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Le Vertige Marilyn d’Olivier Steiner, Conception d’Olivier Steiner & Emmanuel Lagarrigue, Théâtre de l’Atelier

Juil 11, 2022 | Commentaires fermés sur Le Vertige Marilyn d’Olivier Steiner, Conception d’Olivier Steiner & Emmanuel Lagarrigue, Théâtre de l’Atelier

 

 

 © Marcel Hartmann

 

 

ƒƒƒ article de Corinne François-Denève

Cela commence bien avant. Il s’agit de remonter à la surface, du métro souterrain à l’air libre. Un seul ascenseur fonctionne. Dans la cabine, bondée, cela bruisse déjà : « Vous l’avez déjà vue ? » ; « Je suis allé voir le dernier Ozon ». Le monte-charge, par stations poussives, finit par déverser hommes et femmes sur le bitume déjà chaud. Serait-on à Paris, ou dans le New York caniculaire de Sept ans de réflexion ? On se reconnaît, on se suit, on emprunte le même chemin : « Moi, c’est dans Adèle H » ; « je n’avais pas eu de places pour la Dame aux camélias ». On arrive en grappes sur la Place Charles Dullin, désormais grignotée par les terrasses de restaurant. On peine à voir l’affiche, presque cachée derrière les mastiqueurs, mais pas la file des gens qui attendent, contenue par un ruban rouge. Dans le minuscule hall, c’est la même effervescence, la même ferveur : qui a son billet sur son téléphone, mais pas sa contremarque ? Qu’à cela ne tienne, « on vous la réimprime, bonne soirée, on fait entrer dans vingt minutes, monsieur ». « Le bouquet ? Oh vous pourrez très certainement le lui donner à la fin, madame ». Pardon, pardon, mon pied, oh je vous en prie, oui là, par là, on se faufile, on se presse, on sourit aux autres ; les ouvreurs et les ouvreuses montent et descendent « nous vous demandons d’attendre, messieurs et mesdames ! » ; sourire sincère ou professionnel, montée, descente, bip, « par ici », « bonne soirée », bip ; programme à la main, prestement offert, « ici ! » « Pardon, pardon ! » « Je vous en prie ! » Assis, debout, « passez, je vous en prie ! » « Ah vous êtes ici ! » ; on se met à trois pour déplier le strapontin et y caser le grand monsieur tout sec. Madame, derrière, préférera rester debout « pour mieux voir ». La salle est envahie d’une fumée qui nimbe la bonbonnière de l’Atelier d’une aura mystique. Mais quelle est donc cette étrange cérémonie, devenue rare au théâtre ?

C’est une pièce avec mademoiselle Adjani. Une pièce sur mesure, comme la robe Dior que la comédienne porte, intitulée « Le Vertige Marilyn ». Il s’agirait de raconter la dernière nuit de Marilyn, celle qui voit l’idole blonde quitter le monde des hommes pour, d’un coup de Nembutal, rejoindre d’autres rives, mythiques, vers lesquelles elle ne faisait finalement que revenir, déesse égarée sur terre. Le texte se compose de plusieurs strates : le récit, presque légiste, sur le ton froid du reportage, de cette dernière nuit, mais aussi des textes de Marilyn, sur Marilyn, et des interviews d’Adjani elle-même. L’indécis au précis se joint : on ne sait qui, de Marilyn ou d’Isabelle, parle – mais cela n’a pas d’importance, tant elles peuvent parler l’une de l’autre – du devenir-actrice, du métier d’actrice, de ses joies et de ses servitudes, de l’omniprésence de l’image, du corps, de la presse. Marilyn déplorant qu’un metteur en scène prenne plaisir à parler mal d’elle aux journalistes, pour que cela fasse le tour du monde, c’est aussi Adjani présentée comme « difficile » à longueur d’interviews complaisantes. Adjani, fille d’immigrée, se souvenant de l’enfant qu’elle fut, rêvant d’autre chose, d’un au-delà du terrain vague de son HLM, c’est aussi Norma Jean tournant le dos à son destin programmé de white trash pour devenir Miss Golden Dreams, puis Marilyn Monroe. Marilyn et Adjani sont des stars ; mais ce qui a intéressé davantage Olivier Steiner, c’est ce souffle subtil qui émane d’elles, et les relie ; cette « anima », cette pulsation que l’on sent battre dans le timbre d’Adjani, au début de la pièce, quand elle n’est pas encore apparue, mais qu’elle nous tient accrochés à sa voix, tout à la fois si décidée et si fragile. Marilyn, nous dit-on, est morte en 62, mais elle nous hante toujours, et c’est cette apparition que l’on guette et croit apercevoir, ou entendre, sur les planches de l’Atelier.

La pièce, ainsi, prend la forme d’une cérémonie – d’un oratorio avec parole rhapsodique et nappes entêtantes de musique, qui fonctionne sur le système de la boucle. Le mur du fond de l’Atelier, émouvant dans sa nudité, accueille des images fantomatiques des rushs du dernier film de Marilyn. On entend une archive, la sinistre annonce de la venue de la « late Marilyn Monroe », terrible jeu de mots lacanien, lavé ici de son côté morbide. Isabelle Adjani, de façon presque ritualisée, se déplace autour d’un immense praticable, puits dans lequel on essaie de sonder le mystère d’une actrice, ou de l’actrice. Des projecteurs s’allument et finissent par s’éteindre, telles des lucioles pasoliniennes, quand la cérémonie touche à sa fin.

Cela finit donc par les saluts, longs saluts d’une salle debout. La comédienne sirote une coupe, salue, revient, indique, mutine, qu’elle doit aller se coucher. Un bouquet passe par-dessus les têtes, rejoint le devant de la scène ; la dame a pu le donner, ce tournesol empaqueté dans son crépon rouge. Le grand monsieur sec s’est extirpé de son strapontin. La dame a tenu debout l’heure de spectacle. Dehors, il fait toujours chaud, les mangeurs mangent.

 

© Marcel Hartmann

 

Le vertige Marilyn, d’Olivier Steiner

Conception : Olivier Steiner & Emmanuel Lagarrigue
Avec : Isabelle Adjani

 

Durée : 1 h 20

Pièce vue le 6 juillet 2022 au Théâtre de l’Atelier

 

 

Théâtre de l’Atelier

1 Pl. Charles Dullin

75018 Paris

www.theatre-atelier.com

 

 

Prochaines dates :

Festival de Ramatuelle, le 6 août 2022

Château Lacoste, le 13 août 2022

Teatro Goldoni, Venise, les 14 et 15 octobre 2022

Théâtre Anthéa, Antibes, les 4 et 5 janvier 2023

Salle Pleyel, Paris, 31 mars et 1er avril 2023

 

 

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