© Christophe Renaud de Lage
ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Il est des spectacles que l’on attend. Parce que l’on sait que l’on va y trouver une autrice que l’on admire, une metteuse en scène qui nous interpelle, des ou une comédienne que l’on a adorée dans un précédent spectacle, des thématiques que l’on chérit, un lieu dans lequel on a de bons souvenirs. Et on se prépare. Intellectuellement (en lisant ou relisant plusieurs semaines à l’avance des ouvrages sur le sujet) et émotivement d’une certaine manière.
C’était le cas pour Anaïs Nin au miroir. Anaïs Nin, le féminisme, Elise Vigier, Ludmilla Dabo, le Théâtre Benoît-XII…
Et dès le début, on ne saisit pas, on n’est pas saisie. On résiste car on veut l’aimer cette pièce. On s’accroche à la démarche et à la diction de Ludmilla Dabo que l’on avait trouvée sensationnelle dans Une femme se déplace de David Lescot en 2019 et qui reste excellente. On se souvient de l’excellent Buster Keaton d’Elise Vigier (avec Marcel di Fonzo Bo, lequel joue le père dans l’une des vidéos) l’année dernière au Monfort Théâtre. On se raccroche à quelques citations formidables d’Anaïs Nin que l’on connaît ou que l’on découvre (son Journal écrit sur plus de 60 ans fait plus de 10 volumes, alors on n’a pas tout lu…), à un joli effet de mise en scène (Dea Liane dans un jeu de miroirs au sens propre). Et pour le reste… On reste de l’autre côté du miroir. Gênée sur notre siège, en essayant de se trouver des excuses (la fatigue, un méchant virus, la chaleur…), alors que des voisins spectateurs rient, souvent, et applaudiront copieusement. Il n’y a pourtant pas vraiment matière à rire ou plutôt ce qui est donné à rire n’a rien à voir avec Anaïs Nin.
Car il y a beaucoup de digressions dans la proposition d’Agnès Desarthe et Elise Vigier, dans une construction qui semble décousue. Une troupe, principalement camerounaise, répète une pièce dans un théâtre. Alors qu’il n’est pas encore ouvert, la « technicienne de surface » (jouée par Elise Vigier elle-même) rencontre le fantôme d’Anaïs Nin. Bien que d’époques et d’horizons fort différents, les deux femmes dialoguent et se comprennent sans difficulté. Tant mieux. On les retrouve ensuite en vidéo sur un bateau. Pourquoi ? L’argument du voyage comme symbole du mouvement perpétuel et de l’eau comme allégorie du miroir, est un peu court.
Les répétitions à la table, et sur le plateau sont entrecoupées de scènes faisant référence aux Nouvelles fantastiques de l’écrivaine franco-cubaine (mais qui a surtout vécu aux États-Unis), lesquelles sont moins connues que son Journal et ses nouvelles érotiques. De ce qu’on en a vu, ces Nouvelles ne sont sans doute pas ce qu’il y a de plus intéressant (et on n’a pas envie de les acheter pour les lire à la sortie du théâtre) dans la production littéraire et la vie de cette femme plurielle, solaire, qui s’est rendue célèbre par sa vie amoureuse et sexuelle libérée, multipliant les amantes et amants célèbres (ou non). Des vidéos s’ajoutent, faisant surtout des flash-backs sur son enfance et en particulier sur la relation avec son père, ce qui vient quelque peu brouiller le propos. Il est difficile de traiter de tout. Les couches des différents niveaux de récits finissent par s’additionner et ôter toute lisibilité à la démonstration. C’est dommage tant il y a matière à exploiter les ambiguïtés de cette femme exceptionnelle dont la détermination transgressive, la volonté de jouir de la vie et d’affirmer sa liberté venait parfois se heurter à ses doutes. Une personnalité extra-ordinaire qui aurait pu tout autant être un personnage de roman que de théâtre et qui méritait un plus bel hommage dramaturgique, en dépit de toute la sincérité de l’autrice et de la metteuse en scène d’Anaïs Nin au miroir qui ont néanmoins certainement donné envie à de nombreux spectateurs de se plonger ou replonger dans son œuvre, en commençant par exemple au hasard par son premier roman, Les miroirs dans le jardin…
© Christophe Raynaud de Lage
Anaïs Nin au miroir d’Agnès Desarthe, librement inspiré des Nouvelles fantastiques et des journaux d’Anaïs Nin
Mise en scène : Elise Vigier
Musique : Manusound et Marc Sens
Scénographie : Camille Faure et Camille Vallat
Lumière : Bruno Marsol Films Nicolas Mesdom assisté de Romain Tanguy
Costumes : Laure Mahéo
Accessoires et maquillages : Cécile Kretschmar
Effets magiques : Philippe Beau en collaboration avec Hugues Protat Assistanat à la mise en scène : Nanténé Traoré
Avec : Ludmilla Dabo, William Edimo, Nicolas Giret-Famin, Louise Hakim, Dea Liane, Makita Samba, Nanténé Traoré, Élise Vigier
À l’image Marc Bertin, Marie Cariès, Hannarick Dabo, Ôma Desarthe, Marcial Di Fonzo Bo, Mia Saldanha. Et le musicien Marc Sens
Durée 2 h 15
Théâtre Benoît-XII
Rue des Teinturiers
Avignon
Jusqu’au 16 juillet, 18 h
Tournée en 2022-2023 : Comédie de Caen, Théâtre Dijon Bourgogne, Théâtre de la Tempête à Vincennes, La Passerelle de Saint-Brieuc
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