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Music-Hall, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Glysleïn Lefever, Studio Théâtre de la Comédie Française

Juin 09, 2021 | Commentaires fermés sur Music-Hall, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Glysleïn Lefever, Studio Théâtre de la Comédie Française

 

© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Elle est là, comme tous les soirs. A raconter sur son tabouret, important le tabouret, son histoire. Son Music-Hall. Cette tournée qui s’étiole et n’en finit pas de mourir, de théâtres en cabarets, dans l’indifférence d’un public de plus en plus rare. Avec ce même rituel, cette entrée lente et désinvolte, du fond du plateau, accompagnée de ces deux boys. Ces deux-là qui furent sans doute ses amants. Ces deux qui un jour, lassés, disparaîtront sans bruit comme les autres avant eux. Comme tous les soirs, la même histoire, anecdotes de tournées, d’une vie traversée, échouée là dans sa vacuité pour un soir, avant le suivant, à Montargis peut être, à recommencer. A tricher, à faire semblant, peut-être.

Music-Hall, pièce de l’immense et délicat Jean-Luc Lagarce. Et toujours cette écriture singulière, minutieusement ciselée, reconnaissable en toutes. Cette mélodie, on peut dire ça, ce rythme si discret et prégnant qui vous happe d’emblée et ne vous lâche plus. Pas une rengaine dans la réitération obstinée, le bégaiement des anecdotes, non, mais cet art si particulier de la répétition têtue, à trouver enfin le mot juste, toujours. Et cette douce amertume d’un spleen tenace, la mélancolie derrière le sourire, l’humour acide et le mensonge, la triche assumée. Cette distance amusée avec les évènements d’une vie, avec la vie même. Et la mort au travail. Dans l’Apprentissage, un de ses trois récits, cette phrase abrasive qui sans doute résume son œuvre « Je suis vivant puisqu’à nouveau je fais semblant. »

Mais est-elle encore vivante celle-là qui raconte, déroule son récit ? C’est dans un espace abstrait, sophistiqué, tendu de soyeux voile blanc, loin du cabaret minable attendu, plumes fanées et paillettes éteintes espérées, que la metteuse en scène et chorégraphe Glysleïn Lefever pose ce personnage énigmatique et ses deux boys. Espace mental ou cellule psychiatrique, la frontière est soudain poreuse. Espace fantasmé par celle qui raconte ? Elle-même sublimée, transfigurée par ce décor, elle dans sa robe rouge écarlate éloignée soudain d’une réalité par trop miteuse. Et comme tout rêve qui oblitère le cauchemar d’une vie c’est d’une légèreté presqu’insoutenable. On peut ne pas aimer cette distorsion volontaire de la mise en scène, ce frottement rêche entre la réalité acide du texte et ce décor trompeur. Mais ce mensonge-là, c’est celui de celle qui raconte obstinément. Françoise Gillard, glamour au possible, clone d’une Zizi Jeanmaire hallucinée, est fascinante qui délabyrinthe l’écriture de Jean-Luc Lagarce et lui donne corps et souffle. Et le corps est important ici, toujours chez Lagarce. Un corps qui défie l’obsolescence. Une question de rythme aussi, de souffle, oui, qui vous entraîne dans les méandres d’une pensée qui se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît sous la légèreté apparente. Profonde et en distance tout à la fois, perce chez Françoise Gillard une légère ironie, signe que celle qui raconte n’est sans doute au final pas si dupe que ça malgré tout le tralala qu’impose cette scénographie trompeuse. L’œil, lui, reste « fixé sur ce trou noir où je sais qu’il n’y a personne. » Cette chambre ardente n’est peut-être après tout que l’antichambre de la mort. Et cette mise en scène, au final, celle d’un mensonge, d’une vie broyée par l’illusion.

 

© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

 

Music-Hall de Jean-Luc Lagarce

Mise en scène de Glysleïn Lefever

Scénographie Chloé Bellemère, de l’académie de la Comédie Française

Costumes Laurent Mercier

Lumières Pascal Laajili

Musiques originales et son Sylvain Jacques

Collaboration artistique Anne Poirier-Busson

Assistanat à la mise en scène Leah Lapiower, de l’académie de la Comédie Française

Assistanat à la chorégraphie Rafael Linares Torres

 

Avec la troupe de la Comédie Française

Françoise Gillard, Gaël Kamilindi, Yoann Gasiorowski

Et la voix off d’Hervé Pierre

 

Du 2 juin au 11 juillet 2021 à 18 h

Relâche les lundi et mardi

 

Studio-Théâtre de la Comédie Française

99 rue de Rivoli

Galerie du Carrousel du Louvre

Place de la Pyramide inversée

Paris 1er

Réservations

www.comedie-française.fr

 

 

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