L’Écume des jours, de Boris Vian, mis en scène par Julie Desmet Weaver, Grenier à sel, Festival d’Avignon – Off
  © Alain Lagarde   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Julie Desmet Weaver propose une adaptation de L’Écume des jours à la fois originale et qui a du sens par rapport à la lettre et l’esprit du texte de Boris Vian. Un seul comédien, qui joue Colin, est présent sur scène, lequel évolue dans une vingtaine de tableaux parcourant son histoire d’amour avec Chloé, ses relations avec Chick et sa propre histoire sentimentale avec Alise, ainsi que Nicolas et Isis. Ces duos amoureux se révèlent dans un univers sonore et visuel des plus étonnants. Les images numériques projetées sur deux écrans qui enferment le comédien en scène comme dans une cage de verre (préfiguration de l’impression de resserrement de l’espace consécutif à la maladie de Chloé, à ce nénuphar qui grossit, mais aussi à la passion dévorante de Chick pour Jean-Sol Partre) sont d’une beauté époustouflante et l’interaction produite entre le réel et l’imaginaire bluffante. Étonnamment (ou pas) la prouesse numérique permet de retranscrire la part d’atmosphère onirique du texte, une fiction qui ressemble davantage à un conte au surréalisme intrinsèque. Le roman de 1947 qui ne connut le succès qu’à la fin des années 1960, surprend encore. Et l’adaptation qui est proposée semble accentuer ou exprimer certains de ses aspects, en particulier ceux relatifs à la construction de l’image de la femme, idéale, parfaite, pure. L’esthétique très sexualisée choisie par cette mise en scène se révèle dans le choix même du physique des acteurs à la beauté plastique remarquable (en particulier Chloé) qui peut interroger les jeunes générations surtout attentives au « male gaze ». Même si l’on commence par découvrir Colin nu allongé dès la première image du spectacle, son corps n’est pas du tout érotisé, à la différence de ceux de Chloé et Alise plus tard qui ne sont pas juste posés, mais extrêmement suggestifs. L’accompagnement sonore est incroyablement orchestré, constitué à la fois de créations en harmonie totale avec certaines abstractions numériques visuelles, de standards de Duke Ellington et de morceaux jazz à la trompette, instrument fétiche joué par Vian lui-même. À chacun et chacune de se laisser porter ou pas par ce voyage quasi sensoriel qui pourra être prolongé dans les prochains jours par une véritable immersion numérique permettant d’interagir avec l’univers projeté autour du spectateur auquel on promet de devenir 15 minutes durant à son tour un acteur.   © Alain Lagarde   L’Écume des jours, de Boris Vian Mise en scène de Julie Desmet Weaver Avec : Axel Beaumont, Lou De Laâge, Jonathan Genet, Jenna Thiam, Damien Bourletsis Création lumières : Sébastien Naar   Durée 1 h   Festival d’Avignon – Off Jusqu’au 8 juillet à 17 h et 19 h     Grenier à sel 2 rue du Rempart Saint Lazare 84000 Avignon www.legrenierasel-avignon.fr      Read More →
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Adeno Nuitome, de Lola Molina, mis en scène par Lélio Plotton, La Manufacture, Festival d'Avignon 2021
    © Jonathan Michel   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia « Adeno Nuitome », un drôle de nom, scientifico-poétique pour parler d’elle, la maladie, ou de lui le cancer. Mais c’est une histoire qui parle aussi d’Elle et de Lui comme chez Marguerite Duras, du couple, du quotidien, de faire durer l’amour, le désir, notamment quand l’imprévu s’invite, en particulier quand ce n’est pas le moment, parce que ce n’est jamais le moment de penser que l’on va mourir, surtout quand on a 30 ans. Comment faire face à la maladie, comment la dire, la raconter sans susciter la pitié, la compassion ? Comment faire face à la probabilité de perdre l’autre ? C’est toute la réussite de ce texte sensible, avec des passages extrêmement puissants (en particulier sur le nom : « Mon nom est une urgence… »). Un texte (publié aux éditions théâtrales en 2021) par ailleurs sans concession, fuyant à grandes jambes le politiquement correct, tout en restant empathique, à la différence de ce médecin qui lui a confirmé que c’était le « hasard » qui avait frappé : « pas de bol »… La mise en scène est sans doute ce qui est le moins abouti dans cette création. Le plateau jonché de fleurs des champs pour nous rappeler la retraite à la campagne, à côté du tapis en laine et du petit bureau en bois d’écriture crée une ambiance assez éloignée de celle de la cabane de La Vie dans les bois de Thoreau qui aurait pourtant inspiré l’auteur. La manipulation de ces végétaux à plusieurs reprises par les comédiens est même assez artificielle, alors que les déplacements des comédiens sur le plateau s’enchaînent par ailleurs très bien. Les deux écrans en fond de scène accompagnent en revanche assez bien le texte par les projections de milieux naturels (pour l’essentiel), même si le procédé est connu et moins original que le premier procédé. Le texte mérite certainement davantage d’épure scénique. Il se suffit presque à lui-même d’autant qu’il a la chance d’être porté par deux excellents comédiens. Le couple est très crédible, sans aucune fausse note. Il nous fait entrer peu à peu dans sa tendresse, son intimité, ses difficultés. Charlotte Ligneau se révèle au fil de la représentation, toute en délicatesse, grâce, avec des faux airs de Françoise Gillard, y compris dans les moments où elle explose, où elle s’insurge, où elle ne sait pas quoi faire de son amour à lui, celui qui s’exprime béatement quand il la voit écrire dans leur maison à la campagne où ils se sont retirés pour qu’elle y respire mieux, et qu’elle ne peut pas toujours écrire. La finesse du texte est remarquable dans l’expression mezza voce des paradoxes des ressentis amoureux, à travers des flash-back, des dialogues, ou des pensées qui s’expriment à voix haute. Elle l’aime follement et lui a d’ailleurs interdit de mourir, mais qu’il est difficile de s’accepter vraiment quand on est dans des registres différents ou des temps décalés, quand on se « met à faire des projets » que l’autre « ne comprend pas », quand l’un pense que l’autre « ne doit rien lui refuser ». Pourtant, leur amour survivra… jusqu’à la mort.     © Jonathan Michel     Adeno Nuitome, de Lola Molina Mise en scène : Lélio Plotton Avec : Charlotte Ligneau, Antoine Sastre Scénographie Adeline Caron Création lumières Maurice Fouilhé Création sonore Bastien Varigault   Durée 1 h 20 Jusqu’au 25 juillet à 21 h 10, relâche les 12 et 19 juillet     Manufacture 2 rue des Ecoles Avignon www.lamanufacture.org        Read More →
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10 000 gestes, chorégraphie de Boris Charmatz, La Villette / Festival d’Automne à Paris
  © Alighiero Boetti   fff article de Denis Sanglard Une explosion. Une forêt touffue de gestes dans laquelle on se perd, on s’égare avec un bonheur fou. Boris Charmatz, trublion génial et pas encore assagi, dieu merci, de la danse contemporaine, a toujours ce don de pousser à chaque fois un peu plus loin les limites de la danse, provocation heureuse parfois détestée – tant pis pour les pisses-froids – lesquelles déstabilisent les spectateurs qui, avouons-le, ne rechignent pas à ce pas-de-côté délibéré jamais vraiment transgressif et toujours cohérent. Boris Charmatz est un chercheur, un explorateur mais aussi un amoureux de la danse qu’il secoue ferme comme un prunier pour en faire tomber les fruits. Jamais vraiment là où on l’attend, au risque de l’échec, ces chorégraphies sont de formidables pied-de-nez mais également une interrogation permanente, jamais inquiète, sur la danse et ses possibles. 