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ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
K-Way bleu et sa capuche relevée, occultant le visage, bermuda rouge… That’s all folks ! En quelques traits, l’habit fait l’enfant. A cette figure presque iconique, Joachim Maudet adjoint ses talents de ventriloque pour une exploration in vivo de la psyché enfantine. L’étrange immobilité de son personnage, qui semblerait rempli de vide comme une marionnette ou un ballon, si des mollets bien visibles ne l’infirmaient, est en tension avec cette parole saccadée dont la saillie perfore la tranquille image. Outre la puissance spectaculaire toujours effective de la ventriloquie, que Joachim Maudet manie d’ailleurs avec virtuosité, cette technique procède littéralement d’une voix intérieure. Le monologue, intérieur donc par ce miracle, s’ouvre à l’extérieur comme un gant retourné.
Par ces jeux de voix, dans une économie radicale, KID#1 est à même de faire exister un groupe d’enfants, autant que celui qui en est rejeté. La cour de récréation est son terrain de jeu et d’écriture. KID#1 est un objet spectaculaire singulier, échappant aux évidences, pour cela même fascinant. Il est à la fois une étude figurative qui pencherait du côté d’un certain art contemporain, on peut penser par exemple à Ron Mueck par son réalisme ou encore à Banksy, par sa poésie toute simple et majeure en travaillant le mineur, et encore une exploration romanesque par le récit intérieur que nous livre son personnage principal, Jordan, souffre-douleur de son école. Le texte de Romane Nicolas est juste et jouissif à la fois : il affleure une vérité qui nous touche par son concret, et surtout par sa forme faite de spirales, de boucles, de coq à l’âne. L’enfance est un moulin à paroles, une fabrique à histoires, un manège à angoisses. Comment faire croire aux autres que l’on n’attend pas alors que sa mère vous a laissé en rade avec un retard d’une heure ? L’enfance est un échafaudage constant et précaire de stratégies dont la naïveté se heurte immédiatement à la violence du réel. L’effervescence de ce monde intérieur, son intranquillité, son fourmillement, frappent d’autant plus que Joachim Maudet tient d’une main ferme le corps de sa figure. KID#1 semble tracé à la ligne claire pour reprendre un terme de bande dessinée. Tout est dessiné avec une précision presque maladive, se détache avec contraste et fait événement. C’est juste une main qui se promène sur son torse comme une araignée, ce sont les doigts des mains opposées qui semblent converser. Joachim Maudet fabrique du détail et produit du zoom dans le regard que nous portons sur son travail. A ce déploiement répond la dilatation du temps dans l’exposition des tragédies intimes que traverse la voix intérieure. On est à hauteur d’enfants à l’écoute d’une vie minuscule (pour reprendre le titre du chef d’œuvre de Pierre Michon), elle n’en est pas moins profonde. Elle connaît déjà les gouffres de l’existence.
On perçoit très sensiblement la justesse de la forme choisie par Joachim Maudet, la ventriloquie et cette ligne claire, mettant en exergue et en crise les notions d’intériorité et d’extériorité tant cette frontière qui les détermine et s’affirme avec l’âge adulte est inopérante quand on est enfant. L’enfance est le règne de la dissolution du moi dans le tout, le monde est alors une piscine où l’on se noie. Mais c’est aussi le moment où l’on commence à prendre la mesure du monde. De ce rapport pourra naître une danse.
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KID#1, chorégraphie & interprétation de Joachim Maudet
Accompagnement chorégraphique et dramaturgique : Chloé Zamboni
Écrivaine : Romane Nicolas
Création : lumière Nicolas Galland
Régie lumière : Laura Cottard
Création sonore : Julien Lafosse
Régie son : Rebecca Chamouillet ou Julien Lafosse
Assistant vocal : Jean Baptiste Veyret Logerias
Costumes : Camille Vallat
Avec la participation de Marcel Michel Morisseau (voix enfant)
Durée : 55 minutes
Mardi 12 mars à 21h00
Théâtre de Vanves
12 rue Sadi Carnot
92170 Vanves
Tél : 01.41.33.93.70
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