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Faith, Hope and Charity, texte et mise en scène Alexandre Zeldin, au Théâtre National de l’Odéon

Juin 25, 2021 | Commentaires fermés sur Faith, Hope and Charity, texte et mise en scène Alexandre Zeldin, au Théâtre National de l’Odéon

 

 

©  Sarah Lee

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Aux Ateliers Berthier, ce n’est pas le petit pan de mur jaune cher à Proust, mais un pan de décor immense, comme une part prélevée au réel. Une pauvreté monumentale, érigée comme un portail de cathédrale, signée au coin gauche d’un petit radiateur électrique tout rouillé, et d’un rideau qui ne serait pas celui d’un théâtre au velours rouge, mais d’une porte-fenêtre à la toile synthétique crasseuse, pendant comme une relique inutile à l’entrée d’un patio.

Ce réel que l’on finit, indifférent ou aveuglé, par ne plus voir, Alexander Zeldin le plante sur le plateau pour ce qu’il est véritablement : un fond, d’où se détacheront, comme en peinture, des figures humaines, héroïques, mais un fond qui, tout autant, menacerait de les absorber, les aspirant corps et âmes dans telle catégorie sociale, les rendant indiscernables, invisibilisant ces êtres comme le font les statistiques, les réduisant enfin à leur stigmate. Et l’on se surprend soi-même à user de ces œillères migrant, mère isolée, handicapé, sans domicile lorsqu’ils pénètrent et viennent grossir pour la première fois la file d’attente de l’aide sociale dispensée par ce centre associatif. En ce sens, le parcours émotionnel du spectateur n’est pas loin d’une rédemption, abandonnant ses préjugés et accommodant progressivement son regard à la vérité sensible et singulière de chacun. C’est en cela que le théâtre d’Alexander Zeldin nous bouleverse tant, au-delà de la force mélodramatique de ce qu’il nous raconte : par la révolution qu’il produit dans l’économie des regards.

Si notre société est de plus en plus remplie de cas sociaux et d’éclopés de la vie, elle produit aussi son pendant : des éclopés du regard. Le théâtre d’Alexander Zeldin agit non pas pour nous rappeler cette réalité, ce qui serait d’une vaine et douteuse prétention, mais pour déconstruire le regard distancé et déformé que nous avons construit en société pour faire face à cette réalité que nous ne saurions voir.

Par petite touches, à la manière d’un peintre impressionniste, ou d’un Tchekhov peignant son contemporain, Alexander Zeldin approche et creuse ces questions de représentation, de réel, comme rarement on l’a vu sur une scène. Son théâtre est un théâtre de transformation. Il y a pour le spectateur un avant et un après avoir vu Faith, Hope and Charity. Son théâtre est éminemment politique. Non pas, comme chez Ken Loach, par la mise en lumière d’une profonde injustice et des implacables rouages d’un système qui broie les êtres, mais par cette expérience proposée au spectateur d’un regard qui ferait enfin corps avec ceux qu’il voit. Un décloisonnement du monde tel que nous y vivons habituellement, à l’instar du public installé de plain-pied sur le plateau dans un dispositif tri-frontal.

Alexander Zeldin écrit à hauteur d’homme, et pour cela Faith, Hope and Charity résonne autant en chacun de nous. Faith, Hope and Charity n’est d’ailleurs pas la trinité de vertus affichées en étendard, mais les prénoms de trois femmes, dont il sera question au détour d’une conversation. Alexander Zeldin ne se paye pas de mots, et ses actrices et acteurs non plus. Une justesse qui apparaît comme une justice dans cette entreprise qu’ils portent tous magnifiquement ensemble. Tout dans les postures, les réserves, les retenues ou les déferlements racontent autant que ce qui est dit, toujours avec parcimonie. Il y a une économie du langage qui n’est pas une pauvreté. Il y a une intelligence de la vie qui est universelle, trouvant son vocabulaire et sa grammaire propres à chacun. Dans cette attention et dans cette écoute à cet autre, socialement différent de soi, il y a, mis en œuvre par Alexander Zeldin toute la philosophie de Jacques Rancière. Parler les mots de l’autre.

Alors que le centre social prend des allures d’arche de Noé sous le déluge des avanies, ce que Hazel et Mason les deux volontaires, sauvent par leurs gestes quotidiens et leurs mots de rien, c’est tout simplement, pour reprendre le titre de l’indispensable récit de Robert Anthelme, l’espèce humaine.

 

 

©  Sarah Lee

 

 

Faith, Hope and Charity

Texte et mise en scène : Alexander Zeldin

Avec : Lucy Black, Tia Dutt, Llewella Gideon, Tricia Hitchcock, Dayo Koleosho, Joseph Langdon, Shelley McDonald, Michael Moreland, Sean O’Callaghan, Bobby Stallwood, Posy Sterling, Hind Swareldahab

Scénographie, costumes : Natasha Jenkins

Lumière : Marc Williams

Son : Josh Anio Grigg

Travail du mouvement : Marcin Rudy

Durée 2 h

Du 16 au 26 juin du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 14 h et 20 h, dimanche à 15 h

 

Théâtre National de l’Odéon

Ateliers Berthier

1 Rue André-Suarès, 75017 Paris

Réservation : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

 

 

 

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