L'Incoronazione di Poppea, opéra de Monteverdi, mise en scène de Ted Huffman Stone, Théâtre du Jeu de Paume / Festival International d’Art Lyrique d’Aix en Provence
  © Ruth Walz   fff article de Toulouse L’Incoronazione di Poppea est fondé sur le pari de trois déesses qui ouvre cet opéra de Monteverdi, et nous pose cette question : qu’est ce qui gouverne le monde et plus précisément le cœur des hommes ? La réponse est bien sûr, l’amour. Mais prenez garde, on ne nous dépeint pas dans cette histoire des passions tempérées et courtoises. Dans la cour de l’empire de Rome, le destin de ces protagonistes se brode sur un canevas fait de jalousie, de chantage, de domination, de séduction et de crime. Des passions que la mise en scène sublime et charnelle de Ted Huffman exprime à merveille. On a rarement vu à l’opéra une direction d’acteur aussi travaillée et juste. Tout en finesse, les interprètes plongent radicalement dans les enjeux de la fable, osent s’investir tout entier dans ces passions déchaînées, ces scènes qui oscillent entre plaisir charnel et violence, jouissance et désespoir. Le fait est que les chanteurs deviennent de redoutables comédiens, et que l’on regarde cet opéra comme on dévorerait haletant une série aux nombreux rebondissements, et dont chaque personnage nous fascine. Il faut saluer un travail et une complicité remarquable entre la mise en scène et la musique. On sent que metteur en scène et chef d’orchestre (ici Leonardo García Alarcón à la baguette) ont tous deux travaillé étroitement pour servir une chose commune : l’histoire. Et quand bien même le haut niveau et la qualité indéniable des voix des chanteurs, tous deux n’hésitent pas à les amener dans leurs retranchements. Ils participent à incarner à l’extrême le chant des interprètes, font que leurs voix prennent corps et soit nourries en permanence par des intentions de jeu, une pensée juste et au présent, une écoute solide des partenaires, un paysage intérieur. Quitte à sortir des sentiers battus de l’opéra, au respect inquisiteur de chaque note, ils déplacent les lignes et font sortir de leur voix une puissance incarnée du début à la fin, allant au bout du geste de la musique. Porté par un cadre et une histoire magnifique, ils déconstruisent pour mieux nous toucher. On peut dire que cela fait beaucoup de bien, et participe à nous faire redécouvrir pleinement ce magnifique opéra. Ici, chaque regard, chaque prise de position, chaque geste est intelligemment pensé et porteur de bien des symboles qui font la richesse de ce spectacle. De nombreuses scènes nous resteront gravées dans la mémoire, tant leur agencement et leur composition tiennent du génie. On pourra notamment évoquer la mort de Sénèque (Alex Rosen) et le trio qui contemple son agonie dont l’intensité et les voix sont à couper le souffle. On parlera bien évidemment de l’orgie langoureuse entre Poppea, Néron et son poète Lucain qui retourne le sang. Tout au long de la représentation, il se dégage du plateau une libido non refrénée. Au moment où l’on commence à se dire que tous ces rapports demeurent tout de même bien hétéronormés, Ted Huffman vient nous bousculer en proposant cette scène homo-érotique d’une intensité folle. Ce qui est incroyable et vraiment vivifiant, c’est que, malgré les rapports de dominations qui sont représentés à travers le pouvoir et la sexualité, tout se fait à travers le prisme d’un “female-gaze” (ou regard féminin pour reprendre Iris Brey) et qui permet de représenter des rapports toxiques de dominations de manière analytique, sans qu’on les consomme en tant que spectateurs comme dans la plupart de nombreuses mises en scène. Ici, rien n’est gratuit, et tout est sublimé par cette distribution magistrale. La soprano Jacquelyn Stucker incarne une Poppea sulfureuse et vénéneuse, dont la voix chaude et volcanique convient à merveille au personnage. Son interprétation si juste et assumée nous montre que son travail d’actrice est au-delà des espérances. Le britannique Jake Arditti fait un Néron dangereux et détestable dans une furieuse voix de contre-ténor. Fleur Barron tantôt Ottavia, tantôt Vertue, dérive sur scène dans son destin intranquille et déploie une palette vocale de l’extrême délicatesse à la puissance enragée. Son air des adieux à Rome est déchirant. C’est aussi le cas de Paul-Antoine Bénos-Dijan, autre contre-ténor, à la voix magnifique et aérienne, qui propose également une interprétation tout en finesse. Miles Mykkanen, travestie en nourrice et en dame de compagnie aux airs de Lady Di, apporte la touche comique et grotesque dont on avait besoin dans cette mise en scène. Il partage cela à merveille dans son rôle hilarant, et le plaisir qu’il a à jouer est communicatif. Il n’y a en somme aucune erreur de casting, et la distribution dans son entièreté demeure stupéfiante. Tous ces personnages de cours, semblent sortir d’un défilé Dolce Gabbana lors d’une fashion-week, grâce aux costumes qu’ils portent, si bien pensés par Astrid Klein. À la fois singulier à chaque personnage dans le style, les symboles et les tons qu’ils dégagent, l’habillage collectif donne vie à cette histoire de palais romain. La scénographie, conçue par Johannes Schütz, est elle aussi prodigieuse. En apparence simpliste, elle se dévoile au final très bien conçue et très complexe. Elle détient la qualité de mettre en valeur le bâtiment et les murs du petit théâtre du Jeu de Paume qui accueille actuellement cette représentation. Les décors mêlent volumes et alcôves incrustés au bâtiment, jouent sur le hors-champs (où l’on entre-aperçoit des escaliers monter vers des chambres libertines néroniennes), et proposent un magnifique mobile suspendu aux cintres, semblable à une grande sculpture contemporaine et résonnant comme le poids de la tragédie qui plane au-dessus des protagonistes. Il n’y a vraiment rien à redire dans cette mise en scène, cette distribution et cette orchestration magistrale dont on ne déniche aucun faux pas ou manque de goût. Nous avons ici le spectacle phare et qui dénote de cette saison au Festival d’Aix, et dont on suivra attentivement toute l’équipe artistique réunie autour de ce projet mémorable et savoureux.   © Ruth Walz   L’Incoronazione di Poppea, opéra de Monteverdi Direction musicale : Leonardo García Alarcón Mise en scène : Ted Huffman Décors, concept original : Johannes Schütz Décors, adaptations : Anna Wörl Costumes : Astrid Klein Lumière : Bertrand Couderc Collaborateur aux mouvements et maître d’armes : Pim Veulings Dramaturgie : Antonio Cuenca Ruiz Assistant à la direction musicale et répétiteur de langue : Fabián Schofrin Assistant à la direction musicale et chef de chant : Jacopo Raffaele Pianiste répétiteur : Frédéric Isoletta Assistante à la mise en scène : Maud Morillon Assistante aux décors : Eleni Arapostathi Assistante aux costumes : Louise Watts   Avec : Jacquelyn Stucker (Poppea), Jake Arditti (Nerone), Fleur Barron (Ottavia / Virtù), Paul-Antoine Bénos-Dijan (Ottone), Alex Rosen (Seneca), Miles Mykkanen (Arnalta / Nutrice / Famigliare I), Maya Kherani (Fortuna / Drusilla), Julie Roset (Amore / Valletto), Laurence Kilsby (Lucano / Soldato I / Famigliare II), Riccardo Romeo (Liberto / Soldato II), Yannis François (Littore / Famigliare III) Orchestre : Cappella Mediterranea   Du 9 au 23 juillet 2022 à 20 heures   Théâtre du Jeu de Paume/ Festival International d’Art Lyrique d’Aix en Provence 17 – 21, rue de l’Opéra 13100 Aix en Provence Téléphone 08 20 922 923    Read More →
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Hermann de Gilles Granouillet, mise en scène de François Rancillac, La Manufacture, Festival Off, Avignon  
    © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Vous est-il déjà arrivé d’être sûr que vous aviez rendez-vous à un endroit précis, un cloître, un bar, une plage peu importe, avec un être que vous savez disparu ? Et pourtant votre cœur bat à tout rompre, c’est une rencontre d’amour qui défie le temps et vous êtes ému, vous savez qu’il est là et la force de cette quête défie le temps. Cette expérience peut arriver à tout le monde. Ce spectacle Hermann fait son chemin profondément en nous, bien après l’avoir vu et ça tombe bien puisque le sujet central du récit est justement la mémoire. Un matin, la police dépose dans une clinique neurologique un inconnu, un jeune homme russe dénommé Hermann. Il a tout oublié excepté un prénom, Olia. Soupçonné de déclarer un alzheimer précoce, il est pris en charge par Léa Paul, une neurologue qui le prend au mot. Elle sait que l’épouse russe d’un cardiologue Daniel Streiberg se prénomme Olia et tente de les mettre en relation, sans succès. La psychiatre ne désarme pas et fera tout pour qu’Hermann retrouve son amour ancien. Sa vie en sera transformée ainsi que celle des protagonistes de ce conte. Le récit est pris en charge par la neurologue qui relate au présent le fil d’une histoire vieille de 13 ans, lors d’un long flash-back mémoriel. Granouillet écrit à l’os, chaque mot est pesé, pas de circonvolutions, le verbe se fait chair, on va à l’essentiel, avec des époques qui se superposent, on voyage entre espace réel et mental du sud de la France au nord, en passant par la Pologne et la Russie. François Rancillac réussit à mettre en scène avec beaucoup de finesse ces méandres de souvenirs enchâssés. Sa scénographie sert l’univers onirique de l’auteur et ne lui vole pas la vedette comme on voit trop souvent. Un rideau translucide délimite le présent du bord de scène avec le passé qui occupe toute la profondeur de champ, le plateau est serti de trois murs constitués de lattes verticales qui permettent à la lumière de s’immiscer et de figurer une porte qui s’ouvre, un bureau ; un être peut apparaître à travers les lattes comme un fantôme. Des diapositives projetées montrent ce qu’est la vie d’un jeune homme de 25 ans au milieu de vieillards grabataires dans un hôpital psychiatrique. Certains moments viennent tempérer cette atmosphère crépusculaire par leur beauté et leur drôlerie. On voit Olia esquisser un ballet aérien comme un oiseau qui prend enfin son envol, les deux médecins se déchaînent lors d’une danse frénétique sur un air des Charlots, « Les nouilles ». Les comédiens, tous très justes, modulent avec subtilité la narration de leurs réflexions intérieures et les bouts de dialogue. Ils réussissent à nous faire ressentir l’inexpliqué, le mystère et la force du désir qui se joue de la normalité. Chronos est le dieu grec du temps qui s’écoule, de la chronologie et Kairos c’est l’évènement, le moment où tout se joue pour le meilleur ou le pire. François Rancillac convoque ses personnages à ce moment de leur vie, l’instant dramatique par excellence, celui qui voit des gens ordinaires basculer de l’autre côté du miroir. Sa mise en scène nous permet de mesurer ce qu’est le Kairos, ce qu’il vient bouleverser chez des personnes qui marchaient droit dans une vie qui n’était pas la leur. Rien n’est dit mais on comprend tout. Le passé ne passe pas, « Nous sommes une matière sur laquelle les rêves sont faits, disait Shakespeare, et notre petite vie s’arrondit d’un sommeil ». Venez nombreux au théâtre de la Manufacture, écoutez cette histoire d’amour et de temps retrouvé, lisez le texte de Gilles Granouillet paru à l’avant-scène ; un texte puissant, une mise en scène intelligente et quatre grands comédiens, que demander de plus !   © Christophe Raynaud de Lage     Hermann, écrit par Gilles Granouillet Mis en scène par François Rancillac Scénographie : Raymond Sarti Costumes : Sabine Siegwalt Lumière : Guillaume Tesson Son et composition musicale : Sébastien Quencez Avec : Daniel Kenigsberg Claudine Charreyre Lenka Luptáková, Clément Proust   Du jeudi 7 au mardi 26 juillet 2022 à 19 h 30 Relâche les 13 et 20 juillet Durée : 1 h 30 La Manufacture Avignon 2483 avenue de l’amandier Avignon Réservation : 04 90 85 12 71 Billetterie@ lamanufacture.org Accès navette manufacture de la porte Thiers   Texte publié chez L’Avant-Scène Théâtre, 2013      Read More →
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Milk, de Bashar Murkus, L’Autre Scène du Grand Avignon - Vedène, Festival d’Avignon In
  © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Incontestablement, le travail sur les corps est ce qui fascine Bashar Murkus. L’année dernière, avec Le Musée, il avait déjà exploré cette obsession pour la chair, les muscles, les articulations, en imposant aux spectateurs médusés, dans la petite salle de chapelle des pénitents blancs une scène de torture. Avec Milk (créé en Palestine en juin) c’est à une autre forme de torture visuelle que le public est exposé. Dans la grande salle de L’Autre scène du Grand Avignon, l’artiste palestinien montre qu’il sait également travailler avec brio les grands plateaux et jouer l’alternance de scènes que l’on peut qualifier d’intimistes avec des tableaux occupant tout l’espace scénique. Autant dans Le Musée, la parole était très présente, et même essentielle entre le terroriste et son « geôlier », autant dans Milk elle est absente. Le spectacle n’est pas pour autant silencieux, loin de là, mais le verbe a disparu, comme s’il ne pouvait plus s’exprimer, comme si dans ce désastre, le langage n’avait plus de sens. Le langage est mort car ce ne sont que des corps sans vie qui nous entourent. Et même quand les femmes se mettent face au public avec des micros sur pieds et que l’on s’attend à une explication ou tout du moins un chant, leur silence en dira bien plus long. La signification du titre de la pièce Milk semble évidente, aussi bien littéralement dans sa traduction de l’anglais que dans son illustration sur le plateau : le lait. Le lait va couler à flot des (faux) seins des femmes, cinq femmes qui entrent sur scène en tenant des grands mannequins comme on en trouvait dans les vitrines des magasins, mais aussi dans les études en médecine, et qui vont arroser les mannequins de ce lait qui déborde, car il aurait dû les nourrir. Mais en arabe, milk fait également référence à la propriété, double sens donc, plus subtile qui se dégage dans le rapport de ses femmes avec les mannequins plus grands qu’elles, les secouant dans leurs bras comme des nouveaux nés, jusqu’à entrer dans une transe de douleur et de tristesse. Ces femmes, ces mères, ne portent pas le deuil de leurs enfants, car elles n’ont pas fait le deuil, car une mère ne peut pas faire le deuil de son enfant, qu’il lui ait été emporté par la guerre, la maladie, une catastrophe climatique. Elles continuent à vivre avec l’enfant perdu, dont la figure allégorique sont ces mannequins qu’elles traînent partout avec elles, empilent, dorlotent, cajolent. Des femmes déplacées aussi au gré des tourments du monde. Le plateau évolue sans cesse durant l’heure et les vingt minutes de représentation, avec la manipulation de plusieurs dizaines de rectangles noirs, sortes de tatamis qui recouvraient initialement le sol, qui vont servir tour à tour de montagne, rempart, tombeau, et dont la manutention fait penser autant à Sisyphe qu’à Phia Ménard (dans sa Trilogie des Contes immoraux). Des femmes qui s’adaptent en gardant le souvenir, jusqu’à ce qu’une autre femme, pleine de promesses car enceinte, arrive avec une réserve de végétaux, et les fassent renaître à la vie et oublier un temps leur perte. Mais le désastre n’est jamais loin, les unes abandonnent l’autre qui accouchera dans une scène superbe, seule tout en haut de la montagne de son enfant que