Médée, tragédie Lyrique de Marc-Antoine Charpentier, livret de Thomas Corneille, direction musicale de William Christie, mise en scène de David McVicar, Opéra National de Paris / Palais Garnier
  © Elisa Haberer fff article de Denis sanglard Médée de Marc-Antoine Charpentier fait son entrée au répertoire de L’opéra de Paris. Il était temps… Crée en 1693, livret de Thomas Corneille d’après la tragédie éponyme de son frère Pierre, cette tragédie lyrique pleine de bruits et de fureurs est portée avec minutie depuis la fosse par le chef d’orchestre William Christie, pionnier dans la redécouverte de la musique baroque, fondateur de l’orchestre « Les Arts Florissants » et fin connaisseur de l’œuvre du compositeur. Peu jouée par sa difficulté propre au chant baroque, alternance de récitatif et de grands airs ponctuant l’action, qui demande particulièrement ici une parfaite maîtrise de l’art déclamatoire, cette tragédie lyrique demande des interprètes rompus au chant baroque français et à l’art dramatique dans un subtil équilibre. De ce côté-là, musicalement c’est d’une grande réussite, incontestablement. Le problème de cette soirée qui aurait dû être davantage exceptionnelle tient à la mise en scène de David McVicar, une production de 2013 pour L’English National Opera. De cet opera « à machine » aux effets spectaculaires commandées pas la musique et le livret, il ne reste rien ou presque des effets attendus, espérés. Transposée dans le contexte de la seconde guerre mondiale, dans les salons élégants et bourgeois d’un palais, cette tragédie perd de sa violence tragique, particulièrement de son atmosphère surnaturelle, tuées dans l’œuf par une pauvreté relative de moyen dramaturgique mise en place pour ce faire et qui confine au kitch, aux clichés éculés franchement datés qu’on pensait ne plus voir sur un plateau d’opéra, tant est qu’on peine à y croire… Ainsi les invocations magiques de Médée, les enfers évoquées, les démons, les fantômes, s’il n’y avait pas l’expressivité de la musique et la force de conviction de Léa Desandre (Médée), tout porteraient tristement à rire par son ridicule. Que n’arrange pas des ballets comme importés des comédies musicales de Broadway en accord avec la mise en scène, certes, mais qui sont en porte à faux avec la musique. L’effet de contraste voulu n’est pas là non plus très opérant qui plombe sérieusement l’ensemble et nous plonge dans une grande perplexité sinon un agacement grandissant au long des cinq actes de cet opéra. En résumé, le spectaculaire fait pschitt par faute de l’avoir oublié ou se résume à des effets plus clinquants au service non de la tragédie lyrique mais de sa mise en scène qui semble ne pas très bien avoir compris les véritables enjeux dramaturgiques et musicaux d’un livret et d’une partition qui, sans vouloir paraître réactionnaire, ne souffre aucune distorsion. Mais il y a le plateau vocal qui malgré l’indigence de cette mise en scène est exceptionnel, dirigé au cordeau par William Christie. Léa Desandre, voix claire et diction impeccable, est une Médée convaincante qui si elle n’a pas de prime abord l’aura classique des tragédienne, en impose par la progression de son personnage qui de femme bafouée se révèle bientôt dans sa fureur, la magicienne de Colchide. La voix opérant une mutation, prenant de l’ampleur jusqu’à atteindre une dimension véritablement tragique à l’acmé du drame. La mise en scène aurait pu l’handicaper mais, tout à son incarnation, excellente actrice et danseuse, elle passe outre et sauve son personnage du ridicule où pouvait l’entraîner le metteur en scène. Reynoud Van Mechelen, Jason, voix puissante (un peu trop sans doute) et projection parfaite est un salaud qu’on se plait à détester même s’il manque quelque peu de nuance, un peu trop raide aussi physiquement, mais son engagement est total, à l’image de l’ensemble de la distribution. Ana Vieira Leite, campe une Créuse délicate mais assurée dans ses sentiments. Sa voix limpide prend aussi une ampleur tragique au fil du livret. Sa mort est un instant suspendue qui révéle, comme Médée, l’importance égale du jeu et du chant. Laurent Naouri, Créon est égal à lui-même, d’une grande aisance vocal et acteur accompli. Après une apparition surprenante, on croirait le général de Gaulle, il surprend par son abnégation devant cette mise en scène qui n’hésite pas à ridiculiser son personnage, loin d’une grandeur tragique dans l’acte IV qui le voit, ensorcelé et humilié par Médée, pantalons aux chevilles atteint d’une frénésie priapique… encore moins dans son rapport ambigu, pour ne pas dire incestueux, avec Créuse. Gordon Bintner lui aussi offre à son personnage, vocalement et dramatiquement, une belle évolution. Emmanuelle de Négri, aguerrie au baroque, bouleverse en Nérine, lucide et impuissante à contrer la fureur de Médée dont elle pressent la résolution dramatique. Elodie Fonnard, Cléone, est d’une grande sensibilité, d’une justesse dramatique et vocale exemplaire. Le reste de la distribution vocale, dont l’excellence du chœur, est au diapason de cette somptueuse partition que William Christie dirige avec une précision maniaque et un fin nuancier faisant apparaître la richesse opératique de cette partition qui, avec l’engagement de ses interprètes accomplis au baroque, résiste haut la main et avec bonheur à cette mise en scène. Nos trois f ne s’adressant qu’à Marc-Antoine Charpentier.   © Elisa Haberer     Médée, tragédie Lyrique de Marc-Antoine Charpentier Livret de Thomas Corneille Direction musicale de William Christie Mise en scène de David McVicar Décors et costumes : Bunny Christie Lumières : Paule Constable Chorégraphie : Lynne Page Reprise chorégraphique : Gemma Payne Chef des chœurs : Thibaut Lenaerts Les Arts Florissants Avec Lea Desandre, Reinoud Van Mechelen, Laurent Naouri, Ana Vieira Leite, Gordon Bintner, Emmanuelle de Negri, Elodie Fonnard, Lisandro Abadie, Julie Roset, Mariasole Mainini, Maude Gnidzaz, Alice Grégorio, Bastien Rimondi, Juliette Perret, Virginie Thomas, Julia Wischniewski, Clément Debieuvre, Bastien Rimondi, Matthieu Walendzik   Jusqu’au 11 mai 2024, Durée 3h45 (deux entractes)   Opéra National de Paris / Palais Garnier Place de l’Opéra 75009 Paris Réservations : www.operadeparis.fr    Read More →
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La Blavatsky and the érosophes, cabaret métamoderniste de guérison, au Manège de Reims
  © Barouf Menzzoto ff article de Denis Sanglard Un cabaret (post)punk s’est posé le temps d’une soirée au Manège de Reims. Pas de « no futur » ici mais une allégeance à l’éphémère du cabaret, sa fragilité subversive et son univers interlope. En maître de cérémonie, personnage non binaire voudrait-on croire, La Blavatsky, longiligne et maigre silhouette réhaussée de platform shoes, en provenance d’une Russie extrême-orientale légendaire et fantasmée dont elle revêt les oripeaux soyeux et colorés, les bijoux clinquants et cliquetants. Plus charlatane que chamane surement, se vantant d’exploits occultes qu’on se plait à croire sur parole tant elle en est convaincue, elle traîne avec elle une cour des miracles, les érosophes, où l’hédonisme et l’érotisme sont des principes de vie qui alimentent chacun de leur numéro. Drag King ou Drag Queen, circassiens, artistes burlesques, musiciens et chanteurs, chanteuses, binaire et non binaire… la piste est un nouvel Eden, un paradis retrouvé où s’ébattent gaiement la chair nue, les tripes, le cuir, le latex et les petits lapins, et même un éléphant, créatures surgissant de tout le bâtiment devenu l’antre d’une cérémonie ésotérique, d’une expérience parfois hallucinogène. Otomo de Manuel, la créature c’est lui, a du bagout, beaucoup, une présence fascinante qui tient de l’hybridation expérimentale et bricolée, lui manquait juste ce soir-là d’être davantage pêchu pour que cette soirée festive soit plus électrique encore. Le trac surement. Entre cirque et cabaret, ce « cabaret métamoderniste de guérison » ne guérissant que notre mélancolie d’un monde allant à vau-l’eau, les numéros bien que classiques avait ici pour certains une forte tension érotique augmentée du frisson du risque provoqué comme un défi, avec panache. Pas de filet de protection pour ceux qui là-haut, au ciel du manège, s’envoyaient en l’air, pilotractés ou à la force des poignets, cependant qu’au centre de la piste on se déshabillait, jouait avec le feu ou jonglait avec des colombes, s’enroulait autour d’un mât ou encore d’une roue. La musique et le chant ponctuaient l’ensemble, rock, pop, électro, voix rauque des profondeurs des Enfers ou d’ange égaré sur terre, pendant que le silence, lui, se faisait la malle dans les coulisses. Les numéros ne se suivaient pas toujours mais se chevauchaient, heureuse idée, et il fallait avoir l’œil aiguisé car le spectacle se passait aussi et simultanément, parfois et fugacement, dans les gradins. Qu’importe d’où vient La Blavatsky, de Russie ou d’ailleurs, l’étape Rémoise était un voyage en soi résumé sur cette piste, jardin des délices ou des supplices au choix.   © Barouf Menzzoto   La Blavatsky and the érosophes, cabaret métamoderniste de guérison Conception, écriture et mise en scène d’Otomo de Manuel Musiciens/ performeurs : Otomo De Manuel, Théo Harfoush, Ranga Langa, Phil Von, François Gallot, Pauline Manuel aka Poppy Champagne Performeurs : Amélie Kourim aka Réglisse, Lara Castiglioni, Erwan Tarlet, Camille Dupeyron, Quentin Dée, Lux Scandal, Eléa « Little Kyaa » Ha Minh Tay, Maquillage : Alice « Camden » Jacquot Stage Kitten : Bramari La Ambre Création lumières : Emmanuel Pestre Son : Marc Voisin   Création vue le 22 mars 2024   Le Manège 2 bd du Général Leclerc 51100 Reims   www.manége-reims.eu    Read More →
