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10 000 gestes, chorégraphie de Boris Charmatz, La Villette / Festival d’Automne à Paris

Juil 05, 2021 | Commentaires fermés sur 10 000 gestes, chorégraphie de Boris Charmatz, La Villette / Festival d’Automne à Paris

 

© Alighiero Boetti

 

fff article de Denis Sanglard

Une explosion. Une forêt touffue de gestes dans laquelle on se perd, on s’égare avec un bonheur fou. Boris Charmatz, trublion génial et pas encore assagi, dieu merci, de la danse contemporaine, a toujours ce don de pousser à chaque fois un peu plus loin les limites de la danse, provocation heureuse parfois détestée – tant pis pour les pisses-froids – lesquelles déstabilisent les spectateurs qui, avouons-le, ne rechignent pas à ce pas-de-côté délibéré jamais vraiment transgressif et toujours cohérent. Boris Charmatz est un chercheur, un explorateur mais aussi un amoureux de la danse qu’il secoue ferme comme un prunier pour en faire tomber les fruits. Jamais vraiment là où on l’attend, au risque de l’échec, ces chorégraphies sont de formidables pied-de-nez mais également une interrogation permanente, jamais inquiète, sur la danse et ses possibles.

10 000 gestes est un hommage à ce que la danse a de précieux, son impermanence. Que reste-t-il d’un geste, d’un mouvement, une fois l’espace griffée, traversée ? Rien. Rien d’autre qu’une sensation, une brûlure parfois, quelque chose de fugace et d’éphémère, qui fait toute la beauté et le dérisoire d’un art qui lutte en vain et sciemment contre cette impermanence. Et notre mémoire fragile pour tenter de reconstituer ce qui a disparu ou n’a jamais eu lieu. Mais cet éphémère-là, Boris Charmatz en fait le centre d’un cyclone, une apocalypse joyeuse, qui aspire tout, balaye tout sur le plateau et jusque la salle bientôt envahie elle aussi. Ils sont 23 sur le plateau, à chaque danseur sa partition propre, sa chorégraphie personnelle dont l’originalité est d’être un flux continu jamais répétitif, jamais identique, différencié de son voisin. Alors chaque danseur s’en donne à «chœur» joie. Boris Charmatz leur a donné toute liberté d’inventer. C’est un joyeux boxon, parfaitement maîtrisé – Boris Charmatz est un petit malin qui ne lâche rien –, composition furieuse, qui monte crescendo où chacun y va de sa pratique, de son expérience, de son vécu, de son énergie, de sa folie. Gestes académiques ou purement triviaux, élégants ou vulgaires, entrechats légers ou chutes lourdes, claques ou baisers, hurlements ou soupirs, en masse compacte ou résolument seul, sur le plateau, au bord du plateau, en son lointain, en dehors du plateau, en coulisse ou dans le public soudain envahi et très vite abandonné à qui l’on murmure à l’oreille le chiffre atteint et qui ne cesse de gonfler. On se surprend même à compter avec eux…c’est une humanité grouillante, vivante, pétaradante. Tout ça va vite, très vite, file a toute berzingue. On ne saisit pas tout, pas le temps, on s’en fiche d’ailleurs, on happe ce qu’on peut, on s’attarde sur certains au risque de perdre les autres… Ce qui se passe sur le plateau est tout simplement inouï. Parfois on devine un geste collectif qui parcours l’ensemble, ébauche d’une chorégraphie commune – Boris Charmatz est passé par là, il repassera plus tard par ici – et fait frissonner cette masse, la coaguler, aller d’un même élan avant de se diluer, chorégraphie avalée tout cru, recrachée, digérée, dans cette agitation monstre et mouvante. Parfois encore on aperçoit des tableaux vivants, Géricault et sa méduse, Bosch en son jardin, aussitôt composés aussitôt défaits, effacés. Et sur le requiem de Mozart qui s’entête, sacré ironie pour fêter ici ce qui ne cesse de mourir à peine amorcé, Boris Charmatz signe une ode à la joie. Parce que la danse c’est toujours plus que la danse avec ce chorégraphe inventif au sourire de renard. Une célébration du vivre ensemble, du collectif, de l’urgence, du vivant paradoxal dont la danse est la monstration. En cela il rejoint Pina Bausch et son injonction « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus. » Injonction qu’il retourne comme un gant et à sa manière toute personnelle. C’est également, et pas le moindre des paradoxes, cette perte que célèbre Boris Charmatz, cette perte qui fait toute la valeur, la richesse, la beauté immarcescible de la danse.

 

 

10 000 gestes chorégraphie de Boris Charmatz


Interprétation : Or Avishay, Régis Badel, J.Batut, Nadia Beugré, Alina Bilokon, Nuno Bizarro, Mathieu Burner, Ashley Chen, Konan Dayot, Olga Dukhovnaya, Sidonie Duret, Julien Gallée-Ferré, Kerem Gelebek, Alexis Hedouin, Rémy Héritier, Samuel Lefeuvre, Johanna Elisa Lemke, Noé Pellencin, Solene Wachter, Frank Willens

Matériaux sonores : Requiem en ré mineur K.626 de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), interprété par l’Orchestre Philharmonique de Vienne, direction Herbert von Karajan, enregistré au Musikverein (Vienne) en 1986 (1987 Polydor International GmbH, Hambourg) ; enregistrements de terrain par Mathieu Morel à Mayfield Depot, Manchester
Assistante chorégraphie : Magali Caillet-Gajan
Lumières : Yves Godin
Costumes : Jean-Paul Lespagnard
Travail vocal : Dalila Khatir
Régie son : Olivier Renouf
Régie générale : Fabrice Le Fur
Habilleuse : Marion Régnier

 

Du 6 au 8 juillet 2021 à 22 heures

 

La Villette / Festival d’Automne à Paris

211, avenue Jean Jaurès, 75019 Paris
Téléphone 01 40 03 75 75

www.lavillette.com

 

 

 

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