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Mon bel animal, d’après le livre de Lucas Rijneveld, réalisation et adaptation de Ivon Van Hove, à La Villette

Mar 31, 2024 | Commentaires fermés sur Mon bel animal, d’après le livre de Lucas Rijneveld, réalisation et adaptation de Ivon Van Hove, à La Villette

 

© Jan Versweyveld

fff article de Denis Sanglard

Ivo Van Hove adapte Mon bel animal, second roman de Lucas Rijneveld, écrivain et poète néerlandais non-binaire, et interroge d’emblée l’irreprésentable de la représentation sur un plateau. Histoire d’une prédation d’un pédophile sur une adolescente de 14 ans. Kurt vétérinaire de 49 ans chargé de s’occuper du troupeau de vaches menacé de la grippe bovine d’un éleveur, s’immisce dans l’imaginaire de la fille de ce dernier, Meisje, adolescente fragile et tourmentée par un sentiment de culpabilité depuis la mort de son frère, « le défunt, dont elle ne se remet pas. Enfermée dans son monde, rêvant d’être une rock star comme Kurt Cobain, de faire aussi partie du club des 27, d’être la Bonnie de Clyde, dialoguant avec Freud ou Hitler, s’accusant d’être responsable des attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001, souhaitant changer de sexe pour pisser debout, la jeune fille se rêve oiseau pour s’extirper de sa condition et de cette ferme perdue dans la campagne néerlandaise. Kurt noue une relation de confiance, de confidences, entre petit à petit dans l’imaginaire anxieux de cette gamine qu’il entretient sciemment pour mieux l’isoler, la piéger et abuser d’elle jusqu’à l’inacceptable, l’insoutenable.

Ecriture époustouflante, au couteau, un flot de paroles continue qui épouse crûment et sans fard, sans jugement ce qui a son importance, le point de vue unique de Kurt. C’est toute l’originalité de ce récit et de son adaptation, jusqu’à provoquer plus que le malaise devant l’insupportable énoncé par cet esprit malade décrivant froidement une minutieuse mécanique d’emprise et une obsession monomaniaque et malsaine sur cette adolescente, « sa jeune élue », qu’il manipule pour arriver à ses fins, rêvant d’être comme « la douve du foie dans une vache, un parasite ». Kurt justifie ses actes monstrueux par son passé, l’emprise incestueuse d’une mère abusive sans que l’on sache ici où est la vérité.

Ivo Van Hove n’édulcore rien de cette ultra-violence tant morale que physique. Mise en scène naturaliste qui pendule sans heurt entre le présent et le passé, le fantasme et la réalité, où le temps semble comme dilaté, ce qu’il faut accepter, épousant sciemment le rythme de cette emprise terrifiante d’un monstre sur une enfant et qui lentement, inexorablement, tel un mascaret, provoque chez le spectateur un malaise profond devant ce qui advient, que l’on sait irrépressible. Ivo Van Hove en exposant absolument tout, sans jugement lui aussi, oublieux de la théâtralité et de ses limites qu’il repousse sciemment pour être au plus près du roman, oblitère la moindre parcelle d’imaginaire. Nul hors-champs, nulle ellipse, aucun échappatoire pour les spectateurs (hormis ceux ayant décidé de quitter la salle, en colère ou écœurés de tant de bestialité), mais une frontalité brutale des faits explicites qu’il n’évite pas, se refuse à éviter, mais expose crûment dans un réalisme glaçant et implacable. La scène du viol, hyperréaliste, allant à son terme, est proprement insoutenable qui provoque une sidération vomitive. Et un souci du détail aussi, telle cette couverture d’enfant dans laquelle s’enroule l’adolescente dans « le nid » bâti par Kurt pour leur rencontre accusant de façon presque anodine le déséquilibre absolu de cette relation malsaine. Une bande son pop et rock également, qu’ils chantent ensemble mais dont les paroles deviennent en ces circonstances des plus ambigües provoquant le trouble, un premier pas franchi vers l’horreur à venir. Le vaste plateau transformée en ferme, balles de foin et abreuvoir, jeu d’enfant, que baigne un ciel changeant jusqu’à l’orage, devient malgré son ouverture sur l’extérieur, un huis-clos infernal, l’espace mental et de jeu d’un pédocriminel qui ne lâche jamais sa proie.

Il fallait pour ce faire une direction d’acteur impeccable et précise pour les mener sur ce chemin difficultueux, sans tomber dans l’outrance ou la caricature mais rester sur la crête étroite du réalisme le plus âpre. Hans Kesting (Kurt) et Eefje Paddenburg (Meisje) sont tous deux inouïs de justesse et de vérité cinglante dans cette partition complexe et sans pudeur aucune. D’une banalité malaisante dans le mal et la perversion pour lui, au bord d’un gouffre existentielle pour elle, fragile et paumée, bouleversante et tragique dans la compréhension trop tardive de cette relation toxique qui la détruit irrémédiablement.

Cette mise en scène provoquante, dans le meilleur sens et premier du terme, choquante si on veut la considérer comme telle, paroxystique dans sa crudité nécessaire pour ce que, malgré elle et par elle, elle dénonce, une vérité nue sur les violences sexuelles et les ravages immarcescibles  sur les victimes, s’affranchissant au final des règles de bienséances théâtrales pour d’un récit fictionnel accorder une réalité à des faits ici dénoncée sans apprêt et nous confronter salement à elle qui interroge. Cette mise en scène obscène (et salutaire), lâchons le mot, ne renvoie qu’à l’obscénité du monde, voire la nôtre, entre complaisance et voyeurisme à regarder ça, cette exploration froide et nauséeuse d’un crime qui bafoue notre humanité.

 

© Jan Versweyveld

 

Mon bel animal, réalisation et adaptation de Ivo Van Hove

D’après le livre de Lucas Rijneveld

Avec : Hans Kesting, Eefje Paddenburg, Katelijne Damen, Bart Slegers, Minne Koole

Adaptation de l’accompagnement et conseils dramaturgiques : Bart Van den Eynde

Scénographie et éclairage : Jan Versweyveld

Costumes : An D’Huys

Paroles de chanson : Lucas Rijneveld

Composition des chansons : Wende Snidjers et Koen van der Wardt

Musique et conception sonore : George Dhaw

Conception vidéo : Christopher Ash

Musicien : Roos van Tuil

 

Ce spectacle est conseillé à partir de 16 ans seulement.

 

Du 28 au 30 mars 2024 à 20h

Samedi 18h

 

La villette

Grande halle

211 avenue Jean-Jaurès

75019 Paris

 

Réservation : www.lavillette.com

 

 

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