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Les îles singulières, d’après « Le sel », de Jean-Baptiste Del Amo, mise en scène de Jonathan Mallard, TGP, Saint-Denis

Mai 16, 2022 | Commentaires fermés sur Les îles singulières, d’après « Le sel », de Jean-Baptiste Del Amo, mise en scène de Jonathan Mallard, TGP, Saint-Denis

 

© Simon Gosselin

 

ƒ article de JB Corteggiani

Une famille va se réunir. Oh, c’est tendu. C’est plein de reproches, de blessures et de non-dits. Comment s’entendre, d’ailleurs, sous le ciel de Sète, assourdissant de cris de mouettes et de goélands ? Il y a Louise, la mère, maladroite, évitante. Le fantôme de son mari, Armand, un « homme colossal et violent », « au visage dur, boucané par les embruns », un rude pêcheur. Et puis la fratrie : Albin, violent comme son père, impérieux, insatisfait, qui « gaspille sa semence sur le dallage des murs de la salle de bain » ; Fanny, la mal-aimée ou la moins aimée ; Jonas, le chéri de sa maman, en marge, homosexuel, qui s’enivre de l’odeur de sève des figuiers et drague dans les dunes du Grand Travers. Et puis il y a les amants, et les légitimes. Et puis d’autres fantômes : Fabrice, l’ancien amant de Jonas, mort du sida ; Léa, la fillette de Fanny, morte accidentellement sur une plage.

Vous êtes étourdi de noms ? Le spectateur l’est aussi. « J’étais largué », le commentaire revenait souvent à la sortie.

Les Iles singulières sont une adaptation de Le sel, de Jean-Baptiste Del Amo, un roman à quatre voix qui retrace l’histoire d’une famille de Sétois d’origine italienne. Jonathan Mallard, le metteur en scène, l’a transformé en une partition pour neuf personnages. Pour ce faire, il a « axé l’adaptation sur la confrontation entre le vécu de la fratrie et le regard de leurs compagnes et compagnons ». Cinq comédiens, neuf personnages. De part et d’autre de la scène, un portant à vêtements ; la scène ressemble souvent à un espace de déshabillages et habillages. Le dispositif est courant, on l’a vu par exemple dans une récente performance à Beaubourg du collectif Forced Entertainement, 12 AM : Awake and Looking Down. Le problème tout bête qui se pose ici au spectateur, c’est : qui est qui ? La valse des prénoms renforce la sensation de fouillis : qui est cet Armand ? ah oui, le père ! pourquoi les enfants ne l’appellent-ils pas papa ? parce qu’ils veulent le tenir à distance ? eh oui, mais on n’est pas dans un livre, qui permet de revenir en arrière.

« Les comédiens sont plus forts que le récit », prévient Jonathan Mallard. En effet. Davantage qu’à une histoire tressée, la pièce ressemble à une suite de scènes. Alors, comme les comédiens sont excellents, on s’accroche à ce qui se passe dans chaque scène, convertie en petite île dramatique. A la langue, belle et charnue souvent, un peu poétifiante par moments (« Pour les eaux étrangères, je serai le poème du retour vers les îles singulières. ») A ce que le metteur en scène appelle des « spectacularités », respirations bienvenues (un rangement domestique chorégraphié, un crawl mimé qui devient boxe).

On voit bien le projet narratif et poétique de Jonathan Mallard, il est résumé dans une phrase extraite du roman : « Leur famille est ce fleuve aux courbes insaisissables dont il n’est possible de cerner la vérité qu’en l’endroit où la mémoire de tous afflue pour se jeter, unifiée, dans la mer ». Ailleurs, un des personnages cite Les Vagues, de Virginia Woolf : « Ce pourraient être des îlots de lumière – des îles dans le courant que j’essaie de représenter ; la vie elle-même qui s’écoule. » Seulement, dans Les Vagues, de mémoire, les fantômes ne se font pas concurrence : un seul absent, Percival, hante les monologues intérieurs des six personnages.

Vraiment dommage, cette confusion par trop-plein et emberlificotage narratif, car la pièce creuse bien au-delà du simpliste et lassant « Familles, je vous hais ». Elle sonde avec finesse cet agrégat opaque, la famille, cette somme de personnes étrangères les unes aux autres, « harassées de devoir se tenir ensemble ». Elle fait entendre clairement, et de manière convaincante, la réplique des parents aux récriminations des enfants jamais rassasiés : « C’est comme ça, les adultes ont des paroles, des gestes, qui hantent la vie des enfants et ils n’en savent rien. » Quant à l’amour, n’allez pas croire : « ils marcheront vers moi, mes enfants, ma chair, mes vies encore à vivre. Je leur sourirai depuis le porche, comme d’habitude, pour qu’une fois encore ils me croient indéfectible. »

Et dans la dernière scène, toute amertume bue, toutes bisbilles éteintes, Fanny fait le récit poignant de la mort de la petite Léa, tombée d’un môle, trouée par une barre de fer rouillée. « Ma fille, avec le temps,, (…) ne peut plus disparaître qu’avec moi. Par sa mort elle me donne naissance et fait de moi une femme. Léa m’enfante. » Plus de générations, plus de reproduction accablante, plus d’inévitables blessures : enfin l’apaisement.

 

© Simon Gosselin

 

 

Les îles singulières, mise en scène de Jonathan Mallard

D’après le roman « Le Sel », de Jean-Baptiste Del Amo. Adaptation libre et collective

Avec : Lina Alsayed, Ambre Febvre, Julia Roche, Mikaël Treguer, Pierre Vuaille

Scénographie : Jonathan Mallard et Izumi Grisinger

Création sonore : Izumi Grisinger

Lumière : Rosemonde Arrambourg

Costumes : Hercule Bourgeat

 

 

Durée : 1 h 45

Du 12 au 16 mai 2022 à 20 h 30

 

TGP

59 boulevard Jules Guesde

93200 Saint-Denis

tél : 01 48 13 70 00

www.tgp.theatregerardphilipe.com

 

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