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Que ta volonté soit Kin, de Sinzo Aanza, mis en scène par Aristide Tarnagda, Ateliers Berthier-Odéon Théâtre de l’Europe

Juil 05, 2021 | Commentaires fermés sur Que ta volonté soit Kin, de Sinzo Aanza, mis en scène par Aristide Tarnagda, Ateliers Berthier-Odéon Théâtre de l’Europe

 

© Géry Barbot

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Le titre du spectacle du poète-écrivain-photographe Congolais Sinzo Aanza interpelle d’emblée et trouve toute sa justification au fil du spectacle.

« Que ta volonté soit », imprécation incomplète, suivie de « Kin » au lieu de « faite » renseigne immédiatement sur le tiraillement entre fatalisme et reconnaissance pour une ville plutôt que pour une divinité, ou pour une ville divinisée de manière ironique et même blasphématoire avec l’omniprésence de la rhétorique chrétienne dans un esprit systématique de dérision.

« Kin » pour Kinshasa ou plutôt un petit bout de la capitale de la République démocratique du Congo, une de ses rues ou même une petite portion de l’une de ces rues, qui s’est appelée un temps « Vingt-quatre Novembre », qui s’appelle aujourd’hui « Avenue de la Libération » ou qui pourrait être l’Avenue des Naufragés comme le suggère un des personnages et qui s’appellera sans doute autrement lors d’un prochain changement de régime politique. Il est toutefois peu question de politique dans ce spectacle, même si plusieurs références sont faites à Lumumba et à la responsabilité du pouvoir dans les coupures d’électricité.

On entend d’abord une guitare et un chant qui semblent se poser sur le mur ocre et délabré d’une rue qui pourrait être celle d’un village, mais qui est celle de l’une des villes les plus peuplées d’Afrique. Puis le fond sonore plus intense de cette mégapole s’impose peu à peu. Des bruits de moteur, de bavardages, de disputes, d’animaux, de fornication, de télévision et de radio s’installent en même temps que des morceaux de vie dans chaque coin du plateau. Un groupe d’hommes qui jouent et boivent, un autre qui se recoiffe devant ce que l’on devine être un bout de miroir, une femme seule accroupie, pensive, qui semble insensible à ce qui l’entoure, une autre pleine d’énergie et d’allant qui se déhanche. Des sons et des gestuelles, des corps très sexualisés, qui s’incrustent dans une ville en perpétuel mouvement, mais qui s’arrêtent brusquement quelques instants, plusieurs fois par jour, au gré des pannes de courant. Ces pannes qui plongent la ville et le plateau dans l’obscurité rythment le spectacle à la fois réaliste et poétique de Sinzo Aanza.

Créé en extérieur le 26 octobre 2018 lors de la 10ème édition des Récréâtrales à Ouagadougou (Burkina Faso) par Aristide Tarnagda, Que ta volonté soit Kin a été monté par la force des choses en intérieur aux Ateliers Berthier dans le cadre du Festival d’Automne à Paris et de la Saison Africa2020.

L’auteur et metteur en scène burkinabé, qui a également créé Plaidoirie pour vendre le Congo de Aanza, a réussi avec ses scénographes à recréer dans cette unité de lieu une atmosphère résolument africaine mais incontestablement commune à des milliers d’autres routes sur d’autres continents, en dressant des portraits de vies parallèles, des solitudes qui s’entrechoquent, s’affrontent, mais aussi s’entraident, se soutiennent dans la violence, la brutalité de l’existence, de la lutte pour survivre, même quand les corps se sentent humiliés dans le présent, que l’esprit vagabonde ailleurs pour retrouver du sens à l’ici et maintenant, parce que le quotidien ne peut être toléré ou supporté qu’à travers la rêverie. La solidarité humaine, notamment entre femmes, face au deuil, au sens propre ou figuré, d’un être aimé ou fantasmé, d’un amour perdu ou imaginé (ce que l’on ne se saura pas vraiment pour Sophie), face à la barbarie (terme plusieurs fois employé) de l’existence. La distribution révèle plusieurs comédiens talentueux (en particulier Ami Akofa dans le rôle de Lily) qui donnent une énergie ininterrompue au spectacle, y compris dans les passages où le texte est le plus faible ou moins convaincant (par exemple certaines formules du type comme « la nouvelle de ta mort me donne envie d’uriner mon âme » ou « Notre Seigneur est un DJ »).

C’est toute la subtilité de ce texte et de ce spectacle qui offrent une forme de rêverie cruelle, aussi réaliste que poétique, aussi lyrique que tragique dans sa démonstration de la laideur (y compris à travers la langue) et l’injustice du monde où percent quelques lueurs d’espoir et de grâce sur le chemin qu’est la vie, pour continuer à y croire un peu.

 

© Géry Barbot

 

Que ta volonté soit Kin, de Sinzo Aanza

Mise en scène Aristide Tarnagda

Avec : Ibrahima Bah, Jeanne Diama, Serge Henry, Ami Akofa Kougbenou, Kader Lassina Toure, Daddy Nkuanga Mboko, Hilaire Nana, R2mi Yameogo

Scénographie : Charles Ouitin Kouadjo, Patrick Janvier

Lumière : Mohamed Kabore

Son : Hugues Germain

Régie générale : Charlotte Humbert

Costumes : Léa Vayrou

 

 

Durée 1 h 30

Jusqu’au 10 juillet à 20 h

 

 

 

Ateliers Berthier – Odéon – Théâtre de l’Europe

1 rue André Suarès,

75017 Paris

www.theatre-odeon.eu

 

 

 

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