© Giovanni Cittadini Cesi
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault
Le hasard fait souvent bien les choses. Un petit service rendu avec plaisir et on en ressort plus heureux encore. Roland Dubillard ? Oui son nom bien sûr, mais rien de plus, j’entends déjà trembler les autres « fauteuils de l’orchestre ». Une scène presque vide, sombre, un frigidaire géant faisant penser à un coffre-fort magique. Et deux hommes, le même, plus jeune et moins jeune, presque les mêmes idées mais pas forcément le même mélange, pas forcément le même sens, un coup ici, un coup-là. Dubillard, et ses Carnets en marge, son journal intime, que Maria Machado, compagne de Dubillard et Charlotte Escamez qui, elle, a été sa secrétaire, mettent en scène, font trembler. Et tout arrive, apparaît.
Deux hommes échangent, donc, et les dix premières minutes restent étranges, des mots résonnent, on cherche un sens, un ordre, une construction. Puis discrètement on se donne une gifle et on se dit qu’on est là pour entendre, voir, sentir. On commence tout doucement et hop ! on est entraîné ! Ces deux hommes, ces deux Dubillard vident leurs idées, leurs envies, dans tous les sens, des choses importantes ou non, de l’enfance à la vieillesse. Deux hommes échangent donc, ils sont le même et si différents, ils se donnent la main, se repoussent, s’aident et se laissent tomber, se rattrapent, sont ensemble, se chamaillant, l’un des deux semble se souvenir plus facilement, le plus jeune, l’autre étant l’essence même du présent, du maintenant, du tout de suite. Ils s’entendent bien néanmoins, une même essence à deux voix, deux corps, le même mais forcément, on a pris un journal tenu presque toute une vie, alors les images sont différentes. D’ailleurs, quand les deux Dubillard, qui se saoulent au Champagne toute la soirée, cessent de renverser leur table ou de marcher presque dans le vide, de s’élancer dans les airs, jusqu’à tout simplement tomber, quand ils n’échangent plus, juste un moment, quand ils ne s’aventurent pas dans le réfrigérateur, la musique prend le dessus, ou alors les images entrent en scène, une fillette au bord de la mer, par exemple, les remplacent, les effacent deux minutes, et nous entraînent ailleurs.
Et cette petite heure, accompagnée de ses vingt minutes, bonnes copines sans en douter un instant, nous emportent. On est avec Dubillard, avec cet homme tout simplement, et si on ne le connaissait pas, eh bien il ne se découvre pas là tout à fait, mais on se dit qu’il faut courir très vite après, pour en savoir plus, pour se laisser mener avec plus de confiance encore dans une joie certaine, lire. Accepter que les lignes droites s’avouent et rebondissent. Que les mots, le rythme, le son savent faire la fête, oui, comme si eux aussi buvaient du Champagne et savaient s’étendre, jusqu’à n’en presque plus finir. Je ne suis pas de moi est un des projets de la Compagnie Tangente, utilisant tout l’œuvre de Dubillard. Un journal intime au théâtre. Bien sûr. Le résultat est entraînant, drôle, fait réfléchir, nous perd. On est face à un ballet, on sent que la danse effectivement, n’est pas loin. Les deux corps bougent, sont. Des questions, des doutes, des réponses. De la joie et de la souffrance. Sans doute appelle-t-on ça de la vie, ici où là. On reste séduit, étonné, paumé. Denis Lavant et Samuel Mercer sont, comment dire… fabuleux ? Oui. Ils sont tous les deux sur scène, oui, mais ils sont le même, ils sont un, s’assemblent. Ils ne se comprennent pas, font semblant, et la solidarité est tenace. Le lien entre les deux est visible, superbe. On ne connaît toujours pas Dubillard, mais on veut tout faire pour que ça ne dure pas trop longtemps. Un homme fabuleux, sans aucun doute, qui nous est offert avec beaucoup de talents.
© Giovanni Cittadini Cesi
Je ne suis pas de moi, de Roland Dubillard
Adaptation et mise en scène par Maria Machado et Charlotte Escamez
Avec Denis Lavant et Samuel Mercer
Vidéo Maya Mercer
Design sonore Guillaume Tiger
Lumière Jean Ridereau
Décor Didier Naert
Chorégraphie Julie Shanahan (Tanztheater Wuppertal Pina Bausch)
Régie Christian Lapaillote
Stagiaire mise en scène Eugénie Divry
Coordinatrice de production Danièle Ridereau
Du 10 au 23 juin 2021, 21 heures
Dimanche 15 h 30, relâche les lundis
Durée 1 h 20 environ
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu (176 places)
2Bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
T+ 01 44 95 98 00
comment closed