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RUUPTUUR, de Mercedes Dassy au Théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin à Montreuil dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

Juin 08, 2022 | Commentaires fermés sur RUUPTUUR, de Mercedes Dassy au Théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin à Montreuil dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

 

© Michiel Devijver

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

RUUPTUUR est de son temps. Les tables jonchées des reliefs d’une fête, les quatre jeunes femmes, cuir ou simili, débardeur, tee-shirt, formant tribu, la musique actuelle samplée depuis une tablette, tout l’atteste. Et pourtant, Mercedes Dassy, ce temps présent, celui de la fête performée dans l’instant du plateau, elle l’enjambera de part et d’autre avec une hardiesse et une justesse époustouflante. Car RUUPTUUR réussit l’exploit de convoquer, dans une même danse, passé rêvé et futur fantasmé, embrassant dans un puissant geste syncrétique mythologie et science-fiction. Harnachées d’un attelage articulé prolongeant leur corps d’un train arrière et de deux jambes supplémentaires, les performeuses de RUUPTUUR sont à la fois centauresses et cyborgs. Ce corps augmenté nous entraînant dans un imaginaire indécidable, fécond. Cronenberg bien sûr, quand le métal, la prothèse emboutissent la chair, mais tout aussi sûrement des réminiscences archaïques, animales, au-delà des mots : le mythe.

La beauté magique du travail de Mercedes Dassy tient dans ce dévoilement des plis du temps capable de faire surgir ce qui était enfoui dans le présent, dans le banal instant, mêlant des signes aux temporalités disparates, produisant de nouvelles formes du visible. Avec RUUPTUUR, Mercedes Dassy s’attaque à la racine du mâle : plutôt qu’une dénonciation en règle et explicite (comme c’est le cas chez Phia Ménard), elle travaille ce qui n’est pas énoncé. Fouillant la mémoire humaine, elle extrait de l’histoire des femmes cette force oubliée, refoulée, pour n’être désormais que l’apanage des hommes. Produisant cette chimère spectaculaire, RUUPTUUR déblaye alors les constructions de nos imaginaires, lave notre regard et renouvelle la pensée. En investiguant notamment le cinéma de genre (science-fiction), Mercedes Dassy interroge le genre. A la manière de Penthésilé.e.s de Marie Dilasser mis en scène par Laëtitia Guédon, qui réactivait la figure de l’amazone, RUUPTUUR invite à l’expérience immédiate d’une autre nature. Chemin faisant, au galop dirons-nous, cette réappropriation saute les obstacles jusqu’à décentrer notre regard empreint, quoiqu’on en pense, d’anthropocentrisme. C’est renversant, troublant, de se voir apparaître animal, de se reconnaître simplement frère, sœur du vivant. On pense ici à Baptiste Morizot, à son élan, à ses égards, pour ces autres manières d’être vivant.

Au pied de biche, ce quatuor de femmes qui n’a pas peur de faire danser les biceps, démonte les cadenas stéréotypés qui verrouillent et instrumentalisent le corps des femmes dans leur présence au monde : qu’il s’agisse du défilé de mode, de la danse telle que gesticulée dans les clips musicaux, de l’hystérie féminine, de sexualité… Par un effet de montage (comme au cinéma) ou de collage (comme dans les arts plastiques), l’ajout de ce train et de ces pattes déplace le déjà vu à l’endroit d’une dialectique et d’une poétique inédites.

Dans ce qui pourrait simplement faire signe, et par là-même n’être qu’un signe parmi tant d’autres dans ce monde qui nous en sature, RUUPTUUR trouve son temps, infiniment précieux, prend son temps, résolument nécessaire, pour que le geste artistique échappe à l’oubli des formes périssables, se dépose dans le nu de l’instant. Si RUUPTUUR s’attaque à la représentation des femmes, de leurs corps, de leurs psychés, RUUPTUR ne s’inscrit pas dans la représentation théâtrale ou chorégraphique, mais bien dans la performance. C’est un rapport loyal et précis à ce que le moment trame, à soi, à la vie qui refuse justement toute fiction. Pour cela RUUPTUUR fait effraction dans le réel tellement habitué à n’être effleuré que par l’écume des gestes fictionnés. RUUPTUUR fait événement. Il me revient ces regards frontaux, dans des sortes d’arrêt de jeu, aussi troublant et dérangeant que lorsqu’un acteur se met à vous regarder à travers un écran de cinéma, faisant voler en éclats cet écran imaginaire qui paraissait nous protéger jusque-là de ce qui avait lieu.

Si Helmut Newton fut le parangon d’une certaine mise en scène et en image du corps de la femme — à talons, cambrée, offerte sur un plateau fantasmé par l’homme, RUUPTUUR, performance d’une bande de filles montées sur leurs grands chevaux, en est l’antidote indispensable, travaillant au corps nos regards biaisés et dressés par une culture et une histoire des mâles.

 

© Laetitia Bica

 

 

RUUPTUUR, concept et chorégraphie de Mercedes Dassy

Collaboration et interprétation : Kanessa Aguilar, Rodriguez, Kim Ceysens, Justine Theizen, Mercedes Dassy

Dramaturgie et conseil artistique : Sabine Cmelniski

Création costumes : Justine Denos

Création sonore : Clément Braive

Création lumière : Caroline Mathieu

Collaboration dramaturgique : Maria Kakkogianni

Regard extérieur : Judith Williquet

 

Durée : 1 h

Le 31 mai et 1er juin 2022, à 20 h

 

Théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin

6, rue Marcellin-Berthelot

93 100 Montreuil

Tél. 01.71.89.26.70

https://tmb-jeanguerrin.fr/

 

Tournée :

7 et 8 juillet 2022 : Festival de la Cité, Lausanne

30 septembre et 1 octobre : Festival actoral, Marseille

21 et 22 décembre 2022 : Théâtre de Liège

 

 

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