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Iphigénie, de Tiago Rodrigues, mis en scène par Anne Théron, Opéra Grand Avignon, Festival d’Avignon In

Juil 09, 2022 | Commentaires fermés sur Iphigénie, de Tiago Rodrigues, mis en scène par Anne Théron, Opéra Grand Avignon, Festival d’Avignon In

 

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Iphigénie est une tragédie. Chez Euripide, comme chez Racine, et finalement aussi chez Tiago Rodrigues. Si l’auteur et metteur en scène portugais, successeur d’Olivier Py à la direction du Festival d’Avignon à partir de 2023, change radicalement la perspective, Iphigénie meurt quand même à la fin.

Dans la mythologie grecque, Iphigénie est sacrifiée par Agamemnon son père, obéissant à un oracle prescrivant cet assassinat afin que les Dieux fassent lever les vents, seuls en mesure de permettre aux navires grecs d’arriver à Troie. Les humains sont le jouet des Dieux, c’est bien connu, ce qui permet aux premiers d’éviter toute responsabilité dans leurs décisions les plus contestables, les moins ou les trop rationnelles, les plus injustes, les moins humaines.

Tiago Rodrigues veut remettre les hommes face à leur responsabilité. Quid de la destinée d’Iphigénie, fille du roi des Grecs, si aucune décision ne dépendait de la volonté divine ? Autrement dit, le libre arbitre total laissé aux mortels les conduiraient-ils à des décisions différentes, plus justes ? Car c’est de justice et/ou de justesse qu’il est question, ou tout du moins pour Clytemnestre, femme d’Agamemnon et mère d’Iphigénie. Elle interpelle son mari, son roi, le père de ses enfants. Elle propose de alternatives, des solutions, comme la fuite pour vivre autrement, heureux, ailleurs, ensemble. Mais cela suppose des renoncements, et d’abord celui de la gloire, de la position sociale.

Ce changement de perspective se fait par le mode du « Je me souviens ». Nous ne sommes plus dans l’action du moment. L’action est rejouée, avec les souvenirs de chacun des personnages, mais certains se rebellent, ou plutôt certaines, car pour le Chœur (de femmes) en colère, pour Clytemnestre, pour Iphigénie elle-même, à quoi sert de rejouer l’action si c’est pour la refaire à l’identique ?

Alors quand le Chœur se souvient que Clytemnestre s’agenouille devant Agamemnon pour le supplier, elle dit « non ». Non, elle ne s’agenouillera pas, elle utilisera la raison pour le conduire à renoncer à la guerre et au sacrifice de sa fille. Elle s’oppose à cette guerre, qui n’a de raison que pour Ménélas de retrouver Hélène qu’il s’est vu enlever, la femme « parfaite », qui s’est en fait peut-être laissée enlevée.

Libéré de l’injonction divine, encouragé et appuyé par son épouse, supplié par sa fille qui ne veut pas mourir, Agamemnon après une première illusion de renoncement, fera finalement passer les Grecs avant sa fille, se pliant aux pressions d’Ulysse et Ménélas. Les menaces finales de Clytemnestre seront vaines, le fatum reprend ses droits. Et Iphigénie reprend la parole, dont elle s’est privée pendant quasiment toute la durée de la pièce. C’est elle qui meurt, elle décide de mourir pour échapper aux mensonges du père et elle exige qu’on l’oublie, y compris sa mère, qu’on ne raconte plus son histoire, qu’on ne touche pas à son corps vivant puis mort, ce qui induit qu’on ne lui prévoit pas de sépulture (clin d’œil diversement interprétable à l’exigence d’une autre grande héroïne tragique, Antigone). Elle sera donc sacrifiée ; le stratagème de l’échange avec la biche est évoqué, Euripide l’avait déjà échafaudé. Tiago Rodrigues aurait pu aller plus loin, tout au bout de sa logique, en choisissant une autre façon pour Iphigénie de mourir et de s’assurer que son intégrité corporelle ne soit pas souillée.

La scénographie sur laquelle repose toute la mise en scène est dans l’épure de la noirceur et de la rugosité. La pièce commence dans le vacarme visuel et auditif d’un monde qui semble disparu ou totalement détruit. Le son d’un hélicoptère (dont on croirait qu’il tournoit bien au-dessus de nos têtes si nous n’étions confortablement installés dans le tout récemment rénové Opéra d’Avignon) se fait insistant, de la fumée s’échappe et s’aperçoit sous une douche de lumière qui fouille l’espace nu du plateau sombre, comme à la recherche d’un fugitif. Plus tard, la scène s’éclairera à peine, au moyen d’un écran géant, projetant notamment la mer sur une bande son de vagues. Tous les costumes des personnages qui se rassemblent progressivement sont noirs et quasi uniformes et ce n’est que le talent et la personnalité de chaque comédien qui permet de les distinguer. Ils sont debouts ou assis sur d’immenses plateformes rocheuses, qu’ils manipuleront à quelques reprises, comme des plaques tectoniques miniatures qui bougent au gré des événements. Cette idée très intéressante sur le fond et la forme est malheureusement inégalement profitable à l’ensemble des spectateurs, notamment les privilégiés de l’orchestre… Cette Iphigénie si organique mériterait d’ailleurs, et la mise en scène en profiterait, d’être jouée en extérieur. Ceci dit le mistral de ces derniers jours en Avignon aurait joué des tours au texte et au mythe puisque si les Dieux ont décidé de sacrifier Iphigénie c’est bien parce que le vent ne souffle pas…

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Iphigénie, de Tiago Rodrigues

Traduction : Thomas Resendes

Mise en scène : Anne Théron

Collaboration chorégraphique : Thierry Thieû Niang

Scénographie et costumes : Barbara Kraft

Dramaturgie et assistanat à la mise en scène : Thomas Resendes

Lumière : Benoît Théron

Vidéo : Nicolas Comte avec à l’image Jules Dupont, Achille Genet, Baptiste Perais, Julien Toinard, Louis Valencia

Son : Sophie Berger

 

Avec :  Carolina Amaral, Fanny Avram, João Cravo Cardoso, Alex Descas, Vincent Dissez, Mireille Herbstmeyer, Julie Moreau, Philippe Morier-Genoud, Richard Sammut

 

Durée 1 h 45

Jusqu’au 13 juillet, 18 h

 

Opéra Grand Avignon

Place de l’Horloge

Avignon

 

Tournée en 2022-2023 : Théâtre National de Strasbourg, Théâtre des Célestins de Lyon

 

 

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