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Madame M., texte, jeu et mise en scène de Mathilde Charbonneaux, Théâtre La Scala
  © Julie Morteau   ƒƒƒ article de Corinne François-Denève Ringarde, Jacqueline Maillan ? Souvent ramenée au « théâtre de boulevard », populaire et supposé bête, la comédienne, disparue en 1992, semble n’avoir jamais quitté les chaînes de télévision où, après avoir fait les beaux jours des « Grands enfants » et d’autres émissions des Carpentier, ou les beaux soirs du théâtre du même nom, elle ressurgit, très régulièrement, à la faveur d’émissions consacrées aux « grand(e)s du rire ». Absente, souvent, toutefois, des histoires du « comique » au féminin (qui effacent allégrement les décennies Joly, Zouc, Maillan, pour courir vers Muriel Robin et Florence Foresti, qui leur doivent sans doute beaucoup), Maillan est néanmoins toujours connue par une sorte de transmission familiale et nostalgique. Et, depuis quelques années, la « De Funès en jupons », ou « la » Maillan semble sortir de son purgatoire et rattraper son déficit de légitimité. Il en va d’ailleurs de même pour De Funès, encensé par Valère Novarina, et objet d’une exposition à la Cinémathèque, exposition qui avait d’ailleurs déchaîné les ires des « intellectuels » – enfin, quand même, La Grande Vadrouille et Le Gendarme, chez Henri Langlois, est-ce bien… sérieux ? Mais ils sont de plus en plus nombreux (Thomas Poitevin, et d’autres) à souligner l’importance qu’a pu avoir « la Maillan » dans leur construction en tant que comédien ou comédienne, comique ou non, voire, plus simplement, en tant qu’artiste. Après le spectacle de Cécile Magne (La Maillan en moi), en même temps que la création de Coralie Pradet et Helen Raimbault (Jacqueline Maillan de bout en bout), voici donc, à la Flèche, le Madame M., seul(e) en scène de Mathilde Charbonneaux. Le choix de Charbonneaux est de réellement ré-enacter Maillan : elle s’en est fait la tête, blonde et perruquée, et porte un tailleur qui « fait Maillan ». Sur scène, elle déploie le même abattage et la même générosité que la comédienne qu’elle incarne, dans ses excès et son « style » inimitable, ici justement parfaitement imité. L’écriture est fine et maligne : une certaine « Mathilde » appelle Maillan, pour lui dire qu’elle va écrire un spectacle sur elle. Une blague « téléphonée », digne du meilleur boulevard, mais qui prend des accents oniriques. Maillan n’est pas morte ; enfin, elle n’a pas l’impression de l’être, mais elle consent à raconter sa vie à cette jeune impétrante qui a pu avoir son numéro – elle consent à lui confier les siens. Mais justement, en lieu et place des numéros « attendus », Mathilde Charbonneaux se joue des clichés, et choisit de se consacrer aux débuts de Maillan au cabaret, et à son expérience avec Koltès, souvent racontée, fantasmée, mais finalement très peu vue, absence de captation oblige. Les moments où Maillan parle aux fantômes de Chéreau et Koltès sont de très jolis instants poétiques, inattendus, enfantins, dans le meilleur sens du terme. Et puis Mathilde Charbonneaux prend en charge le début du Retour au désert, et quelque chose de vertigineux se passe : Maillan, devant nous, jouant, selon les désirs de Koltès, une pièce « intellectuelle », mais à sa façon ; et Mathilde (Charbonneaux) devenant la Mathilde de Koltès, via Maillan. Hommage à une figure attachante, mais à une actrice qu’on ne peut plus négliger, Madame M. est une création très fine, portée à bout de bras par Mathilde Charbonneaux, dont on attend avec impatience la prochaine incarnation/création – ou son apparition dans un vaudeville, ou un boulevard – ou dans un Koltès ou un Racine. Avouons-le également : oui, Maillan a fait l’objet d’un colloque à la Sorbonne (Nouvelle) : cela déchaîne les rires, au début de la représentation, et on ne sait si c’est parce que le public y croit, ou n’y croit pas – mais l’autrice de ces lignes plaide coupable – preuve que tout cela est bien sérieux, un éditeur sérieux éditera ses actes sérieux au printemps 2024… L’apparition de Maillan, sur scène, dans Madame M., est justement un extrait d’entretien, où Maillan, très calme, loin de son image publique, parle de son art : le théâtre étant bien ceci, et cela – et le comique est quelque chose de sérieux – Madame M. est à la fois un spectacle comique et sérieux.   © Julie Morteau   Madame M., de Mathilde Charbonneaux Texte, jeu & mise en scène : Mathilde Charbonneaux Collaboration artistique : Pia Lagrange Lumières : Vivien Nederkorn Costumes : Lucile Charvet     Tous les vendredi , du 12 avril au 14 juin à 21h30 durée 1h (création vue le 5 octobre 2023)   Théâtre La Scala 13 bd de Strasbourg 7501o Paris   réservations : www.lascala-paris.fr              Read More →
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Liberté Cathédrale, chorégraphie de Boris Charmatz, Théâtre du Châtelet (Théâtre de la Ville hors-les-murs)
  © Uwe Stratmann   fff article de Denis Sanglard Liberté Cathédrale, un titre qui claque comme bannière au vent. Boris Charmatz signe une chorégraphie brute et sauvage, chaotique en apparence mais fortement structurée. Souffle, voix, corps, espace, musique et silence sont les évangiles en fusion de cette danse ardente et non ébarbée d’une liberté absolue, conçue au sein de la cathédrale du Mariendom de Neviges, près de Wuppertal, dont elle porte incidemment le sceau architecturale brutaliste. Avec cette volonté assumée, belle utopie, de rassembler, d’accueillir. Au châtelet la scène prolongée jusqu’au fond de la salle accueille le public à 360°, comme dans une église, autorise une communion sans précédent dans ce lieu où la danse exulte dans la cohérence d’un boxon parfaitement maîtrisé. C’est aussi multiplier les perspectives et jouer du proche et du lointain. Le groupe est une masse compacte élastique et qui se tend et se détend par vagues successives jusqu’à se rompre et se reconstituer. Ça grouille, pétarade, courre, saute, chute et se relève, s’épuise et repart. Ça chante et fait silence que rompt une respiration essoufflée. C’est un maelstrom où éclate la puissance de la vie jusque dans ses contradictions tragiques. Ils déboulent d’un coup d’un seul, un bloc compact, en chantant l’opus 111 de Beethoven, sa dernière sonate pour piano, du lalala en veux-tu en voilà, dans un mouvement continu, une danse vibratoire, un flux affolant, qui ne cesse qu’avec l’essoufflement, un dernier spasme en apnée, laissant place au silence brut et à l’immobilité tendue et provisoire. Avant de repartir. D’emblée la messe est dite, chaque danseur est la pierre et l’architecte d’un édifice toujours mobile qui se construit et se débâtit furieusement sous nos yeux, chaque corps dans sa diversité même édifie une église, dans le sens premier d’assemblée, où l’unité vient aussi de la diversité et du partage. Chaque danseur a sa partition propre, on songe à la chorégraphie précédente 10 000 gestes (2021), une chorégraphie comme l’expression d’une personnalité mise au service de la communauté dont il assure également la cohésion. Le mouvement structuré, déstructuré, et réitéré jusqu’à son épuisement qui précède sa métamorphose, monte toujours plus crescendo où chacun y va de sa pratique, de son expérience, de son vécu, de son énergie, de sa folie… C’est d’autant plus flagrant ici qui voit les danseurs de la compagnie de Wuppertal, Le Tanzteather de Pina Baush et ceux de Terrain confrontant leurs univers atteindre une symbiose dans la démesure et l’expressivité sans contrainte.  La danse est une question de souffle. Chanter ici c’est matérialiser la danse, lui donner son impulsion, engendrer et déterminer le mouvement. Des volées de cloche se font entendre, véritable et étourdissante partition signée Olivier Renouf, qui ouvre un second tableau. Les corps littéralement traversés par cette partition de bronze, les danseurs en viennent à se balancer de façon frénétique. Ils sont à la fois le sonneur, le maillet et la cloche qui ébranlent l’édifice de leur corps tel un beffroi pris de convulsions, d’une transe de possédés que rien ne peut arrêter.   © Uwe Stratmann   Mais on ne peut impunément évoquer l’Eglise sans les affaires de mœurs qui la secoue. Boris Charmatz n’élude pas la question qui s’invite d’elle même. Une sidération exprimée par un troisième tableau dans le silence le plus nu où l’atmosphère jusqu’à présent électrique se fait tragique. Bouche bée, exprimant un cri muet, celui que l’Eglise n’a pas voulu entendre, les yeux tournés vers le ciel ou bien encore ceux d’un enfant vers l’adulte, les danseurs expriment une souffrance existentielle devant un ciel soudain vide et le néant de leur condition bafouée.  C’est le cri du butô devant la tragédie humaine irrésolue, le cri expressionniste de Munch. Liberté Cathédrale contient aussi un tabernacle désormais vide de la présence de Dieu qui lui donne aussi toute sa gravité. Après le chant, les cloches et le silence, la voix… Fuck the Pain Away (baise la douleur), chanson de Peaches et For whom the bell tolls (Pour qui sonne le glas), poème de John Doll, deviennent des dédicaces adressées au public, autant d’étranges intentions de prières que chaque danseur s’approprie là aussi à sa façon et offre au public, à quelques spectateurs choisis. C’est aussi entre ces deux pôles, le profane et le sacré, qu’oscille cette danse de damnés. Et Peaches dans une « église » il fallait oser, c’est faire y entrer le diable sans exorcisme. C’est aussi toute la malice de Boris Charmatz. Une ronde se forme bientôt qui rassemble, unit ce qui auparavant semblait être désuni. Un calme provisoire et fragile, avant un dernier tableau stupéfiant, bouleversant qui défait avec brutalité tout ce qui fut précédemment. Un orgue ronfle et mugit douloureusement sa plainte, partition de Phill Niblock, et Boris Charmatz signe en conclusion de cette pièce hallucinée son Guernica. Force de frappe inattendue du toucher où les corps se happent sèchement, s’agrippent désespérément, s’étreignent furieusement, se portent, rampent et s’écrasent brutalement au sol, ne bougent plus avant d’être piétinés. Vision apocalyptique des charniers et des martyrs de l’Histoire d’hier, d’aujourd’hui et de demain – dont l’Eglise n’est pas exemptée dans sa responsabilité – sur lesquels les générations qui se succèdent ne cessent et ne cesseront de marcher. Des chemins couverts de cendre sur lesquels leur avenir se constuit. Le saisissement est grand que le vrombissement sourd et rauque de l’orgue amplifie davantage encore. Encore une fois Boris Charmatz, ludion de la danse contemporaine, montre qu’il n’a rien perdu de son audace informelle et frondeuse, creusant plus avant encore un sillon qui n’appartient qu’à lui, poussant la danse dans ses retranchements, n’hésitant pas à bousculer la forme pour une expression tranchante, voire politique parfois, se refusant à l’abstraction. Rien n’est joli ou propret, ce n’est pas le but, mais tout y est d’une justesse abrasive et sans demi-mesure qui ne peut que fasciner ou rebuter. La translation du Mariendom au Châtelet, les théâtre sont aussi des églises, certes laïque mais non dénuées de spiritualité, démontre l’intégration , la fusion dans le corps des danseurs des lieux explorés dont ils sont dès lors l’émanation, corpus central des explorations de Boris Charmatz avec son collectif Terrain pour emmener la danse hors des sentiers balisés, que ce soit sur une étroite plateforme, un piano, ou sous la verrière d’un Grand-Palais déserté. C’est aussi cette formidable appétence au collectif, au vivre ensemble, au partage qui nous est offert, la danse pouvant et se devant d’être un lieu de rassemblement, une cathédrale. La danse est toujours plus que la danse pour Boris Charmatz. Liberté Cathédrale résume une fois de plus et magistralement ce parcours singulier et sans concession.     © simon Gosselin   Liberté Cathédrale, chorégraphie de Boris Charmatz Avec l’ensemble du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch + Terrain Invité.e.s(*) : Laura bachman*, Régis Badet*, Dean Biosca, Naomi Brito, Emily Castelli, Guilhem Chatir*, Ashley Chen*, Maria Giovanna Delle Donne, Taylor Drury, Çağdas Ermis, Julien Ferrenti*, Julien Gallée-Ferré*, Laetitia Galloni, Tatiana Julien*, Luciény Kaabral, Simon Le Borgne, Réginald Lefebvre, Johanna Elisa Lemke*, Alexander López Guerra, Nicholas Losada, Julien Stierle, Michael Strecker, Christophe Tandy, Tsai-Wei Tien, Solène Wachter*, Franck Willens Organiste : Jean-Baptiste Monnot* Assistante chorégraphique : Magalie Callet-Cajan* Lumières : Yves Godin Costumes : Florence Samain* Travail vocal : Dalla Khatir* Direction technique : Fabrice Le Fur* Matériaux sonore : Beethoven, Olivier Renouf, Peaches, Phill Nibllock, improvisation à l’orgue d’après Bach et Vivaldi Poèmes : Emily Dickinson, John Donne L’orgue de voyage est un instrument modulaire conçu et réalisé par Jean-Baptiste Monnot   Du 7 au 18 avril 2024, à 20h Dimanche à 15h 1h45 sans entracte   Théâtre du Châtelet Place du Châtelet 75001 Paris   Réservations : www.theatredelaville-paris.com www.chatelet.com      Read More →
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Sous les Fleurs, chorégraphie de Thomas Lebrun, Chaillot-Théâtre National de la Danse
  © Frédéric Lovino fff article de Denis Sanglard   Ni homme, ni femme mais muxe. Dans la société zapotèque de l’état de Oaxaca, au Mexique, il existe un troisième genre reconnu, les muxes, hommes s’appropriant les attributs rattachées au genre féminin. Fardées, vêtues de l’huipil, la chasuble traditionnelle du Mexique aux motifs floraux chamarrés, d’une longue robe chatoyante sur un jupon blanc, la tête couronnée de fleur, une silhouette popularisée par Frida Kahlo. Discriminées par une société catholique aux relents patriarcaux et homophobes, particulièrement à Mexico où elles sont invisibilisées, La plupart d’entre elles vivent en communauté dans la ville de Juchitán de Zaragoza, au sud du Mexique. La culture zapotèque, société matrilinéaire, leur attribue les mêmes droits et devoir qu’aux femmes, occupant une place bien définie, entre autres s’occuper de leurs parents âgés ce qui leur vaut considération. La distinction de genre n’existant pas, se découvrir muxe est une démarche collective qui a lieu au sein de la famille et de la collectivité. On rejoint ici le terme zapotèque la-have qui désigne l’humain sans distinction de son sexe. C’est à cette communauté que rend magnifiquement hommage Thomas Lebrun, une évocation sensible et d’une grande et poignante beauté, lumineuse. Elles sont cinq, somptueusement costumées, maquillées comme un jour de fête. Dans cet espace aux murs vivement colorés, elles entrent une à une, très lentement, posent légèrement, se saluent, exprimant une douce tendresse sororale, avant de s’atteler à diverses tâches qui leurs sont dévolues. Elles brodent, coiffent, maquillent, font leur marché, cuisinent… Le geste est épuré, volontairement ralenti, ample, mesuré, dense, concentré, harmonieux… et la trivialité de leurs travaux devient cérémonial, culte d’un mystère qui n’appartient qu’à elles. Est-ce pour cela que l’une d’elle entre en transe soudainement ? Elles dansent aussi, avec une énergie inattendue, un relâchement surprenant. Elles chantent avec douceur pour accompagner leurs travaux ancillaires. Thomas Lebrun esquisse les instantanés d’une vie ordinaire qu’on pourrait croire banale, une réalité dans son évidence que la chorégraphie sublime. Cependant que nous entendons ponctuellement quelques extraits d’une rencontre avec la militante Felina Santiago Valdivieso, fondatrice des Muxes Autenticas Intrepidas buscadores del peligro Juchitán, expliquer sans fard qui elles sont, sans rien édulcorer des difficultés qu’elles rencontrent au quotidien hors de leur communauté. Difficultés et contradictions que Thomas Lebrun soulève avec gravité mais avec la force abrasive et la douce violence de la poésie. C’est l’envers du décor et son enfer qui est aussi dénoncé. Quand dépouillée de son costume, simplement habillée d’un jupon blanc et torse nu, ceinte d’une couronne de fleur et masquée d’une tête de mort, apparaît la muxe métamorphosée en la Catrina, pour un numéro cabarettiste de dragqueen dépouillée, c’est dénoncer avec euphémisme et rude délicatesse à la fois la réduction de leur culture au travestissement, ce qu’il n’est pas, et incidemment à la prostitution dont certaines sont réduites hors de leur communauté. Rejointe par ces sœurs, dans le même appareil, c’est une étrange et somptuaire danse macabre à peine adoucie par « Le spectre de la rose » de Berlioz. L’émotion est grande soudain. Le Mexique détient le triste record, après le Brésil, du plus fort taux de meurtres homophobes au monde… Et c’est au regard des muxes et de leur culture singulière que Thomas Lebrun interroge notre propre rapport, aujourd’hui en occident, avec la notion de genre en débat dans notre société patriarcale aux abois, une virulence réactionnaire qui voit le masculinisme (re)surgir et rejeter non sans violence la part féminine en chacun des hommes, et, malgré les avancées sociétales les droits des minorités sexuelles être remis en question avec cette confusion entretenue parfois sciemment entre le genre et la sexualité. Une dernière scène âpre conclue cette création subtile qui renverse douloureusement la première perspective. Une cérémonie funèbre où les hommes renoncent à leur féminité, dépouillés de leurs habits et attributs féminins pour d’austères costumes noirs, déposant des fleurs sur le plateau devenu la tombe ou le mémorial des victimes d’une homophobie et d’une transphobie crasse, et qu’Eddy de Pretto chante Kidd qui dénonce cette injonction à la virilité (« abusive ») qui vous flingue l’enfance et l’adulte en devenir. Création bouleversante, indispensable, qui vous frappe, vous happe, Sous les fleurs défait avec intelligence et raison les préjugés tenaces qui ne sont que constructions sociales et politiques. A l’image des cinq sur le plateau, tous superbement habités et dévoilant leur part féminine sans ambages et tels qu’en eux même sous le fard et leur vêture traditionelle, Thomas Lebrun affirme avec raison qu’en chacun de nous, indubitablement et quoi qu’on nous le défende,  sommeille une muxe.   © Frédéric Lovino   Sous les Fleurs, chorégraphie de Thomas Lebrun Lumières : Françoise Michel Son : Maxime Fabre Costumes : Thomas Lebrun, Kite Vollard Régie générale : Xavier Carré Régie son : Clément Hubert Assistante : Anne-Emmanuelle Deroo Chercheur anthropologue : Raymundo Ruiz Gonzàlez Musique : Trio Monte Alban, Maxime Fabre, Susana Harp, La Bruja  de Texcoco ( arrangement Seb Martel), Banda Regiolal Princesa Donashi, Rocio Durcal, Hector Berlioz, Eddy de Pretto, extraits de MUXES, film d’Ivan Olita, produit par Bravo Studio et avec la voix de felina Santiago Valdivieso Masques : Ruua Masks Conception et scènographie : Xavier Carré et Thomas Lebrun   Avec : Antoine Arbeit, Raphaël Cottin, Arthur Gautier, Sébastien Ly, Nicolas Martel   Du 3 au 6 avril 2024 à 19h30 Le samedi à 17h Durée 1h15   Chaillot-Théâtre National de la Danse 1 place du Trocadéro 75116 Paris   Réservations : 01 53 65 30 00 www.theatre-chaillot.fr  Read More →
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Partie de Tamara al Saadi, Théâtre Silvia Monfort
     © Geoffrey Posada Serguier   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia  Partie est un objet poétique non identifié. Un petit bijou de sons, d’odeurs, de fulgurances visuelles et de frémissements d’émotion(s). Un vrai travail d’équipe qui plus est. Chacun dans son rôle est indispensable à la réussite d’ensemble. Certes, la comédienne Justine Bachelet est essentielle et étonnante. Elle est une voix d’abord. Et ce n’est sans doute pas par hasard qu’elle a été choisie par Tamara al Saadi pour Partie. Car cette spécificité vocale est évidemment en harmonie avec le projet qui est un spectacle avant tout basé sur des bruits, des sonorités, des rythmes, qui sont produits sur le plateau à jardin par la bruiteuse Eléonore Malo. C’est presque gênant d’écrire bruiteuse, car on a l’impression de réduire cette artiste à quelque chose de péjoratif. Ses bruits bruissent, tonnent, sifflent, percutent, tout comme les voix du public qui est mis à contribution. Un petit livret est distribué à chacun à l’entrée de la salle, comportant des feuillets de différentes couleurs, qui ne sont pas les mêmes pour tous. Le public prend la forme d’un chœur ou de plusieurs chœurs, qui reçoi(ven)t des instructions de la metteuse en scène amusée avant que le spectacle ne commence et qui le(s) guide tout le long en l’invitant à lire ses « partitions », fort, normalement ou à voix basse. Ces textes sont de diverses natures (chanson populaire, harangue de marchands, ordre de mobilisation générale, …), mais ils illustrent tous le récit qui se déroule au sens propre et figuré sous nos yeux, puisqu’en fond de plateau Jennifer Montesantos déroule à la manivelle un rouleau de papier qui donne des indications, comme une voix off, un sous texte, des sous-titres ou des cartels de cinéma muet. Un rouleau, tel le rouleau compresseur de la Grande guerre qui avance inexorablement et écrase ses pions. Louis Verrier en fait partie. Louis est un gentil garçon qui écrit à sa maman pour la rassurer, d’un ton presque badin au début et évidemment de plus en plus grave. Cet échange épistolaire sert de fil conducteur au spectacle dont le fond tragique se déverse progressivement, comme la terre qui recouvre le soldat, le sang qui colle ses cheveux, l’odeur de poudre des tranchées qui sature les narines. Les points de ponctuation d’une lettre se transforment peu à peu en impacts de balles. On tremble avec Louis quand il évite les obus, et quand il est trempé jusqu’aux os, tellement qu’il a « l’impression de se noyer de l’intérieur ». On avait déjà eu la chance de voir cette création dans le cadre de la programmation Vive le sujet ! du Festival d’Avignon en juillet 2022. L’écrin enchanteur du jardin de la Vierge du lycée Saint Joseph n’ôtait rien à la force de la proposition. Dans un théâtre fermé, certains effets « spéciaux » (fumée, explosions…) fonctionnent encore plus efficacement. On sort ébranlé par la justesse de la sobriété et ébloui par la beauté du geste artistique, en dépit du sujet et de son terrible épilogue. Le petit soldat « est arrêté, jugé et fusillé pour abandon de poste en présence de l’ennemi ». Et l’on pense inévitablement à tous ses petits et grands frères d’hier et d’aujourd’hui.   © Geoffrey Posada Serguier   Partie, conception, texte et mise en scène de Tamara al Saadi, compagnie La Base Conception sonore : Eléonore Mallo Conception technique et création lumière : Jennifer Montesantos Costumes : Pétronille Salomé Regard chorégraphique : Sonia al Khadir Avec : Justine Bachelet, Eléonore Malo, Jennifer Montesantos, Tamara al Saadi   Jusqu’au 6 avril 2024 Selon les jours : 14h30, 18h, 19h Durée : 45mn   Théâtre Silvia Monfort Salle Cabane 106 rue Brancion 75015 Paris   Réservations : www.theatresilviamonfort.eu      Read More →
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L’Été, de Lotus Eddé Khouri et Christophe Macé au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARDANTHE
      © Floriane De Gracia   ƒ article de Nicolas Thevenot   Ils sont deux, assis, vêtus de noir, pieds et mains nus. Simplicité et radicalité du dispositif. Sur le papier, on pourrait s’attendre à voir une nouvelle version du Both Sitting Duet des compères Jonathan Burrows et Matteo Fargion. Ceux-là nous avaient proposé assez facétieusement de jouer la partition For John Cage de Morton Feldman, sans instrument ni musique. L’Été, conçu et interprété par Lotus Eddé Khouri et Christophe Macé, prendra une autre voie : se concentrant sur le tube de Vivaldi, ses Quatre Saisons, et plus particulièrement sur son mouvement presto du concerto L’Été, leur pièce opère comme une loupe grossissante sur la puissance de ce morceau, de ce qu’il peut faire à nos corps (pour preuve, une spectatrice d’un certain âge elle-même secouée, comme à un concert de rock à chaque nouvelle écoute de la musique de Vivaldi, quand bien même remixée). Lotus Eddé Khouri et Christophe Macé concentrent la déflagration de la musique dans le tremblement excité des seules mains, qui s’agitent jusqu’à l’effacement visuel. Elles sont comme les terminaisons nerveuses de la musique qui prendrait leur corps en main. La performance évolue par variation de vitesses mais maintient sa forme réduite et extrême contre les vents et marais de la musique. La lumière au contraire du minimalisme de cette danse de siège joue une partition azimutée, créant du chaos, dans des précipitations quasi stroboscopiques de recadrage, changements chromatiques. Eux restent à leur tâche, filant la laine de la musique de Vivaldi jusqu’à la tétanie musculaire, pareils à deux phares dans la tempête, fidèles à leurs postes. Le presto est repris et remixé par Jean-Luc Guionnet dans autant de versions insistant sur des traits particuliers de la partition originelle, un procédé et une intention comparable à la recomposition opérée par Max Richter des mêmes concertos. L’Été pose une problématique valable pour toute forme spectaculaire : celle du climax, puisque dans la partition de Vivaldi ce presto, d’une indépassable intensité, crève le ciel de son tonnerre et de sa grêle. Pour qu’un tel sommet émerge, il doit se construire et se gravir depuis une vallée, une plaine. Le pic d’intensité n’a de sens que s’il s’environne d’un moindre engagement, d’une accalmie, sans cela le pic s’émousse. La proposition de Lotus Eddé Khouri et Christophe Macé tente elle le tout pour ce tout au risque de se casser le cou, ou pour le moins les poignets : L’Été est conçu à la hauteur de ce climax sans jamais vraiment en redescendre, dans une puissance qui peut finir par saturer, et où finalement les possibles images peuvent difficilement advenir. Une alarme incendie dans la salle Panopée du Théâtre de Vanves, bien involontaire et intempestive, fractura le spectacle en deux, désarçonna les deux cavaliers de leur monture. A force de vouloir mettre le feu, L’Été fut incendié.   © Floriane De Gracia     L’Été, conception, réalisation et interprétation de Lotus Eddé Khouri et Christophe Macé Musique : Jean-Luc Guionnet, d’après le Presto de « L’Été » des Quatre Saisons d’Antonio Vivaldi Lumière : Structure-couple et Chloélie Cholot Regard extérieur et production : Floriane De Gracia Regard extérieur costumes Coco : Petitpierre   vu le mardi 19 mars à 19h Durée : 40 minutes   Théâtre de Vanves (salle Panopée) Théâtre de Vanves 12 Rue Sadi Carnot 92170 Vanves réservations : 01.41.33.93.70 https://www.theatre-vanves.fr  Read More →
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Assembly Hall, conception de Crystal Pite et Jonathan Young / Kidd Pivot, au Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt
  © Michael Slobodian fff article de Denis Sanglard  Il était une fois dans une salle municipale polyvalente, gymnase et salle des fêtes… Il était une fois donc une association, « l’ordre bienveillant et protecteur », qui chaque année organisait « the quest fest », la fête de la quête, mise en scène d’un conte médiéval avec force chevaliers, un roi et une princesse comme il se doit. Seulement rien ne va en ce monde et l’assemblée en ces lieux doit voter la dissolution de l’association qui n’a plus la côte, devenue obsolète. Oui, mais quelque chose résiste, pugnace, en chacun des participant un chevalier sans nom sommeille, une princesse pleure son héros disparu, un roi se meurt. Et dans cette salle de théâtre, sur son petit plateau, les fantômes des quêtes passées hantent toujours les lieux. Bientôt la frontière entre la réalité et l’imaginaire devient poreuse et cette assemblée plénière se métamorphose en un récit médiéval, une fantaisie héroïque pleine de bruit et de fureur, de vengeance et de romance, de combats épiques et d’amour romantique. A l’aune de son personnage chacun se révèle tel qu’il se rêve, guerrier preux et sans peur, héros vainqueur ou vaincu où la question du vivre ensemble, de la communauté, des valeurs communes et des passions partagées, participe aussi d’une croisade épique, un combat vertueux, un graal à atteindre où l’intime et le collectif se défient, s’’affrontent et se rassemble. Hybridation comme toujours entre le théâtre et la danse, Crystal Pite et Jonathan Young dont c’est la troisième collaboration, signent avec Assembly Hall une chorégraphie comme toujours inventive et narrative en reprenant ce qui fait sa particularité et son originalité, un « ventriloquisme chorégraphique » où le texte préenregistré et joué en playback et dénoncé comme tel, véritable partition musicale, impose aux danseurs un rythme particulier. Le mouvement étiré ou rétracté au maximum, désarticule les corps toujours à la limite de se rompre, les personnages réduits au final à n’être que des marionnettes, accusant l’artifice de la théâtralité. Crystal Pite et Jonathan Young jouant en toute liberté de la distorsion entre ce qui est énoncé et ce qui est dansé, chorégraphié, évite avec intelligence toute redondance. Surtout ils enchâssent à ce qui est proféré un autre discours, en creux, ouvrant des perspectives inédites et imprévisibles, le paysage mental, l’imaginaire inépuisable et fantasques des personnages que le corps trahit malgré lui, révélant des vérités inavouables et des désirs enfouis. C’est là, dans cette friction explosive, disruptive et continue que la danse-théâtre de Crystal Pite et Jonathan Young apparait à son plus haut niveau dramaturgique dans l’expression dynamique de nos passions contradictoires. De tableaux vivants pour illustration des champs de bataille, et non sans humour plus proche de Sacrée Graal des Monty Piton – et, osons le dire du meilleur de Benny Hill -, que de l’Excalibur de John Boorman, de solo ou duo incandescents d’un pur classicisme contemporain, la réalité ne cesse de s’estomper, la mémoire des lieux, son histoire et ses fantômes de surgir, et le conte médiéval de devenir l’avatar vertigineux et héroïque, la légende de cette association qui se refuse à mourir, à céder à la modernité sans avoir bataillé ferme. Il règne sur le plateau une joyeuse liberté frondeuse, le goût du si magique de l’enfance, qui d’un simple bâton de bois faisait notre épée, des moulins quelques géants et des tréteaux de théâtre un vaste royaume enchanté.  Et c’est peut être ça qui bouleverse le plus dans cette création ludique teintée de gravité, qui ne cesse, au final, en convoquant fantômes et héros, en rassemblant les vivants dans une même geste héroïque, de vouloir conjurer la mort. « La vérité légendaire est d’une autre nature que la vérité historique. La vérité légendaire, c’est l’invention ayant pour résultat la réalité. » Victor Hugo   © Michael Slobodian   Assembly Hall, création de Crystal Pite et Jonathan Young / Kidd Pivot Texte et direction : Jonathan Young Chorégraphie et Direction : Crystal Pite Composition et création sonore : Owen Belton, Alessandro Juliani, Meg Roe Scénographie : Jay Gower Taylor Vidéo : Cybèle Young Lumière : Tom Visser Costumes : Nancy Bryant Régie vidéo et programmation sonore : Eric Chad Assistant des créateurs : Eric Beauchesne Musique additionnelle : Tchaïkovski Avec : Brandon Alley, Livona Ellis, Rakeem Hardy, Doug Letheren, Rena Narumi, Ella Rothschild, Renée Sigouin & Nasiv Kaur, Julian Hunt (remplaçants) Direction vocale : Meg Roe Voix : Ryan Bell, Marci T. House, Alessandro Juliani, Meg Roe, Gabrielle Rose, Amanda Sum, Vincent Tong, Jonathan Young   Du 2 au 5 avril et du 13 au 17 avril A 20h, dimanche 17h, relâche le lundi   Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt 2 place du Châtelet 75001 Paris   Réservations : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com  Read More →
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Le ciel de Nantes, Texte et mise en scène de Christophe Honoré, à la Villette
  © Jean-Louis Fernandez   f f f article de Denis Sanglard Le ciel de Nantes, histoire d’une famille déchirée, celle de Christophe Honoré, d’un passé qui ne passe pas, du poids d’un héritage qui vous cisaille et le refus, malgré tout, du déterminisme. Christophe Honoré convoque sur le plateau les morts et les vivants, interroge les liens lâches ou défaits de ces fantômes qui le hantent et le relient encore, malgré soi, à eux. Il traque une vérité impossible, fuyante, quand ne sont plus les acteurs et les témoins d’une vie traversée par l’Histoire. Car elle est là cette Histoire qui les a étrillées au sortir de la seconde guerre mondiale. Les Trois Glorieuse, ce ne fut pas la gloire pour ceux-là, de la classe ouvrière. Convoquer les morts, là, sur ce plateau, c’est leur demander de s’expliquer, une fois pour toute. Alors éclate, bombe à fragmentation, une vérité pas très jolie. Et comme le dit l’oncle Roger, devant la tentative de Christophe Honoré de fictionner tout ça, de réinventer ce passé, de l’enjoliver, « rien n’est beau, c’est juste violent et laid, injuste. » Femmes violentées, folie, suicide, rancœurs, alcoolisme, racisme, homophobie… une somme de destins fracassés. Que faire alors de cet héritage qui vous encombre où se bouscule et ne se distingue plus, ou à peine, l’intime et le collectif, l’affectif et la haine, la grande et la petite histoire, le passé et le présent ? De quoi est fait Christophe Honoré, impuissant ici à réaliser le film de ces vies minuscules, de ces tragédies dérisoires malgré quelques tentatives d’essais vite abandonnés ? De quoi est-il l’héritier, de quel secret inconscient est-il le dépositaire ? Quelle est la part irréductible emportée dans sa fuite et malgré la résilience ? Peut-on, seul, réparer ? C’est tout ça qui est posée magistralement sur le plateau sans que jamais de réponse définitive ne soit donnée. Ce qui se passe là, sur ce plateau, une salle de cinéma de quartier, est tout simplement du grand art. Christophe Honoré met en scène avec brio le roman d’une famille, d’une époque, avec une sensibilité d’écorché vif, de celui qui