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Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare, mis en scène par Maïs Sandoz et Paul Moulin, Théâtre de la Cité – CDN Toulouse Occitanie

Juin 25, 2021 | Commentaires fermés sur Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare, mis en scène par Maïs Sandoz et Paul Moulin, Théâtre de la Cité – CDN Toulouse Occitanie

 

 

© Kenza Vannoni

 

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

La compagnie L’Argument s’est attaquée avec passion à Beaucoup de bruit pour rien, l’une des œuvres de Shakespeare dont l’intitulé est devenu presque une maxime, mais dont le contenu n’est pas si bien connu du grand public. Il faut dire que les deux intrigues amoureuses peuvent avoir sur le papier quelque chose d’un peu suranné : Claudio et Héro s’aiment, mais un complot ourdi par le fourbe Don Juan, aidé de Borachio, va frôler le drame, tandis que Béatrice et Bénédict, deux célibataires endurcis, s’insultent plutôt que d’échanger des mots doux afin de préserver leur réputation. Les deux histoires se terminent bien, même si rien n’est moins sûr que les deux couples vivront heureux et auront beaucoup d’enfants !

Pour remettre les deux farces entremêlées au goût du jour, Maïa Sandoz et Paul Moulin ont fait le pari, assez largement réussi, d’opérer une transposition partielle de la comédie dans l’époque actuelle, qui respecte totalement l’esprit shakespearien par le savant équilibre entre des intrigues amoureuses (la pièce fait partie de la partie intitulée « Les Jaloux » dans l’édition traduite par le fils Hugo), une dimension onirique et un humour faisant appel au grotesque, à la farce joyeuse, aux jeux du langage, à l’ironie subversive et à la musique.

Les ajouts opérés par les traducteurs-adaptateurs du texte d’origine de Beaucoup de bruit pour rien ne trahissent nullement l’œuvre et la prolongent notamment les thématiques du complotisme et de la calomnie par des références appuyées à la crise de la Covid (une arrestation exigeant le port du masque, la production d’un document d’identité et d’un test PCR ; une référence au confinement), aux violences policières et autres clins d’œil aux traumatismes contemporains, qui gardent du sens dans le déroulement de la pièce. D’autres allusions au temps politique présent semblent moins, voire pas du tout, pertinentes (comme le « Macron démission »), non pas pour leur impertinence, mais pour leur inadéquation avec l’œuvre elle-même (une des rares pièces de Shakespeare qui ne met pas en jeu les rapports de pouvoirs politiques). En revanche, les mentions de nouveaux réflexes et évolutions de la langue orale, que ce soient des anglicismes (« win win ») renvoyant par ailleurs parfois parallèlement à des scandales ou préoccupations actuelles (« fake news », porn revenge »…) ou des emprunts au vocabulaire de l’entreprise ou du marketing (« N+1 »…), correspondent pleinement à la manière dont Shakespeare entendait utiliser le verbe, c’est-à-dire un savant mélange de langages châtié et populaire, utilisant les double-sens de certains mots, leur part péjorative ou triviale, leur allusions sexuelles plus ou moins directes. Et encore plus surprenants sont les passages où l’on croit qu’ils relèvent de l’adaptation alors qu’ils sont simplement le texte de Shakespeare, dont l’étonnante modernité est confondante, notamment dans les propos de la très féministe Béatrice qui trouve « affligeant pour une femme d’être écrasée par un tas d’insolente poussière » (Acte II, scène I).

La mise en scène joyeuse, qui débute avant même le spectacle par une ambiance sonore (« beaucoup de bruit »…) créée dès le hall du théâtre, offre une remarquable énergie (corporelle notamment avec un grand nombre de saut et chutes maîtrisées) et de belles images (comme la descente de la mariée du haut de la salle, dont le voile est déployé sur une partie des spectateurs). Elle fait également la part qu’elles méritent à la musique et à la chanson (présence récurrente dans les didascalies), proposées « en live » avec des musiciens qui participent pleinement au spectacle, tel le guitariste au look de Brian May.

Mais il y a plus. La compagnie a travaillé son adaptation de Beaucoup de bruit pour rien de deux manières. Le soir de la troisième et dernière représentation au théâtre de la Cité à Toulouse, c’était la version enrichie par la langue des signes qui était présentée. Il ne s’agissait pas du tout de proposer une traduction basique pour le public sourd et malentendant, tel un journal télévisé sur une chaîne de télévision publique ou un discours présidentiel, mais d’impliquer totalement à la distribution habituelle les traducteurs, qui participent ainsi totalement au spectacle et lui donnent incontestablement une autre dimension qui fait réfléchir inévitablement sur le sens donné à la subtilité du langage théâtral. La corporalité qui vient suppléer l’absence de précision inhérente à la traduction en LSF (qui ne peut saisir toutes les nuances de la langue écrite et vocalisée) ramène donc le message à ses aspects essentiels.

Il y avait incontestablement beaucoup de bruit mi-juin dans le théâtre de la Cité, et ce n’était pas pour rien…

 

 

© Kenza Vannoni

 

Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare
Mise en scène : Maïa Sandoz et Paul Moulin
Distribution : Serge Biavan, Maxime Coggio, Christophe Danvin, Mathilde-Edith Mennetrier ou Elsa Verdon (rôle de Borachio), Gilles Nicolas, Paul Moulin, Soulaymane Rkiba, Aurélie Vérillon et Mélissa Zehner

Comédien.ne.s L.S.F. : Lucie Lataste et Patrick Gache

Traduction-adaptation : Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz et Paolo Sandoz
Assistante mise en scène : Clémence Barbier
Création lumière : Bruno Brinas
Création sonore et musicale : Christophe Danvin
Mise en espace sonore : Jean-François Domingues et Samuel Mazzoti
Coach vocal : Sinan Bertrand
Scénographie et costumes : Catherine Cosme
Collaboration chorégraphique : Gilles Nicolas, assisté de Stan Weiszer
Collaboration artistique : Guillaume Moitessier
Administration et production : Agnès Carré
Production et diffusion : Olivier Talpaert
Régie Générale : David Ferré
Régie Plateau : Paolo Sandoz

 

Durée : 1 h 50 estimée

 

Date et lieux :
Du 16 au 18 juin : Théâtre de la Cité, CDN Toulouse Occitanie
Le 23 juin 2021 : L’Equinoxe, Châteauroux
Le 26 juin 2021 : EMC, Saint Michel sur Orge
Du 7 au 9 juillet 2021 : MC2, Grenoble
Les 7 et 8 octobre 2021 : L’Agora, Scène nationale de L’Essonne
Du 13 au 15 octobre : Théâtre 71, Malakoff
Les 20 et 21 octobre 2021 : L’Azimut, Antony / Châtenay-Malabry
Le 23 novembre 2021 : Les 3T, Châtellerault
Le 4 mars 2022 : La Faïencerie, Creil
Du 25 au 27 mars 2022 : La ferme du Buisson, Noisiel
Le 31 mai 2022 : Théâtre des Deux rives, Charenton Le pont

 

 

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