l’on devinait d’une force et stature surnaturelle à la taille de son ventre. L’enfant-homme sort de ses entrailles, rampe, se met debout, détache le cordon ombilical qui le reliait encore à sa génitrice qui semble avoir perdu la vie dans cette épreuve. Le géant orphelin comblera sa carence affective en position fœtale sur les genoux de chaque mère, offrant à chacune ce qui lui manque, dans un chemin répétitif, qui semble ne pouvoir finir que par épuisement. Esthétiquement, l’effet est superbe. L’élément liquide (eau du déluge qui a coulé plus tôt, mélangé au lait des mères et au sang de l’homme) jaillit dans les déplacements effrénés de cet enfant-homme. Et quand le rythme ralentit, quand une pause éclairée comme un tableau de Delacroix, ou plutôt de Géricault (un instant on pense au Radeau de la méduse) semble signer la fin, le désastre renaît. On est presque déçu, on aurait aimé applaudir sur cet épilogue compréhensible et peut-être surtout qui offrait un espoir, mais c’eut été trop facile. « Comment un désastre apparaît-il. En un instant. Comment finit-il ? Il ne finit jamais. » nous enseigne Bashar Murkus qui n’a que trente ans cette année…   © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon     Milk, de Bashar Murkus Conception et mise en scène : Bashar Murkus Dramaturgie : Khulood Basel Musique : Raymond Haddad Scénographie et costumes : Majdala Khoury Lumière : Muaz Al Jubeh Accessoires : Khaled Muhtaseb Assistanat à la mise en scène : Abed Al Jubeh   Avec :  Firielle Al Jubeh, Eddie Dow, Samera Kadry, Shaden Kanboura, Salwa Nakkara, Reem Talhami, Samaa Wakim   Durée 1 h 20 Jusqu’au 16 juillet, 15 h   L’Autre-Scène Grand Avignon Avenue Pierre de Coubertin Vedène      Read More →
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Unité modèle de Guillaume Corbeil, création et mise en scène de Guy-Pierre Couleau, La Scierie, Festival Off Avignon
    © Laurent Schneegans   ƒƒ article de Sylvie Boursier « Ah, Gudule, viens m’embrasser et je te donnerai, un frigidaire, un joli scooter, un atomixer, et du Dunlopillo… » La complainte du progrès de Boris Vian en 1956 anticipe l’envahissement de nos sociétés par le consumérisme de masse. Alors qu’avant les fleurs offertes faisaient plaisir, il faut maintenant l’abondance des biens de consommation. Plus tardivement Georges Perec montrait dans les Choses un couple, enquêteurs en free-lance pour des instituts de sondage dont la vie se réduisait peu à peu au désir de consommer. Mais ce qu’ils croyaient être leur goût n’était que ce qu’on leur suggérait. Guillaume Corbeil est un auteur québécois contemporain, jamais monté en France. Dans Unité Modèle il pousse plus loin encore la critique d’une société totalement gangrenée par le marketing, la fabrication et la fascination des images. Deux agents immobiliers, copies conformes de Julia Roberts et Richard Gere animent des soirées promotionnelles de ventes d’appartement sur plan. Ils sont gluants de jovialité affectée et poisseux de générosité ostentatoire, ils distribuent des soi-disant remises et n’hésitent pas à faire des selfies avec les heureux gagnants. Ces faux derches, alternent descriptions de moments parfaits et scènes où ils s’approprient le rôle de l’heureux couple qui habiterait ces lieux. Le style de Corbeil est nerveux ; il alterne les mots clefs, les punchlines, formules chocs avec les adjectifs uppercut « Riche et épuré. Décontracté et chic. Fort et fragile, Tout le monde veut “être ces contradictions-là !” comme un zapping de série américaine. Guy Pierre Couleau colle à ce rythme par une mise en scène millimétrée et deux comédiens qui n’ont pas peur de casser leur image, rompus au montage cut comme dans un film de Xavier Dolan. Pas de psychologie, pas de transitions, on passe directement de la pub aux moments comiques où nos deux salopards butent sur les mots, ont des blancs suite à des imprévus dans une mécanique parfaitement huilée, se rattrapent aux branches, rebondissent, comme des personnages de pantomimes. Nils Ohlund est le comédien élastique dont Guy Pierre Couleau avait besoin, virevoltant du sol au plafond de cette maison modèle vendue à la découpe. Il maîtrise la rupture de tons, les sous-entendus, les adresses et clins d’œil au public caractéristiques des médias. Sa partenaire, Moana Ferré, est à l’unisson. Elle réussit à passer en un instant de la superficialité la plus totale à la fragilité d’un être qui perd pied, happée par la viduité d’une société liquide où tout n’est plus que flux d’un espace à l’autre. Ne parle-t-on pas de « fluidifier » les échanges à tous les étages des strates financières, institutionnelles ? Pour Michel Vinaver, l’inflation du vocabulaire lié au bonheur, aux sentiments, la transparence, la bienveillance, sont signe que l’avoir, le faire, se sont substitués à l’être. Nous y sommes dans cette dystopie présentée à la Scierie, le monde a basculé dans le meilleur des mondes, bref une dictature parfaite soigneusement scénarisé pour promouvoir le message voulu. Allez les voir, résistons !!   ©Laurent Schneegans   Unité modèle, de Guillaume Corbeil Mise en scène : Guy-Pierre Couleau Lumières : Laurent Schneegans Costumes : Camille Pénager Jeu : Moana Ferré et Nils Ohlund   Du 7 au 28 juillet à 19 h Avignon off Durée : 1 h 10     La Scierie 15 bd du quai saint Lazare Avignon Réservation : 0484510911 www.lascierie.coop    Read More →
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Idomeno, Re di Creta, opéra de Mozart, mise en scène de Satoshi Miyagui, Théâtre de l’Archevêché / Festival International d’Art Lyrique d’Aix en Provence
  © Jean-Louis Fernandez   article de Toulouse Opéra mozartien donné seulement pour la quatrième fois au Festival d’Aix en Provence, Idomeneo, Re di creta figure comme un tournant dans la carrière lyrique du jeune compositeur de tout juste vingt-cinq ans au moment de sa création en 1781. En effet, cet opéra représente d’une part l’aboutissement de ses œuvres de jeunesse consolidées par la maîtrise d’un compositeur plus affirmé, et dessine d’autre part une voie vers de nouvelles tentatives esthétiques et musicales qui préfigurent un bel avenir au musicien et à l’histoire de l’Opéra. Idomeneo essentialise les grandes thématiques tragiques, amour contrarié, jalousie, infanticide, révèle une œuvre sous tensions qui malheureusement est rendue ennuyeuse et plate par la mise en scène de Satoshi Miyagi. Metteur en scène d’origine japonaise, nous avions pu voir ses propositions autour du Mahabarata et d’Antigone au Festival d’Avignon, dont les décors et les compositions picturales nous restent en mémoire. Ici il renouvelle un gigantisme scénographique fait d’un ballet de volumes et de paravents mouvants, dont les déplacements bruyants et fastidieux polluent parfois la musique. Sur ces socles agités, les chanteurs y trônent comme des statues de marbre contraints et inexpressifs. La mise en scène déborde de formel, écrase l’action et les enjeux de la fable, fait du roulement inéluctable de la tragédie de pauvres placements statiques et des duos passionnels ou contrariés un face-public systématique au regard lointain et vague. Autant dire qu’aucune vie ne prend forme au plateau, et si encore la forme qui contraint les corps était un temps soit peu sculptée et travaillée, cela pourrait avoir son effet… Malheureusement ce n’est guère le cas, et les rares moment de danses donnent lieu à des chorégraphies gênantes, enfantines et maladroites. Les chanteurs s’en sortent bien car, malgré la rigidité cadavérique des corps englués dans la forme, ils parviennent par leur voix à nous partager de nombreuses émotions. C’est bien d’ailleurs l’unique vecteur pour se relier à eux. Anna Bonitatibus signe une Idamante