sait que le cinéma et le théâtre font œuvre de vie, de mémoire, capables de mettre la distance nécessaire et juste au récit autobiographique. De convoquer les morts même. Mais ici le théâtre prend en charge l’échec du cinéma à porter cette histoire sensible, comme il est le lieu d’un cinéma impossible. De ces tragédies familiales il fait fiction sans doute parce que le souvenir des évènements vécus n’est qu’une partie de l’évènement, un point de vue, voire une émotion ressentie, une vérité inavouée, inavouable. A chacun ses souvenirs, une partie de la vérité. Ce qu’il met en scène là, c’est la mémoire éclatée des faits, combien elle est toujours diffractée, jamais univoque. Et les personnages ne se reconnaissant pas, reprennent en charge le récit de Christophe Honoré, de son avatar, qu’ils contestent, donnent la version de leur histoire, se réapproprie leur existence. Et ils sont formidablement grands et virtuoses ces sept-là qui, unis indissolublement sur le plateau, donnent corps et âmes, couleurs, aux ombres décolorées du passé. Dirigés au cordeau – il y a là une véritable direction d’acteur, une vraie et belle complicité d’eux à lui – ils donnent à chacun de leur personnage une terrifiante et bouleversante humanité déchirée de violences, clouée par le déterminisme. Et cette brutalité comme inhérente à leur condition immuable à leurs yeux, ils l’a transfigurent pour leur offrir non pas une rédemption, pas même une excuse, mais un foutu destin dérisoire et grandiose de ceux qui ont fait comme ils ont pu. On gueule, éructe, pleure, rit. On danse sur Sheila, instant d’une tendresse fulgurante et qui vous poigne. On regarde le match de foot, supporter inconditionnel des « Canaries » et qui réconcilie le temps d’une victoire. On picole sec. On se confie, les morts chuchotent aux vivants les secrets tus qui empoisonnent, éclairant d’une lumière crue votre présent sourdement, incompréhensiblement chaotique. Dans ce vieux cinéma de province chacun refait le film à sa façon, nouant et dénouant pour les vivants les fils qui les relient encore. Pour mieux l’en libérer. Christophe Honoré remonte ainsi la généalogie des secrets qui poissent dans une mise en scène brillante qui lentement vous submerge, vagues après vagues. De tension en points de rupture, d’accalmies en orages brusques, Christophe Honoré accompagne ainsi au plus près le rythme de chacun des personnages au fil des révélations et des non-dits sans jamais rien lâcher de l’ensemble. Acteurs et spectateurs tout à la fois d’un récit qu’ils reconstituent à l’aune des vérités insoupçonnées tombant drues et qui font ainsi avancer par sauts brusques le récit jusque dans sa fragile résolution. Et nous sommes là, nous spectateurs, pris dans ce maelstrom étourdissant avec une drôle de sensation, non pas malaise, mais une émotion brute, troublé par ce jeu-là, cette histoire-là, qui tambourine et ne vous lâche plus. Car ce qui palpite là, c’est la vie, aussi moche soit-elle.   © Jean-Louis Fernandez   Le ciel de Nantes, texte et mise en scène de Christophe Honoré Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy Lumière Dominique Bruguière Vidéo Baptiste Klein Son Janyves Coïc Costumes Pascaline Chavanne Avec Youssouf Abi-Ayad, Harrison Arévalo, Jean-Charles Clichet, Julien Honoré, Chiara Mastroianni, Stéphane Roger, Marlène Saldana   Du 5 au 7 avril 2024 vendredi à 20h, samedi à 18h et dimanche à 16h   la Villette Grande halle 211 av. jean-Jaurès 75019 Paris   Réservations : www.lavillette.com   spectacle vu à l’Odéon le 8 mars 2022      Read More →
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Macbeth, d’après William Shakespeare, adaptation, mise en scène et scénographie de Silvia Costa, à la Comédie-Française
    © Christophe  Raynaud de Lage   f article de Denis Sanglard  Ni bruit ni fureur, mais du sens certainement, dans la mise en scène radicale et résolument plastique de Macbeth par Silvia Costa, qui fut l’assistante de Roméo Castelluci et dont, à son détriment, l’influence esthétique est perceptible, et dans la traduction de Yves Bonnefoy. Une adaptation concentrée autour de la figure de Lady Macbeth, Julie Sicard en froide majesté bientôt cryogénisée par la folie, prolongement de la psyché de son époux et figure centrale ici de cette « pièce écossaise » dont la superstition empêche de prononcer le nom. Ils ne sont que huit sur le plateau, les trois sorcières endossant les rôles de seconds plans, autant de métamorphoses qui participent d’une hallucination qui contamine lady Macbeth et d’une manipulation, manifestation surnaturelle nouant la tragédie. Déroutante mise en scène pétrifiée, où domine le rouge sang et l’outre-noir, puis le blanc, et une vison religieuse et mystique des plus étrange et incompréhensible, à côté de la plaque même, qui voit le couple infernal revêtu d’habits sacerdotaux, la scène du banquet où apparait le spectre de Banco se jouant tout entière dans un étroit confessionnal enchâssé dans un mur de cathédrale tel un retable, Duncan en Dieu le père qu’on assassine et Macduff en christ rédempteur pour clore cette tragédie… Des images fortes et prégnantes il y en a pourtant. Ainsi cette immense couronne suspendue dominant nos deux futurs criminels, scellant leur pacte comme une alliance (à quoi ressemble aussi cette couronne), annonçant leur sacre entaché du sang de Duncan, prophétie également de leur fin dernière (« devant ton visage est la mort » est-il inscrit en latin sur cet anneau). La première apparition de Lady Macbeth, déjà sur le plateau à l’ouverture de la salle, s’arrachant par poignée sa chevelure emmêlée comme se dépouillant de sa féminité, crachant sur le portrait tournoyant et lacéré de Macbeth, s’inscrivant dans une sororité avec « les sœurs fatales », sorcière à son tour et femme puissante. Mais très vite la scénographie l’emporte sur la mise en scène et la direction d’acteur, réduites à peau de chagrin, comme si elle devait impérativement se substituer à tous discours, métaboliser toutes les intentions, nécrosant les enjeux de cette pièce complexe et qui ne peut se réduire comme ici à une ambivalence dichotomique, voire un simple manichéisme. Les comédiens semblent tétanisés, absents à eux-mêmes, figures pâles s’inscrivant en aplat dans cette scénographie volontairement picturale. A l’exception de Julie Sicard qui, dans son ultime scène, la folie impatiemment attendue, extirpe son épingle d’un jeu par trop hiératique, où enfin sourd des intentions à défaut d’une émotion qu’on n’attendait plus. De fait et heureusement le texte dans son adaptation résiste vaillamment et vaille que vaille au dessein profus de Sylvia Costa qui ne génèrent à contrario et très vite qu’un ennui profond, que de longs silences qui se voudraient l’illustration d’une sidération face aux évènements ( la «  découverte » du meurtre par Macbeth par exemple) ou d’une dilatation de la temporalité propre aux cauchemar, n’illustrent pourtant rien d’autre que ce qu’ils sont, de la vacuité vaine obèrant toute action. Alors oui, on décroche peu à peu, au même rythme que les changements de perspectives de cette scénographie qui recule et se fige au fur et à mesure vers le lointain du plateau provoquant irrémédiablement l’éloignement et le désintérêt des spectateurs.   © Christophe Raynaud de Lage   Macbeth, d’après William Shakespeare, adaptation, mise en scène et scénographie de Silvia Costa Traduction : Yves Bonnefoy Dramaturgie : Simon Hatab Scénographie : Silvia Costa, Michelle Taborelli Costumes : Camille Assaf Lumières : Marco Giusti Musique originale et son : Nicolas Ratti Assistanat à la mise en scène : Alison Hornus Et de l’académie de la Comédie-Française Assistanat à la mise en scène : Mathilde Waeber Assistanat à la scénographie : Dimitri Lenin Assistanat aux costumes : Alma Bousquet Assistanat au son : Ania Zante   Avec : Alain Lenglet, Julie Sicard, Pierre Louis-Calixte, Suliane Brahim, Jennifer Decker, Julien Frison*, Noam Morgensztern, Birane Ba*, Clément Bresson. * en alternance Voix de l’enfant : Marceau Adam Connan   Jusqu’au 20 juillet 2024 En matinée à 14h, en soirée à 20h30   Comédie-Française Salle Richelieu Place Colette 75001 Paris   Réservations : 01 44 58 15 15 www.comedie-française.fr        Read More →
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Mon bel animal, d’après le livre de Lucas Rijneveld, réalisation et adaptation de Ivon Van Hove, à La Villette
