Flowers (we are) de Claire Croizé et Matteo Fargion au Théâtre de la Bastille
  © Herman Sorgeloss   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Les hauts murs de la scène de la Bastille sont habillés d’un lamé argent. Fluide et brillant, il pare l’espace nu à la manière d’un corps de femme. Cela pourrait sembler kitsch au premier regard, et pourtant quelque chose nous retient et nous cherche. C’est étrange comme l’espace peut s’insinuer le véhicule d’un autre rapport au temps. Car la proposition de Claire Croizé, accompagnée des musiciens Matteo et Francesca Fargion, père et fille (avec quelque chose de shakespearien), et des danseurs Claire Godsmark, Gorka Gurrutxaga et Emmi Väisänen, est comme affranchie tant elle échappe aux modes et aux diktats de notre époque. Loin des canons de la danse contemporaine, elle crée sa propre capsule temporelle. On sent dans ce geste la même force et affirmation que chez ceux qui, peintres, poursuivirent le figuratif quand l’abstraction s’était depuis longtemps imposée. Dans ce maquis de contrebande, dans cette zone alchimique qui croiserait le magicien d’Oz et Tarkovski, Claire Croizé a conçu une danse qui ose le geste lyrique, tout en le portant à bout de bras, comme pour le détourer. Une danse incarnée au sens d’une danse forte d’un imaginaire (et l’on pense aux mots de Jérôme Bel dans son opus Danses pour une actrice – Valérie Dréville, expliquant que ce qui l’intéresse c’est l’imaginaire que porte le danseur). Une danse qui bifurque là où l’on ne l’attend jamais, qui investit des fragments narratifs (Tobias et son père aveugle), qui introduit des éléments matériels tel un flacon d’élixir, une grande feuille de papier enveloppant le corps d’une danseuse comme l’emballage d’un bouquet de fleurs. Une danse qui nous ensorcèle. Une danse expressive qui pourrait évoquer la délicatesse du maniérisme baroque. « How shall I hold your soul ? » chantent-ils, empruntant leurs mots épars à la première Elégie de Duino de Rainer Maria Rilke. Loin de tout hiératisme, avec une juste sensibilité apportant ce qu’il faut de trouble et de jeu pour que l’ensemble reste lâche, solos, duos, et trios rythment l’espace en miroir de la musique de Jean-Sébastien Bach jouée à quatre mains par père et fille Fargion. Le contrepoint de Bach est le contrecourant qui sourd contre la fuite du temps, sa fugue est l’élixir qui rend la jeunesse aux corps, et nous rend la vie. Assis devant leurs claviers, Francesca et Matteo Fargion effeuillent les pages du Clavier bien tempéré, ouvrent les failles d’où faire jaillir de nouvelles compositions, de nouvelles sonorités, de nouvelles résonnances. Si Bach est l’artiste de la mesure, et de la sensible intelligence qui se déplie et couvre et le monde et la vie, alors Fargion nous fait aussi entendre de la musique ses tensions, ses élans, ses pertes, ses émois. Fargion compose l’âme de la musique qu’il accompagne. Il me faut enfin raconter cette expérience troublante où j’eus la sensation que le spectacle lisait en moi. Par la qualité de l’espace qui progressivement figurera un paysage géométrique, triangles et disque composant montagnes et lune, mais encore plus par la qualité des présences sculptées par la musique de Bach, elle-même réinventée par Fargion, et par l’acte de cette danse, immédiate et immémoriale, il m’apparût que Flowers (we are) atteignait au temps mythique. En dehors du temps, Flowers (we are) nous promenait. De tout temps, Flowers (we are) nous accompagnait. A peine cette pensée s’imposait-elle à moi que la danse d’un faune prit corps sur la scène. Plus tard, alors même que je me faisais réflexion qu’avec Bach tout est décidément possible, qu’il inspire tout le vivant imaginable, nos gais lurons se mirent à scander avec bonheur et reconnaissance Johan / Sebastian / Bach. Flowers (we are) m’aura retourné, m’aura surpris, m’aura galvanisé. Flowers (we are) m’aura effleuré.   © Herman Sorgeloss     Flowers (we are), conception : Claire Croizé Avec : Claire Godsmark, Gorka Gurrutxaga et Emmi Väisänen (danse), Matteo Fargion et Francesca Fargion (musique) Composition musicale : Matteo Fargion Musique : Jean-Sébastien Bach Dramaturgie : Étienne Guilloteau Costumes : Anne-Catherine Kunz Lumière : Hans Meijer Son : Johan Vandermaelen   Durée : 55 minutes Du 19 au 22 avril à 20 h   Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Métro Bastille Tél : 01 43 57 42 14 https://www.theatre-bastille.com      Read More →
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Black Bird, de Mathilde Rance, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