10 000 gestes est un hommage à ce que la danse a de précieux, son impermanence. Que reste-t-il d’un geste, d’un mouvement, une fois l’espace griffée, traversée ? Rien. Rien d’autre qu’une sensation, une brûlure parfois, quelque chose de fugace et d’éphémère, qui fait toute la beauté et le dérisoire d’un art qui lutte en vain et sciemment contre cette impermanence. Et notre mémoire fragile pour tenter de reconstituer ce qui a disparu ou n’a jamais eu lieu. Mais cet éphémère-là, Boris Charmatz en fait le centre d’un cyclone, une apocalypse joyeuse, qui aspire tout, balaye tout sur le plateau et jusque la salle bientôt envahie elle aussi. Ils sont 23 sur le plateau, à chaque danseur sa partition propre, sa chorégraphie personnelle dont l’originalité est d’être un flux continu jamais répétitif, jamais identique, différencié de son voisin. Alors chaque danseur s’en donne à «chœur» joie. Boris Charmatz leur a donné toute liberté d’inventer. C’est un joyeux boxon, parfaitement maîtrisé – Boris Charmatz est un petit malin qui ne lâche rien –, composition furieuse, qui monte crescendo où chacun y va de sa pratique, de son expérience, de son vécu, de son énergie, de sa folie. Gestes académiques ou purement triviaux, élégants ou vulgaires, entrechats légers ou chutes lourdes, claques ou baisers, hurlements ou soupirs, en masse compacte ou résolument seul, sur le plateau, au bord du plateau, en son lointain, en dehors du plateau, en coulisse ou dans le public soudain envahi et très vite abandonné à qui l’on murmure à l’oreille le chiffre atteint et qui ne cesse de gonfler. On se surprend même à compter avec eux…c’est une humanité grouillante, vivante, pétaradante. Tout ça va vite, très vite, file a toute berzingue. On ne saisit pas tout, pas le temps, on s’en fiche d’ailleurs, on happe ce qu’on peut, on s’attarde sur certains au risque de perdre les autres… Ce qui se passe sur le plateau est tout simplement inouï. Parfois on devine un geste collectif qui parcours l’ensemble, ébauche d’une chorégraphie commune – Boris Charmatz est passé par là, il repassera plus tard par ici – et fait frissonner cette masse, la coaguler, aller d’un même élan avant de se diluer, chorégraphie avalée tout cru, recrachée, digérée, dans cette agitation monstre et mouvante. Parfois encore on aperçoit des tableaux vivants, Géricault et sa méduse, Bosch en son jardin, aussitôt composés aussitôt défaits, effacés. Et sur le requiem de Mozart qui s’entête, sacré ironie pour fêter ici ce qui ne cesse de mourir à peine amorcé, Boris Charmatz signe une ode à la joie. Parce que la danse c’est toujours plus que la danse avec ce chorégraphe inventif au sourire de renard. Une célébration du vivre ensemble, du collectif, de l’urgence, du vivant paradoxal dont la danse est la monstration. En cela il rejoint Pina Bausch et son injonction « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus. » Injonction qu’il retourne comme un gant et à sa manière toute personnelle. C’est également, et pas le moindre des paradoxes, cette perte que célèbre Boris Charmatz, cette perte qui fait toute la valeur, la richesse, la beauté immarcescible de la danse.     10 000 gestes chorégraphie de Boris Charmatz Interprétation : Or Avishay, Régis Badel, J.Batut, Nadia Beugré, Alina Bilokon, Nuno Bizarro, Mathieu Burner, Ashley Chen, Konan Dayot, Olga Dukhovnaya, Sidonie Duret, Julien Gallée-Ferré, Kerem Gelebek, Alexis Hedouin, Rémy Héritier, Samuel Lefeuvre, Johanna Elisa Lemke, Noé Pellencin, Solene Wachter, Frank Willens Matériaux sonores : Requiem en ré mineur K.626 de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), interprété par l’Orchestre Philharmonique de Vienne, direction Herbert von Karajan, enregistré au Musikverein (Vienne) en 1986 (1987 Polydor International GmbH, Hambourg) ; enregistrements de terrain par Mathieu Morel à Mayfield Depot, Manchester Assistante chorégraphie : Magali Caillet-Gajan Lumières : Yves Godin Costumes : Jean-Paul Lespagnard Travail vocal : Dalila Khatir Régie son : Olivier Renouf Régie générale : Fabrice Le Fur Habilleuse : Marion Régnier   Du 6 au 8 juillet 2021 à 22 heures   La Villette / Festival d’Automne à Paris 211, avenue Jean Jaurès, 75019 Paris Téléphone 01 40 03 75 75 www.lavillette.com        Read More →
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Que ta volonté soit Kin, de Sinzo Aanza, mis en scène par Aristide Tarnagda, Ateliers Berthier-Odéon Théâtre de l’Europe
  © Géry Barbot   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Le titre du spectacle du poète-écrivain-photographe Congolais Sinzo Aanza interpelle d’emblée et trouve toute sa justification au fil du spectacle. « Que ta volonté soit », imprécation incomplète, suivie de « Kin » au lieu de « faite » renseigne immédiatement sur le tiraillement entre fatalisme et reconnaissance pour une ville plutôt que pour une divinité, ou pour une ville divinisée de manière ironique et même blasphématoire avec l’omniprésence de la rhétorique chrétienne dans un esprit systématique de dérision. « Kin » pour Kinshasa ou plutôt un petit bout de la capitale de la République démocratique du Congo, une de ses rues ou même une petite portion de l’une de ces rues, qui s’est appelée un temps « Vingt-quatre Novembre », qui s’appelle aujourd’hui « Avenue de la Libération » ou qui pourrait être l’Avenue des Naufragés comme le suggère un des personnages et qui s’appellera sans doute autrement lors d’un prochain changement de régime politique. Il est toutefois peu question de politique dans ce spectacle, même si plusieurs références sont faites à Lumumba et à la responsabilité du pouvoir dans les coupures d’électricité. On entend d’abord une guitare et un chant qui semblent se poser sur le mur ocre et délabré d’une rue qui pourrait être celle d’un village, mais qui est celle de l’une des villes les plus peuplées d’Afrique. Puis le fond sonore plus intense de cette mégapole s’impose peu à peu. Des bruits de moteur, de bavardages, de disputes, d’animaux, de fornication, de télévision et de radio s’installent en même temps que des morceaux de vie dans chaque coin du plateau. Un groupe d’hommes qui jouent et boivent, un autre qui se recoiffe devant ce que l’on devine être un bout de miroir, une femme seule accroupie, pensive, qui semble insensible à ce qui l’entoure, une autre pleine d’énergie et d’allant qui se déhanche. Des sons et des gestuelles, des corps très sexualisés, qui s’incrustent dans une ville en perpétuel mouvement, mais qui s’arrêtent brusquement quelques instants, plusieurs fois par jour, au gré des pannes de courant. Ces pannes qui plongent la ville et le plateau dans l’obscurité rythment le spectacle à la fois réaliste et poétique de Sinzo Aanza. Créé en extérieur le 26 octobre 2018 lors de la 10ème édition des Récréâtrales à Ouagadougou (Burkina Faso) par Aristide Tarnagda, Que ta volonté soit Kin a été monté par la force des choses en intérieur aux Ateliers Berthier dans le cadre du Festival d’Automne à Paris et de la Saison Africa2020. L’auteur et metteur en scène burkinabé, qui a également créé Plaidoirie pour vendre le Congo de Aanza, a réussi avec ses scénographes à recréer dans cette unité de lieu une atmosphère résolument africaine mais incontestablement commune à des milliers d’autres routes sur d’autres continents, en dressant des portraits de vies parallèles, des solitudes qui s’entrechoquent, s’affrontent, mais aussi s’entraident, se soutiennent dans la violence, la brutalité de l’existence, de la lutte pour survivre, même quand les corps se sentent humiliés dans le présent, que l’esprit vagabonde ailleurs pour retrouver du sens à l’ici et maintenant, parce que le quotidien ne peut être toléré ou supporté qu’à travers la rêverie. La solidarité humaine, notamment entre femmes, face au deuil, au sens propre ou figuré, d’un être aimé ou fantasmé, d’un amour perdu ou imaginé (ce que l’on ne se saura pas vraiment pour Sophie), face à la barbarie (terme plusieurs fois employé) de l’existence. La distribution révèle plusieurs comédiens talentueux (en particulier Ami Akofa dans le rôle de Lily) qui donnent une énergie ininterrompue au spectacle, y compris dans les passages où le texte est le plus faible ou moins convaincant (par exemple certaines formules du type comme « la nouvelle de ta mort me donne envie d’uriner mon âme » ou « Notre Seigneur est un DJ »). C’est toute la subtilité de ce texte et de ce spectacle qui offrent une forme de rêverie cruelle, aussi réaliste que poétique, aussi lyrique que tragique dans sa démonstration de la laideur (y compris à travers la langue) et l’injustice du monde où percent quelques lueurs d’espoir et de grâce sur le chemin qu’est la vie, pour continuer à y croire un peu.   © Géry Barbot   Que ta volonté soit Kin, de Sinzo Aanza Mise en scène Aristide Tarnagda Avec : Ibrahima Bah, Jeanne Diama, Serge Henry, Ami Akofa Kougbenou, Kader Lassina Toure, Daddy Nkuanga Mboko, Hilaire Nana, R2mi Yameogo Scénographie : Charles Ouitin Kouadjo, Patrick Janvier Lumière : Mohamed Kabore Son : Hugues Germain Régie générale : Charlotte Humbert Costumes : Léa Vayrou     Durée 1 h 30 Jusqu’au 10 juillet à 20 h       Ateliers Berthier – Odéon – Théâtre de l’Europe 1 rue André Suarès, 75017 Paris www.theatre-odeon.eu        Read More →
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Le monde et son contraire, texte Leslie Kaplan, mis en scène Elise Vigier aux Plateaux Sauvages, Paris
