© Julie Morteau
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
Ringarde, Jacqueline Maillan ? Souvent ramenée au « théâtre de boulevard », populaire et supposé bête, la comédienne, disparue en 1992, semble n’avoir jamais quitté les chaînes de télévision où, après avoir fait les beaux jours des « Grands enfants » et d’autres émissions des Carpentier, ou les beaux soirs du théâtre du même nom, elle ressurgit, très régulièrement, à la faveur d’émissions consacrées aux « grand(e)s du rire ». Absente, souvent, toutefois, des histoires du « comique » au féminin (qui effacent allégrement les décennies Joly, Zouc, Maillan, pour courir vers Muriel Robin et Florence Foresti, qui leur doivent sans doute beaucoup), Maillan est néanmoins toujours connue par une sorte de transmission familiale et nostalgique. Et, depuis quelques années, la « De Funès en jupons », ou « la » Maillan semble sortir de son purgatoire et rattraper son déficit de légitimité. Il en va d’ailleurs de même pour De Funès, encensé par Valère Novarina, et objet d’une exposition à la Cinémathèque, exposition qui avait d’ailleurs déchaîné les ires des « intellectuels » – enfin, quand même, La Grande Vadrouille et Le Gendarme, chez Henri Langlois, est-ce bien… sérieux ? Mais ils sont de plus en plus nombreux (Thomas Poitevin, et d’autres) à souligner l’importance qu’a pu avoir « la Maillan » dans leur construction en tant que comédien ou comédienne, comique ou non, voire, plus simplement, en tant qu’artiste.
Après le spectacle de Cécile Magne (La Maillan en moi), en même temps que la création de Coralie Pradet et Helen Raimbault (Jacqueline Maillan de bout en bout), voici donc, à la Flèche, le Madame M., seul(e) en scène de Mathilde Charbonneaux. Le choix de Charbonneaux est de réellement ré-enacter Maillan : elle s’en est fait la tête, blonde et perruquée, et porte un tailleur qui « fait Maillan ». Sur scène, elle déploie le même abattage et la même générosité que la comédienne qu’elle incarne, dans ses excès et son « style » inimitable, ici justement parfaitement imité. L’écriture est fine et maligne : une certaine « Mathilde » appelle Maillan, pour lui dire qu’elle va écrire un spectacle sur elle. Une blague « téléphonée », digne du meilleur boulevard, mais qui prend des accents oniriques. Maillan n’est pas morte ; enfin, elle n’a pas l’impression de l’être, mais elle consent à raconter sa vie à cette jeune impétrante qui a pu avoir son numéro – elle consent à lui confier les siens. Mais justement, en lieu et place des numéros « attendus », Mathilde Charbonneaux se joue des clichés, et choisit de se consacrer aux débuts de Maillan au cabaret, et à son expérience avec Koltès, souvent racontée, fantasmée, mais finalement très peu vue, absence de captation oblige. Les moments où Maillan parle aux fantômes de Chéreau et Koltès sont de très jolis instants poétiques, inattendus, enfantins, dans le meilleur sens du terme. Et puis Mathilde Charbonneaux prend en charge le début du Retour au désert, et quelque chose de vertigineux se passe : Maillan, devant nous, jouant, selon les désirs de Koltès, une pièce « intellectuelle », mais à sa façon ; et Mathilde (Charbonneaux) devenant la Mathilde de Koltès, via Maillan.
Hommage à une figure attachante, mais à une actrice qu’on ne peut plus négliger, Madame M. est une création très fine, portée à bout de bras par Mathilde Charbonneaux, dont on attend avec impatience la prochaine incarnation/création – ou son apparition dans un vaudeville, ou un boulevard – ou dans un Koltès ou un Racine.
Avouons-le également : oui, Maillan a fait l’objet d’un colloque à la Sorbonne (Nouvelle) : cela déchaîne les rires, au début de la représentation, et on ne sait si c’est parce que le public y croit, ou n’y croit pas – mais l’autrice de ces lignes plaide coupable – preuve que tout cela est bien sérieux, un éditeur sérieux éditera ses actes sérieux au printemps 2024… L’apparition de Maillan, sur scène, dans Madame M., est justement un extrait d’entretien, où Maillan, très calme, loin de son image publique, parle de son art : le théâtre étant bien ceci, et cela – et le comique est quelque chose de sérieux – Madame M. est à la fois un spectacle comique et sérieux.
© Julie Morteau
Madame M., de Mathilde Charbonneaux
Texte, jeu & mise en scène : Mathilde Charbonneaux
Collaboration artistique : Pia Lagrange
Lumières : Vivien Nederkorn
Costumes : Lucile Charvet
Tous les vendredi , du 12 avril au 14 juin à 21h30
durée 1h
(création vue le 5 octobre 2023)
Théâtre La Scala
13 bd de Strasbourg
7501o Paris
réservations : www.lascala-paris.fr
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