© Geoffrey Serguier
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette
Comment dire… Un sujet terrible, une femme battue, de l’alcool, des enfants spectateurs de tout cela. Peur, éloignement de tous les éléments de notre enfance, normalement positifs qui peuvent nous mettre en place. De London Bridge écrit et joué par Iman Kerroua, on pourrait se dire que ces sujets ont été hélas si souvent vus, revus même, que malgré leur importance, n’est-il pas un peu risqué de se déplacer pour cela ? Vraiment ? Nous allons être baignés dans du mou pointu, avec un peu de sel pour nous faire pleurer à la fin ? N’a-t-on pas mieux à faire ? Non. London Bridge est une petite merveille, que dire de négatif ? Texte, jeu, musique – cette dernière jouée directement sur scène par Dogan Poyraz et que, parfois, on a envie de prendre un peu de temps pour saisir sa façon de faire – bref, London Bridge nous emporte, nous fait réfléchir, rire, du début à la fin, sans que nous ayons envie de regarder ailleurs pour admirer le plafond de la salle, savoir si nous avions donné à manger aux chats ou non. Nous sommes pris, pas écrasés, pris, et admirons tous ces personnages, le père, la mère, les enfants, les instits.
Iman Kerroua a été toute petite un de ces enfants. Dans une grande tour entourée d’autres grandes tours, elle a vu sa maman débordée de travail être insultée, battue, par un papa ne semblant avoir aucune habitude de mari ou papa, sauf celle de multiplier les enfants. Pour se sortir de tout cela, Iman Kerroua s’est dirigée vers le milieu financier, ses bagarres et sa violence. Elle s’est installée à Londres avec son diplôme, et a changé toute sa vie. Les bagarres étaient différentes, et plus rentables sans doute, lui permettant aussi de se pencher sur toutes celles qu’elle avait ressenties. Et ce n’est pas un personnage terne et noué allongé sur un canapé et racontant sa vie que nous avons sur scène mais un musicien presque invisible derrière une multitude d’instruments, batteries, triangles, fils étranges, tubes, etc. Puis une femme qui va être elle-même ses frères et sœurs, son père, ses collègues et clients. Cette violence, cette douleur, cette peur qu’elle a su fuir pour se reconstruire.
Sur scène ces personnages et ce musicien nous emportent, accumulent les éléments fous d’une histoire simple, ne nous font pas peur, au contraire nous éclatons de rire, très souvent. Tout est rapide, une création passant par le corps, le son, le haut, le bas, tout cela tordu, détendu, étendu. Accumulation de gestes, de pas, comme noués, lancés dans le vide, la danse épousant l’histoire, le drôle s’approchant du terrifiant. Les personnages s’accumulent, nous les voyons, vraiment. Ils nous racontent. Iman Kerroua ne nous fait pas sortir anéantis de London Bridge mais curieusement à la fois le sourire aux lèvres et en pleine réflexion. Une réussite évidente. À aller voir pour ce texte, cette musique, cette danse. Et ce personnage(s). Des moments liés et déliés, s’éloignant, se faisant plus proches, allant et venant comme on dit, nous montrant comment ces enfants ont pu ressentir cette violence faite sur leur mère, sur eux donc. Sur toutes ces années qui les fondent. Bravo donc et London Bridge, ici salvateur, est une alarme, qui nous pousse à l’attention, qui montre aussi que toute cette douleur peut s’épanouir d’autres voies, positives et engageantes. Et sans doute ce spectacle peut-il venir en aide, d’une façon ou d’une autre ?
© Geoffrey Serguier
London Bridge, texte et jeu d’Iman Kerroua
Mise en scène et création lumière de Laetitia Gonzalbes
Création musicale de Laetitia Gonzalbes et Dogan Poyraz
Musique live de Dogan Poyraz
Du 2 au 31 mai 2024
Durée 1h20
Les jeudis, vendredis et samedis à 19h
Les dimanches à 15h
Théâtre de Belleville
16, passage Piver
75011 Paris
Réservation 01 48 06 72 34
Adresse du site email : www.theatredebelleville.com
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