vocalement convaincante, dont les silences sont intensément chargés et nous suspendent à ses lèvres. L’incroyable Sabine Devieilhe ne fait aucun pas de côté et, comme toujours, chante à la perfection. Nicole Chevalier en Elettra est époustouflante dans la furie et la l’énergie puissante qui l’accompagne. Petite erreur de distribution en revanche pour Michael Spyres qui, malgré la beauté de la voix qu’on lui connaît, n’est pas à son avantage dans ce rôle. Si il y a bien une chose qui sauve cette mise en scène c’est la musique. On découvre ou redécouvre avec bonheur cet opéra magnifique, qui est sublimé par la direction musicale qu’en fait Raphaël Pichon. On avait déjà pu écouter son travail passionné et si bien assorti avec Mozart lors de l’incroyable Requiem mis en scène par Roméo Castellucci en 2019 dans ce même joli Théâtre de l’Archevêché. Pichon et son orchestre Pygmalion fait vibrer Mozart avec brio. Mélangés avec le chœur de l’Opéra de Lyon, les choristes, dans l’histoire tantôt Troyens tantôt Crétois, assurent une performance tout aussi sensible artistiquement qu’impeccable techniquement. Le fil de la musique parvient à bander son arc pour nous tenir sous tensions jusqu’aux applaudissements. Les respirations et les sursauts trouvent leur place dans une continuité pourtant bien cadenassée par le poids de cette œuvre et celui de la tragédie. On est entraîné par la musique et il est difficile de la lâcher. Il demeure néanmoins tout simplement dommage d’avoir de si bons chanteurs, une musique si belle et si intelligemment dirigée au service d’une mise en scène sans relief et sans intérêt.     Idomeneo, Re di creta opéra de Mozart Composition : Mozart Direction musicale : Raphaël Pichon Mise en scène : Satoshi Miyagi Décors : Junpei Kiz Costumes : Kayo Takahashi Deschene Lumière : Yukiko Yoshimoto Chorégraphie : Akiko Kitamura Assistant à la direction musicale : Nicolas Ellis Pianiste répétiteur et répétiteur de langue : Alessandro Benigni Assistante à la mise en scène et à la chorégraphie : Honoh Horikawa Assistant à la mise en scène et à la dramaturgie : François-Xavier Rouyer Assistante aux décors : Yui Mitsuhashi Assistante aux costumes : Elisabeth De Sauverzac Interprète et traductrice : Hiromi Ishikawa Interprétation : Michael Spyres (Idomeneo), Anna Bonitatibus (Idamante), Sabine Devieilhe (Ilia), Nicole Chevalier (Elettra), Linard Vrielink (Arbace), Krešimir Špicer (Gran Sacerdote), Alexandros Stavrakakis (Voce di Nettuno), Crétoises et Troyens : Adèle Carlier, Anaïs Bertrand, Clémence Vidal, Constantin Goubet, René Ramos Premier Danseuses et danseurs : Sophie Blet, Idir Chatar, Apolline Di Fazio, Anaïs Michelin, Yumi Osanai, Ken Sugiyama Chœur : Pygmalion avec la participation du Choeur de l’Opéra de Lyon Orchestre : Pygmalion   Du 3 au 12 juillet 2021 à 20 heures   Théâtre de l’Archevêché / Festival International d’Art Lyrique d’Aix en Provence Place des Martyrs de la Résistance, 13100 Aix en Provence Téléphone 08 20 922 923 https://festival-aix.com/fr      Read More →
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De Profundis, d’Oscar Wilde, mise en scène Bruno Dario à l’Albatros, Festival d’Avignon Off   
    © Philippe Hanula   ƒ article de Victoria Fourel Depuis sa prison, Oscar Wilde dépérit, voyant disparaître l’homme qu’il était. Disparaissent doucement la légèreté, l’esprit, le feu. Autorisé à écrire, il se lance dans une lettre fleuve, à l’intention de son amant, celui à cause duquel il est en prison. Il y parle d’eux, de leurs aventures communes, des trahisons des uns et des autres, et de l’amour. De l’amour depuis les profondeurs. On est dans une intimité sombre, dans un coin de la vie d’Oscar Wilde. Josselin Girard est immensément seul sur un plateau presque nu, où la lumière est basse, créant rapidement l’atmosphère de la cellule. L’effet est plutôt réussi, et donne de beaux moments où le visage de l’acteur sort soudain de l’ombre, dans un jeu de clair-obscur intéressant. Mais dans le même temps, on perd un peu des expressions et de notre capacité à être complètement investi. Tout repose donc sur le texte, sur la voix, sur ce qui nous parviendra. Et c’est une très belle chose que de donner à entendre De profundis. C’est beau, terriblement intime, dans une forme de désespoir qui ne parvient pas à perdre parfaitement espoir. En scène, c’est une rencontre nouvelle avec l’auteur grâce à une voix et à une présence forte. La direction choisie pour la mise en scène est une espèce de long tunnel. Le comédien est complètement engagé, tout est scandé, projeté, adressé à l’ex-amant, le rythme est soutenu, la lettre n’est plus que monologue. Chacun pourra y trouver son compte, ou non. On peut trouver que la fragilité est présente dans le souffle, dans le corps, dans la souffrance apparente, mais qu’il manque une forme de relâchement, de fatigue, de tranquillité, presque, après les épreuves. Il manque l’âge de Wilde, l’âge qu’il prend à toute vitesse depuis sa prison. Et peut-être le côté parlé, le côté incroyablement actuel de l’écriture de Wilde, qui ne transparaît pas toujours ici. De Profundis est une œuvre à part, dans laquelle Wilde parle de l’amour comme de la seule voie, la seule qui doit rester. Et on est souvent touché par ce texte qui parle finalement d’un homme qui tente de ne garder que l’amour. Le public est fidèle au rendez-vous de Wilde et de la mise en scène de la Compagnie des Perspectives, faisant vivre et revivre ces mots de l’intérieur.   © Philippe Hanula De Profundis d’Oscar Wilde Mise en scène de Bruno Dairou Lumières : Arnaud Barré Avec Josselin Girard   Du 7 au 30 juillet à 16 h Durée 1 h 10   L’Albatros 29 rue des Teinturiers 84000 Avignon réservations : 04 90 86 11 33      Read More →
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Le Vertige Marilyn d’Olivier Steiner, Conception d’Olivier Steiner & Emmanuel Lagarrigue, Théâtre de l’Atelier
     © Marcel Hartmann     ƒƒƒ article de Corinne François-Denève Cela commence bien avant. Il s’agit de remonter à la surface, du métro souterrain à l’air libre. Un seul ascenseur fonctionne. Dans la cabine, bondée, cela bruisse déjà : « Vous l’avez déjà vue ? » ; « Je suis allé voir le dernier Ozon ». Le monte-charge, par stations poussives, finit par déverser hommes et femmes sur le bitume déjà chaud. Serait-on à Paris, ou dans le New York caniculaire de Sept ans de réflexion ? On se reconnaît, on se suit, on emprunte le même chemin : « Moi, c’est dans Adèle H » ; « je n’avais pas eu de places pour la Dame aux camélias ». On arrive en grappes sur la Place Charles Dullin, désormais grignotée par les terrasses de restaurant. On peine à voir l’affiche, presque cachée derrière les mastiqueurs, mais pas la file des gens qui attendent, contenue par un ruban rouge. Dans le minuscule hall, c’est la même effervescence, la même ferveur : qui a son billet sur son téléphone, mais pas sa contremarque ? Qu’à cela ne tienne, « on vous la réimprime, bonne soirée, on fait entrer dans vingt minutes, monsieur ». « Le bouquet ? Oh vous pourrez très certainement le lui donner à la fin, madame ». Pardon, pardon, mon pied, oh je vous en prie, oui là, par là, on se faufile, on se presse, on sourit aux autres ; les ouvreurs et les ouvreuses montent et descendent « nous vous demandons d’attendre, messieurs et mesdames ! » ; sourire sincère ou professionnel, montée, descente, bip, « par ici », « bonne soirée », bip ; programme à la main, prestement offert, « ici ! » « Pardon, pardon ! » « Je vous en prie ! » Assis, debout, « passez, je vous en prie ! » « Ah vous êtes ici ! » ; on se met à trois pour déplier le strapontin et y caser le grand monsieur tout sec. Madame, derrière, préférera rester debout « pour mieux