudra de devenir femme avant que la même scène ne se reproduise plus tard et le fasse revenir à son sexe. L’origine du don divinatoire de Tirésias varie selon les récits mythologiques, mais celui qu’évoque en entame le spectacle a le mérite de jouer de la dualité des genres, de leur fluidité, de la figure du double, et de mettre sur le même plan la réversibilité des sexes et l’égale lisibilité du passé et de l’avenir dans le présent. Kill Tirésias s’articule en séquences divinatoires, numérotées dans une progression désordonnée annulant la notion même de progrès, formant autant de segments d’un grand corps démembré et que nous reconstituerons par la pensée : le corps éperdu du temps. Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos mettent en scène le voir, dans une perspective qui dépasse le bout de son nez. Cette expérience est de l’ordre d’une pensée qui se réfléchirait dans le miroir que nous offre Kill Tirésias. Yeux fermés, une pupille grimée sur chaque paupière, et c’est le trouble qui s’installe en nous, un profond vacillement devant ces visages qui portent haut et fort le signe du voir mais en ont perdu la faculté commune. Car paradoxalement, ces corps, dont le regard est oblitéré, manifestent une présence encore plus sensible et reliée à leur environnement. Prescience d’une globalité s’affranchissant de la fonction réduite de regardeur, et où l’expressivité habituellement concentrée dans le visage se répand dans toute la chair, sur tout l’épiderme. Dans ce dispositif économe on retrouve l’efficacité et la puissance de l’arte povera de Giuseppe Penone. Dans une autre séquence Nefeli Asteriou et Olivier Muller danseront de dos, cette partie du corps irrémédiablement cachée à soi-même, comme le dos d’une carte qui pourtant révélerait le tout. Envers du plexus, le dos bruisse comme un marc de café et révèle les tensions qui le parcourt, anticipant les projections qui animeront le corps et le mettront en mouvement. C’est un envers qui détourne les yeux de l’évidence trompeuse faite face, et donne à éprouver l’instinct, oracle s’il en est de l’avenir. Kill Tirésias s’amusera encore avec un playback de Cher (Believe) qui ici prendra un sens et une saveur dramaturgiques tout particuliers : les bouches oracles articulent les mots enregistrés du passé dans une voix trafiquées robotiquement comme un zeste de futur. Le corps parle sous emprise, drôlement possédé. Il me faut aussi souligner la combinatoire de ces deux corps, l’organicité de leur relation, comme deux vases communicants, si bien que l’un est toujours le prolongement de l’autre, dans un profond unisson, quand bien même ils seraient séparés. A leur façon, ils incarnent aussi au plateau, dans le travail de chaque instant, cette capacité des corps à anticiper et annoncer le devenir de l’autre. Avec ce Kill Tirésias, bien léché comme par une langue inconnue sur la plaie du voir, clairvoyant par la clarté de sa danse, Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos réussissent à mettre en œuvre le programme du peintre Paul Klee : Non pas reproduire le visible mais rendre visible. Et restituent à la danse son programme originel : un art divinatoire où les gestes purs se font les signes avant-coureur d’un impensable.   © Futur Immoral     Kill Tirésias, création de Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos Interprétation : Paola Stella Minni (ou Nefeli Asteriou) et Olivier Muller Création son : Konstantinos Rizos Création lumières : Clément Rose Film : Léo Vuoso Régie lumière : Marie Sol Kim Recherche documentaire :  À bientôt j’espère   Durée : 55 minutes Mardi 12 mars à 19h30     Théâtre de Vanves (salle Panopée) 12 rue Sadi Carnot 92170 Vanves Tél : 01.41.33.93.70 www.theatre-vanves.fr    Read More →
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KID#1, de Joachim Maudet, au Théâtre de Vanves, dans le cadre du Festival ARDANTHE
