© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Le plateau de laque noire coupe le mur de scène irisé de masses chromatiques en suspension qui tendent à s’équilibrer. Progressivement, elles se confondent et il ne reste plus qu’un immense écran bleuté, puis vert sapin et orangé soleil couchant à la fin. Les lignes des pontons étroits séparent l’intérieur d’une maison et l’extérieur. Est-on chez Ibsen ou Mark Rothko ? Un peu les deux, l’espace mental d’Ibsen et l’abstraction de Rothko se conjuguent sur cette surface épurée et l’on sent l’appel du vide avant même l’arrivée des comédiens. On n’est pas déçus puisque Petit Eyolf est l’histoire atroce d’un enfant paralysé d’une jambe suite à une chute et qui se noie dans les eaux profondes de la mer toute proche. Sa disparition laisse Alfred et Rita, ses parents, ainsi qu’Asta, sa tante, seuls face à eux-mêmes et à la culpabilité qui les ronge. La traversée est rude et le fragile équilibre du couple menacé. L’évènement génère aussi une évolution et une possibilité pour les conjoints de vivre en assumant leurs responsabilités. La pièce en trois actes ressemble à un haïku, une déflagration suite à la noyade, l’implosion du couple puis sa transformation avec cette obsession d’un enfant aux yeux grands ouverts et à la béquille flottante avalé par les eaux sombres de la mer de Norvège. La scénographie épurée de Sylvain Maurice, avec une ligne d’horizon ciel d’eau, est parfaite pour mettre en valeur les transformations psychologiques du couple.
Le metteur en scène a eu raison de respecter les ellipses d’Ibsen. Face à une telle perte, l’émotion tétanise et se passe de démonstrations. Mais Sophie Rodrigues, Rita, et David Clavel, Alfred, restent trop figés, on ne les sent pas vraiment sidérés, c’est comme si d’emblée ils avaient digéré l’évènement et étaient passés à autre chose. Ibsen montre un couple égoïste au départ qui ne prend pas en compte les besoins de son enfant et vacille au bord d’un gouffre. On n’éprouve pas leur béance, exceptée au troisième acte où les personnages s’ouvrent au monde et ou les comédiens lâchent prise.
Murielle Martinelli est un formidable Eyolf vif argent avide d’expériences et Nadine Berland, une demoiselle aux rats, clownesque dans une séquence poétique émouvante au premier acte.
Malgré une relative déception, ce spectacle force le respect par sa simplicité, son fil ténu fidèle au texte d’Ibsen, la beauté des images qu’il génère, un enfant disparaît et le monde se vide brusquement de sa substance.
© Christophe Raynaud de Lage
Petit Eyolf, d’Henrik Ibsen
Mise en scène : Sylvain Maurice
Avec : Nadine Berland, Maël Besnard, David Clavel, Constance Larrieu, Murielle Martinelli, Sophie Rodrigues.
Lumières : Rodolphe Martin
Son : Jean de Almeida
Costumes : Olga Karpinsky
Jusqu’au 16 mars à 20h, samedi à 18h
Durée : 1h30
Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN Val de Marne
1 rue Raspail
94 200 Ivry sur Seine
Réservations :
01 43 90 49 49
www.billeterie.theatre-quartiers-ivry.com
Tournée :
21 mars 2024 : L’Archipel, Scène de territoire de Fouesnant
9 au 11 avril : Le Quai, CDN d’Angers
Automne 2024 – Théâtre Montansier, Versailles
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