voir ». La salle est envahie d’une fumée qui nimbe la bonbonnière de l’Atelier d’une aura mystique. Mais quelle est donc cette étrange cérémonie, devenue rare au théâtre ? C’est une pièce avec mademoiselle Adjani. Une pièce sur mesure, comme la robe Dior que la comédienne porte, intitulée « Le Vertige Marilyn ». Il s’agirait de raconter la dernière nuit de Marilyn, celle qui voit l’idole blonde quitter le monde des hommes pour, d’un coup de Nembutal, rejoindre d’autres rives, mythiques, vers lesquelles elle ne faisait finalement que revenir, déesse égarée sur terre. Le texte se compose de plusieurs strates : le récit, presque légiste, sur le ton froid du reportage, de cette dernière nuit, mais aussi des textes de Marilyn, sur Marilyn, et des interviews d’Adjani elle-même. L’indécis au précis se joint : on ne sait qui, de Marilyn ou d’Isabelle, parle – mais cela n’a pas d’importance, tant elles peuvent parler l’une de l’autre – du devenir-actrice, du métier d’actrice, de ses joies et de ses servitudes, de l’omniprésence de l’image, du corps, de la presse. Marilyn déplorant qu’un metteur en scène prenne plaisir à parler mal d’elle aux journalistes, pour que cela fasse le tour du monde, c’est aussi Adjani présentée comme « difficile » à longueur d’interviews complaisantes. Adjani, fille d’immigrée, se souvenant de l’enfant qu’elle fut, rêvant d’autre chose, d’un au-delà du terrain vague de son HLM, c’est aussi Norma Jean tournant le dos à son destin programmé de white trash pour devenir Miss Golden Dreams, puis Marilyn Monroe. Marilyn et Adjani sont des stars ; mais ce qui a intéressé davantage Olivier Steiner, c’est ce souffle subtil qui émane d’elles, et les relie ; cette « anima », cette pulsation que l’on sent battre dans le timbre d’Adjani, au début de la pièce, quand elle n’est pas encore apparue, mais qu’elle nous tient accrochés à sa voix, tout à la fois si décidée et si fragile. Marilyn, nous dit-on, est morte en 62, mais elle nous hante toujours, et c’est cette apparition que l’on guette et croit apercevoir, ou entendre, sur les planches de l’Atelier. La pièce, ainsi, prend la forme d’une cérémonie – d’un oratorio avec parole rhapsodique et nappes entêtantes de musique, qui fonctionne sur le système de la boucle. Le mur du fond de l’Atelier, émouvant dans sa nudité, accueille des images fantomatiques des rushs du dernier film de Marilyn. On entend une archive, la sinistre annonce de la venue de la « late Marilyn Monroe », terrible jeu de mots lacanien, lavé ici de son côté morbide. Isabelle Adjani, de façon presque ritualisée, se déplace autour d’un immense praticable, puits dans lequel on essaie de sonder le mystère d’une actrice, ou de l’actrice. Des projecteurs s’allument et finissent par s’éteindre, telles des lucioles pasoliniennes, quand la cérémonie touche à sa fin. Cela finit donc par les saluts, longs saluts d’une salle debout. La comédienne sirote une coupe, salue, revient, indique, mutine, qu’elle doit aller se coucher. Un bouquet passe par-dessus les têtes, rejoint le devant de la scène ; la dame a pu le donner, ce tournesol empaqueté dans son crépon rouge. Le grand monsieur sec s’est extirpé de son strapontin. La dame a tenu debout l’heure de spectacle. Dehors, il fait toujours chaud, les mangeurs mangent.   © Marcel Hartmann   Le vertige Marilyn, d’Olivier Steiner Conception : Olivier Steiner & Emmanuel Lagarrigue Avec : Isabelle Adjani   Durée : 1 h 20 Pièce vue le 6 juillet 2022 au Théâtre de l’Atelier     Théâtre de l’Atelier 1 Pl. Charles Dullin 75018 Paris www.theatre-atelier.com     Prochaines dates : Festival de Ramatuelle, le 6 août 2022 Château Lacoste, le 13 août 2022 Teatro Goldoni, Venise, les 14 et 15 octobre 2022 Théâtre Anthéa, Antibes, les 4 et 5 janvier 2023 Salle Pleyel, Paris, 31 mars et 1er avril 2023      Read More →
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Anaïs Nin au miroir, de Agnès Desarthe, mis en scène par Elise Vigier, Théâtre Benoît XII, Festival d’Avignon In
    © Christophe Renaud de Lage   ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Il est des spectacles que l’on attend. Parce que l’on sait que l’on va y trouver une autrice que l’on admire, une metteuse en scène qui nous interpelle, des ou une comédienne que l’on a adorée dans un précédent spectacle, des thématiques que l’on chérit, un lieu dans lequel on a de bons souvenirs. Et on se prépare. Intellectuellement (en lisant ou relisant plusieurs semaines à l’avance des ouvrages sur le sujet) et émotivement d’une certaine manière. C’était le cas pour Anaïs Nin au miroir. Anaïs Nin, le féminisme, Elise Vigier, Ludmilla Dabo, le Théâtre Benoît-XII… Et dès le début, on ne saisit pas, on n’est pas saisie. On résiste car on veut l’aimer cette pièce. On s’accroche à la démarche et à la diction de Ludmilla Dabo que l’on avait trouvée sensationnelle dans Une femme se déplace de David Lescot en 2019 et qui reste excellente. On se souvient de l’excellent Buster Keaton d’Elise Vigier (avec Marcel di Fonzo Bo, lequel joue le père dans l’une des vidéos) l’année dernière au Monfort Théâtre. On se raccroche à quelques citations formidables d’Anaïs Nin que l’on connaît ou que l’on découvre (son Journal écrit sur plus de 60 ans fait plus de 10 volumes, alors on n’a pas tout lu…), à un joli effet de mise en scène (Dea Liane dans un jeu de miroirs au sens propre). Et pour le reste… On reste de l’autre côté du miroir. Gênée sur notre siège, en essayant de se trouver des excuses (la fatigue, un méchant virus, la chaleur…), alors que des voisins spectateurs rient, souvent, et applaudiront copieusement. Il n’y a pourtant pas vraiment matière à rire ou plutôt ce qui est donné à rire n’a rien à voir avec Anaïs Nin. Car il y a beaucoup de digressions dans la proposition d’Agnès Desarthe et Elise Vigier, dans une construction qui semble décousue. Une troupe, principalement camerounaise, répète une pièce dans un théâtre. Alors qu’il n’est pas encore ouvert, la « technicienne de surface » (jouée par Elise Vigier elle-même) rencontre le fantôme d’Anaïs Nin. Bien que d’époques et d’horizons fort différents, les deux femmes dialoguent et se comprennent sans difficulté. Tant mieux. On les retrouve ensuite en vidéo sur un bateau. Pourquoi ? L’argument du voyage comme symbole du mouvement perpétuel et de l’eau comme allégorie du miroir, est un peu court. Les répétitions à la table, et sur le plateau sont entrecoupées de scènes faisant référence aux Nouvelles fantastiques de l’écrivaine franco-cubaine (mais qui a surtout vécu aux États-Unis), lesquelles sont moins connues que son Journal et ses nouvelles érotiques. De ce qu’on en a vu, ces Nouvelles ne sont sans doute pas ce qu’il y a de plus intéressant (et on n’a pas envie de les acheter pour les lire à la sortie du théâtre) dans la production littéraire et la vie de cette femme plurielle, solaire, qui s’est rendue célèbre par sa vie amoureuse et sexuelle libérée, multipliant les amantes et amants célèbres (ou non). Des vidéos s’ajoutent, faisant surtout des flash-backs sur son enfance et en particulier sur la relation avec son père, ce qui vient quelque peu brouiller le propos. Il est difficile de traiter de tout. Les couches des différents niveaux de récits finissent par s’additionner et ôter toute lisibilité à la démonstration. C’est dommage tant il y a matière à exploiter les ambiguïtés de cette femme exceptionnelle dont la détermination transgressive, la volonté de jouir de la vie et d’affirmer sa liberté venait parfois se heurter à ses doutes. Une personnalité extra-ordinaire qui aurait pu tout autant être un personnage de roman que de théâtre et qui méritait un plus bel hommage dramaturgique, en dépit de toute la sincérité de