© Pierre Grosbois
ƒƒƒ article de JB Corteggiani
Au début, parce que ça commence dans le noir avec une voix off, une voix qui raconte un accident de voiture, un accident qui fait d’une fillette de huit ans une orpheline, et que cette histoire est celle de Céline Milliat-Baumgartner, qui l’a écrite, qui la raconte elle-même sur scène, on se dit que cette pièce sera une traversée douloureuse.
Mais non, rien qui pèse, pas de pathos, pas de pataud. Voici la comédienne seule en scène dans une jolie robe azurée, qui parle d’une voix vivement fraîche et fruitée. Au-dessus d’elle, en biseau, en plongée, un grand miroir mité qui tasse son reflet : « je soufflerai neuf bougies, dix bougies, onze bougies, douze, treize, quatorze, quinze bougies. Et j’aurai huit ans encore et encore. » Et vraiment, dans ce reflet nain, Céline semble avoir mangé du gâteau rétrécissant d’Alice : la scénographie est d’Emmanuelle Roy.
D’emblée, dans le récit, un autre miroir, invisible, celui où l’autrice se scrute dans les traits de sa mère, qui était comédienne, qui a joué avec Depardieu dans un film de Truffaut : « Ma mère est le modèle. L’original. L’idéal. Elle est le moule perdu dans lequel je me fonds. (…) Je suis femme jusqu’au bout de ses ongles rouges. » Suivent une évocation du père, « qui m’aurait plu si j’avais eu son âge », celle d’un voyage en Grèce en camping-car, celle d’un coup de téléphone un matin où les parents ne sont pas rentrés…
C’est là que la gorge se serre ? Oui, un peu, mais pas trop, et on s’en étonne en lisant le texte (1) : « je refuserai de croire à ce cercueil que je n’ai pas vu » ; « sans la protection de mes parents, je n’aurai plus de bouclier entre moi et le monde » ; « je compenserai les colères butées de mon frère plus jeune (…) somnambule tétanisé qu’on est obligé de plonger dans des bains d’eau froide au milieu de la nuit »… Alors quoi ? La diablerie de cette voix presque enfantine, comme dans une chanson brésilienne dont la gaieté musicale cache la tristesse des paroles ? Les sortilèges amusants de la mise en scène (de Pauline Bureau) – ce PV de décès qui s’enflamme, ces chaussures qui se font la malle au fond de la scène ? Le douchage systématique des larmes par des pointes comiques ? (Juste une pour le plaisir : « Je recevrai un cahier grand format recouvert de dessins et de fleurs, d’arcs-en-ciel, de soleils. Un cahier dans lequel chaque élève de ma classe de CE2 aura écrit un poème, une déclaration, un petit mot : “Pour toi ça va être très dur. Bisous”. » )
Oui, mais il y a peut-être plus essentiel, et plus retors. Nous voici vers la fin, la femme Céline a dépassé l’âge de ses parents, se réjouit de n’avoir pas peur de les perdre, de ne pas avoir à les tuer. Redoute tout de même « une malédiction qui se transmettrait de mère en fille ». Réfléchit avant de faire un enfant. Entonne a cappella Les yeux de ma mère, d’Arno. Remonte lentement sa robe. Ce n’est pas le corps de la fillette pépiante qui rêvait d’être danseuse. Ce n’est plus le corps de la jeune comédienne qui, à l’école de théâtre, rejouait les rôles de sa mère. C’est le corps d’une femme, et sur son ventre est dessiné un bébé. Déplacement de perspective, renversement d’émotion. Dramatiquement et visuellement, c’est superbe. Et là, oui, la boule dans la gorge. Il y aura cinq rappels.
(1) Publié chez Hatier et aux éditions Arléa.
© Pierre Grosbois
Les bijoux de pacotille, de Céline Milliat-Baumgartner
Mise en scène par Pauline Bureau
Avec : Céline Milliat-Baumgartner
Dramaturgie : Benoîte Bureau
Scénographie : Emmanuelle Roy
Composition musicale et sonore : Vincent Hulot
Costumes et accessoires : Alice Touvet
Lumière : Bruno Brinas
Vidéo : Christophe Touche
Magie : Benoît Dattez
Travail chorégraphique : Cécile Zanibelli
Direction Technique : Marc Labourguigne
Régie Son : Sébastien Villeroy
Régie Lumière : Pauline Falourd
Durée : 1 h 05
Du 10 au 21 mai 2022 à 20 h (mardi, mercredi et vendredi), jeudi à 19 h, samedi à 16 h
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris
Location 01 45 45 49 77
https://theatre14.fr
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