  © FilipFoto   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot K-Way bleu et sa capuche relevée, occultant le visage, bermuda rouge… That’s all folks ! En quelques traits, l’habit fait l’enfant. A cette figure presque iconique, Joachim Maudet adjoint ses talents de ventriloque pour une exploration in vivo de la psyché enfantine. L’étrange immobilité de son personnage, qui semblerait rempli de vide comme une marionnette ou un ballon, si des mollets bien visibles ne l’infirmaient, est en tension avec cette parole saccadée dont la saillie perfore la tranquille image. Outre la puissance spectaculaire toujours effective de la ventriloquie, que Joachim Maudet manie d’ailleurs avec virtuosité, cette technique procède littéralement d’une voix intérieure. Le monologue, intérieur donc par ce miracle, s’ouvre à l’extérieur comme un gant retourné. Par ces jeux de voix, dans une économie radicale, KID#1 est à même de faire exister un groupe d’enfants, autant que celui qui en est rejeté. La cour de récréation est son terrain de jeu et d’écriture. KID#1 est un objet spectaculaire singulier, échappant aux évidences, pour cela même fascinant. Il est à la fois une étude figurative qui pencherait du côté d’un certain art contemporain, on peut penser par exemple à Ron Mueck par son réalisme ou encore à Banksy, par sa poésie toute simple et majeure en travaillant le mineur, et encore une exploration romanesque par le récit intérieur que nous livre son personnage principal, Jordan, souffre-douleur de son école. Le texte de Romane Nicolas est juste et jouissif à la fois : il affleure une vérité qui nous touche par son concret, et surtout par sa forme faite de spirales, de boucles, de coq à l’âne. L’enfance est un moulin à paroles, une fabrique à histoires, un manège à angoisses. Comment faire croire aux autres que l’on n’attend pas alors que sa mère vous a laissé en rade avec un retard d’une heure ? L’enfance est un échafaudage constant et précaire de stratégies dont la naïveté se heurte immédiatement à la violence du réel. L’effervescence de ce monde intérieur, son intranquillité, son fourmillement, frappent d’autant plus que Joachim Maudet tient d’une main ferme le corps de sa figure. KID#1 semble tracé à la ligne claire pour reprendre un terme de bande dessinée. Tout est dessiné avec une précision presque maladive, se détache avec contraste et fait événement. C’est juste une main qui se promène sur son torse comme une araignée, ce sont les doigts des mains opposées qui semblent converser. Joachim Maudet fabrique du détail et produit du zoom dans le regard que nous portons sur son travail. A ce déploiement répond la dilatation du temps dans l’exposition des tragédies intimes que traverse la voix intérieure. On est à hauteur d’enfants à l’écoute d’une vie minuscule (pour reprendre le titre du chef d’œuvre de Pierre Michon), elle n’en est pas moins profonde. Elle connaît déjà les gouffres de l’existence. On perçoit très sensiblement la justesse de la forme choisie par Joachim Maudet, la ventriloquie et cette ligne claire, mettant en exergue et en crise les notions d’intériorité et d’extériorité tant cette frontière qui les détermine et s’affirme avec l’âge adulte est inopérante quand on est enfant. L’enfance est le règne de la dissolution du moi dans le tout, le monde est alors une piscine où l’on se noie. Mais c’est aussi le moment où l’on commence à prendre la mesure du monde. De ce rapport pourra naître une danse.   © FilipFoto     KID#1, chorégraphie & interprétation de Joachim Maudet Accompagnement chorégraphique et dramaturgique : Chloé Zamboni Écrivaine : Romane Nicolas Création : lumière Nicolas Galland Régie lumière : Laura Cottard Création sonore : Julien Lafosse Régie son : Rebecca Chamouillet ou Julien Lafosse Assistant vocal : Jean Baptiste Veyret Logerias Costumes : Camille Vallat Avec la participation de Marcel Michel Morisseau (voix enfant)   Durée : 55 minutes Mardi 12 mars à 21h00   Théâtre de Vanves 12 rue Sadi Carnot 92170 Vanves Tél : 01.41.33.93.70   www.theatre-vanves.fr    Read More →
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Rebota rebota y en tu cara explota, conception et mise en scène Agnés Mateus et Quim Tarrida, au Théâtre de la Bastille, Paris
