© Mathilde Delahaye
ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Sur le papier Contes d’Etat est une proposition courageuse et pleine de promesses. L’idée de réunir en les adaptant au théâtre deux essais récents (Le ministère des contes publics ; Cinq mains coupées) de deux autrices (Sandra Lucbert et Sophie Divry) portant sur la dette d’une part et sur les dérives de l’ordre public dans le moment des gilets jaunes était audacieuse pour tenter de montrer comment un exercice technique de catastrophisme financier (« la dette publique c’est mal ») via la rhétorique politique et l’obsession du capitalisme, construit aussi quelque part un discours de culpabilisation et de domination envers le peuple.
Des faits objectifs, des données chiffrées sont analysées, des personnages publics, essentiellement politiques, singés en utilisant leurs vrais propos tirés d’une vraie émission de télévision respectée (C dans l’air pour ne pas la nommer), dans une scénographie et mise en scène décalée pour ne pas dire pseudo décalée qui utilise la philosophie et les mythes grecs (Prométhée et Epiméthée) comme pour bien convaincre que la démarche est très intellectualisée, voire conceptuelle.
Car alors même que l’on a envie de soutenir ce débordement d’énergie et d’idées, ainsi que le parti pris du conte pour décoder le réel, le processus s’essouffle rapidement. A vouloir trop en dire, trop en faire, le spectateur s’y perd vraiment et l’effet de sidération souhaité se dilue dans l’éparpillement du plâtre des bustes fracassés sur le plateau, les aigus des onomatopées lyriques et nos reflets dans le miroir. Il ne suffit pas de caricaturer Gérard Darmanin, ou même juste de le citer, ni de le coller de manière plaquée à un récit de vie tragique (celui de la main d’un gilet jaune qui explose après un jet de grenades par les forces de l’ordre) pour faire aboutir un exercice dramaturgique. Encore une fois, on le regrette car une vraie sincérité existe dans Contes d’Etat, pour entraîner le public dans une expérience qui tient de la performance ou du happening. En resserrant le propos, élaguant le texte, simplifiant la diversité esthétique, la metteuse en scène parviendrait sans doute mieux à convaincre de la violence d’Etat qui semble être le message essentiel qu’elle veut faire passer, y compris dans le long monologue de la fin qu’elle a confié à l’avocat Raphaël Kempf, proposant une variation sur le droit de punir, trop dense lui aussi, y compris pour un public averti.
On sort un peu frustré et fatigué par le verbiage, le volume sonore, les errements, et même si l’on partage moult constats et assez largement le diagnostic, l’effet cathartique est absent et n’est pas compensé par une satisfaction primaire de plaisir théâtral, tout en étant persuadé qu’Aurelia Ivan a des choses à dire et que l’on sera curieux de la suivre.
© Mathilde Delahaye
Contes d’Etat, conception d’Aurelia Ivan
D’après et avec des extraits de : Ministère des contes publics de Sandra Lucbert et Cinq mains coupées de Sophie Divry
En complicité avec : Raphaël Kempf
Conception espace, lumières et costumes : Sallahdyn Khatir
Conception sonore : Nicolas Barillot, Grégory Joubert, Flor Paichard
Régie générale : Raphaël de Rosa
Stagiaire scénographie : Rose Bouraly, Clémence Malinsky
Regard extérieur : Bastien Dausse, Dalila Khatir
Avec : Léonie Chouteau, Raphaël Kempf, Flor Paichard, Volodia Piotrovitch d’Orlik
Jusqu’au 23 mars 2024
Durée : 1h40
Théâtre de la Cité internationale
17 boulevard Jourdan
75014 Paris
Réservations : www.theatredelacite.com
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