  © Jan Versweyveld fff article de Denis Sanglard Ivo Van Hove adapte Mon bel animal, second roman de Lucas Rijneveld, écrivain et poète néerlandais non-binaire, et interroge d’emblée l’irreprésentable de la représentation sur un plateau. Histoire d’une prédation d’un pédophile sur une adolescente de 14 ans. Kurt vétérinaire de 49 ans chargé de s’occuper du troupeau de vaches menacé de la grippe bovine d’un éleveur, s’immisce dans l’imaginaire de la fille de ce dernier, Meisje, adolescente fragile et tourmentée par un sentiment de culpabilité depuis la mort de son frère, « le défunt, dont elle ne se remet pas. Enfermée dans son monde, rêvant d’être une rock star comme Kurt Cobain, de faire aussi partie du club des 27, d’être la Bonnie de Clyde, dialoguant avec Freud ou Hitler, s’accusant d’être responsable des attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001, souhaitant changer de sexe pour pisser debout, la jeune fille se rêve oiseau pour s’extirper de sa condition et de cette ferme perdue dans la campagne néerlandaise. Kurt noue une relation de confiance, de confidences, entre petit à petit dans l’imaginaire anxieux de cette gamine qu’il entretient sciemment pour mieux l’isoler, la piéger et abuser d’elle jusqu’à l’inacceptable, l’insoutenable. Ecriture époustouflante, au couteau, un flot de paroles continue qui épouse crûment et sans fard, sans jugement ce qui a son importance, le point de vue unique de Kurt. C’est toute l’originalité de ce récit et de son adaptation, jusqu’à provoquer plus que le malaise devant l’insupportable énoncé par cet esprit malade décrivant froidement une minutieuse mécanique d’emprise et une obsession monomaniaque et malsaine sur cette adolescente, « sa jeune élue », qu’il manipule pour arriver à ses fins, rêvant d’être comme « la douve du foie dans une vache, un parasite ». Kurt justifie ses actes monstrueux par son passé, l’emprise incestueuse d’une mère abusive sans que l’on sache ici où est la vérité. Ivo Van Hove n’édulcore rien de cette ultra-violence tant morale que physique. Mise en scène naturaliste qui pendule sans heurt entre le présent et le passé, le fantasme et la réalité, où le temps semble comme dilaté, ce qu’il faut accepter, épousant sciemment le rythme de cette emprise terrifiante d’un monstre sur une enfant et qui lentement, inexorablement, tel un mascaret, provoque chez le spectateur un malaise profond devant ce qui advient, que l’on sait irrépressible. Ivo Van Hove en exposant absolument tout, sans jugement lui aussi, oublieux de la théâtralité et de ses limites qu’il repousse sciemment pour être au plus près du roman, oblitère la moindre parcelle d’imaginaire. Nul hors-champs, nulle ellipse, aucun échappatoire pour les spectateurs (hormis ceux ayant décidé de quitter la salle, en colère ou écœurés de tant de bestialité), mais une frontalité brutale des faits explicites qu’il n’évite pas, se refuse à éviter, mais expose crûment dans un réalisme glaçant et implacable. La scène du viol, hyperréaliste, allant à son terme, est proprement insoutenable qui provoque une sidération vomitive. Et un souci du détail aussi, telle cette couverture d’enfant dans laquelle s’enroule l’adolescente dans « le nid » bâti par Kurt pour leur rencontre accusant de façon presque anodine le déséquilibre absolu de cette relation malsaine. Une bande son pop et rock également, qu’ils chantent ensemble mais dont les paroles deviennent en ces circonstances des plus ambigües provoquant le trouble, un premier pas franchi vers l’horreur à venir. Le vaste plateau transformée en ferme, balles de foin et abreuvoir, jeu d’enfant, que baigne un ciel changeant jusqu’à l’orage, devient malgré son ouverture sur l’extérieur, un huis-clos infernal, l’espace mental et de jeu d’un pédocriminel qui ne lâche jamais sa proie. Il fallait pour ce faire une direction d’acteur impeccable et précise pour les mener sur ce chemin difficultueux, sans tomber dans l’outrance ou la caricature mais rester sur la crête étroite du réalisme le plus âpre. Hans Kesting (Kurt) et Eefje Paddenburg (Meisje) sont tous deux inouïs de justesse et de vérité cinglante dans cette partition complexe et sans pudeur aucune. D’une banalité malaisante dans le mal et la perversion pour lui, au bord d’un gouffre existentielle pour elle, fragile et paumée, bouleversante et tragique dans la compréhension trop tardive de cette relation toxique qui la détruit irrémédiablement. Cette mise en scène provoquante, dans le meilleur sens et premier du terme, choquante si on veut la considérer comme telle, paroxystique dans sa crudité nécessaire pour ce que, malgré elle et par elle, elle dénonce, une vérité nue sur les violences sexuelles et les ravages immarcescibles  sur les victimes, s’affranchissant au final des règles de bienséances théâtrales pour d’un récit fictionnel accorder une réalité à des faits ici dénoncée sans apprêt et nous confronter salement à elle qui interroge. Cette mise en scène obscène (et salutaire), lâchons le mot, ne renvoie qu’à l’obscénité du monde, voire la nôtre, entre complaisance et voyeurisme à regarder ça, cette exploration froide et nauséeuse d’un crime qui bafoue notre humanité.   © Jan Versweyveld   Mon bel animal, réalisation et adaptation de Ivo Van Hove D’après le livre de Lucas Rijneveld Avec : Hans Kesting, Eefje Paddenburg, Katelijne Damen, Bart Slegers, Minne Koole Adaptation de l’accompagnement et conseils dramaturgiques : Bart Van den Eynde Scénographie et éclairage : Jan Versweyveld Costumes : An D’Huys Paroles de chanson : Lucas Rijneveld Composition des chansons : Wende Snidjers et Koen van der Wardt Musique et conception sonore : George Dhaw Conception vidéo : Christopher Ash Musicien : Roos van Tuil   Ce spectacle est conseillé à partir de 16 ans seulement.   Du 28 au 30 mars 2024 à 20h Samedi 18h   La villette Grande halle 211 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris   Réservation : www.lavillette.com      Read More →
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Art Majeur de Pauline Delabroy-Allard, Emmanuelle Fournier-Lorentz, Simon Johannin, Gilles Leroy, mise en scène de Guillaume Barbot au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
© Vincent Pontet ƒƒƒ article de Sylvie Boursier « Je lui dirai les mots bleus ceux qui rendent les gens heureux ». Au cœur d’un studio d’enregistrement bleu marine, un cabaret du bout du monde pour naufrageurs sans bagages, la musique nous enveloppe comme une seconde peau. Peut-on rêver plus belle bande son ? de Brel à Bashung en passant par Benjamin Biolay, Barbara et tant d’autres, ces chansons ont marqué notre vie. Pierre-Marie Braye-Weppe crée les arrangements musicaux avec des compositions originales, tandis que quatre auteurs et autrices ont écrit pour chaque interprète un texte biographique ou fictionnel sur le pitch suivant : une chanson peut-elle changer une vie ? la réponse est un concert théâtral d’un quintet éphémère qui a le gout des premières fois, de l’inachevé, quand notre vie se fait roman et que l’amateur rejoint le professionnel dans une lumineuse trouée d’enfance. Chacun a sa musique, son moment sur ce vinyle romantique signé Guillaume Barbot. Amsterdam est rock en roll avec un Thierry Hancisse incandescent, transpirant jusqu’à ce que les mots ruissellent sur son corps dans Je ne peux plus dire je t’aime d’Higelin, il allume le feu jusqu’au bout des doigts sur Antisocial du groupe Trust. Son duo des Mots Bleus avec Véronique Vella glisse comme une vague, le couple se frôle sans se toucher, cheveux emmêlés, caresse effleurée, telle une promesse à l’aube, quand les corps sont fatigués et qu’il n’y a plus d’après. Les partitions disent la révolte, elles claquent et vrombissent chez Léa Lopez, comme un étendard, un défi « je suis punk …c’est ma chanson, ma première chanson ». Elles disent la déflagration d’une vision la nuit pour Axel Auriant dans les coulisses d’un théâtre déserté, nette, tranchante comme une lame. Il suffit d’un rien, « trois petites notes de musique qui vous font la nique du fond des souvenirs » et tout revient, la première clope, la détresse d’une mère, un regard et des nuits à attendre.    La musique est passée de l’un a l’autre, de corps en corps et de voix en voix. Danser, chanter, murmurer, jouer du piano, de la guitare, du clavier, de la batterie, ils savent tout faire ces artistes magnifiques, s’échangent leur instrument et se soutiennent d’un regard, heureux d’être là, avec nous. Le public ne voulait plus partir comme lors des concerts de Barbara, sans oser leur demander une ultime reprise, alors merci aux funambules d’un soir pour ces lendemains qui chantent dès aujourd’hui.   © Vincent Pontet   Art Majeur de Pauline Delabroy-Allard, Emmanuelle Fournier-Lorentz, Simon Johannin, Gilles Leroy. Mise en scène :  Guillaume Barbot Musiques : Pierre Marie-Marie Braye-Weppe Scénographie : Benjamin Lebreton Dramaturgie : Agathe Peyrard Costumes : Aude Désignaux Lumières : Nicolas Faucheux Son : Julien Reboux   Avec : Thierry Hancisse, Véronique Vella, Léa Lopez, Axel Auriant, Pierre-Marie Braye-Weppe   Jusqu’au 5 mai Du mercredi au dimanche à 18h30 relâches les 30 et 31 mars Durée : 1h 20     Studio de la Comédie-Française 99 rue de Rivoli Galerie du Carrousel du Louvre 75001 Paris   Réservation : 01 44 58 15 15 www.comedie-francaise.fr  Read More →
