© Ph. Lebruman
ƒƒ article de Denis Sanglard
La famille, c’est les Atrides. Faut que ça saigne ! Ou comment tuer père et mère et sauver sa peau avant qu’ils ne vous fassent la vôtre. Lieu de toutes les névroses, des non-dits, du pas-assez-dit, du trop-dit qui vous pourrissent le cerveau et votre réveillon de Noël devenu un enfer. Lieu d’explosion, d’implosion. De solitude. De réconciliation, parfois. Toujours provisoire. Il n’y a que la vieillesse et la mort pour vous réconcilier. Et encore… Ce n’est pas la première fois que Les Chiens de Navarre s’attaquent à la famille. Sujet déjà abordé au fil de leur création mais jamais encore de front. Là, nos chiens mordent encore férocement jusqu’à l’os qu’ils rongent jusqu’à la moelle. Jeu de massacre, curée trash, cash, crue. Sanglant et scato, aussi. Avec ça des dialogues, paroles comme jets d’acides pour dissoudre ce qui restait d’amour, filial ou propre, ou ce qui en tenait lieu, cette hypocrisie, cette obligation qui vous relie les uns aux autres et qu’on dit famille. Entre amour et détestation c’est kif-kif bourricot. Nous sommes victimes et bourreaux, sado et maso. De la cuisine au salon les situations dégénèrent salement jusqu’à l’absurde, l’incontrôlable. Les chiens de Navarre dézinguent sans honte et sans coup-férir la famille qu’elle fouille et fouaille dans tous ses états les plus inavouables. Meurtre symbolique, sexe, inceste fantasmé… ici, finir aux chiottes n’est pas qu’une image. C’est une thérapie de groupe sauvage où nul ne sort indemne. C’est à hurler de rire comme toujours. Les chiens de Navarre s’en donne à cœur joie dans ce terrifiant et jubilatoire chamboule-tout. Encore une fois il démontre leur grande maîtrise dans le dérapage plus ou moins contrôlé. Peut-être davantage écrit encore que leur précédente création, moins foutraque en apparence, sans tableaux qui s’enchaînent, Les Chiens de Navarre ont comme mûri, atteint un âge de raison sans rien perdre de leur cynisme abrasif gorgé de folie, de leur causticité impitoyable. Pour preuve il y a comme une poignée de cheveux dans le bouillon, une pointe de tendresse inattendue qui conclut cette féroce création. De l’émotion chez Les Chiens de Navarre, voilà qui est nouveau et désarmant ! Parce que c’est ça aussi qui est dénoncé, notre foutue contradiction, notre tragédie d’adulte, le refus et la peur d’être un jour orphelin malgré la haine qui nous vrille… Et ces chiens-là sont tous nouveaux. Une famille recomposée pour une décomposition de la famille. Dont deux illustres Deschiens, Lorella Cravotta et Olivier Saladin ont rejoint cette meute déchaînée et qui dans l’abjection donnent le meilleur d’eux-mêmes. Parfaits parents indignes, égoïste, monstrueux et sans culpabilités aucune à vouloir se débarrasser de leur progéniture pour filer baiser au Portugal. Mais aux dignes rejetons, tout aussi frappadingues que leurs géniteurs.
© Ph. Lebruman
Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin mise en scène de Jean-Christophe Meurisse
Avec Lorella Cravotta, Charlotte Laemmel, Vincent Lécuyer, Olivier Saladin, Lucrèce Sassela, Alexandre Steiger et Hector Manuel en alternance avec Cyprien Colombo.
Collaboration artistique Amélie Philippe
Régie générale François Sallé
Régie générale plateau Nicolas Guellier
Création lumières Stéphane Lebaleur et Jérôme Pérez
Régie Lumière Stéphane Lebaleur
Création son Isabelle Fuchs et Jean-François Thomelin
Régie son Isabelle Fuchs ou Pierre Routin
Costumes et régie plateau Sophie Rossignol
Décors et construction François Gauthier-Lafaye
Du 11 juin au 4 juillet 2021
Durée 1 h 30
Théâtre des Bouffes du Nord
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