  © Pauline Le Goff     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot « On m’a souvent dit que je ressemblais à Kafka ». L’amorce est nette, sans hésitation. Une entrée en matière qui est une entrée en scène, incisive comme sait l’être le trait de plume de Franz Kafka. De cette ressemblance, comme de cette métamorphose du narrateur au lever du soleil dans la fameuse nouvelle du même Franz, tout un monde surgira. Et son contraire. De la ressemblance, il y aurait beaucoup de chose à dire, et d’abord, qu’elle est cette magie capable de faire coexister en une personne unique deux êtres pourtant distincts. Dans la ressemblance il y a des lignes de convergence, et d’autres qui s’éloignent. Il y a un écart, forcément, et dans cet écart, plus ou moins grand, se glisse l’acteur. Qu’un acteur dise, d’entrée de jeu, « on m’a souvent dit que je ressemblais à Kafka », et pour le spectateur c’est tout un jeu du chat et de la souris qui démarre. L’exercice est ici d’autant plus vertigineux que Leslie Kaplan dresse en quelque sorte le portrait de Kafka en creux du portrait de l’acteur, Marc Bertin, ou vice-versa. Le monde et son contraire est empreint de cette dualité formelle, l’acteur étant rejoint par Jim Couturier, le danseur. Se compose alors un étrange pas de deux, sans que jamais l’on ne démêle lequel précéderait l’autre, récit et mouvement comme deux fils emmêlés. Le danseur, tout de noir vêtu, sweat à capuche, comme une ombre portée, tête en bas, telle une idée qui se déploierait en toute liberté, faisant fi de toutes les lois, de la pesanteur et des autres. Le ballet de Jim, si l’on ose l’appeler ainsi, ne fait aucunement diversion au récit de Marc, l’inscrit au plateau comme les lettres typographiées l’écriraient sur la page planche d’un livre. Allons plus loin : cette danse serait comme la chanson de geste indomptée de la pensée, divagante, ironique sur le monde, avant qu’elle ne se condense et réduise à une parole, à un écrit. Le monde et son contraire est un avatar du monde de l’écrivain, et de celui de l’écriture, un monde en noir et blanc, à l’image du sol recouvert des tapis de danse blancs, d’où se détachent le petit bureau, la chaise et la corbeille à papiers, noirs. Un monde où les images se forment et se décollent comme des frises que l’on fixe aux murs. Des images, comme des citations, faisant œuvre dans l’écart, comme cette petite légion de chapeaux melons alignés au sol semblant surgir d’un tableau de Magritte… Leslie Kaplan et Marc Bertin effectuent la pensée de Kafka en ce sens où ils lui redonnent un espace de résonance aux prises avec notre contemporain, sans jamais la trahir. Qu’il s’agisse de cette puissance d’inversion, où celui qui est injurié, accueille l’injure, la prend sur lui, s’en fait une carapace, telle une métamorphose, avant de la retourner à l’envoyeur, qu’il s’agisse de ces « chaînes de papier » si bien décrites dans Le Château, phénomène de déshumanisation du lien humain qui a gagné toutes les époques et tous les secteurs, notamment celui de l’entreprise, les mots de Kafka brillent toujours avec toute leur acuité comme un indépassable phare. Dans ce cheminement de la pensée, dans cet hommage à Kafka, il y a la parole d’un acteur. Marc Bertin, qui se découvre par petites touches, qui se livre à ce jeu de la ressemblance, qui converse avec nous dans une simplicité qui ne s’interdit pas la profondeur, et le trouble. C’est beau, un acteur. C’est ce que l’on se dit en sortant des Plateaux Sauvages, et c’est probablement ce qu’a pensé Leslie Kaplan en écrivant ce texte pour Marc Bertin. De ce geste accompli à plusieurs mains, celles de Franz Kafka, Leslie Kaplan, Marc Bertin, Jim Couturier et Elise Vigier, tricotant les admirations, les aveux, les élans et les tendresses, naît un véritable bonheur du partage. Et de la métamorphose qui œuvre en chaque spectateur.   © Pauline Le Goff   Le monde et son contraire, de Leslie Kaplan Mise en scène Élise Vigier Avec Marc Bertin et Jim Couturier Musique originale Manu Léonard et Marc Sens Régie générale et lumières Clara Pannet   Du 21 juin au 3 juillet 2021 (relâche le samedi 26 juin) Lundi-vendredi à 20 h / samedi à 14 h 30 et 18 h   Les Plateaux Sauvages 5 Rue des Plâtrières 75020 Paris Tél. : 01 83 75 55 70 https://lesplateauxsauvages.fr   Théâtre des Cordes, Comédie de Caen – CDN de Normandie 32 rue des Cordes 14000 Caen 23 et 24 septembre 2021 à 19h Tél : 02 31 46 27 29 https://www.comediedecaen.com        Read More →
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Rituel 4 : Le Grand Débat, d'Emilie Rousset et Louise Hémon, mis en scène par Emilie Rousset et Louise Hémon, T2G Théâtre de Gennevilliers
    © Philippe Lebruman   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Emilie Rousset nous avait déjà surpris avec son « procès de Bobigny » joué notamment au T2G en 2019, sous forme d’une « Reconstitution » en différentes tables-rondes thématiques et audio-jouées de ce qui a été au cœur du procès dit de l’IVG… Elle revient à Gennevilliers avec Louise Hémon pour une reprise de Rituel 4 : Le Grand Débat, créé en 2018 au Théâtre de la Cité internationale avec le Festival d’Automne à Paris. Il s’agit de leur quatrième collaboration dans ce cycle de « Rituels » qui a débuté en 2015 pour traquer certains rites de la société française, ayant pour point commun d’utiliser différents instruments et codes, en particulier la vidéo, sous forme télévisée ou de cinéma documentaire. Elles proposent dans ce quatrième opus un montage de morceaux de débats télévisés des seconds tours des élections présidentielles de 1974 à 2017. Rituel 4 n’a jamais aussi bien porté son nom car de fait le débat du second tour des élections présidentielles est devenu un rendez-vous qui s’est bien ancré dans le paysage politique et de la télévision française. C’est le débat inaugural et inédit à la télévision française, entre François Mitterrand et Valérie Giscard d’Estaing, le 10 mai 1974 qui ouvre le spectacle et la tradition. Ce face-à-face télévisé, présenté par Jacqueline Baudrier et Alain Duhamel, dont on a retenu quasiment que la fameuse phrase « Vous n’avez pas le monopole du cœur, Monsieur Mitterrand » avait tant marqué le leader du parti socialiste, qu’il avait imaginé éviter une nouvelle expérience sept ans plus tard. Les exigences drastiques de réalisation échafaudées par Serge Moati et Robert Badinter ont pourtant été acceptées par la télévision française et ont constitué le référentiel de base des débats à venir. Elles sont indiquées au début du spectacle par une voix off très ORTF… : interdiction du public d’exprimer ses émotions, interdiction des plans de coupes… Il est rappelé également que la longueur de la table et la température ont fait l’objet d’un accord consensuel avec les candidats. Le décor du débat de 1974 sert donc de cadre commun au spectacle : une longue table de bois blond avec de chaque côté un candidat et trois caméras actionnées par deux cadreurs qui se déplacent sur le plateau au fil des scènes. Emilie Rousset et Louise Hémon ont ajouté au-dessus de la table un écran géant projetant les visages en gros plan et des tentures en tissu bleu clair cachant le fond de plateau et les coulisses. L’originalité du projet et de sa réalisation consiste dans le montage savant de morceaux des vrais textes des huit duos de la période de référence. Montage savant, car c’est davantage un enchaînement qui suit une logique sur le fond oubliant tout déroulé chronologique, presque à la manière de la comptine de « trois petits chats », un mot ou une idée de l’une des joutes verbales, servant de redémarrage à la suivante. Les conceptrices n’ont pas cherché à faciliter la tâche de leurs spectateurs, ni de leurs comédiens. D’une part, parce que Emmanuelle Lafon et Laurent Poitrenaux (tous deux excellents) jouent indifféremment des candidats masculins et féminins (qui ne sont de fait qu’au nombre de deux), d’autre part parce que les morceaux choisis ne contiennent pas toujours d’interpellation permettant de les identifier immédiatement et enfin parce qu’elles ont pris le parti d’interdire à leurs comédiens toute imitation. On ne peut reconnaître quasiment aucune gestuelle (à part peut-être les mains de Mitterrand dans le débat de 1981), voix, mimique ou tic de langage. La fluidité est telle parfois dans les propos échangés (jusqu’à certains termes – rassemblement, confiance, justice … – qui traversent les époques) que l’on pourrait à plusieurs reprises se demander si l’on a ou non changé d’époque, les seules indications consistant en des mini ruptures scéniques, consistant en un changement de position, parfois subtil de chacun des candidats. Cette prouesse qui contribue à la qualité du spectacle en constitue dans le même temps le principal défaut, qui n’en n’est pas vraiment un, mais qui doit être signalé à titre d’avertissement. C’est un spectacle qui s’adresse essentiellement à un public féru de culture politique. Sans un minimum de connaissance des grandes thématiques et bons mots de ces décennies de joutes verbales télévisées qui ont laissé des traces dans les mémoires citoyennes, les spectateurs, en particulier les plus jeunes, pourraient se sentir légitimement perdus. Pour les autres, c’est un pur régal.     © Philippe Lebruman     Rituel 4 : Le Grand Débat, d’Emilie Rousset et Louise Hémon Conception et mise en scène Emilie Rousset et Louise Avec :  Emmanuelle Lafon et Laurent Poitrenaux et la voix de Leïla Kaddour-Boudadi   Création lumière, image : Marine Atlan Caméras Marine Atlan et Mathieu Gaudet en alternance avec Fanny Mazoyer et Jean-Baptiste Bonnet Scénographie : Emilie Rousset et Louise Hémon Montage vidéo Carole Borne Musique Emilie Sornin Maquillage et coiffure Noa Yehonatan et Paloma Zaid Régie Vidéo et son Romain Vuillet Régie générale, lumière Jérémie Sananes     Durée 1 h Jusqu’au 2 juillet à 21 h       T2G – Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National 41 avenue des Grésillons 92330 Gennevilliers www.theatredegennevilliers.fr   Tournée en 2022 : 31 janvier et 1er février, La Coursive, La Rochelle ; 17 et 18 mars, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, 31 mars, Théâtre de Cachan ; 5 avril, Théâtre de l’Avant-Scène de Cognac ; 8 et 9 avril, Le Quartz, Brest ;12 avril, Théâtre de Montrouge ; 14 avril, Théâtre le POC, Alfortville          Read More →
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Sur la voie royale, de Elfriede Jelinek, mis en scène par Ludovic Lagarde, T2G Théâtre de Gennevilliers
    © Gwendal Le Flem   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Christelle Tual est époustouflante. Sur la voie royale, d’après l’ouvrage éponyme d’Elfried Jelinek, semble un rôle écrit pour elle. Elle magnifie le texte et elle est magnifiée par le texte. Une heure et quarante minutes durant, dans sa diction parfaite et sa gestuelle dont la précision est stupéfiante (ces mains !), elle égrène la pensée de Jelinek comme une évidence, ce qui pour les connaisseurs du style de l’auteure autrichienne peut surprendre, tant la pensée de cette dernière est souvent complexe et tortueuse. Comme si tous ces superlatifs n’étaient pas suffisants, il faut ajouter que la mise en scène de Ludovic Lagarde frôle le prodige. On devrait s’arrêter là pour inciter les spectateurs à se ruer vers le T2G avant le 2 juillet, et ne leur gâcher aucun plaisir de découverte tant du texte (publié chez L’Arche pour ceux qui ne l’auraient pas lu), que de la mise en scène. La lecture de ce qui suit n’est donc recommandée qu’à ceux qui ne pourraient rejoindre à temps Gennevilliers. Le texte d’abord. Le propos principal tourne autour de l’ancien président des États-Unis Donald Trump, qui n’est pas une seule fois nommé. Mais comme souvent chez Jelinek, le texte parle aussi d’elle. Son ressenti, à partir de l’élection de 2016, son analyse de ce qui suit et qui ne tient pas compte de sa non réélection puisque le texte a été publié en 2019 et enfin d’elle et des affres de la vieillesse (« une catastrophe »), qui est l’élément finalement le moins intéressant et le plus faible du récit, quoique extrêmement courageux dans son abrupte autodérision. Mais c’est surtout un portrait à charge, comme chacun ne peut en douter, que brosse l’écrivaine Prix Nobel, de cette improbable personnalité arrivée au pouvoir de la plus grande puissance économique mondiale, ayant construit sa fortune à grands renforts de dettes, tweets provocateurs et vulgarité sexiste. Sa réussite est à la hauteur de notre aveuglement, la tare contemporaine des citoyens du monde entier, qui ne peuvent plus qu’ « entendre la vérité s’effondrer » quand le visage du tyran créateur de murs et de fake news se révèle, faute d’avoir réagi ou s’être opposés à son violent populisme. La scénographie et la mise en scène ensuite. Les spectateurs s’installent face à un plateau (horizontal) blanc, dont la profondeur est réduite par la présence d’un grand panneau (vertical) blanc (qui s’avérera être un écran projetant couleurs et vidéos créatives, ainsi que des forêts en feu) et une chaise pivotante immaculée elle aussi. Claire Tual arrive en sweat-shirt, casquette et canette de Coca à la main, enlève ses chaussures et s’assied face public tout en commençant un discours de prime abord un peu décousu, invoquant renoncement, culpabilité, aveuglement et enfin l’avènement d’un nouveau roi. Ce nouveau roi sera mentionné tout au long du récit pour parler de Trump, tout en filant de manière récurrente la métaphore avec le théâtre antique, en particulier Œdipe. Et alors qu’il est fait mention des dettes de ce souverain à la couronne d’or, une vraie tête brulée, Pauline Legros, commence sa ronde sur le plateau. Une performance qui durera presque la totalité du spectacle, coiffant, maquillant, habillant, accessoirisant Christèle Tual, dans un mouvement fluide et constant, sans jamais faire perdre au spectateur le fil du récit, ni amoindrir la qualité du jeu et de la voix de la comédienne travestie tour à tour en héroïne aux yeux crevés et sanguinolents, en Elfriede Jelinek avec sa coiffure « coque » caractéristique, en plusieurs versions de Donald Trump ( « normale », XXL et tête de porc), en Melania Trump et enfin en Jelinek encore, vieillarde au cheveu rare et à la peau blanchie regrettant que plus personne ne parle d’elle, avant qu’un « Angelus Novus » scintillant déploie ses petites ailes sous les auspices de Paul Klee et Walter Benjamin (pour lequel l’aquarelle est « l’ange de l’histoire » et une icône). Les créations sonores très variées (de la musique tyrolienne au dodécaphonisme en passant par des murmures et autres sons électroniques) du compositeur autrichien Wolgang Mitterer accompagnent idéalement le ballet incessant des mots pamphlétaires et des personnages plus vrais que nature, en accord avec les superbes lumières de Sébastien Michaud. Rien ne sonne faux dans cette création théâtrale de Ludovic Lagarde qui serait absolument jubilatoire, si elle ne produisait une si accablante mise en abîme.   © Gwendal Le Flem     Sur la voie royale, de Elfriede Jelinek Mise en scène Ludovic Lagarde Avec : Christèle Tual et Pauline Legros Traduction : Magali Jourdan et Mathilde Sobottke Assistante à la mise en scène : Céline Gaudier Dramaturgie : Pauline Labib Création musicale : Wolfgang Mitterer Scénographie : Antoine Vasseur Lumière : Sébastien Michaud Son David Bichindaritz Costumes : Marie La Rocca Masques et Maquillage Cécile Kretschmar Vidéo : Jérôme Tuncer     Durée 1 h 40 Jusqu’au 2 juillet, à 19 h (relâche mardi) Tournée : de mars à juin 2022     T2G – Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National 41 avenue des Grésillons 92330 Gennevilliers www.theatredegennevilliers.fr        Read More →
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Le bourgeois gentilhomme, de Molière, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, à la Comédie-Française, Place Colette
    © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault Une pièce bonne à 100% ? Sachons nous emporter un peu moins et disons 98, restant sans doute encore trop adepte d’une joie « rebondissante » et fier de l’être. Molière, nous connaissons, et monsieur Jourdain, Le Bourgeois gentilhomme, ce personnage qui a fait fortune et se démène pour se faire passer pour un « grand », un gentilhomme justement, et plus si affinités… Alors il prend des cours de musique et de danse, il a aussi un maître d’armes, un autre de philosophie. Il souhaite que tout cet argent fasse de lui une sorte de merveille sur pieds, le plus séduisant homme jamais rencontré, aux vêtements composés par un excellent tailleur, cela va de « soie » si monsieur Jourdain avait écrit cet article, et il aurait souligné ce mot trois fois, l’aurait encadré certainement, avec son portrait tout autour. Il veut la plus belle maison possible. Il est prêt à financer toutes les envies de Dorante, un comte dont il pense être l’ami, et qui surtout, pense-t-il, peut l’aider à déclarer sa flamme à la jeune et belle marquise Dorimène. Oui parce que madame Jourdain, comment dire, eh bien madame Jourdain est bien trop sûre d’elle-même et de son rang, elle n’est pas assez débordante d’envies de broderies et de voies rapides vers la Cour ! Tout est évident pour elle, elle n’a comme souci que les dépenses immenses, inutiles et ridicules de son mari. Madame Jourdain soupire de toutes ces vagues absurdes, pour le moins. Elle souhaite pourvoir marier sa fille Lucile à Cléonte, un homme bien sous tous rapports