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Fuglane, conception d’Hélène Rocheteau, au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARDANTHE
  © Loran Chourrau   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Qu’est-ce qu’un monde intérieur, sinon le monde tel qu’on devrait le voir, le ressentir, sinon le juste rapport qu’il faudrait entretenir avec lui, nourri de curiosité, réhaussé d’amour. Non plus l’envisager comme un profit qu’il nous faudrait prélever, mais comme une partie de nous-même et nous-même une partie de ce tout. Ce monde intérieur, il est celui de Mattis, le personnage du roman Les oiseaux de l’auteur Norvégien Tarjei Vesaas, dont s’inspire Fuglane, la prodigieuse et entêtante pièce chorégraphique conçue par Hélène Rocheteau et interprétée par Vincent Dupuy. Ce monde intérieur submerge, dès les premiers instants, l’espace et le temps. La lumière y est vapeur, organique et mystique. Plutôt que rompre l’obscurité, elle s’y insinue, comme une poche amniotique, comme une veine rocheuse. Vincent Dupuy est comme penché en lui-même, absorbé et pourtant irradiant de présence. Transparent et vibrant dans son ouverture au monde. Comme un sourcier sur le fil de sa baguette, ses pas, ses gestes, développent leurs harmoniques au diapason de l’Univers. L’interprète de Fuglane est un médium : il nous engage dans un voyage au gré de ses sensations, de ce qu’il traverse comme de ce qui le traverse. Fuglane est un transport émotif qui nous saisit au plus profond. Sa danse est un apprentissage du sensible, un arpentage du monde qu’il lui faut couvrir, ouvrir, des mains et des pieds. Les mouvements freinés et arrêtés par la viscosité de l’air se prolongent, prennent un invisible relais en son for intérieur dans une circulation ininterrompue. Intériorité et extériorité sont ici miraculeusement interchangeables. Ce qu’il fait ou défait à l’air libre noue autant ses liens avec l’âme. Si la danse de Vincent Dupuy est de l’ordre de la pensée magique, c’est en premier lieu pour cela : cette capacité inouïe à la transparence, à ce que les gestes s’effectuent dans un dialogue intérieur où le monde s’institue. Fuglane est une danse habitée, non pas au sens d’une incarnation, d’une possession (si l’on pense à Mascarades de Betty Tchomanga), mais une danse qui ferait l’expérience de renaître au monde, de le découvrir, de tenter d’en saisir par son corps les anfractuosités, la fraîcheur ombreuse, les verticalités, les élans, les solitudes, les gouffres, les repos, les tourbillons et de s’y faire une place. Ce que le corps de Fuglane vit et danse est l’empreinte de soi au monde tout autant que l’empreinte du monde en soi. Il y a une sidérante beauté dans cette communion qui éclaire le sourire de Vincent Dupuy. Tout comme dans la fine et poétique ossature sonore produite par les instruments de musique conçus et joués à distance par Florent Collauti, vertèbres de pizzicati et exhalaisons de anches d’une sourde densité végétale et cosmique. Fuglane touche à l’irréductible part d’enfance en chacun de nous, à celle de Vincent Dupuy, à ce chemin lorsqu’on l’ouvrit pour la première fois et que l’on marquera à force de repasser par les mêmes pas. Dans cette ascèse qui est une richesse, l’homme apprend le langage des oiseaux, touche à la véritable sainteté. Une dernière image encore, bouleversante, inestimable offrande pareille à celle du dernier plan de Tropical malady du cinéaste Apichatpong Weerasethakul, où le spectateur se perd de longues et vertigineuses minutes dans la vision d’une tête de tigre au milieu des feuillages, de son œil luisant et fixe : le visage de Vincent Dupuy, lumineux, immobile, à l’orée de la forêt de nos regards. Seul un œil est encore visible, brillant de l’éternité et d’une larme où se condense l’infini du monde.   © Loran Chourrau   Fuglane, conception d’Hélène Rocheteau Chorégraphie : Hélène Rocheteau, en collaboration avec Vincent Dupuy Interprétation : Vincent Dupuy Musique : Florent Colautti Lumières : Gweltaz Chauviré Durée : 40 minutes   Mardi 19 mars à 19h   Théâtre de Vanves (salle Panopée) 12, rue Sadi Carnot 92170 Vanves Tél : 01 41 33 93 70   https://www.theatre-vanves.fr      Read More →
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Lisbeth’s, texte de Fabrice Melquiot, mise en scène de Valentin Rossier, à La Manufacture des Abbesses
  © Carole Parodi ff article de Denis Sanglard Un coup de foudre entre ces deux-là, la quarantaine désillusionnée. Elle, dont le couple se défait. Lui, célibataire, homme d’habitude qui n’attendait rien. Quatre mois à s’aimer, se découvrir dans l’étreinte passionnée, de chambres d’hôtel en chambres d’hôtel, au quatre coin de la France. Quatre mois d’un amour qui lentement se disloque, à ne plus reconnaître l’autre. Lisbeth dit, se contredit, pour mieux aimer. Lisbeth dans les yeux de Pietr n’est-elle qu’une illusion ? A trop aimer Lisbeth, tout semble devenir flou. Une cicatrice apparait et disparait, un enfant au prénom épicène vous mord et vous arrache une phalange, tant de chose étrange… Sur ce quai de gare de la Rochelle, Pietr ne reconnaît plus Lisbeth. C’est elle et c’est une inconnue. Pièce sur la terreur des hommes, la hantise du désir qui les ronge, leur peur des femmes aussi, cette énigme irrésolue qu’elle représente, à qui nous prêtons des traits toujours mouvants au risque de la perte, au risque de la violence. Fabrice Melquiot explore ce mystère du désir irrépressible de l’autre et de son paradoxal et inconscient refus. Rien de linéaire ici mais l’invention d’une narration elliptique, un récit fragmentée où chaque técelle ne s’accorde pas ou plus, où carambolent la réalité et le fantasme, le présent et le passé, les souvenirs et l’amnésie, les lieux épars traversés, le récit et le dialogue. Valentin Rossier signe une mise une mise en scène d’une grande et résolue sobriété. Lui et Marie Druc, chacun arrimé derrière un micro à pied, à distance toujours l’un de l’autre, deux mètres et plus, déroulent ce texte mis pour ainsi dire en voix. Ce n’est pas du slam, pas véritablement, mais un formidable travail vocal tant sur le rythme que sur l’intonation d’une précision et subtilité redoutable. Un flow que l’apport des micros et le jeu au cordeau des amplifications permet de moduler avec attention. Les mots, le verbe, la phrase de Fabrice Melquiot, la structure même du récit, prennent ainsi une ampleur dramaturgique inédite. Ces corps qui jamais ne se touchent ni ne se frôlent, à peine se regardent-ils, atteignent pourtant un point d’incandescence dans le désir assoiffé de l’autre et de son accomplissement érotique recommencé. Les voix intérieurs surgissant par effraction, incises soudaines qui parfois et bientôt démentent ou tordent la réalité de l’instant vécu, marqueurs d’une folie qui rampe à bas-bruit, acquièrent une tonalité singulière qui se différencie toujours de ce qui est dialogué avant de contaminer à son tour l’échange amoureux. Etrange sensation que cette distorsion continue exprimée, vécue intérieurement par Pietr, où sourd son malaise – et le nôtre – et fait basculer cette passion dans la terreur de son avenir. Ce trouble qui vient, la partition sonore de David Scrufari en accentue l’effet. Loin d’être une musique de fond, pourtant discrète, elle est un véritable accompagnement qui donne son impulsion à l’ensemble jusqu’à l’étrangeté, et semble dicter de son rythme lancinant et s’accélérant les sentiments de ces deux amants à vif. On pourrait presque fermer les yeux tant le verbe se fait miraculeusement chair, atteint une épaisseur dramatique inouïe par ce traitement. Mais il faut regarder ces deux-là derrière le micro qui ne forcent jamais leur jeu, impossible tant cette mise en scène les contraint, mais atteignent une intériorité si intense, si dense et exemplaire, lui écorché, elle borderline, deux funambules en équilibre sur ce texte, qu’on est aimanté par leur prestation à l’os, racée, ne les lâchant pas des yeux attendant impuissant une résolution qu’on devine tragique, forcement tragique.   © Carole Parodi   Lisbeth’s ,  texte de Fabrice Melquiot Conception et adaptation : Valentin Rossier Jeu : Marie Druc et Valentin Rossier Dramaturgie : Hinde Kaddour Création lumière : Jonas Bühler Création musique et sons, : David Scrufari   Jusqu’au 11 mai 2024 Les mercredis, jeudis, vendredis et samedi à 19h   Manufacture des Abbesses 7 rue Véron 75018 Paris   Réservations : 01 42 33 42 03 www.manufacturedesabbesses.com  Read More →
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