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Sweet Mambo, mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt

Avr 26, 2024 | Commentaires fermés sur Sweet Mambo, mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt

 

© Oliver Look

 

ƒƒƒ Article de Denis Sanglard

Ne nous fions pas à ce titre, ce bel euphémisme, nul douceur dans ce mambo, peut être une certaine nonchalance, mais de la violence sûrement, une radicalité qui anticipait ce qui aujourd’hui et depuis nous saute à la figure. Pina Bausch n’anticipait pas mais lucide donnait à voir ce que nous refusions de regarder alors, subjugué par la danse en oubliant ce qu’elle dénonçait. Sweet Mambo, avant-dernière œuvre de Pina Bausch créée en 2008, continuait cette interrogation lancinante et toujours posée, des relations entre les hommes et les femmes, de cette violence patriarcale qui empoisonne. Seules les danseuses parlent ici, il suffit de les écouter hurler leur rage et leur défaite. « La vie c’est comme le vélo. Ou tu roules ou tu tombes » résume lapidairement Nazareth Panadero qui, illustration, ne cesse de bomber le torse et de s’effondrer aussitôt. Alors elles dansent, éperdues, pour ne pas chuter. S’obligent à sourire malgré tout. Un sourire factice, qui masque à peine leur désillusion et la pugnacité dans la résistance. Même le rire éclatant et inoubliable de Nazareth Panadero sonne creux. Elles nous donnent chacune à leur tour leur prénom et leur nom en insistant bien pour qu’on ne les oublie pas. Etrange écho avec ce qui se dira plus tard, « Je vais bien. Morte. Mais bien. » On songe bien évidemment aux féminicides, à ces victimes à qui désormais on donne enfin leurs identités, pour mémoire. Les hommes, au nombre de trois, sont étrangement muets ou peu diserts. Essuyant refus sur refus devant leur sollicitations pressantes, leurs harcèlements, et se résignant, au mieux, à les accompagner, les entourer, les porter, voire les empêcher, leur tirer les cheveux, soulever leurs robes, ultime et dérisoire sursaut machiste. Hommes objets portant cette souffrance-là, déplacée.

Et la danse ? Rien, absolument, n’a bougé, rien ne pouvait bouger se dit-on. Ces bras qui caressent l’air, enserrent le buste, en écho aux voiles flottants de la scénographie légère et enveloppante de Peter Pabst. Ces mains qui dessinent du bout des doigts d’étranges arabesques. Ces pieds toujours nus qu’on déchaussent de leur stiletto pour glisser sur le sol, ses cheveux longs et dénoués que l’on secoue, parure féminine aussi emblématique que les robes longues et vaporeuses qui renferment autant d’attraits que de pièges. Oui mais à l’exception de deux nouveaux danseurs (en alternance) et d’une danseuse auxquels est passé avec beaucoup de classe le relais, ce sont les danseurs d’origine qui sont là. Le corps a vieilli, c’est empâté parfois, asséché aussi, mais nulle cruauté à le constater. Ce qui se joue là, sur le plateau, est d’une densité phénomènale qu’apporte l’âge et qui porte la danse au-delà d’elle-même. Ils sont la mémoire de cette création et de fait ils incarnent profondément son essence. Avec beaucoup d’humour, Nazareth Panadero expliquait dans un entretien il y a quelques temps que c’était bien d’être une vieille danseuse chez Pina Bausch. Ce n’était pas une boutade, désormais sur le plateau ces corps dansants, ces individualités, ces identités fortes que l’on reconnaît et retrouve avec impatience comme pour un rendez-vous différé, apportent aujourd’hui une incarnation unique, vibrante, dans une continuité qui lui donne toute sa valeur, sa puissance et sa beauté. Ils ne dansent plus, ils sont la danse transfigurée dans sa profondeur intrinsèque, sa grandeur, le geste et le mouvement sublimés par l’âge qu’ils oblitèrent. Ils nous épargnent de fait toute nostalgie demeurant étonnement dans le présent de la danse, augmentée, enrichie par les années, et préservant encore et malgré tout l’éphémère de l’instant qui la détermine.

Pour autant la nouvelle génération se glissant dans leur pas n’est pas en reste. Il est troublant de constater qu’entre les anciens et les nouveaux nulle différence. L’exemple de Naomi Brito, sculpturale et féline, en est la preuve éclatante. Une vraie personnalité qui ajoute sans rien retirer à l’ensemble. Qu’elle ouvre par un solo incandescent cette chorégraphie prouve combien le futur ici leur appartient désormais, et que toute la place leur est offerte. Il ne s’agit pas seulement de la survie de la compagnie. Parce que les problématiques soulevées par Pina Bausch, leur implacable pertinence, n’en finissent pas de résonner aujourd’hui encore. Et cette nouvelle génération, au cœur de cette thématique qu’on peut nommer désormais #meetoo, ils sont à même de la danser en toute légitimité. Force est de constater que la danse de Pina Bausch résiste aux temps et aux critiques parce qu’elle porte en elle, dans sa légéreté feinte comme dans sa gravité réelle, une humanité qui jamais, jusque dans le tragique, ne lui fait défaut. « Je m’appelle Naomie, n’oubliez pas ». Promis, on ne vous n’oubliera pas.

 

© Karl-Heinz Krauskopf

 

Sweet Mambo, mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch

Collaboration : Marion Cito, Thusnelda Mercy, Robert Sturm

Décor & vidéo : Peter Pabst

Collaboration musicale : Matthias Burkert, Andreas Eisenchneider

Assistant déco : Geburg Stoffel

Assistante costumes : Svea Kossak

Supervision artistique de la reprise : Alain Lucien Øyen

Direction des répétitions : Azusa Seyama, Robert Sturm

Avec : Andrey Berezin, Naomi Brito, Nayoung Kim, Daphnis Kokkinos, Alexander Lopez Guerra/ Réginald Lefebvre, Nazareth Panadero*, Héléna Pikon*, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Aida Vainieri (* invités)

Direction artistique : Tanztheater Wuppertal Pina Bausch + Terrain Boris Charmatz

 

Du 23 avril au 7 mai 2024 à 20h

Dimanche à 17h

 

Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt

2 place du Châtelet

75004 paris

 

Réservation : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

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