  © Quim Tarrida ƒƒƒ article de Denis Sanglard  Une performance radicale et percutante qui n’y va pas avec des pincettes, se foutant royalement des métaphores, où les explosant, pour exposer crument son sujet, le féminicide. C’est foutrement intelligent, drôle parfois, décapant et traité au vitriol pour dénoncer une tragédie quotidienne, un fait de société, culturel et politique même, trop souvent classé dans les faits-divers avant de tomber dans l’oubli jusqu’au prochain assassinat. La violence des hommes, le patriarcat qui oblige, le mâle gaze, cette vision masculiniste toxique et culturelle qui empoisonne la société et mène au pire, à l’insoutenable, Agnés Mateus et Quim Tarrida le dénoncent vertement sur ce plateau avec un formidable sens de l’image, sans fioriture, trash dans sa simplicité extrême, d’une force corrosive, teinté parfois de sombre et de noire poésie, et l’aplomb énergique d’un discours sans langue de bois d’une violente et bénéfique franchise, appuyé sur une réalité documentée. C’est totalement décousu, en apparence seulement, mais seule en scène avec une énergie sans faille Agnés Mateus sait parfaitement où elle va et où elle mène sans ambages et par le bout du nez un public vite sidéré par le propos et l’à-propos abrasif de la forme choisie. Dézingage en règle des contes de fées, vaste champs de massacre où les princesses sont renvoyées à leur assignation première, le mariage et les enfants, embrassées sans consentement, tôt abandonnées par des princes jean-foutre après avoir été violées, sinon féminicidées pour l’exemple. Cendrillon, la Petite Sirène, la Belle au bois dormant, Blanche-Neige, la mère de Dumbo et de Bambi (oui, elles aussi sacrifiées)… toutes ne sont que les avatars symboliques d’une réalité tout aussi sordide où le machisme ordinaire et coutumier agit en toute impunité, en toute légalité. Même les vraies princesses n’y échappent guère qui, enfin émancipées, se crashent sous les ponts. Penser avec sa bite n’est pas qu’une métaphore ici et dans une séquence hilarante et glaçante Agnés Mateus, la tête affublée d’un moche prépuce – toute une histoire son achat en ligne – en fait la démonstration éclatante et pertinente. Une bite n’a pas d’empathie on le sait. La révolution copernicienne n’est rien en regard d’une réalité bien plus préhensible, la teubé étant au centre de l’univers et c’est bien autour de ce mâle appendice, tendu ou non, que depuis toujours ne tourne plus très rond le monde. Dénoncé aussi l’invisibilité sciemment entretenue des femmes, connues, méconnues, inconnues, renvoyées au néant dévolu depuis toujours à leur sexe dit faible, ou dûment exploitées pour des raisons mercantiles sans égard pour leur talent réel et révolutionnaire. En exemple de cette sale  récupératon, donné avec colère, de Frida Kahlo dont l’image démultipliée à en vomir pour un marchandising éhonté annihile sciemment de fait la profondeur d’une œuvre majeure et féministe. Et puis il y a toutes celles féminicidées et dont la recension n’en finit pas de finir qu’Agnés Mateus a consigné et consigne encore dans un petit carnet, soit en moyenne deux femmes assassinées chaque semaine. Un devoir mémoriel pour ne pas les oublier qu’elle s’oblige avec raison devant notre propension à faire toujours l’autruche, ce qu’elle illustre très bien et à s’en étouffer, notre faculté crasse à regarder ailleurs quand l’homme joue du couteau aiguisé. Et ce qui relie tout ça qui semble épars ce sont de courtes et glaçantes vidéos en incise qui pourraient paraître bucoliques si chaque paysage, bord de route et décharge, terrain-vague, en y regardant bien ne portait pas son poids de tragédie, un cadavre de femme jeté là comme on jette un chien crevé. La réalité des images, la violence réelle de ses assassinats rentrent alors par effraction et par rebond sur le plateau et donnent une tout autre dimension, hors de tout discours et s’en dispensant de fait, à cette performance indispensable qui vous claque salement au visage.   © Quim Tarrida   Rebota rebota y en tu cara explota, conception et mise en scène Agnés Mateus et Quim Tarrida Avec Agnés Mateus Invité : Pablo Domichovsky Son et vidéo : Quim Tarrida Lumières : Laura Morin et Quim Tarrida Coordination technique : Laura Morin Photographies : Quim Tarrida Traduction et sur-titrage : Marion Cousin   Du 15 au 20 mars 2024 à 20h Samedi à 18h, relâche le dimanche   Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris   Réservation : 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com  Read More →
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Contes d’Etat, de Aurelia Ivan, avec Raphaël Kempf, Théâtre de la Cité internationale