mais monsieur Jourdain s’étouffe quand il apprend que ce sympathique garçon, bien comme il faut, avec des sous dans les poches, n’a hélas pas une once d’aristocratie, pas une goutte de sang « comme il faut » dans les veines. Donc que nenni !! Et maintenant, la mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq (monsieur Jourdain, le petit bonhomme joyeusement époustouflé par ses talents multiples, vous savez, toutes ces graines à fou-rire qui font tant souffrir sa femme et sa servante notamment)… Alors là le bonheur est total… Ils nous font rêver tous les deux, ils nous font rire et dès le départ nous séduisent et surprennent avec la musique. Ici, celle de Lully épouse des arrangements de Mich Ochowiak et Ivica Bogdanić, qui ont réussi des approches splendides avec des danses folkloriques serbes par exemple. Ces rythmes nous donnent des impressions d’accumulations, de mouvements, joués par cinq musiciens et un comédien. Monsieur Jourdain aimerait tant parfois les imiter, il n’y a aucun doute. Un autre plaisir est ce décor noir, sombre, austère et élégant. Il fait ressortir les costumes tous plus fous et chargés de détails les uns que les autres, et ce décor apporte aussi une facilité évidente pour dissimuler la présence de marionnettes simples et époustouflantes qui vont des notes de musique en passant par brebis et moutons, en passant par les délices de repas surfins. Et puis, sous cette musique, rebondissant dans ce décor et surprise elle-même par les marionnettes, devinez… les personnages ! Tous ont une force particulière, nous entraînent et leur texte est découpé, comme recouvert ici ou là de stabilo pour nous surprendre, nous faire rire, oui, tout simplement, nous étonner avec un texte que nous pensions parfaitement connaître et que là, nous découvrons presque, comme si de nouvelles plaisanteries avaient poussé ici ou là, dans ce texte même, prenant l’apparence renversante de thèmes auxquels nous n’aurions jamais pensé au collège en lisant fort sagement Molière. Et hop ! Nous sommes époustouflés ! Nous sommes pris dans cette histoire, attendons ce qui va se passer, là dans un instant !! Pensons aux  turcs… la blague est immense et les ricanements sont visibles sous les costumes faits avec tout ce qu’on a pu trouver dans cette maison, entre légumes, rideaux, coussins ou ustensiles chipés dans la cuisine. Des abat-jours presque contemporains nous apparaissent 17e siècle sans soucis et un éléphant multiforme tente de garder son sérieux face à monsieur Jourdain ! Il est difficile de ne pas en dire trop, la joie est là, nous emporte, nous donne l’impression d’avoir participé à cette facétie un peu cruelle. Il y a toujours les 2 % un peu moins fascinants, oui, parfois une mini lenteur, comme si le magicien et la magicienne Lesort-Hecq avaient pris leur temps ici ou là, dans le mouvement d’une table noire, la descente d’un escalier. Rien d’exaspérant, peut-être tout bêtement l’envie furieuse d’être face à de nouvelles folies, qui réjouissent sans doute Molière dans sa tombe ! Mais pour être parfaitement honnête, la reprise des transports en commun s’est montrée difficile en sortant de la Comédie-Française et une joyeuse déambulation dans les rues s’est imposée !   © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française   Le bourgeois gentilhomme, de Molière Mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq Scénographie : Éric Ruf Costumes : Vanessa Sannino Lumières : Pascal Laajili Musiques originales et arrangements : Mich Ochowiak et Ivica Bogdanić Travail chorégraphique : Rémi Boissy Marionnettes : Carole Allemand et Valérie Lesort Assistanat à la mise en scène : Florimond Plantier Assistanat à la scénographie : Julie Camus Assistanat aux costumes : Claire Fayel de l’académie de la Comédie-Française Avec : Véronique Vella, Sylvia Bergé, Françoise Gillard, Laurent Stocker, Guillaume Gallienne, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Gaël Kamilindi, Yoann Gasiorowski, Jean Chevalier, Géraldine Martineau Académie de la Comédie-Française : Antoine de Foucauld et Nicolas Verdier Et : Ivica Bogdanić : Musicien, accordéon, percussions Rémi Boissy : Danseur, Garçon tailleur et manipulation de marionnettes Julien Oury : Musicien, trombone, tuba Alon Peylet : Musicien, trombone, trompette, tuba Victor Rahola : Musicien, hélicon Martin Saccardy : Musicien, trompette   Du 18 juin au 25 juillet 2021 Durée 2 h 20 sans entracte   Comédie-Française Place Colette 75001 Paris www.comedie-francaise.fr Réservations 01 44 58 15 15      Read More →
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Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare, mis en scène par Maïs Sandoz et Paul Moulin, Théâtre de la Cité – CDN Toulouse Occitanie
    © Kenza Vannoni     ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia La compagnie L’Argument s’est attaquée avec passion à Beaucoup de bruit pour rien, l’une des œuvres de Shakespeare dont l’intitulé est devenu presque une maxime, mais dont le contenu n’est pas si bien connu du grand public. Il faut dire que les deux intrigues amoureuses peuvent avoir sur le papier quelque chose d’un peu suranné : Claudio et Héro s’aiment, mais un complot ourdi par le fourbe Don Juan, aidé de Borachio, va frôler le drame, tandis que Béatrice et Bénédict, deux célibataires endurcis, s’insultent plutôt que d’échanger des mots doux afin de préserver leur réputation. Les deux histoires se terminent bien, même si rien n’est moins sûr que les deux couples vivront heureux et auront beaucoup d’enfants ! Pour remettre les deux farces entremêlées au goût du jour, Maïa Sandoz et Paul Moulin ont fait le pari, assez largement réussi, d’opérer une transposition partielle de la comédie dans l’époque actuelle, qui respecte totalement l’esprit shakespearien par le savant équilibre entre des intrigues amoureuses (la pièce fait partie de la partie intitulée « Les Jaloux » dans l’édition traduite par le fils Hugo), une dimension onirique et un humour faisant appel au grotesque, à la farce joyeuse, aux jeux du langage, à l’ironie subversive et à la musique. Les ajouts opérés par les traducteurs-adaptateurs du texte d’origine de Beaucoup de bruit pour rien ne trahissent nullement l’œuvre et la prolongent notamment les thématiques du complotisme et de la calomnie par des références appuyées à la crise de la Covid (une arrestation exigeant le port du masque, la production d’un document d’identité et d’un test PCR ; une référence au confinement), aux violences policières et autres clins d’œil aux traumatismes contemporains, qui gardent du sens dans le déroulement de la pièce. D’autres allusions au temps politique présent semblent moins, voire pas du tout, pertinentes (comme le « Macron démission »), non pas pour leur impertinence, mais pour leur inadéquation avec l’œuvre elle-même (une des rares pièces de Shakespeare qui ne met pas en jeu les rapports de pouvoirs politiques). En revanche, les mentions de nouveaux réflexes et évolutions de la langue orale, que ce soient des anglicismes (« win win ») renvoyant par ailleurs parfois parallèlement à des scandales ou préoccupations actuelles (« fake news », porn revenge »…) ou des emprunts au vocabulaire de l’entreprise ou du marketing (« N+1 »…), correspondent pleinement à la manière dont Shakespeare entendait utiliser le verbe, c’est-à-dire un savant mélange de langages châtié et populaire, utilisant les double-sens de certains mots, leur part péjorative ou triviale, leur allusions sexuelles plus ou moins directes. Et encore plus surprenants sont les passages où l’on croit qu’ils relèvent de l’adaptation alors qu’ils sont simplement le texte de Shakespeare, dont l’étonnante modernité est confondante, notamment dans les propos de la très féministe Béatrice qui trouve « affligeant pour une femme d’être écrasée par un tas d’insolente poussière » (Acte II, scène I). La mise en scène joyeuse, qui débute avant même le spectacle par une ambiance sonore (« beaucoup de bruit »…) créée dès le hall du théâtre, offre une remarquable énergie (corporelle notamment avec un grand nombre de saut et chutes maîtrisées) et de belles images (comme la descente de la mariée du haut de la salle, dont le voile est déployé sur une partie des spectateurs). Elle fait également la part qu’elles méritent à la musique et à la chanson (présence récurrente dans les didascalies), proposées « en live » avec des musiciens qui participent pleinement au spectacle, tel le guitariste au look de Brian May. Mais il y a plus. La compagnie a travaillé son adaptation de Beaucoup de bruit pour rien de deux manières. Le soir de la troisième et dernière représentation