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A D-N, de Régine Chopinot, à la MC93 de Bobigny

Juin 11, 2021 | Commentaires fermés sur A D-N, de Régine Chopinot, à la MC93 de Bobigny

 

© Vincent Lappartient

 

ƒ article de Marguerite Papazoglou

Un trio féminin pour le mouvement et un trio masculin pour l’écrin — espace, lumière et son : c’est en sextet que la compagnie présente le spectacle, donnant ainsi une place égale à la création de l’espace vide et à celle de la forme. La feuille de salle nous introduit dans l’univers de celle qui est la source d’inspiration de la pièce, Alexandra David-Neel dont les initiales font le titre de la pièce. Nous pensons Extrême-Orient, courage de l’exploratrice, femme libre dès le début du XXème siècle, bouddhisme, unité de l’esprit et de la matière, et on se dit que ça commence bien.

De l’obscurité émergent les trois femmes debout, à un souffle du public ; leurs visages alignés, leurs trois âges accolés ; un jeu d’écho dans leurs costumes épurés noir et blanc ; elles nous imprègnent. Un long temps, celui de la lenteur, de l’observation, celui où l’on peut toucher l’instant infiniment petit du présent qui passe continuellement. Une première scène qui active un regard curieux, désirant et ouvert. L’espace du plateau est noir et mystérieux, il en émane une lumière diffuse, presque sombre, presque palpable, qui avale les trois formes mouvantes — silouettes d’ombres à la tête invisible dans le paysage désertique créé par les lumières savantes de Sallahdyn Khatir — ; la guitare électrique de Nico Morcillo égrène des notes solitaires qui vibrent du medium aux fréquences ultrabasses ; un carré blanc délimite le tour d’un plateau sans bords tel un espace mental abstrait. Nous nous tenons entre la présence et l’absence, au ras du temps et de l’espace, nous sommes prêts.

Seulement, nous resterons suspendus dans cette attente (tel le pèlerin allant chercher le secret de l’univers dans les montagnes tibétaines ?). Suivra une assez plate succession de trois soli, depuis la doyenne Régine Chopinot jusqu’à la plus jeune Prunelle Bry en passant par Phia Ménard. Quel dommage que de faire incarner à chacune l’image convenue de son propre âge biologique… Même si les danses sont loin d’être dénuées d’intérêt en elles-mêmes, le cadre de la co-présence des trois interprètes et l’attente créée font ressortir l’absence de rencontre véritable, ne serait-ce que vibratoire, entre elles et la démarcation douloureuse des états du corps et des âges. Le trouble entre ce qui est et ce qui n’est pas, la contemporanéité des âges dans un corps, l’entremêlement des identités, l’écho de l’autre, tout cela est tout juste suggéré…

La majestueuse Régine Chopinot rencontre les basses organiques de la guitare dans une lenteur calligraphique. Elle va chercher, dans les nappes sonores coprésentes comme autant de plans potentiels dans l’espace, les courbes résonnantes et par son corps, elles apparaissent. Une danse de l’essence, une fluidité des bras et du haut du corps proche de l’expressionnisme et une temporalité à la fois lisse et acérée, donnant à voir dans la courbe et dans l’immobilité des subdivisions rythmiques infinies et des plans complexes.

Phia Ménard « dans le rôle » de « la femme entre deux âges » fait un beau travail de nuances de présences entre humilité et espièglerie. Elle fait don d’une vérité humaine et d’une matérialité charnelle absolument poignantes qui ont du mal à trouver leur pendant dans la pièce.

Vient en dernier le solo étincelant de Prunelle Bry, « la jeune » … A peine un corps, on la devine plutôt qu’on ne la voit, entre ombre et lumière, dans un air et un son raréfiés, furtive, animal non géolocalisable, esquisse au trait nerveux et précis, d’une rapidité jouant avec notre perception. La surprise est constante dans les qualités changeantes et la multidirectionalité de son mouvement. Esprit en apesanteur, sphinx éternel pour un quart de seconde, guépard, traits lumineux dans nos rétines, elle offre la boule de feu finale avalée par le vide, le retrait et la suspension qui régissent le spectacle.

Depuis les années 2000, Alexandra David-Neel est sur les devants de la scène pourrait-on dire et Régine Chopinot n’est pas la première à faire le lien entre ses initiales ADN et la potentielle substantifique moelle de notre époque (ADN, spectacle de Marianne Zahar, 2015). On lui rend hommage et on s’intéresse à son enseignement. Régine Chopinot, elle, s’inspire judicieusement de la dimension physique de l’expérience de l’exploratrice, celle des longues marches, de l’immobilité de la méditation, de la fatigue, la dimension de l’humain. Cette voie aurait peut-être gagné à être plus affirmée. Plus d’intimité ou moins de sérieux, moins de volonté ou plus d’anarchie, quelque chose qui permette de mieux respirer dans la pièce aurait permis notre propre voyage sans doute.

 

© Vincent Lappartient

 

A D-N Régine Chopinot

Conception Régine Chopinot

Avec

Danse : Prunelle Bry, Phia Ménard, Régine Chopinot

Composition : guitare Nico Morcillo

Son : Nicolas Barillot

Lumière et scénographie Sallahdyn Khatir

Christine Breton, docteur en histoire et Nadine Gomez, conservateur en chef du patrimoine et directeur de la maison d’Alexandra David-Neel à Digne-les-Bains, sont conseillères scientifiques.

 

Les 5 et 6 juin 2021

Durée 50 minutes

 

MC93 maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny

 

Réservation au 01 41 60 72 72

www.mc93.com

 

 

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