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Je m’en vais mais l’Etat demeure, d’Hugues Duchêne, au théâtre 13, site Glacière, Paris

Juin 15, 2022 | Commentaires fermés sur Je m’en vais mais l’Etat demeure, d’Hugues Duchêne, au théâtre 13, site Glacière, Paris

 

© Simon Gosselin

 

ƒƒ article de Sylvie Boursier

Le soir de sa mort, Louis XIV déclara aux titulaires des grands offices : « Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours ; soyez-y fidèlement attachés. »  Il ne manque pas d’humour, Hugues Duchêne, pour plagier ainsi le roi Soleil avec ce titre aussi magnifique qu’étrange Je m’en vais mais l’Etat demeure. De quelle fin est-il le nom ? Peut-être celle de certaines utopies ou l’agonie possible de la sociale démocratie à l’heure des fakes news et tweets assassins. A chacun d’apprécier.

Le metteur en scène conjugue ses deux passions, la politique et le théâtre, dans cet OVNI dramatique. Le spectacle débute en septembre 2016 et s’achève en 2022 à la date du jour de la représentation. Pendant ces années l’auteur s’est immergé (il réfute le terme d’infiltré) dans toutes les sphères politiques, juridiques, médiatiques et diplomatiques de son pays, partout où, comme il dit « il se passe quelque chose ». Grâce à de vieux badges, à une carte culture et surtout à un sacré bagout, ce tintin chef d’orchestre se faufile dans les salons VIP, les états-majors, les tribunaux, les meetings, à l’Assemblée nationale, aux QG de campagnes où il approche de près certains candidats. Son enquête solide avec croisements de sources écrites visuelles et sonores aboutit à une série théâtrale en six épisodes d’un peu plus d’une heure chacun, ce qui donne à ce jour… huit heures de spectacle. Des entractes sont organisés entre chaque épisode pendant lesquelles, sur un écran large, s’affiche le « contrat de fonctionnement » élaboré par l’auteur qui s’y connait en droit du travail. Astucieusement il fait se croiser l’histoire collective de son pays avec son histoire familiale, puisque la pièce est censée répondre à une question de son neveu chéri : « Tonton, comment en est-on arrivé là ? ». Il est cash et pour lever toute ambiguïté va jusqu’à jusqu’à révéler ses votes ainsi que ceux de sa famille.

Accrochez vos ceintures, vous allez être propulsés sans transition des coulisses de la Comédie-Française aux ronds-points des gilets jaunes, vous suivrez les militants de plusieurs écuries sur les marchés ainsi que les procès retentissants des terroristes, les techniques des spin doctors n’auront plus de secrets pour vous. C’est beaucoup mieux que « Borgen », parce que c’est vrai même si Hugues Duchêne revendique sa part de subjectivité avec une certaine marge d’erreurs.

En béton sur le fond le spectacle se révèle d’une originalité folle sur la forme. Il faut oser afficher sur l’écran géant la carte de France avec les scores impressionnants du Rassemblement National tandis que le clone de Juliette Armanet, la comédienne Marianna Granci, chante en live « Manque d’amour » très doucement comme on berce un enfant.

Hilarant Jacques Alain Miller, l’ineffable lacanien, se lançant dans une prosopopée délirante au meeting des intellectuels anti-le Pen, complètement ésotérique pour le commun des mortels. Décoiffantes les potacheries de Frédéric Beigbeder, lors d’un flashback dans les réunions de Sciences Po.

Et surtout les sept comédiens de sa compagnie « le Royal velours » sont sacrément talentueux. D’une énergie folle, ils se métamorphosent à vue dans une performance chorégraphique millimétrée ! Ils jouent collectif, choppent en un instant le geste, la mimique de leurs personnages.

Il agace parfois le jeune Duchêne avec sa manie de multiplier le zapping visuel à la vitesse du TGV comme s’il craignait que le spectateur ne s’ennuie, au risque de survoler. On décroche de temps en temps mais on est rattrapé au bout du compte. L’ensemble est acide et drôle, personne n’est épargné. Les questions posées sont graves et même glaçantes à la toute fin qui laisse un sentiment de malaise. Le jeune trentenaire a une vraie envie de comprendre et pratique l’auto dérision sans aucun cynisme.

« Le spectacle présente un monde complexe, fragmenté, quasiment chaotique, où chaque personnage doit composer ses décisions avec des vents contraires […] à l’opposé donc des thèses complotistes » note-t-il dans le dossier de presse.

La saga se termine sur un épilogue hallucinant, diablement théâtral avec une dernière séquence dystopique que les spectateurs découvriront. Des sujets essentiels émergent alors frontalement, la déontologie, les limites d’une telle démarche, la valeur de l’engagement et les conséquences d’un jeu politique qui tournerait à vide.

Ça ira, Louis, le pire n’est jamais sûr.

Allez les voir !

 

© Simon Gosselin

 

Je m’en vais mais l’Etat demeure, conçu écrit et mis en scène par Hugues Duchêne

Lumière : Hugo Dardelet

Costumes : Sophie Grosjean et julie Camus

Vidéo : Pierre Martin

Avec : Pénélope Avril ou Juliette Damy, Vanessa Bile -Audouard, Théo Comby-Lemaître, Hugues Duchêne, Mariana Granci, Laurent Robert, Gabriel Tur ou Robin Goupil

 

Du 7 au 26 juin,

Partie 1 (épisode 1,2,3) les mardis et jeudis à 20 h

Partie 2 (épisodes 4,5,6) les mercredis et vendredis à 20 h

Intégrale les samedis et dimanche à 15 h  

 

Durée : 8 h avec entractes en intégrale ou 2 parties de 4 h chacune

 

 

Théâtre 13

Site Glacière, 103 Bd Auguste Blanqui 75013 Paris

Réservation :0145881630

www.théatre13.com

 

 

 

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