au théâtre de la Cité à Toulouse, c’était la version enrichie par la langue des signes qui était présentée. Il ne s’agissait pas du tout de proposer une traduction basique pour le public sourd et malentendant, tel un journal télévisé sur une chaîne de télévision publique ou un discours présidentiel, mais d’impliquer totalement à la distribution habituelle les traducteurs, qui participent ainsi totalement au spectacle et lui donnent incontestablement une autre dimension qui fait réfléchir inévitablement sur le sens donné à la subtilité du langage théâtral. La corporalité qui vient suppléer l’absence de précision inhérente à la traduction en LSF (qui ne peut saisir toutes les nuances de la langue écrite et vocalisée) ramène donc le message à ses aspects essentiels. Il y avait incontestablement beaucoup de bruit mi-juin dans le théâtre de la Cité, et ce n’était pas pour rien…     © Kenza Vannoni   Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare Mise en scène : Maïa Sandoz et Paul Moulin Distribution : Serge Biavan, Maxime Coggio, Christophe Danvin, Mathilde-Edith Mennetrier ou Elsa Verdon (rôle de Borachio), Gilles Nicolas, Paul Moulin, Soulaymane Rkiba, Aurélie Vérillon et Mélissa Zehner Comédien.ne.s L.S.F. : Lucie Lataste et Patrick Gache Traduction-adaptation : Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz et Paolo Sandoz Assistante mise en scène : Clémence Barbier Création lumière : Bruno Brinas Création sonore et musicale : Christophe Danvin Mise en espace sonore : Jean-François Domingues et Samuel Mazzoti Coach vocal : Sinan Bertrand Scénographie et costumes : Catherine Cosme Collaboration chorégraphique : Gilles Nicolas, assisté de Stan Weiszer Collaboration artistique : Guillaume Moitessier Administration et production : Agnès Carré Production et diffusion : Olivier Talpaert Régie Générale : David Ferré Régie Plateau : Paolo Sandoz   Durée : 1 h 50 estimée   Date et lieux : Du 16 au 18 juin : Théâtre de la Cité, CDN Toulouse Occitanie Le 23 juin 2021 : L’Equinoxe, Châteauroux Le 26 juin 2021 : EMC, Saint Michel sur Orge Du 7 au 9 juillet 2021 : MC2, Grenoble Les 7 et 8 octobre 2021 : L’Agora, Scène nationale de L’Essonne Du 13 au 15 octobre : Théâtre 71, Malakoff Les 20 et 21 octobre 2021 : L’Azimut, Antony / Châtenay-Malabry Le 23 novembre 2021 : Les 3T, Châtellerault Le 4 mars 2022 : La Faïencerie, Creil Du 25 au 27 mars 2022 : La ferme du Buisson, Noisiel Le 31 mai 2022 : Théâtre des Deux rives, Charenton Le pont      Read More →
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Faith, Hope and Charity, texte et mise en scène Alexandre Zeldin, au Théâtre National de l’Odéon
    ©  Sarah Lee   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Aux Ateliers Berthier, ce n’est pas le petit pan de mur jaune cher à Proust, mais un pan de décor immense, comme une part prélevée au réel. Une pauvreté monumentale, érigée comme un portail de cathédrale, signée au coin gauche d’un petit radiateur électrique tout rouillé, et d’un rideau qui ne serait pas celui d’un théâtre au velours rouge, mais d’une porte-fenêtre à la toile synthétique crasseuse, pendant comme une relique inutile à l’entrée d’un patio. Ce réel que l’on finit, indifférent ou aveuglé, par ne plus voir, Alexander Zeldin le plante sur le plateau pour ce qu’il est véritablement : un fond, d’où se détacheront, comme en peinture, des figures humaines, héroïques, mais un fond qui, tout autant, menacerait de les absorber, les aspirant corps et âmes dans telle catégorie sociale, les rendant indiscernables, invisibilisant ces êtres comme le font les statistiques, les réduisant enfin à leur stigmate. Et l’on se surprend soi-même à user de ces œillères migrant, mère isolée, handicapé, sans domicile lorsqu’ils pénètrent et viennent grossir pour la première fois la file d’attente de l’aide sociale dispensée par ce centre associatif. En ce sens, le parcours émotionnel du spectateur n’est pas loin d’une rédemption, abandonnant ses préjugés et accommodant progressivement son regard à la vérité sensible et singulière de chacun. C’est en cela que le théâtre d’Alexander Zeldin nous bouleverse tant, au-delà de la force mélodramatique de ce qu’il nous raconte : par la révolution qu’il produit dans l’économie des regards. Si notre société est de plus en plus remplie de cas sociaux et d’éclopés de la vie, elle produit aussi son pendant : des éclopés du regard. Le théâtre d’Alexander Zeldin agit non pas pour nous rappeler cette réalité, ce qui serait d’une vaine et douteuse prétention, mais pour déconstruire le regard distancé et déformé que nous avons construit en société pour faire face à cette réalité que nous ne saurions voir. Par petite touches, à la manière d’un peintre impressionniste, ou d’un Tchekhov peignant son contemporain, Alexander Zeldin approche et creuse ces questions de représentation, de réel, comme rarement on l’a vu sur une scène. Son théâtre est un théâtre de transformation. Il y a pour le spectateur un avant et un après avoir vu Faith, Hope and Charity. Son théâtre est éminemment politique. Non pas, comme chez Ken Loach, par la mise en lumière d’une profonde injustice et des implacables rouages d’un système qui broie les êtres, mais par cette expérience proposée au spectateur d’un regard qui ferait enfin corps avec ceux qu’il voit. Un décloisonnement du monde tel que nous y vivons habituellement, à l’instar du public installé de plain-pied sur le plateau dans un dispositif tri-frontal. Alexander Zeldin écrit à hauteur d’homme, et pour cela Faith, Hope and Charity résonne autant en chacun de nous. Faith, Hope and Charity n’est d’ailleurs pas la trinité de vertus affichées en étendard, mais les prénoms de trois femmes, dont il sera question au détour d’une conversation. Alexander Zeldin ne se paye pas de mots, et ses actrices et acteurs non plus. Une justesse qui apparaît comme une justice dans cette entreprise qu’ils portent tous magnifiquement ensemble. Tout dans les postures, les réserves, les retenues ou les déferlements racontent autant que ce qui est dit, toujours avec parcimonie. Il y a une économie du langage qui n’est pas une pauvreté. Il y a une intelligence de la vie qui est universelle, trouvant son vocabulaire et sa grammaire propres à chacun. Dans cette attention et dans cette écoute à cet autre, socialement différent de soi, il y a, mis en œuvre par Alexander Zeldin toute la philosophie de Jacques Rancière. Parler les mots de l’autre. Alors que le centre social prend des allures d’arche de Noé sous le déluge des avanies, ce que Hazel et Mason les deux volontaires, sauvent par leurs gestes quotidiens et leurs mots de rien, c’est tout simplement, pour reprendre le titre de l’indispensable récit de Robert Anthelme, l’espèce humaine.     ©  Sarah Lee     Faith, Hope and Charity Texte et mise en scène : Alexander Zeldin Avec : Lucy Black, Tia Dutt, Llewella Gideon, Tricia Hitchcock, Dayo Koleosho, Joseph Langdon, Shelley McDonald, Michael Moreland, Sean O’Callaghan, Bobby Stallwood, Posy Sterling, Hind Swareldahab Scénographie, costumes : Natasha Jenkins Lumière : Marc Williams Son : Josh Anio Grigg Travail du mouvement : Marcin Rudy Durée 2 h Du 16 au 26 juin du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 14 h et 20 h, dimanche à 15 h   Théâtre National de l’Odéon Ateliers Berthier 1 Rue André-Suarès, 75017 Paris Réservation : 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.eu        Read More →
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Fanfare, au Cirque Électrique, mise en scène par Hervé Vallée, Paris
