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Kill Tirésias, de Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos, au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARDANTHE

Mar 21, 2024 | Commentaires fermés sur Kill Tirésias, de Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos, au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARDANTHE

 

© Futur Immoral

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Il est de voir comme d’un paresseux organe : c’est peu dire que, sous l’avalanche d’images, nous sommes devenus aveugles à notre temps. Dans la salle Panopée du Théâtre de Vanves, la nuit noire décille nos regards, et le crépitement d’un invisible feu, comme un chiffrement mystérieux, éveille notre compréhension. Kill Tirésias interroge et travaille ce qu’est voir et prévoir, avec une intelligence toute poétique, spectaculairement. Dans une atmosphère laiteuse et mordorée, faiblement éclairée, le mouvement lent des corps semble encore plus s’étirer comme si la persistance rétinienne fondait dans une même image le passé, depuis son élan, jusqu’au présent dans son déploiement. Les corps des deux danseurs finiront par s’emmêler, comme la verticale se coule dans l’horizontale, comme ces deux serpents s’accouplant, ne formant qu’un et que Tirésias séparera en les frappant d’un bâton. Cela lui vaudra de devenir femme avant que la même scène ne se reproduise plus tard et le fasse revenir à son sexe. L’origine du don divinatoire de Tirésias varie selon les récits mythologiques, mais celui qu’évoque en entame le spectacle a le mérite de jouer de la dualité des genres, de leur fluidité, de la figure du double, et de mettre sur le même plan la réversibilité des sexes et l’égale lisibilité du passé et de l’avenir dans le présent.

Kill Tirésias s’articule en séquences divinatoires, numérotées dans une progression désordonnée annulant la notion même de progrès, formant autant de segments d’un grand corps démembré et que nous reconstituerons par la pensée : le corps éperdu du temps. Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos mettent en scène le voir, dans une perspective qui dépasse le bout de son nez. Cette expérience est de l’ordre d’une pensée qui se réfléchirait dans le miroir que nous offre Kill Tirésias. Yeux fermés, une pupille grimée sur chaque paupière, et c’est le trouble qui s’installe en nous, un profond vacillement devant ces visages qui portent haut et fort le signe du voir mais en ont perdu la faculté commune. Car paradoxalement, ces corps, dont le regard est oblitéré, manifestent une présence encore plus sensible et reliée à leur environnement. Prescience d’une globalité s’affranchissant de la fonction réduite de regardeur, et où l’expressivité habituellement concentrée dans le visage se répand dans toute la chair, sur tout l’épiderme. Dans ce dispositif économe on retrouve l’efficacité et la puissance de l’arte povera de Giuseppe Penone. Dans une autre séquence Nefeli Asteriou et Olivier Muller danseront de dos, cette partie du corps irrémédiablement cachée à soi-même, comme le dos d’une carte qui pourtant révélerait le tout. Envers du plexus, le dos bruisse comme un marc de café et révèle les tensions qui le parcourt, anticipant les projections qui animeront le corps et le mettront en mouvement. C’est un envers qui détourne les yeux de l’évidence trompeuse faite face, et donne à éprouver l’instinct, oracle s’il en est de l’avenir. Kill Tirésias s’amusera encore avec un playback de Cher (Believe) qui ici prendra un sens et une saveur dramaturgiques tout particuliers : les bouches oracles articulent les mots enregistrés du passé dans une voix trafiquées robotiquement comme un zeste de futur. Le corps parle sous emprise, drôlement possédé. Il me faut aussi souligner la combinatoire de ces deux corps, l’organicité de leur relation, comme deux vases communicants, si bien que l’un est toujours le prolongement de l’autre, dans un profond unisson, quand bien même ils seraient séparés. A leur façon, ils incarnent aussi au plateau, dans le travail de chaque instant, cette capacité des corps à anticiper et annoncer le devenir de l’autre.

Avec ce Kill Tirésias, bien léché comme par une langue inconnue sur la plaie du voir, clairvoyant par la clarté de sa danse, Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos réussissent à mettre en œuvre le programme du peintre Paul Klee : Non pas reproduire le visible mais rendre visible. Et restituent à la danse son programme originel : un art divinatoire où les gestes purs se font les signes avant-coureur d’un impensable.

 

© Futur Immoral

 

 

Kill Tirésias, création de Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos

Interprétation : Paola Stella Minni (ou Nefeli Asteriou) et Olivier Muller

Création son : Konstantinos Rizos

Création lumières : Clément Rose

Film : Léo Vuoso

Régie lumière : Marie Sol Kim

Recherche documentaire :  À bientôt j’espère

 

Durée : 55 minutes

Mardi 12 mars à 19h30

 

 

Théâtre de Vanves (salle Panopée)

12 rue Sadi Carnot

92170 Vanves

Tél : 01.41.33.93.70

www.theatre-vanves.fr

 

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