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ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Discours sur le colonialisme est sans doute le texte le plus connu et le plus lu et étudié d’Aimé Césaire. Publié en 1950, suite à la commande de la revue communiste Réclame, il n’a pas été prononcé, contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser suggérer. Le député et maire de Fort-de-France déjà reconnu et respecté comme poète (depuis Cahier d’un retour au pays natal en 1939) et dramaturge (seul Et les chiens se taisaient parait avant le Discours ; La tragédie du roi Christophe et Une saison au Congo ne seront créés que plus d’une dizaine d’années plus tard), écrit son texte comme un pamphlet.
De fait, le texte décrit, accuse et interpelle. Il décrit la situation et les conséquences de la colonisation. Il accuse ses concepteurs et exécuteurs. Il interpelle ceux qui ont cautionné, approuvé un tel système.
La richesse de l’adaptation de Mariann Mathéus et de la compagnie Moun San Mélé qui proposent depuis 2013 une version scénique du texte (créé pour le centenaire de la naissance de l’écrivain à l’Assemblée nationale), sous forme de « pièce musicale », est de se saisir de la richesse du texte de Césaire dans toutes ses dimensions et d’y ajouter à la fois des respirations et des compléments de compréhension.
Après une première introduction à la guitare, le Discours sur le colonialisme est lu au pupitre par Mariann Mathéus, redonnant en quelque sorte une raison d’être à son titre. La lecture est découpée par des respirations musicales (guitare et percussions) et même l’une d’entre elles dansée par la lectrice. Patrick Karl vient accompagner lui aussi au pupitre la voix de Mariann Mathéus, duo qui créé une sorte de dialogue entre Césaire et tous les chantres contemporains du colonialisme dont le racisme s’exprime violemment dans des extraits de leurs écrits largement oubliés aujourd’hui et cités par Césaire. Cet aller-retour entre ces deux voix est ce qui permet de saisir au mieux les enjeux du texte et sa portée, de revenir sur les lieux communs et les ambiguïtés des faits (l’ineffectivité ou la violation des traités signés, le « pseudo-humanisme » qui a « trop longtemps rapetissé les droits de l’homme », les « mensonges propagés » et l’ « hypocrisie collective » de l’Europe colonisatrice justifiant a posteriori les progrès matériels atteints grâce à son action), mais aussi donc sur la diffusion des idées racistes sous couvert de philosophie humaniste : se souvient-on des saillies de Renan (« La régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieure est dans l’ordre providentiel de l’humanité (…) une race de travailleur de la terre, c’est le nègre ; soyez pour lui bon et humain et tout sera dans l’ordre ») dans son si mal nommé La Réforme intellectuelle et morale ou des mots de Joseph de Maistre reprenant ad nauseam l’expression de race inférieure, ou encore des ignobles et inexcusables écrits de Jules Romains sous couvert de pseudonyme à la Revue des Deux mondes (« La race noire n’a encore donné, ne donnera jamais un Einstein, un Stravinsky, un Gershwin ») ?
Cette mise en miroir telle que proposée par Mariann Mathéus est extrêmement efficace et donne du rythme et du dynamisme à la lecture qui peut s’avérer ardue du Discours sur le colonialisme, texte pourtant à jamais incontournable de la littérature anti-coloniale et dont la diffusion la plus large possible est encore nécessaire aujourd’hui. Césaire l’avait utilement prolongé par son Discours sur la négritude, plus court et facile d’accès qui, lui, sera effectivement prononcé trente-sept ans plus tard et qui pourrait un jour être créé par la cie Moun San Mélé…
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Discours sur le colonialisme, d’Aimé Césaire
Version agencée : Aimé et Jean-Paul Césaire
Mise en espace : Mariann Mathéus
Musiciens : Ahmed Barry, Jean-Emmanuel Fatna
Avec : Mariann Mathéus, Patrick Karl
Durée 1 h 15
Théâtre Traversière
14 mai 2022
www.theatre-traversiere.fr
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