À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Le monde et son contraire, texte Leslie Kaplan, mis en scène Elise Vigier aux Plateaux Sauvages, Paris

Le monde et son contraire, texte Leslie Kaplan, mis en scène Elise Vigier aux Plateaux Sauvages, Paris

Juin 30, 2021 | Commentaires fermés sur Le monde et son contraire, texte Leslie Kaplan, mis en scène Elise Vigier aux Plateaux Sauvages, Paris

 

© Pauline Le Goff

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

« On m’a souvent dit que je ressemblais à Kafka ». L’amorce est nette, sans hésitation. Une entrée en matière qui est une entrée en scène, incisive comme sait l’être le trait de plume de Franz Kafka. De cette ressemblance, comme de cette métamorphose du narrateur au lever du soleil dans la fameuse nouvelle du même Franz, tout un monde surgira. Et son contraire.

De la ressemblance, il y aurait beaucoup de chose à dire, et d’abord, qu’elle est cette magie capable de faire coexister en une personne unique deux êtres pourtant distincts. Dans la ressemblance il y a des lignes de convergence, et d’autres qui s’éloignent. Il y a un écart, forcément, et dans cet écart, plus ou moins grand, se glisse l’acteur. Qu’un acteur dise, d’entrée de jeu, « on m’a souvent dit que je ressemblais à Kafka », et pour le spectateur c’est tout un jeu du chat et de la souris qui démarre. L’exercice est ici d’autant plus vertigineux que Leslie Kaplan dresse en quelque sorte le portrait de Kafka en creux du portrait de l’acteur, Marc Bertin, ou vice-versa.

Le monde et son contraire est empreint de cette dualité formelle, l’acteur étant rejoint par Jim Couturier, le danseur. Se compose alors un étrange pas de deux, sans que jamais l’on ne démêle lequel précéderait l’autre, récit et mouvement comme deux fils emmêlés. Le danseur, tout de noir vêtu, sweat à capuche, comme une ombre portée, tête en bas, telle une idée qui se déploierait en toute liberté, faisant fi de toutes les lois, de la pesanteur et des autres. Le ballet de Jim, si l’on ose l’appeler ainsi, ne fait aucunement diversion au récit de Marc, l’inscrit au plateau comme les lettres typographiées l’écriraient sur la page planche d’un livre. Allons plus loin : cette danse serait comme la chanson de geste indomptée de la pensée, divagante, ironique sur le monde, avant qu’elle ne se condense et réduise à une parole, à un écrit.

Le monde et son contraire est un avatar du monde de l’écrivain, et de celui de l’écriture, un monde en noir et blanc, à l’image du sol recouvert des tapis de danse blancs, d’où se détachent le petit bureau, la chaise et la corbeille à papiers, noirs. Un monde où les images se forment et se décollent comme des frises que l’on fixe aux murs. Des images, comme des citations, faisant œuvre dans l’écart, comme cette petite légion de chapeaux melons alignés au sol semblant surgir d’un tableau de Magritte…

Leslie Kaplan et Marc Bertin effectuent la pensée de Kafka en ce sens où ils lui redonnent un espace de résonance aux prises avec notre contemporain, sans jamais la trahir. Qu’il s’agisse de cette puissance d’inversion, où celui qui est injurié, accueille l’injure, la prend sur lui, s’en fait une carapace, telle une métamorphose, avant de la retourner à l’envoyeur, qu’il s’agisse de ces « chaînes de papier » si bien décrites dans Le Château, phénomène de déshumanisation du lien humain qui a gagné toutes les époques et tous les secteurs, notamment celui de l’entreprise, les mots de Kafka brillent toujours avec toute leur acuité comme un indépassable phare.

Dans ce cheminement de la pensée, dans cet hommage à Kafka, il y a la parole d’un acteur. Marc Bertin, qui se découvre par petites touches, qui se livre à ce jeu de la ressemblance, qui converse avec nous dans une simplicité qui ne s’interdit pas la profondeur, et le trouble. C’est beau, un acteur. C’est ce que l’on se dit en sortant des Plateaux Sauvages, et c’est probablement ce qu’a pensé Leslie Kaplan en écrivant ce texte pour Marc Bertin. De ce geste accompli à plusieurs mains, celles de Franz Kafka, Leslie Kaplan, Marc Bertin, Jim Couturier et Elise Vigier, tricotant les admirations, les aveux, les élans et les tendresses, naît un véritable bonheur du partage. Et de la métamorphose qui œuvre en chaque spectateur.

 

© Pauline Le Goff

 

Le monde et son contraire, de Leslie Kaplan

Mise en scène Élise Vigier

Avec Marc Bertin et Jim Couturier

Musique originale Manu Léonard et Marc Sens

Régie générale et lumières Clara Pannet

 

Du 21 juin au 3 juillet 2021 (relâche le samedi 26 juin)

Lundi-vendredi à 20 h / samedi à 14 h 30 et 18 h

 

Les Plateaux Sauvages

5 Rue des Plâtrières

75020 Paris

Tél. : 01 83 75 55 70

https://lesplateauxsauvages.fr

 

Théâtre des Cordes, Comédie de Caen – CDN de Normandie

32 rue des Cordes

14000 Caen

23 et 24 septembre 2021 à 19h

Tél : 02 31 46 27 29

https://www.comediedecaen.com

 

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed