© Didier Monge
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Un conte de Pascal Quignard, c’est toujours plus qu’un conte. Une écriture pointue, précise et minutieuse pour des récits érudits, hermétiques aussi parfois, mais dont le charme et la clarté, toujours, n’oblitèrent jamais la valeur philosophique et leur portée générale. La voix perdue est une sourde plainte, celle de Jean de Vair, dont l’accident brutal d’un carrosse renversé laisse orphelin. Le hante la voix de sa mère agonisante. A la recherche d’une voix perdue, d’un passé révolu, d’un jadis, il rencontre au bord d’un lac, le lac des reines ainsi nommé parce que plein de grenouilles, une femme à la robe verte. Chaque nuit cet être merveilleux le rejoint. Une nuit, de sa gorge s’échappe un soupir comme un chant. Ce chant fascine Jean qui lui demande de chanter pour lui. Elle refuse, évoque le péril à l’entendre. Puis devant tant d’insistance elle cède mais attache auparavant Jean aux montants du lit. Et devant ce chant inouï qui traverse son âme, Jean tombe amoureux. Mais la jeune fille disparaît. Jean découvre qu’elle est un être féérique, une grenouille. Et celle qui n’est plus qu’une voix au bord du lac le supplie de l’abandonner. Jean refuse, tente de la rejoindre et se noie.
Et ce conte cruel est dit par Juliette Flipo, merveilleuse conteuse à cette occasion, accompagnée de sa harpe électrique. Vêtue d’une simple robe, un costume de peau et d’écailles comme il en existe dans les contes, et dont elle se défait bientôt parce sont nues les nymphes et les fées aquatiques. Elle dit, et sa voix se module au gré du récit. Enfle et murmure, gronde et soupire. Mise en scène légère, réduite à l’essentiel et parfois laissée à l’improvisation, cette voix qui conte et la harpe qui accompagne. Mais ce qu’elle tire de cette harpe est plus qu’une illustration, une nappe sonore. C’est un autre récit, une autre voix, un autre écho. Plus ancien, archaïque et primal. De ce récit de Pascal Quignard s’élève ainsi, presque malgré lui, d’étranges sonorités : plaintes, cris et chuchotements contenus et retenus entre les lignes du récit et que la harpe libère. Cette voix de jadis, ces gémissements anciens étouffés sous la parole, sons informulés, langages inarticulés, extension dans son expression la plus brute de ce conte. Et c’est entre ces deux mondes, entre l’écrit et le cri, entre le dit et le silence, qu’oscille avec grande justesse et talent, sirène aux voix captivantes, à la harpe magique en sautoir, Juliette Flipo.
La voix perdue conception, adaptation, jeu et musique Juliette Flipo
Collaboration artistique et lumières Jean-Claude Fonkenel
Création costume Sophie Hampe
Œil extérieur Sébastien Ribaux
Festival Temps nu avec texte, 2ème édition
Du 4 au 12 juin 2021
Phèdre (Brisures) C. Degliame, Jean-Michel Rabeux / Racine
La voix perdue J. Flipo / Pascal Quignard
Le bourdon Vaslav de Folleterre
Horace C. Théodoly / H. Muller
La fin de Satan S. Auvray-Noroy / V. Hugo
Le Lokal
3 rue Gabriel Péri
93200 Saint-Denis
Renseignements et réservations
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P+ 06 67 50 64 01
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