l’autrice et de la metteuse en scène d’Anaïs Nin au miroir qui ont néanmoins certainement donné envie à de nombreux spectateurs de se plonger ou replonger dans son œuvre, en commençant par exemple au hasard par son premier roman, Les miroirs dans le jardin…   © Christophe Raynaud de Lage   Anaïs Nin au miroir d’Agnès Desarthe, librement inspiré des Nouvelles fantastiques et des journaux d’Anaïs Nin Mise en scène : Elise Vigier Musique : Manusound et Marc Sens Scénographie : Camille Faure et Camille Vallat Lumière : Bruno Marsol Films Nicolas Mesdom assisté de Romain Tanguy Costumes : Laure Mahéo Accessoires et maquillages : Cécile Kretschmar Effets magiques : Philippe Beau en collaboration avec Hugues Protat Assistanat à la mise en scène : Nanténé Traoré   Avec :  Ludmilla Dabo, William Edimo, Nicolas Giret-Famin, Louise Hakim, Dea Liane, Makita Samba, Nanténé Traoré, Élise Vigier À l’image Marc Bertin, Marie Cariès, Hannarick Dabo, Ôma Desarthe, Marcial Di Fonzo Bo, Mia Saldanha. Et le musicien Marc Sens   Durée 2 h 15     Théâtre Benoît-XII Rue des Teinturiers Avignon Jusqu’au 16 juillet, 18 h   Tournée en 2022-2023 :  Comédie de Caen, Théâtre Dijon Bourgogne, Théâtre de la Tempête à Vincennes, La Passerelle de Saint-Brieuc      Read More →
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Alceste ou L'acteur fou, création et mise en scène d’Anne Delbée, festival off Avignon théâtre du petit Louvre, salle Van Gogh, 23 rue Saint Agricol, Festival d'Avignon 0ff
    © Arthur Compardon   ƒƒ article de Sylvie Boursier A l’heure d’un retrait obligé au désert lié à la pandémie, Anne Delbée a écrit sur un exil volontaire, celui d’Alceste, pour deux comédiens qu’elle connait parfaitement. Cette grande racinienne s’est intéressée à la relation entre l’atrabilaire amoureux et son créateur Jean Baptiste Poquelin, chef de troupe qui lui aussi n’écrivait que pour ses comédiens. Sa création montre la formidable humanité de cet homme et son drame intime, lui qui se voulait poète et fut considéré comme un amuseur. Faire rire envers et contre tout pour que vive sa compagnie, l’illustre théâtre. Il le fera jusqu’à son dernier souffle, il sera partout, se trémoussant pour amuser la galerie, écrivant Dom Juan en quinze jours, valet du roi le matin, metteur en scène l’après-midi et monstre sacré le soir. « Le grand Molière ne renonçait jamais et repoussait la mort dans les coulisses », dit Anne Delbée. Alceste ou l’acteur fou est l’histoire de deux comédiens qui, une nuit,  restent sur le plateau où il viennent de jouer le Misanthrope ; Valentin Fruitier qui est Alceste ne se résout pas à quitter son personnage, il semble littéralement envoûté, peu à peu c’est comme si Molière prenait possession de lui et s’exprimait par sa voix. Ce comédien puissant restitue la détresse de cet homme qui comme son personnage, fut malheureux en amour. Sa Célimène à lui s’appelait Armande Béjart. Emmanuel Barrouyer lui donne la réplique, comédien caméléon capable de choper tous les accents, de passer d’un entrechat à la douce musique de Verlaine. Ils ont du coffre, une articulation parfaite et maîtrisent chaque virgule du texte, les ruptures, la scansion des alexandrins. Leur jeu expressif fait tout passer, ivresse, rage, désespoir, joie, désir, « Je suis un tragique perdu chez les comiques qui vont rire eux. Ne me trahis pas cette fois-ci […] La nuit s’achève. Molière a froid. Il porte Alceste en lui comme un cilice qui lui entre dans la chair. » « il faut être un grand homme pour jouer Alceste, tu joueras Alceste, mais tu ne seras pas Alceste ; tu mourras et Alceste vivra » disait Jouvet. Charlotte Delbo, grande résistante, a écrit sur sa détention dans le camp d’Auschwitz. Imprégnée par le travail de Jouvet, elle raconte la manière dont le personnage d’Alceste l’a accompagnée dans ce voyage au désert de gel, de sang et de larmes. Le théâtre est un lieu de  résistance à la médiocrité ambiante, le seul où il soit encore possible de dire la vérité. Anne Delbée, cette amoureuse des grands textes, le sait, allez les voir, écoutez-les, regardez-les, c’est tout.    © Arthur Compardon   Alceste ou L’acteur fou, texte et mise en scène d’Anne Delbée Costumes :  Mine Barral Vergez Musique : Patrick Najean Lumières : Thomas Jacquemart Collaboration artistique : Emilie Delbée Avec :  Valentin Fruitier, Emmanuel Barrouyer Avec la voix d’ Emilie Delbée   Du jeudi 7 juillet 2022 au samedi 30 juillet 2022 à 13 h 45    Relâche le mardi Durée : 1 h 15 Avignon Off. Théâtre du Petit Louvre, salle Van Gogh 23, rue Saint-Agricol Réservation :  04 32 76 02 79 theatrelepetitlouvre@gmail.com    Read More →
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Affaires sensibles, de Simon Maisonobe, Jean Bulot et Adrien Morat, mise en scène Eric Théobald à la Scala Provence, festival d'Avignon Off
  © Fabienne Rappeneau   ƒ article de Victoria Fourel Un générique, une voix. Fabrice Drouelle raconte, saison après saison, des histoires fortes, des moments d’Histoire, parfois mystérieux, parfois troublants. Portée à la scène, l’émission emblématique de France Inter porte un nouveau regard sur ces affaires, entre documentaire et interprétation, en choisissant pour fil des destins de femmes. Tout d’abord, il y a le changement de perspective. Le journaliste devient comédien, et les histoires prennent vie. Grâce aux allers-retours entre la narration et le jeu, on retrouve l’ambiance immersive des épisodes de l’émission, avec au centre la justesse de Clémence Thioly, comédienne qui parvient à jouer ces figures de femmes avec précision, tendresse et assise. En face, Fabrice Drouelle assure plutôt. On appelle ça du fan service. Sa voix, sa présence, la façon dont il ponctue le récit tout en prenant un plaisir visible à jouer les personnages. Le public est bien content, tout admiratif. Il faut qu’il reconnaisse ce pour quoi il est venu. Du point de vue visuel, nous sommes dans du théâtre documentaire, où tout repose sur le verbe et sur le fait historique qui est raconté. Avec en appui des archives furtives qui dynamisent et ancrent le spectacle dans l’époque. Rien de rare ni d’original, vraiment, mais un découpage des événements efficace. En termes de lumières, quelque chose rend dubitatif. L’ensemble est assez sombre, on perd souvent les expressions et les silhouettes, et des découpes très délimitées dans l’espace mettent en exergue des zones de plateau très précises, sans vraiment donner l’impression de l’être. On apprécie les idées de mise en espace des trois histoires de femmes, assez différentes pour exister les unes par rapport aux autres. La partie sur Edith Cresson, à priori la moins théâtrale, est au final celle où l’on est le plus surpris, où le personnage prend le plus vie, et où un public jeune découvre le plus de choses. Au final, c’est un moment instructif et conforme aux attentes, pour lequel la comédienne fait beaucoup. On ne peut pas dire que l’essai soit pour autant transformé en grand moment de théâtre, mais cela ravira les passionnés de radio et d’Affaires sensibles.   © Fabienne Rappeneau   Affaires sensibles de Simon Maisonobe, Jean Bulot et Adrien Morat Sur une idée originale de François Luciani Mise en scène d’Eric Théobald Lumières : Johan Chabal Scénographie : Johan Chabal et Julie Noyat Habillage vidéo : Mathias Delfau Musiques : Sébastien Galiana   Avec Fabrice Drouelle et Clémence Thioly   Du 7 au 30 juillet à 12 h 20 Durée 1 h 20   La Scala Provence 3 rue Pourquery de Boiserie 84000 Avignon   Réservation au 04 65 00 00 90 www.lascala-provence.fr      Read More →
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Frontalier, de Jean Portante, mise en scène de Frank Hoffmann, Théâtre du Balcon, Festival d'Avignon Off 
