© Carole Parodi
ff article de Denis Sanglard
Un coup de foudre entre ces deux-là, la quarantaine désillusionnée. Elle, dont le couple se défait. Lui, célibataire, homme d’habitude qui n’attendait rien. Quatre mois à s’aimer, se découvrir dans l’étreinte passionnée, de chambres d’hôtel en chambres d’hôtel, au quatre coin de la France. Quatre mois d’un amour qui lentement se disloque, à ne plus reconnaître l’autre. Lisbeth dit, se contredit, pour mieux aimer. Lisbeth dans les yeux de Pietr n’est-elle qu’une illusion ? A trop aimer Lisbeth, tout semble devenir flou. Une cicatrice apparait et disparait, un enfant au prénom épicène vous mord et vous arrache une phalange, tant de chose étrange… Sur ce quai de gare de la Rochelle, Pietr ne reconnaît plus Lisbeth. C’est elle et c’est une inconnue.
Pièce sur la terreur des hommes, la hantise du désir qui les ronge, leur peur des femmes aussi, cette énigme irrésolue qu’elle représente, à qui nous prêtons des traits toujours mouvants au risque de la perte, au risque de la violence. Fabrice Melquiot explore ce mystère du désir irrépressible de l’autre et de son paradoxal et inconscient refus. Rien de linéaire ici mais l’invention d’une narration elliptique, un récit fragmentée où chaque técelle ne s’accorde pas ou plus, où carambolent la réalité et le fantasme, le présent et le passé, les souvenirs et l’amnésie, les lieux épars traversés, le récit et le dialogue.
Valentin Rossier signe une mise une mise en scène d’une grande et résolue sobriété. Lui et Marie Druc, chacun arrimé derrière un micro à pied, à distance toujours l’un de l’autre, deux mètres et plus, déroulent ce texte mis pour ainsi dire en voix. Ce n’est pas du slam, pas véritablement, mais un formidable travail vocal tant sur le rythme que sur l’intonation d’une précision et subtilité redoutable. Un flow que l’apport des micros et le jeu au cordeau des amplifications permet de moduler avec attention. Les mots, le verbe, la phrase de Fabrice Melquiot, la structure même du récit, prennent ainsi une ampleur dramaturgique inédite. Ces corps qui jamais ne se touchent ni ne se frôlent, à peine se regardent-ils, atteignent pourtant un point d’incandescence dans le désir assoiffé de l’autre et de son accomplissement érotique recommencé. Les voix intérieurs surgissant par effraction, incises soudaines qui parfois et bientôt démentent ou tordent la réalité de l’instant vécu, marqueurs d’une folie qui rampe à bas-bruit, acquièrent une tonalité singulière qui se différencie toujours de ce qui est dialogué avant de contaminer à son tour l’échange amoureux. Etrange sensation que cette distorsion continue exprimée, vécue intérieurement par Pietr, où sourd son malaise – et le nôtre – et fait basculer cette passion dans la terreur de son avenir. Ce trouble qui vient, la partition sonore de David Scrufari en accentue l’effet. Loin d’être une musique de fond, pourtant discrète, elle est un véritable accompagnement qui donne son impulsion à l’ensemble jusqu’à l’étrangeté, et semble dicter de son rythme lancinant et s’accélérant les sentiments de ces deux amants à vif. On pourrait presque fermer les yeux tant le verbe se fait miraculeusement chair, atteint une épaisseur dramatique inouïe par ce traitement. Mais il faut regarder ces deux-là derrière le micro qui ne forcent jamais leur jeu, impossible tant cette mise en scène les contraint, mais atteignent une intériorité si intense, si dense et exemplaire, lui écorché, elle borderline, deux funambules en équilibre sur ce texte, qu’on est aimanté par leur prestation à l’os, racée, ne les lâchant pas des yeux attendant impuissant une résolution qu’on devine tragique, forcement tragique.
© Carole Parodi
Lisbeth’s , texte de Fabrice Melquiot
Conception et adaptation : Valentin Rossier
Jeu : Marie Druc et Valentin Rossier
Dramaturgie : Hinde Kaddour
Création lumière : Jonas Bühler
Création musique et sons, : David Scrufari
Jusqu’au 11 mai 2024
Les mercredis, jeudis, vendredis et samedi à 19h
Manufacture des Abbesses
7 rue Véron
75018 Paris
Réservations : 01 42 33 42 03
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