  © Cirque Électrique   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault Une heure qui fait un bien fou, comment ça s’appelle déjà ? Fanfare ?  Au Cirque Électrique ? Oui. Le point d’interrogation après cette Fanfare, créée en 2020, est presque mal venu tant on est plongé dans une folie merveilleuse et douce, des talents façon feu d’artifice. Avant même le vrai début le saisissement débarque, parce qu’en tendant bien l’oreille, quelques minutes avant d’entrer, nous percevons un cri immense, partagé, une sorte de « oui, donnons-nous la main, soyons forts, soyons fous, allons-y ! ». De la joie et de l’émotion s’offrent déjà. Nous nous installons quant à nous sous un chapiteau, nous sommes très bien accueillis, tout semble être comme d’habitude dans un cirque. Une piste, un rideau rouge, du silence d’un seul coup et la merveille se donne, s’étend, rebondit, semble jouer suspendue à un fil, à trois mètres de haut, aller cogner ses talons par l’arrière de son crâne, etc. Et au-dessus de tout cela, un orchestre, rebondissant lui aussi, et dont quelques musiciens sont sur la piste régulièrement. Fanfare va mixer cirque, musique ultra contemporaine, douceur et force ultra intense. Pour nous. Il y a des « ho ! » des « ha ! » dans les gradins. On pourrait dire en sortant de là que c’était amusant et agréable à voir. Certes on en ressort couverts de confettis, des pop-corn ont circulés, le jeu était partout. Oui. Mais ce jeu était sous tension, avec des infos pour les gamins de trois ans et d’autres pour les adultes. On ne voyait pas la même chose, on était tous attrapés ! Les vibrations se perçoivent, nous avons sous les yeux une concentration tangible, la fascination est là. Les  artistes se suivent comme dans un cirque « classique », la souplesse et la gaité se mêlent. Une sorte d’unité, d’union plutôt, est évidente, tenue par cette musique resplendissante. Pas une once de prétention, perceptible ici où là parfois, ailleurs. Ces artistes se sont lancés dans les méandres complexes du cirque, avec tous les « plus » du Cirque Électrique. Le travail est là, devant nous. La tension positive, la volonté de nous faire partager. Une toute petite « peur » est visible, de temps en temps, un très léger frisson remballé tout de suite. Nous l’avons vu tout de même et applaudissons plus fort encore. Tout se mesure, se pèse, que les risques seront vaincus, brillamment, pour nous, rien que pour nous. Et donc lorsque les applaudissements ont cessé, qu’il faut redescendre sur terre, le résultat est étonnant : il épouse une certaine permanence, nous restons époustouflés dans le métro. Les images nous habitent. L’amour de leur métier se perçoit et nous éclabousse. François Marietta, fil oblique et corde volante, Julie Demont, acrobatie aérienne, Nhât-Nam Lê mât-chinois et sangles, Nina Van der Pyl, contorsion et équilibre, Étienne Chauzy, jonglerie, Jean-Baptiste Very, musicien et Hervé Vallée, musicien et metteur en scène de toute cette aventure donnent envie d’être cités pour donner une toute petite idée de ce qui a été présenté. Dire simplement le nom de leur « travail » est étrange. On a l’impression de plonger de l’éblouissement dans un bain de réalité.  Prenons l’exemple du mot « équilibre » : on imagine bien, on peut voir une corde, une barre fixe, quelque chose comme ça. Oui. Mais ce qui est fait avec, l’émotion qui en ressort n’est jamais la même et là, dans Fanfare, dont l’origine est extraite de l’anniversaire du Cirque Électrique, la tradition du cirque est en place, mêlée à « une culture moderne », dont ressort aussi la musique, composée par le Cirque Electrique Band, mêlant fanfare et Rock’n’Roll, échos, rebondissements et curiosité. Tous ont eu des formations vastes et mêlées si l’on peut dire, qui leur ont permis d’additionner des évidences venant d’écoles prestigieuses et multiculturelles à d’autres évidences, qui pourraient paraître toutes simples et ne le sont peut-être pas forcément. Leurs envies, leurs sensations, qu’Hervé Vallée sait sentir et reconnaître ici depuis 25 ans donc. Il sait saisir ce qu’il faut et semer ça et là pour que tout grandisse et s’éparpille, au sol, en l’air… Des applaudissements encore, qu’on aimerait rendre aussi heureuse cette équipe, cette Fanfare si particulière, première en même temps, déjà resplendissante et très claire dans son nom. « Depuis 25 ans, Fanfare Décadente, toujours égalée, jamais imitée ! On n’est pas sérieux quand on a 25 ans ! ».   © Hervé Photograff   Fanfare, mise en scène et scénographie d’Hervé Vallée François Marietta, fil oblique et corde volante Julie Demont, acrobatie aérienne Nhât-Nam Lê mât-chinois et sangles Nina Van der Pyl, contorsion et équilibre, Étienne Chauzy, jonglerie, Jean-Baptiste Very, musicien Hervé Vallée, musicien et metteur en scène   Durée 60 minutes   Du 19 juin au 11 juillet 2021 Samedi et dimanche à 15 h.   Le Cirque Électrique Place du Maquis du Vercors 75020 Paris www.cirque-electrique.com contact@cirque-electrique.com Réservations : 09 54 54 47 24 Métro : Ligne 11, arrêt Porte des Lilas Tramway : T3b, arrêt Porte des Lilas      Read More →
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« La Piste aux étoiles filantes !  (l’audition) », Cirque Lili, La Chartreuse, Dijon
  © Xavier Cario   ƒƒ Article de Corinne François-Denève Dans des jours plus heureux, mais qui reviennent, les touristes sont nombreux qui, explorant le patrimoine artistique et culturel dijonnais, poussent jusqu’au « Puits de Moïse ». Doté d’un remarquable calvaire, le puits se situe au milieu d’un ancien monastère chartreux, La Chartreuse, devenu désormais hôpital « spécialisé » de Dijon. Voici donc un hôpital avec jardin, ouvert, où l’on rentre et sort en oubliant presque que le lieu abrite souffrances et surveillances. Peu de surprise, donc, à voir un tel lieu accueillir un dispositif « Culture Santé ». La bâtisse abrite d’ailleurs un « centre d’art singulier », l’Hostellerie, lieu d’exposition et de rencontres. Patients et patientes, soignants et soignantes, sont également régulièrement invité.e.s à prendre part à des ateliers et des activités, tantôt autour du journalisme, tantôt autour du slam, appuyés, soutenus par des associations comme « Les Itinéraires singuliers » et « Les Embarqués ». Le projet « Culture à l’hôpital 2020 », soutenu par la DRAC BFC et l’ARS BFC, sous l’égide du directeur de l’hôpital, François Martin, et du docteur Roy, attentive à ce que les « malades » gardent leur « capacité à rêver », s’articulait autour du cirque. Trois séries d’ateliers étaient proposés à l’ensemble des usagers et usagères de l’hôpital : du jonglage, avec Jérôme Thomas, et sa Compagnie (sur le thème du « cœur de piste »), de l’écriture, avec Aline Reviriaud (sur le personnage de Monsieur Loyal) et de la danse, avec le Grand Jeté de Frédéric Cellé  (sur le thème des garçons de piste). En dépit des circonstances, les ateliers se sont déroulés tout au long de l’année 20-21, et ont débouché sur des restitutions publiques dans le parc de l’hôpital, l’été presque venu. « Quand les blouses tombent ». C’est donc sous une chaleur accablante, le 16 juin, que la foule s’est massée sur les gradins du chapiteau Lili. Aux artistes qui animaient les ateliers, et aux apprenti.e.s artistes qui y ont participé, se sont joints les trois jeunes circassiens du projet Faille. Léa Leprêtre, Johannes Holm Veje et Martin Richard, en salopette bleue et entre deux auditons, se sont mis à escalader les poteaux, ou à envoyer valser une grande échelle à trois centimètres de leurs têtes, suscitant les « ah » et les « oh » d’une foule attentive. Messieurs et mesdames Loyaux Loyales all inclusive, jonglages avec quilles, ballons de baudruche, sacs plastique, plumes de paon ; numéros de magicien avec cartes ; clown fou, clown flou ; chat-lion (ce cirque a encore des animaux !) ; périlleux exercice d’auto-hypnose involontaire – il ne manquait rien à ce tour de piste chaleureux et émouvant. « C’est le cirque qui est rentré dans ma tête », disait un des jeunes écrivains à l’orée du spectacle. La restitution reste un moment de joie arraché à l’angoisse, une rencontre qui abolit les frontières entre la supposée normalité et le pathologique. Il permet même, nous a-t-on dit, de singuliers « progrès » pour certains et certaines – fût-ce vaincre une peur – celle des ballons de baudruche qui pourraient éclater.   © Xavier Cario     « La Piste aux étoiles filantes !  (l’audition) » de la Compagnie Jérome Thomas Aline Reviriaud Frédéric Cellé, Cie Le Grand Jeté Le Trio Faille avec : les patients et patientes, soignants et soignantes du CHLC   Spectacle vu le 16 juin 2021 Durée 1 h 10   Cirque Lili Centre Hospitalier La Chartreuse 1 Bd Chanoine Kir 21000 Dijon      Read More →
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La Mouette d’Anton Tchekhov, travail en cours à l’ESCA, Asnières