    © Mathilde Delahaye ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Sur le papier Contes d’Etat est une proposition courageuse et pleine de promesses.  L’idée de réunir en les adaptant au théâtre deux essais récents (Le ministère des contes publics ; Cinq mains coupées) de deux autrices (Sandra Lucbert et Sophie Divry) portant sur la dette d’une part et sur les dérives de l’ordre public dans le moment des gilets jaunes était audacieuse pour tenter de montrer comment un exercice technique de catastrophisme financier (« la dette publique c’est mal ») via la rhétorique politique et l’obsession du capitalisme, construit aussi quelque part un discours de culpabilisation et de domination envers le peuple. Des faits objectifs, des données chiffrées sont analysées, des personnages publics, essentiellement politiques, singés en utilisant leurs vrais propos tirés d’une vraie émission de télévision respectée (C dans l’air pour ne pas la nommer), dans une scénographie et mise en scène décalée pour ne pas dire pseudo décalée qui utilise la philosophie et les mythes grecs (Prométhée et Epiméthée) comme pour bien convaincre que la démarche est très intellectualisée, voire conceptuelle. Car alors même que l’on a envie de soutenir ce débordement d’énergie et d’idées, ainsi que le parti pris du conte pour décoder le réel, le processus s’essouffle rapidement. A vouloir trop en dire, trop en faire, le spectateur s’y perd vraiment et l’effet de sidération souhaité se dilue dans l’éparpillement du plâtre des bustes fracassés sur le plateau, les aigus des onomatopées lyriques et nos reflets dans le miroir. Il ne suffit pas de caricaturer Gérard Darmanin, ou même juste de le citer, ni de le coller de manière plaquée à un récit de vie tragique (celui de la main d’un gilet jaune qui explose après un jet de grenades par les forces de l’ordre) pour faire aboutir un exercice dramaturgique. Encore une fois, on le regrette car une vraie sincérité existe dans Contes d’Etat, pour entraîner le public dans une expérience qui tient de la performance ou du happening. En resserrant le propos, élaguant le texte, simplifiant la diversité esthétique, la metteuse en scène parviendrait sans doute mieux à convaincre de la violence d’Etat qui semble être le message essentiel qu’elle veut faire passer, y compris dans le long monologue de la fin qu’elle a confié à l’avocat Raphaël Kempf, proposant une variation sur le droit de punir, trop dense lui aussi, y compris pour un public averti. On sort un peu frustré et fatigué par le verbiage, le volume sonore, les errements, et même si l’on partage moult constats et assez largement le diagnostic, l’effet cathartique est absent et n’est pas compensé par une satisfaction primaire de plaisir théâtral, tout en étant persuadé qu’Aurelia Ivan a des choses à dire et que l’on sera curieux de la suivre.   © Mathilde Delahaye Contes d’Etat, conception d’Aurelia Ivan D’après et avec des extraits de : Ministère des contes publics de Sandra Lucbert et Cinq mains coupées de Sophie Divry En complicité avec : Raphaël Kempf Conception espace, lumières et costumes : Sallahdyn Khatir Conception sonore : Nicolas Barillot, Grégory Joubert, Flor Paichard Régie générale : Raphaël de Rosa Stagiaire scénographie : Rose Bouraly, Clémence Malinsky Regard extérieur : Bastien Dausse, Dalila Khatir Avec : Léonie Chouteau, Raphaël Kempf, Flor Paichard, Volodia Piotrovitch d’Orlik Jusqu’au 23 mars 2024 Durée : 1h40   Théâtre de la Cité internationale 17 boulevard Jourdan 75014 Paris Réservations : www.theatredelacite.com    Read More →
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Simon Boccanegra, de Guiseppe Verdi, mise en scène par Calixto Bieito, Opéra Bastille, Paris