  © Bohumil Kostohryz   ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Jacques Bonnafé, frontalier du seul en scène, voltigeur du verbe haut, arpenteur de la rime musculaire nous régale de sa dernière création mise en scène par Jacques Hoffmann sur un texte magnifique de Jean Portante. Il y a loin des rivages de Troie qui vit Enée s’exiler, son père Anchise sur le dos, aux bassins miniers de l’est avec leurs fourneaux crachant du feu dans une fumée goudronneuse. Et pourtant l’histoire des migrations se répète. La famille de Jean Portante a quitté l’Italie pour poser ses valises au Luxembourg. Une poussière noire a recouvert les poumons du père, à force de pelleter le ventre de la mine. « Il ne s’est pas relevé de sa dernière bataille ». L’auteur déplie un long poème en prose, le chant des processions, les colonnes d’invisibles ; ceux de 41 dans la débâcle vers le sud se confondent avec les italiens, ventres de la faim qui montent vers le nord et avec les réfugiés des zones de guerre d’Afrique aujourd’hui, c’est le même serpent qui mange ses enfants ou les noie sans que l’on ait l’autorisation de repêcher leurs corps. « Qui pense au partant qu’il a été quand il voit les partants d’aujourd’hui ? » MUR / MER une seule lettre change. « Par où commence-t-on à raconter sa défaite » ?           Jacques Bonnafé n’est pas un adepte du jeu intérieur naturaliste. Bien arrimé au sol, il passe allègrement du lyrique à l’épique, de l’épopée au murmure, il aime mastiquer les mots, les digérer, les projeter en volutes organiques avec des pleins et des déliés à chaque scansion, labourant le plateau. La poésie chez lui a quelque chose d’un festin pantagruélique, on pense à Jean Quentin Chatelain, autre acteur de la transe qui se fond dans la musicalité d’une écriture. Sur la scène nue, il trace des frontières à la craie avec sa casquette de commis voyageur et son pantalon à grosses mailles, il dessine les tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Cattenom en Moselle, les cheminées d’usines de part et d’autre de la frontière, la ligne des tranchées ou l’on « tranche les corps », la topographie intime des drames sur plusieurs générations. « Le théâtre est un jeu de rupture, déclare le comédien, de perspectives, de rythme, le mot dit fait résonner le mot écrit comme un souvenir lointain de son origine perdue mais ô combien féerique ». Il est le petit Aylan, poisson mort recraché sur une plage au large de la Turquie, Ulysse et Anchise, l’aïeul sicilien… Souhaitons à Frontalier la même longévité que L’oral et hardi son précédent solo d’anthologie, chapeau bas à l’équipe luxembourgeoise pour ce réquisitoire implacable et merci à vous M. Bonnafé. Allez-y, c’est exceptionnel !   © Bohumil Kostohryz Frontalier, écrit par Jean Portante Mis en scène par Frank Hoffmann Lumière : Zeljko Sastak Musique :  René Noss Costumes : Denise Schumann Jeu : Jacques Bonnafé   Du 07 au 30 juillet 2022 à 12 h 15 Durée du spectacle : 1 h 15     Théâtre du Balcon 38 rue Guillaume Puy, Avignon Réservation : (0)4 90 85 00 80 contact@theatredubalcon.org Texte paru chez Hydre éditions, 2021      Read More →
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All over Nymphéas, de Emmanuel Eggermont, Gymnase du lycée Saint-Joseph, Festival d’Avignon In
    © Jihye Jung   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia   All over Nymphéas est déroutant. Déjà, il faut connaître ou apprécier l’esthétique et la gestuelle propres à Emmanuel Eggermont, dans la lignée de ses spectacles précédents, tous marqués par son rapport à l’art pictural (comme le travail sur le blanc avec Aberration en 2020 ou Polis en 2017 sur l’outre-noir inspiré de Soulages), mais aussi dans la fidélité de son maître Raimund Hogue, décédé l’année dernière, auquel il dédie d’ailleurs ce spectacle.   Les « Nymphéas », sont évidemment une référence à Monnet, à ce motif repris plus de 200 fois par le peintre de Giverny comme un leitmotiv musical, tandis que le « all-over » est une technique picturale utilisée notamment par Pollock. Avant même que le spectacle ne commence, la scénographie est simple mais en accord avec son titre et repose sur un tapis découpé bleu, qui s’avérera être modulable tel un tangram manipulé par les danseurs, ainsi que sur les mobiles de barres d’acier, avec lesquelles on aurait imaginé davantage d’interactions.   Emmanuel Eggermont ouvre le spectacle dans un pull bleu ciel à col roulé et bottines bleu canard à hauts talons qu’une autre danseuse portera plus tard. Car All over Nymphéas est aussi un défilé, un défilé de vêtements et de modèles, qui s’avancent souvent vers les spectateurs comme dans un catwalk, traçant des lignes droites et des parallèles sans interruption ou presque, ce qui rend le spectacle hypnotique, aidé par la musique répétitive de Julien Lepreux. L’hypnose peut conduire à la semi-conscience ou à l’endormissement. On avouera que l’on a parfois été dans le premier et parfois succombé au second. On retiendra les passages extrêmement drôles, tel celui très rythmé d’Emmanuel Eggermont chaussant des lunettes de soleil et enchaînant une chorégraphie pleine d’humour sans se départir de son sourire à la Joconde, ou le duo avec une danseuse se tournant autour avec des mouvements de gallinacées.   Si le travail de la précision des mains est le point commun des cinq danseurs, le degré de technicité, de précision et de beauté revenant incontestablement au chorégraphe, chaque artiste a une personnalité tout à fait propre et des spécialités stylistiques extrêmement diverses. On a découvert, ébahie, le danseur Mackenzy Bergile, dont la technique de hip hop (courant New school) est époustouflante que ce soit dans les traversées du plateau que dans les micros mouvements accroupi ou des omoplates. Avec l’allure d’un adolescent déambulant avec son cartable plexi-glass ou celle d’une Grace Jones en tailleur violet et chaussettes roses montantes, ses désarticulations sont fascinantes.   On ressort comme dans un état second, un peu étonnée de marcher sur les pavés de la rue bondée des Teinturiers, où les couleurs semblent moins vives qu’habituellement, et les démarches, gestuelles et accoutrements des festivaliers bien ordinaires.     © Jihye Jung     All over Nymphéas De Emmanuel Eggermont   Conception, chorégraphie, scénographie : Emmanuel Eggermont  Collaboration artistique : Jihyé Jung Musique : Julien Lepreux Lumière : Alice Dussart Costumes : Emmanuel Eggermont, Jihyé Jung, Kite Vollard   Avec : Éva Assayas, Mackenzy Bergile, Laura Dufour, Emmanuel Eggermont, Cassandre Munoz     Durée 1h20     Gymnase du lycée Saint-Joseph Rue des Teinturiers Avignon Jusqu’au 13 juillet, 15h Tournée : Du 15 au 16 novembre 2022 Clermont-Ferrant Le 10 janvier 2023 Marseille  Klap, maison pour la danse Du 20 au 22 janvier 2023 Genève,  Pavillon ADC  Le 12 avril 2023, Douai , TANDEM Scène nationale Arras-Douai      Read More →
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Iphigénie, de Tiago Rodrigues, mis en scène par Anne Théron, Opéra Grand Avignon, Festival d’Avignon In
    © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Iphigénie est une tragédie. Chez Euripide, comme chez Racine, et finalement aussi chez Tiago Rodrigues. Si l’auteur et metteur en scène portugais, successeur d’Olivier Py à la direction du Festival d’Avignon à partir de 2023, change radicalement la perspective, Iphigénie meurt quand même à la fin. Dans la mythologie grecque, Iphigénie est sacrifiée par Agamemnon son père, obéissant à un oracle prescrivant cet assassinat afin que les Dieux fassent lever les vents, seuls en mesure de permettre aux navires grecs d’arriver à Troie. Les humains sont le jouet des Dieux, c’est bien connu, ce qui permet aux premiers d’éviter toute responsabilité dans leurs décisions les plus contestables, les moins ou les trop rationnelles, les plus injustes, les moins humaines. Tiago Rodrigues veut remettre les hommes face à leur responsabilité. Quid de la destinée d’Iphigénie, fille du roi des Grecs, si aucune décision ne dépendait de la volonté divine ? Autrement dit, le libre arbitre total laissé aux mortels les conduiraient-ils à des décisions différentes, plus justes ? Car c’est de justice et/ou de justesse qu’il est question, ou tout du moins pour Clytemnestre, femme d’Agamemnon et mère d’Iphigénie. Elle interpelle son mari, son roi, le père de ses enfants. Elle propose de alternatives, des solutions, comme la fuite pour vivre autrement, heureux, ailleurs, ensemble. Mais cela suppose des renoncements, et d’abord celui de la gloire, de la position sociale. Ce changement de perspective se fait par le mode du « Je me souviens ». Nous ne sommes plus dans l’action du moment. L’action est rejouée, avec les souvenirs de chacun des personnages, mais certains se rebellent, ou plutôt certaines, car pour le Chœur (de femmes) en colère, pour Clytemnestre, pour Iphigénie elle-même, à quoi sert de rejouer l’action si c’est pour la refaire à l’identique ? Alors quand le Chœur se souvient que Clytemnestre s’agenouille devant Agamemnon pour le supplier, elle dit « non ». Non, elle ne s’agenouillera pas, elle utilisera la raison pour le conduire à renoncer à la guerre et au sacrifice de sa fille. Elle s’oppose à cette guerre, qui n’a de raison que pour Ménélas de retrouver Hélène qu’il s’est vu enlever, la femme « parfaite », qui s’est en fait peut-être laissée enlevée. Libéré de l’injonction divine, encouragé et appuyé par son épouse, supplié par sa fille qui ne veut pas mourir, Agamemnon après une première illusion de renoncement, fera finalement passer les Grecs avant sa fille, se pliant aux pressions d’Ulysse et Ménélas. Les menaces finales de Clytemnestre seront vaines, le fatum reprend ses droits. Et Iphigénie reprend la parole, dont elle s’est privée pendant quasiment toute la durée de la pièce. C’est elle qui meurt, elle décide de mourir pour échapper aux mensonges du père et elle exige qu’on l’oublie, y compris sa mère, qu’on ne raconte plus son histoire, qu’on ne touche pas à son corps vivant puis mort, ce qui induit qu’on ne lui prévoit pas de sépulture (clin d’œil diversement interprétable à l’exigence d’une autre grande héroïne tragique, Antigone). Elle sera donc sacrifiée ; le stratagème de l’échange avec la biche est évoqué, Euripide l’avait déjà échafaudé. Tiago Rodrigues aurait pu aller plus loin, tout au bout de sa logique, en choisissant une autre façon pour Iphigénie de mourir et de s’assurer que son intégrité corporelle ne soit pas souillée. La scénographie sur laquelle repose toute la mise en scène est dans l’épure de la noirceur et de la rugosité. La pièce commence dans le vacarme visuel et auditif d’un monde qui semble disparu ou totalement détruit. Le son d’un hélicoptère (dont on croirait qu’il tournoit bien au-dessus de nos têtes si nous n’étions confortablement installés dans le tout récemment rénové Opéra d’Avignon) se fait insistant, de la fumée s’échappe et s’aperçoit sous une douche de lumière qui fouille l’espace nu du plateau sombre, comme à la recherche d’un fugitif. Plus tard, la scène s’éclairera à peine, au moyen d’un écran géant, projetant notamment la mer sur une bande son de vagues. Tous les costumes des personnages qui se rassemblent progressivement sont noirs et quasi uniformes et ce n’est que le talent et la personnalité de chaque comédien qui permet de les distinguer. Ils sont debouts ou assis sur d’immenses plateformes rocheuses, qu’ils manipuleront à quelques reprises, comme des plaques tectoniques miniatures qui bougent au gré des événements. Cette idée très intéressante sur le fond et la forme est malheureusement inégalement profitable à l’ensemble des spectateurs, notamment les privilégiés de l’orchestre… Cette Iphigénie si organique mériterait d’ailleurs, et la mise en scène en profiterait, d’être jouée en extérieur. Ceci dit le mistral de ces derniers jours en Avignon aurait joué des tours au texte et au mythe puisque si les Dieux ont décidé de sacrifier Iphigénie c’est bien parce que le vent ne souffle pas…   © Christophe Raynaud de Lage     Iphigénie, de Tiago Rodrigues Traduction : Thomas Resendes Mise en scène : Anne Théron Collaboration chorégraphique : Thierry Thieû Niang Scénographie et costumes : Barbara Kraft Dramaturgie et assistanat à la mise en scène : Thomas Resendes Lumière : Benoît Théron Vidéo : Nicolas Comte avec à l’image Jules Dupont, Achille Genet, Baptiste Perais, Julien Toinard, Louis Valencia Son : Sophie Berger   Avec :  Carolina Amaral, Fanny Avram, João Cravo Cardoso, Alex Descas, Vincent Dissez, Mireille Herbstmeyer, Julie Moreau, Philippe Morier-Genoud, Richard Sammut   Durée 1 h 45 Jusqu’au 13 juillet, 18 h   Opéra Grand Avignon Place de l’Horloge Avignon   Tournée en 2022-2023 : Théâtre National de Strasbourg, Théâtre des Célestins de Lyon      Read More →
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Le cas Lucia J, un feu dans la tête, d’Eugène Durif, mise en scène d’Éric Lacascade, Théâtre Artéphile, 7 rue du Bourg Neuf, festival d'Avignon Off
   © Simon Gosselin ƒƒ article de Sylvie Boursier Le cas Lucia J, un feu dans la tête Les folles ont depuis longtemps excité, fasciné, ainsi à la salpêtrière le bal des folles du professeur Charcot fut un événement mondain à Paris à la fin du XIXème siècle ; Jane Avril, une internée, deviendra danseuse au Moulin-Rouge. Sa danse, qui semblait mimer des crises d’hystérie, témoigne d’une époque fascinée par les mouvements des corps empêchés. Lucia Joyce, la fille du grand écrivain, s’initia à la danse expressionniste au début du XXème siècle mais connut un sort plus tragique ; elle croupit trois décennies durant en institution où elle mourut après avoir subi les bains froids, la camisole de force, les électrochocs. Karell Prugnaud exprime la figure de Lucia dans un corps à corps avec le verbe d’Eugène Durif à la manière Isadora Duncan. Elle jette dans l’espace des vibrations, crée des images, tout est mouvement, rythme, poésie. La comédienne danseuse est cette folle à la vitalité débordante, brutale, provocante, érotique, rendue catatonique par les injections. Karell Prugnaud est d’une extrême précision, du bout des doigts à la plante des pieds, sa diction est ciselée. Barbara Loden, Zelda Fitzgerald et Lucia Joyce, trois femmes flottantes, artistes sans œuvre dans une société qui les muselait, épouses ou fille de créateurs renommés, elles sont mortes tragiquement après de longues retraites mutiques. Barbara, épouse d’Elia Kazan et réalisatrice du magnifique Vers Wanda déclara « J’ai traversé la vie comme une autiste, persuadée que je ne valais rien, incapable de savoir qui j’étais, allant de-ci, de-là, sans dignité. » Éric Lacascade orchestre un témoignage marquant de ce que fut la psychiatrie comme instrument de normalisation sociale dans une conjugaison rare entre théâtre et performance. A voir, au théâtre Artéphile.   © Simon Gosselin Le cas Lucia J, un feu dans la tête, écrit par Eugène Durif Mis en scène par Éric Lacascade Lumière : Laurent Nennig Scénographie : Magali Murbach Jeu : Karelle Prugnaud Du 7 au 26 Juillet 2022 à 21.45 Festival d’Avignon OFF Théâtre Artéphile 7 rue du Bourg Neuf Avignon relâches les 13 et 20 juillet. Durée du spectacle : 1h 15 Théâtre Artéphile 7 rue du Bourg Neuf Avignon Réservation 0490030190 resa@artephile.com Texte Édité par « FRICTIONS, Théâtre | Ecritures ».        Read More →
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