Critiques // Walser Show, conception et mise en scène d’Olga Grumberg à L’Échangeur, Bagnolet

Walser Show, conception et mise en scène d’Olga Grumberg à L’Échangeur, Bagnolet

Mar 25, 2024 | Commentaires fermés sur Walser Show, conception et mise en scène d’Olga Grumberg à L’Échangeur, Bagnolet

 

© Ludo Leleu

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Les textes de Robert Walser forment une petite communauté, un archipel de vies minuscules dirait Pierre Michon. Ces récits communiquent, résonnent entre eux, comme s’ils échangeaient eux-mêmes au bord d’un comptoir, avec l’allant d’une parole capable d’engloutir des montagnes en quelques mots. On peut entrer dans ces textes comme dans un moulin, ou mieux encore, comme dans un cabaret. Prenez le Cabaret de la Montagne. Non pas des grands airs vous entendrez, mais l’air de la montagne : les mots y semblent plus vifs, plus sauvages, moins usés que dans la plaine des mornes écrits. Avec une vraie pertinence dramaturgique Olga Grumberg compose son spectacle, ce Walser Show, comme un cabaret : rien d’ébouriffant, peu de strass (hormis une veste à paillette), mais quelques chansons bien enlevées, et surtout des mots en scène. La scène des mots. La beauté simple qui nous cueille réside aussi dans son invisible : cette apparente facilité, cette indéniable évidence, dans l’enchaînement des textes et des séquences. Comme l’écrit Walser dans L’étang, Walser Show coud ses pièces comme on rapiècerait la vie. Un fil les parcourt, une même note se met à résonner, une harmonie se construit petit à petit, une justesse irise et électrise l’entrelacement des fragments : une émotion, entre caresse et brûlure, entre plaisir et souvenir, nous prend dans ses bras.

Si L’étang, pièce plus conséquente que les autres, prend ses appartements dans la famille de Fritz, la forme cabaret persiste (à moins que cela ne soit la force de sa rémanence) donnant ce caractère de vignettes, de miniatures à chacune des étapes de son développement. Cela procure également une distanciation bienvenue et particulièrement opérante, conduisant à une encore plus grande émotion, éthique et esthétique, en évitant ainsi de coller à la psychologie de son personnage principal. On est étreint, de part en part, comme si dans un même mouchoir on avait ramassé des larmes, des éclats, de la lumière. C’est cela qui est incroyable et que l’on redécouvre avec cette mise en scène fine et sensible, avec l’interprétation d’une belle exactitude, humble et entière à la fois, fière aussi comme un coup de nerf, c’est combien Robert Walser dans cet art de la réduction est capable de tous les exploits, et d’embrasser dans le mineur l’immensité humaine, son désespoir le plus cruel comme son bonheur le plus ingénu, en quelques mots jetés avec le destin heureux des dés. C’est un festin de mots que met en partage et en bouche Walser Show, et l’on ne boude vraiment pas son plaisir : il y a paradoxalement une faconde, une rondeur dans les coups de trique que sa langue peut lancer. Olga Grumberg fait entendre avec bonheur les mots dans la bouche des acteurs sans en annuler complètement leur origine littéraire, en leur conservant cette singularité « non théâtrale » (mais qui finalement l’est bien plus) tout en basculant dans la même phrase vers une mise en jeu des mots dans le réel du plateau. Dans ce balancier virtuose, dans ce jeu d’équilibristes, Olga Grumberg et ses comédiens tiennent la dragée haute au théâtre avec les mots de Walser en étendard, comme un pas sur le côté quant à la fiction théâtrale, et, maintenant le cap du cabaret, atteignent au nu de l’existence.

 

© Ludo Leleu

 

 

Walser Show, conception & mise en scène Olga Grumberg

 

D’après L’Étang (Ed. Zoe), Petite prose (Ed. Zoe), Petits essais (Ed. Gallimard) de Robert Walser & Promenades avec Robert Walser de Carl Seelig (Ed. Rivages)

Assistée de Jean-Pierre Petit

Avec Renaud Danner, Olga Grumberg, Esteban Lima de Carvalho, Jean-Pierre Petit, Julie Pouillon

Scénographie : Marine Brosse

Toiles peintes : Emmanuelle Mafille

Costumes : Caroline Tavernier & Sarah Barzic

Lumières : Jean-Yves Courcoux

Son & création musicale : Arthur Verret et Jean-Pierre Petit

Travail sur le corps : Delphine Brual

Régie générale : Emmanulle Phelippeau-Viallard

Son & création musicale : Arthur Verret et Jean-Pierre Petit

 

Durée : 1h

 

 

Du 18 mars au 23 mars à 19h30 sauf le samedi 18h

 

Théâtre L’Échangeur – Bagnolet

59 avenue Général du Gaulle

93170 Bagnolet

 

Réservations : 01 43 62 71 20

https://lechangeur.org

 

 

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