    © Vincent Pontet ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia C’est fascinant de constater combien la représentation, de près de trois heures, d’un mélodrame verdien, à l’intrigue pourtant plus qu’obscure, a pu rendre à ce point enjoué un public de 2500 personnes. C’est l’exploit rempli par Simon Boccanegra de Giuseppe Verdi, mis en scène par Calixto Bieito, que chaque spectateur pouvait noter en sortant, après une belle ovation le soir de la première, se félicitant d’avoir eu la chance de vivre un moment exceptionnel. Et pourtant, lors de la nouvelle création du metteur en scène espagnol en 2018, qui en est aujourd’hui la reprise, les louanges étaient loin de cette unanimité, c’est le moins qu’on puisse dire. L’élément unique de scénographie, une sorte de carcasse stylisée de bateau XXL tournant sur elle-même tout au long des trois actes et prologue avait irrité certains critiques et spectateurs. Il faut dire que Simon Boccanegra créé le 12 mars 1857 à la Fenice de Venise, puis remanié par le compositeur avec un autre librettiste, 24 ans après, était entré au répertoire de l’Opéra national de Paris, en l’occurrence à Garnier, dans une mise en scène de Giorgio Strehler sous la direction musicale de Claudio Abado, avec Piero Cappuccilli en Simon. La barre était haute depuis. En 2024, la coque imposante et menaçante du navire du metteur en scène espagnol domine toujours, au sens propre ou figuré, l’espace du plateau de Bastille et l’esprit des spectateurs. Mais cette fois c’est l’enthousiasme qui domine. Certes, ce décor de Suzanne Gschwender est si imposant qu’il donne l’impression de limiter de fait les déplacements des chanteurs ; ils semblent surtout avoir été un peu laissés à eux-mêmes, et se sont concentrés individuellement sur leurs prestations. Les vidéos de Sarah Derendiger, en fond de scène, usant de gros plans très esthétiques sur les chanteurs (et un corps de femme nu – celui du fantôme de la mère – parcouru par des rats durant l’entracte) ne suffisent pas à combler le manque d’interactions. Mais c’est sans doute plus une question de direction d’acteurs que de dommages collatéraux d’un élément de décor. A ce petit bémol près, Simon Boccanegra envoûte les oreilles et les cœurs. Et cela est évidemment largement dû au plateau vocal d’un niveau remarquable. Ludovic Tézier tenait déjà le rôle-titre en 2018. Il est dans une maîtrise totale de son personnage à l’intériorité complexe. La soprano Nicole Car prend avec grâce, clarté et agilité le rôle de Maria, la fille de Simon et petite fille de Fiesco, chanté puissamment par la basse Mika Kares. Le ténor Charles Castronovo est extrêmement touchant dans le rôle de son amoureux ; Étienne Dupuis est magistral, tout en nuances, dans le rôle du traître Paolo. Alejandro Baliñas Vieites,
Paolo Bondi et Marianne Chandelier complètent avec brio le plateau. Enfin, le Chœur particulièrement valorisé dans Simon Boccanegra, offre de superbes tableaux, apparaissant telle une puissante armée populaire à laquelle rien ne peut résister. Le niveau d’excellence est tellement confondant que beaucoup de spectateurs à l’entracte acceptaient même l’idée, pour jouir pleinement du côté musical (vigoureusement dirigé par Thomas Hengelbrock) et vocal, de ne plus chercher à comprendre l’intrigue de cette histoire de filiation et d’amour alambiquée et à rebondissements, tirée d’un personnage qui a vraiment existé au XIVème siècle et fut vraiment le premier doge de Gênes, au centre par ailleurs d’un conflit que l’on qualifierait aujourd’hui de géopolitique avec Venise. Verdi est coutumier des entremêlements entre messages politiques et histoires familiales tragiques. Plus encore peut-être que dans ses opéras plus connus (tel Nabucco), son histoire personnelle, à la fois de représentant du peuple et faite de drames intimes (perte de sa première femme, de sa fille, puis de son fils en bas âge) transpire dans Simon Boccanegra. C’est sans doute cela aussi qui touche au cœur.   © Vincent Pontet     Simon Boccanegra, de Giuseppe Verdi Livret : Francesco Maria Piave, Arrigo Boito D’après Antonio García Gutiérrez Direction musicale : Thomas Hengelbrock Mise en scène :
Calixto Bieito Décors :
Susanne Gschwender Costumes :
Ingo Krügler Lumières :
Michael Bauer Vidéo :
Sarah Derendinger Chef des Chœurs :
Alessandro Di Stefano Avec : Ludovic Tézier, Nicole Car,
Mika Kares,
Charles Castronovo,
Étienne Dupuis,
Alejandro Baliñas Vieites,
Paolo Bondi,
Marianne Chandelier Et : l’Orchestre et le chœur de l’Opéra national de Paris   Jusqu’au 3 avril 2024 Durée : 3h (avec entracte)   Opéra national de Paris Place de la Bastille 75012 Paris   Réservations : www.operadeparis.fr          Read More →
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