  © Miliana Bidault   ƒƒƒ article de Corinne François-Denève L’ESCA, à Asnières, est une école à part dans l’écosystème théâtral français : école supérieure, elle propose à ses élèves, qui peuvent avoir jusqu’à 30 ans, une professionnalisation dès leur cursus de formation. Suivant ateliers, cours, stages et master class pendant leurs années d’études, comme leurs camarades des autres écoles supérieures, les élèves comédien.ne.s d’Asnières sont en effet également apprenti.e.s, et donc engagé.e.s dans des spectacles professionnels dès leur entrée dans l’école. Les trois années sont donc mélangées, au gré des contrats extérieurs. Paul Desveaux et Tatiana Breidi, anciens élèves de l’École, en assurent la direction depuis 2020. Le mois de juin 2021, au terme d’une année difficile mais fertile en réflexions pour le spectacle vivant, entre reports, annulations et occupations, a été marqué par quatre semaines de travail sur La Mouette de Tchekhov, texte idéal sur la création, le métier de comédienne ou de dramaturge. Paul Desveaux a voulu travailler le texte à l’os, en le débarrassant des oripeaux et ornements naturalistes, rappelant bien aux élèves que Tchekhov concevait ses textes comme des comédies. Il propose toutefois aux élèves de travailler une dramaturgie plurielle, avec le support de la vidéo ou, par exemple, de la musique issue des portables. Les scènes se succèdent sur le plateau. Le début est cinématographique : « Silence ! Action ! ». Paul Desveaux ne les interrompt que lorsqu’il s’agit de relancer un élève qui semble soudain d’interroger, ou perdre son texte : « Reprends ». Il incite, avec bienveillance, les élèves à trouver un rythme, un appui, à gérer un silence, avec l’idée « d’agrandir la détente », ou de « créer une fiction », avec un public. « Laisse faire », murmure-t-il à l’acteur ou à l’actrice que le texte commence à envahir. La fin d’une scène laisse éclater cris, soupirs ou rires des élèves spectateurs; on passe à des remarques – mais qu’en est-il du socialisme de Tchekhov ? « Porter sa croix », « avoir la foi », est-ce que ça a rapport avec la religion, ou la vocation, le dévouement à son art ? Comment Arkadina peut-elle dire vouloir la gloire ?, s’interroge, idéale, une jeune comédienne. « J’étais moins là, mais plus honnête », constate avec surprise un de ses camarades. Ce jour-là, nous avons vu, entre autres, Delphine Lacheteau, Julien Despont, Amandine Doisteau, Aurélien Fayet… Ce travail en cours précède la création, en février 2022, de La Mouette, avec Anne Azoulay, et des élèves comédiens et comédiennes de l’ESCA.   © Miliana Bidault   La Mouette, d’Anton Tchekhov Mise en scène de Paul Desveaux Avec les comédiens et comédiennes apprenti.e.s de l’ESCA   Travail en cours, vu le 11 juin 2021 Création en février 2022   ESCA 3, rue Edmond Fantin 92600 Asnières sur Seine www.studio-asnieres.com      Read More →
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Le Lac des cygnes, chorégraphie d’Angelin Preljocaj, Théâtre National de la Danse Chaillot Paris
  © Jean-Claude Carbonne   ƒƒƒ article de Marta Plou Que les fans du Lac des cygnes classique, ceux du Preljocaj le plus rigoureux, ainsi que les amateurs de féerie jeunes et vieux accourent ! Tous seront comblés et même chamboulés ! Le prolifique Angelin Preljocaj et sa compagnie installée au Pavillon Noir CCN d’Aix-en-Provence, redonnent vie à ce ballet mythique. Sauf que jamais on n’avait écouté de cette façon la partition symphonique et les thèmes géniaux de Tchaïkovski ! La chorégraphie, entièrement réécrite, taillée au couteau, témoigne d’un profond sens musical. On y retrouve la gestuelle inventive et méticuleuse du chorégraphe, illustrant ce qu’on pourrait appeler une belle créolité chorégraphique, non sans célébrer l’héritage historique. Revisitant les images phares du ballet de Marius Petipa notamment, empruntant l’énergie terrienne du Cygne de Mats Ek, les attitudes et les développés sont déclinés en suspension ou en animalité, accolés aux déplacements et corporéités du contemporain. Pas une minute de trop pour cette pièce portée par une vision chorégraphique forte et une technique parfaite. La fable germanique à l’origine du livret acquiert une puissance dramatique inespérée grâce à une transposition au contexte actuel réussie. Elle repose sur la réinvention du personnage de Siegfried : comme le prince d’origine, celui-ci appartient de par sa naissance à la classe dominante, non plus royale mais celle du pouvoir financier et industriel. Son père coopère par intérêt ordinaire avec le vil Rothbart et ses hommes de main qui lui présentent un projet industriel polluant — raffinerie, extraction pétrolière ou autre usine. Il est entouré par toute une gent urbaine, mécanique, conforme, consommatrice de loisirs et de gaieté affichée. La danse et les costumes sont vifs et fiers, marquant les temps de gestes fortuits et de déplacements carrés — l’orthogonalité dominant les angles mêmes des articulations (coudes, poignets, genoux…) autant que les orientations dans l’espace. Mais Preljocaj soulève le voile. Une des nombreuses scènes rajoutées grâce au brillant relais musical électronique créé par 79D : un virage soudain délite la fluidité du mouvement et des stroboscopes finissent de le déréaliser. La Cour en transe festive s’agglutine jusqu’à être prise dans l’image d’une vague humaine, qui s’achève sur celle de gens saouls ou agonisant à terre autour du père et du fils qui se fixent du regard, debout, comme une vision apocalyptique prémonitoire. Car ce fils, incarné par Leonardo Cremaschi, ne se conforme pas ; il est attiré par les eaux du lac et les mystères de l’amour, par ce qui échappe, la nature, les cygnes. Ce n’est plus l’histoire d’une impuissance ou d’un amour impossible mais celle d’un amour ou d’un idéal perdu, l’histoire d’un gâchis. Preljocaj fait un zoom arrière pour inclure la tragédie de la mort du cygne dans l’anthropocène : mort symbolique et massacre réel ; sur fond d’images d’usines démultipliées s’érigeant ou sombrant interminablement, les cygnes agonisent, les membres englués dans une immobilité grandissante, dans une nappe de mazout ou dans la sécheresse d’un monde déloyal. L’ambivalence du blanc et du noir, l’incertitude et la menace sous-jacente deviennent un principe qui parcourt l’ensemble de la pièce et des personnages. Odile, débarrassée de l’interprétation caricaturale de séductrice, revit ! La mère, Clara Freschel, devient également un personnage très intéressant : complice du père et faire valoir social, proche du fils par ailleurs, à l’amour trouble développé dans un duo remarquable, décliné en deux versions, entre tendresse, séduction et piéta à la fois future et présente. Inoubliable et parfaitement onirique est la scène du fond du lac, avec la vidéo des rayons de lumières filtrant depuis la surface. On renoue avec la précision des décors de la tradition narrative mais rien qu’avec les lumières, celles d’Eric Soyer ! En contrepoint de l’entrée des cygnes, prouesse technique de vitesse et d’homogénéité : un passage électro étouffé aux basses profondes, tempo lent et bruits métalliques d’horlogerie sur le mouvement ralenti des cygnes. Symétrie et répétition du même, transforment les cygnes graciles en vision étrange et possiblement cauchemardesque, tandis que la vidéo, partie prenante de la danse, évolue en masses d’ombre et de lumière de qualité aqueuse, d’indéfinissables profondeurs, de voies lactées ou méduses opalescentes. Nous sommes traversés, galvanisés, séduits, et pourtant tout coule, comme une rivière. Le lac est féérique, cette pièce est fascinante.   © Jean-Claude Carbonne     Le Lac des cygnes, d’Angelin Preljocaj Chorégraphie : Angelin Preljocaj Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski Musique additionnelle : 79D Vidéo : Boris Labbé Costumes : Igor Chapurin Lumières : Éric Soyer Assistant : Youri Aharon van den Bosch Répétitrice : Cécile Médour Choréologue : Dany Lévêque   Avec les danseurs : Isabel García López, Leonardo Cremaschi, Clara Freschel, Baptiste Coissieu, Antoine Dubois, Lucile Boulay, Celian Bruni, Elliot Bussinet, Zoé Charpentier, Mirea Delogu, Lucia Deville, Jack Gibbs, Mar Gómez Ballester, Naïse Hagneré, Verity Jacobsen, Erwan Jean-Pouvreau, Jordan Kindell, Beatrice La Fata, Laurent Le Gall, Théa Martin, Víctor Martínez Cáliz, Florine Pegat-Toquet, Agathe Peluso, Mireia Reyes Valenciano, Khevyn Sigismondi, Manuela Spera, Micol Taiana   Distributions : Odette – Odile : Isabel García López / Théa Martin Siegfried : Leonardo Cremaschi / Laurent le Gall Mère de Siegfried : Clara Freschel / Mirea Delogu Père de Siegfried : Baptiste Coissieu / Simon Ripert Rothbart : Antoine Dubois   Du 10 au 26 juin 2021 à 20 h, sauf les jeudis à 19 h, les dimanches à 15 h 30, relâche les lundis. Durée 1 h 50   Théâtre National de la Danse Chaillot 1, place du Trocadéro 75016 Paris   Réservation au 01 53 65 30 00 www.theatre-chaillot.fr     Tournée 1 et 2 juillet 2021 à 20 h Opéra de Massy 1 Place de France 91300 Massy Réservation 01 60 13 13 13 www.opera-massy.com   Les 9 juillet 2021 à 20 h 30, 10 juillet à 19 h et 11 juillet à 17 h Teatro Nuovo Gian Carlo Menotti, Festival dei due mondi – Spoleto Via Sant’Andrea, 20 06049 Spoleto PG Italie Réservation :  +39 0743 222 889 www.festivaldispoleto.com   Le 7 octobre 2021 à 20 h 30 Arena du pays d’Aix – Aix en Provence 1955 rue Claude Nicolas Ledoux 13090 Aix en Provence        Read More →
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