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Sur la voie royale, de Elfriede Jelinek, mis en scène par Ludovic Lagarde, T2G Théâtre de Gennevilliers

Juin 29, 2021 | Commentaires fermés sur Sur la voie royale, de Elfriede Jelinek, mis en scène par Ludovic Lagarde, T2G Théâtre de Gennevilliers

 

 

© Gwendal Le Flem

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Christelle Tual est époustouflante. Sur la voie royale, d’après l’ouvrage éponyme d’Elfried Jelinek, semble un rôle écrit pour elle. Elle magnifie le texte et elle est magnifiée par le texte. Une heure et quarante minutes durant, dans sa diction parfaite et sa gestuelle dont la précision est stupéfiante (ces mains !), elle égrène la pensée de Jelinek comme une évidence, ce qui pour les connaisseurs du style de l’auteure autrichienne peut surprendre, tant la pensée de cette dernière est souvent complexe et tortueuse. Comme si tous ces superlatifs n’étaient pas suffisants, il faut ajouter que la mise en scène de Ludovic Lagarde frôle le prodige.

On devrait s’arrêter là pour inciter les spectateurs à se ruer vers le T2G avant le 2 juillet, et ne leur gâcher aucun plaisir de découverte tant du texte (publié chez L’Arche pour ceux qui ne l’auraient pas lu), que de la mise en scène. La lecture de ce qui suit n’est donc recommandée qu’à ceux qui ne pourraient rejoindre à temps Gennevilliers.

Le texte d’abord. Le propos principal tourne autour de l’ancien président des États-Unis Donald Trump, qui n’est pas une seule fois nommé. Mais comme souvent chez Jelinek, le texte parle aussi d’elle. Son ressenti, à partir de l’élection de 2016, son analyse de ce qui suit et qui ne tient pas compte de sa non réélection puisque le texte a été publié en 2019 et enfin d’elle et des affres de la vieillesse (« une catastrophe »), qui est l’élément finalement le moins intéressant et le plus faible du récit, quoique extrêmement courageux dans son abrupte autodérision. Mais c’est surtout un portrait à charge, comme chacun ne peut en douter, que brosse l’écrivaine Prix Nobel, de cette improbable personnalité arrivée au pouvoir de la plus grande puissance économique mondiale, ayant construit sa fortune à grands renforts de dettes, tweets provocateurs et vulgarité sexiste. Sa réussite est à la hauteur de notre aveuglement, la tare contemporaine des citoyens du monde entier, qui ne peuvent plus qu’ « entendre la vérité s’effondrer » quand le visage du tyran créateur de murs et de fake news se révèle, faute d’avoir réagi ou s’être opposés à son violent populisme.

La scénographie et la mise en scène ensuite. Les spectateurs s’installent face à un plateau (horizontal) blanc, dont la profondeur est réduite par la présence d’un grand panneau (vertical) blanc (qui s’avérera être un écran projetant couleurs et vidéos créatives, ainsi que des forêts en feu) et une chaise pivotante immaculée elle aussi.

Claire Tual arrive en sweat-shirt, casquette et canette de Coca à la main, enlève ses chaussures et s’assied face public tout en commençant un discours de prime abord un peu décousu, invoquant renoncement, culpabilité, aveuglement et enfin l’avènement d’un nouveau roi. Ce nouveau roi sera mentionné tout au long du récit pour parler de Trump, tout en filant de manière récurrente la métaphore avec le théâtre antique, en particulier Œdipe. Et alors qu’il est fait mention des dettes de ce souverain à la couronne d’or, une vraie tête brulée, Pauline Legros, commence sa ronde sur le plateau. Une performance qui durera presque la totalité du spectacle, coiffant, maquillant, habillant, accessoirisant Christèle Tual, dans un mouvement fluide et constant, sans jamais faire perdre au spectateur le fil du récit, ni amoindrir la qualité du jeu et de la voix de la comédienne travestie tour à tour en héroïne aux yeux crevés et sanguinolents, en Elfriede Jelinek avec sa coiffure « coque » caractéristique, en plusieurs versions de Donald Trump ( « normale », XXL et tête de porc), en Melania Trump et enfin en Jelinek encore, vieillarde au cheveu rare et à la peau blanchie regrettant que plus personne ne parle d’elle, avant qu’un « Angelus Novus » scintillant déploie ses petites ailes sous les auspices de Paul Klee et Walter Benjamin (pour lequel l’aquarelle est « l’ange de l’histoire » et une icône).

Les créations sonores très variées (de la musique tyrolienne au dodécaphonisme en passant par des murmures et autres sons électroniques) du compositeur autrichien Wolgang Mitterer accompagnent idéalement le ballet incessant des mots pamphlétaires et des personnages plus vrais que nature, en accord avec les superbes lumières de Sébastien Michaud.

Rien ne sonne faux dans cette création théâtrale de Ludovic Lagarde qui serait absolument jubilatoire, si elle ne produisait une si accablante mise en abîme.

 

© Gwendal Le Flem

 

 

Sur la voie royale, de Elfriede Jelinek

Mise en scène Ludovic Lagarde

Avec : Christèle Tual et Pauline Legros

Traduction : Magali Jourdan et Mathilde Sobottke

Assistante à la mise en scène : Céline Gaudier

Dramaturgie : Pauline Labib

Création musicale : Wolfgang Mitterer

Scénographie : Antoine Vasseur

Lumière : Sébastien Michaud

Son David Bichindaritz

Costumes : Marie La Rocca

Masques et Maquillage Cécile Kretschmar

Vidéo : Jérôme Tuncer

 

 

Durée 1 h 40

Jusqu’au 2 juillet, à 19 h (relâche mardi)

Tournée : de mars à juin 2022

 

 

T2G – Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National

41 avenue des Grésillons

92330 Gennevilliers

www.theatredegennevilliers.fr

 

 

 

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