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Médée, tragédie Lyrique de Marc-Antoine Charpentier, livret de Thomas Corneille, direction musicale de William Christie, mise en scène de David McVicar, Opéra National de Paris / Palais Garnier

Avr 12, 2024 | Commentaires fermés sur Médée, tragédie Lyrique de Marc-Antoine Charpentier, livret de Thomas Corneille, direction musicale de William Christie, mise en scène de David McVicar, Opéra National de Paris / Palais Garnier

 

© Elisa Haberer

fff article de Denis sanglard

Médée de Marc-Antoine Charpentier fait son entrée au répertoire de L’opéra de Paris. Il était temps… Crée en 1693, livret de Thomas Corneille d’après la tragédie éponyme de son frère Pierre, cette tragédie lyrique pleine de bruits et de fureurs est portée avec minutie depuis la fosse par le chef d’orchestre William Christie, pionnier dans la redécouverte de la musique baroque, fondateur de l’orchestre « Les Arts Florissants » et fin connaisseur de l’œuvre du compositeur. Peu jouée par sa difficulté propre au chant baroque, alternance de récitatif et de grands airs ponctuant l’action, qui demande particulièrement ici une parfaite maîtrise de l’art déclamatoire, cette tragédie lyrique demande des interprètes rompus au chant baroque français et à l’art dramatique dans un subtil équilibre. De ce côté-là, musicalement c’est d’une grande réussite, incontestablement.

Le problème de cette soirée qui aurait dû être davantage exceptionnelle tient à la mise en scène de David McVicar, une production de 2013 pour L’English National Opera. De cet opera « à machine » aux effets spectaculaires commandées pas la musique et le livret, il ne reste rien ou presque des effets attendus, espérés. Transposée dans le contexte de la seconde guerre mondiale, dans les salons élégants et bourgeois d’un palais, cette tragédie perd de sa violence tragique, particulièrement de son atmosphère surnaturelle, tuées dans l’œuf par une pauvreté relative de moyen dramaturgique mise en place pour ce faire et qui confine au kitch, aux clichés éculés franchement datés qu’on pensait ne plus voir sur un plateau d’opéra, tant est qu’on peine à y croire… Ainsi les invocations magiques de Médée, les enfers évoquées, les démons, les fantômes, s’il n’y avait pas l’expressivité de la musique et la force de conviction de Léa Desandre (Médée), tout porteraient tristement à rire par son ridicule. Que n’arrange pas des ballets comme importés des comédies musicales de Broadway en accord avec la mise en scène, certes, mais qui sont en porte à faux avec la musique. L’effet de contraste voulu n’est pas là non plus très opérant qui plombe sérieusement l’ensemble et nous plonge dans une grande perplexité sinon un agacement grandissant au long des cinq actes de cet opéra. En résumé, le spectaculaire fait pschitt par faute de l’avoir oublié ou se résume à des effets plus clinquants au service non de la tragédie lyrique mais de sa mise en scène qui semble ne pas très bien avoir compris les véritables enjeux dramaturgiques et musicaux d’un livret et d’une partition qui, sans vouloir paraître réactionnaire, ne souffre aucune distorsion.

Mais il y a le plateau vocal qui malgré l’indigence de cette mise en scène est exceptionnel, dirigé au cordeau par William Christie. Léa Desandre, voix claire et diction impeccable, est une Médée convaincante qui si elle n’a pas de prime abord l’aura classique des tragédienne, en impose par la progression de son personnage qui de femme bafouée se révèle bientôt dans sa fureur, la magicienne de Colchide. La voix opérant une mutation, prenant de l’ampleur jusqu’à atteindre une dimension véritablement tragique à l’acmé du drame. La mise en scène aurait pu l’handicaper mais, tout à son incarnation, excellente actrice et danseuse, elle passe outre et sauve son personnage du ridicule où pouvait l’entraîner le metteur en scène. Reynoud Van Mechelen, Jason, voix puissante (un peu trop sans doute) et projection parfaite est un salaud qu’on se plait à détester même s’il manque quelque peu de nuance, un peu trop raide aussi physiquement, mais son engagement est total, à l’image de l’ensemble de la distribution. Ana Vieira Leite, campe une Créuse délicate mais assurée dans ses sentiments. Sa voix limpide prend aussi une ampleur tragique au fil du livret. Sa mort est un instant suspendue qui révéle, comme Médée, l’importance égale du jeu et du chant. Laurent Naouri, Créon est égal à lui-même, d’une grande aisance vocal et acteur accompli. Après une apparition surprenante, on croirait le général de Gaulle, il surprend par son abnégation devant cette mise en scène qui n’hésite pas à ridiculiser son personnage, loin d’une grandeur tragique dans l’acte IV qui le voit, ensorcelé et humilié par Médée, pantalons aux chevilles atteint d’une frénésie priapique… encore moins dans son rapport ambigu, pour ne pas dire incestueux, avec Créuse. Gordon Bintner lui aussi offre à son personnage, vocalement et dramatiquement, une belle évolution. Emmanuelle de Négri, aguerrie au baroque, bouleverse en Nérine, lucide et impuissante à contrer la fureur de Médée dont elle pressent la résolution dramatique. Elodie Fonnard, Cléone, est d’une grande sensibilité, d’une justesse dramatique et vocale exemplaire. Le reste de la distribution vocale, dont l’excellence du chœur, est au diapason de cette somptueuse partition que William Christie dirige avec une précision maniaque et un fin nuancier faisant apparaître la richesse opératique de cette partition qui, avec l’engagement de ses interprètes accomplis au baroque, résiste haut la main et avec bonheur à cette mise en scène. Nos trois f ne s’adressant qu’à Marc-Antoine Charpentier.

 

© Elisa Haberer

 

 

Médée, tragédie Lyrique de Marc-Antoine Charpentier

Livret de Thomas Corneille

Direction musicale de William Christie

Mise en scène de David McVicar

Décors et costumes : Bunny Christie

Lumières : Paule Constable

Chorégraphie : Lynne Page

Reprise chorégraphique : Gemma Payne

Chef des chœurs : Thibaut Lenaerts

Les Arts Florissants

Avec Lea Desandre, Reinoud Van Mechelen, Laurent Naouri, Ana Vieira Leite, Gordon Bintner, Emmanuelle de Negri, Elodie Fonnard, Lisandro Abadie, Julie Roset, Mariasole Mainini, Maude Gnidzaz, Alice Grégorio, Bastien Rimondi, Juliette Perret, Virginie Thomas, Julia Wischniewski, Clément Debieuvre, Bastien Rimondi, Matthieu Walendzik

 

Jusqu’au 11 mai 2024,

Durée 3h45 (deux entractes)

 

Opéra National de Paris / Palais Garnier

Place de l’Opéra

75009 Paris

Réservations : www.operadeparis.fr

 

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