  © DR   ƒƒ article de Nicolas Thevenot D’emblée je crus me retrouver dans un roman post-exotique d’Antoine Volodine : était-ce cette silhouette humaine revêtue de plumes d’oiseau noir, tels ces immenses corbeaux spectateurs que mettent en scène les romans de l’écrivain sur des gradins désertés, était-ce cette litanie entêtante, cette liste de noms, néologismes pour la plupart, tous ornés à la mode du « -cisme », vociférés dans un chant rituel et comique à la fois, procédé que Volodine utilise lui aussi régulièrement pour peupler son univers de sectes et de partis politiques dans une classification aussi infinie que le langage ? Dans l’obscurité puis dans la lumière franche et fragile d’un clair-obscur, Mathilde Rance égrène d’une voix forte, gutturale, les « capitalicisme », « pornograficacisme » … détachant et prononçant à l’anglaise la désinence -cisme (c’est à dire phonétiquement : sizeum). Mathilde Rance tourne sur elle-même et piétine dans cette danse qui emprunte autant à l’imaginaire du sabbat de sorcières qu’à celui des danses ethniques. Le chant est autant celui du slogan hurlé dans une manifestation militante que celui d’un mantra magique répété en boucle, émaillé de caquètements de poule. Ce qui scelle le tout : l’énergie, la vigueur, la force, la puissance, et l’humour pince sans rire de Mathilde Rance. Ce que cela produit : une dynamisante critique de nos systèmes de représentation dans une prise à bras le corps du spectateur. Il y a une jouissance et une réjouissance à assister à ce cabaret décalé où les signes sont repris, leurs entrailles ouvertes pour voir ce qu’ils auraient à nous dire au-delà des mots. Mathilde Rance est cette chamane portant son tambour comme une lune magnifique en haut de ses bras. Mathilde Rance secoue les vieilles lunes. Elle fait effraction par la citation même des figures imposées à la féminité, cette joueuse de harpe au sol par exemple. La musicienne offre ses grimaces expressionnistes comme un point sur le i de chacune des notes éthérées de l’instrument divin, annihilant les clichés liés à la pratique de cet instrument. Derrière le vernis, le cri sans voix raye la nuit sans fond. Si le dessin précis et ramassé des séquences répond à la forme du cabaret, les lumières entre douches et latérales y participant aussi pleinement, on formera simplement le regret que Black Bird ne se soit pas développé au-delà de sa durée, trop brève, Mathilde Rance possédant la justesse et la souveraineté d’un geste singulier qui aurait pu se déployer encore plus dans le temps. Il n’empêche : Black Bird se révèle comme le spectacle baroque de notre époque, le cabinet de curiosité de nos imaginaires troubles.     Black Bird, conception, chorégraphie, création musicale, costumes & interprétation : Mathilde Rance Regard extérieur : Sandra Abouav Conseils musicaux : Paul Ramage Durée : 25 minutes   Du 12 au 16 avril 2022 à 20 h   Théâtre de la Ville Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Tempest project, d’après Shakespeare, adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, Théâtre des Bouffes du Nord
  © Marie-Clauzade   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia The Tempest est l’une des pièces les plus énigmatiques de Shakespeare, très difficile à mettre en scène, pas seulement en raison de sa dimension féérique, mais peut-être plus encore en raison des différents niveaux de compréhension de son texte, ou de ses différentes entrées. Peter Brook s’est confronté plusieurs fois à cette pièce qui est souvent présentée comme testamentaire, à travers Prospero, miroir de Shakespeare lui-même ; le personnage de fiction faisant ses adieux à la magie et l’auteur au théâtre. Le metteur en scène britannique a créé sa première Tempest en 1957, sa première Tempête (en français) en 1968, puis une nouvelle version d’après la traduction de Jean-Claude Carrière en 1990 (jouée en 1991 au Festival d’Avignon). Avec l’humilité qui est la sienne à l’aube, ou presque, de son centenaire et du travail presque aussi ancien sur les œuvres de Shakespeare (il aurait présenté un Hamlet en marionnettes à ses parents à l’âge de 7 ans), Peter Brook a remis sur le chantier cette pièce en l’approchant comme pour la première fois, sous la forme d’une humble recherche et d’un workshop de 15 jours dans « son » Théâtre des Bouffes du Nord, avec Marie-Hélène Estienne, juste avant le premier confinement. C’est cette recherche qu’il présente aux Bouffes du Nord après l’avoir créée au Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis à l’automne, en lui gardant modestement le nom de « projet ». En fait, il s’agit moins d’un projet sur La Tempête que d’une forme condensée, plus accessible de la pièce. Dans un environnement dépouillé, comme Peter Brook les affectionne (sa première Tempête en français se jouait dans un simple rectangle de sable), facilité par le décor naturel des Bouffes du Nord qui sied si bien à La Tempête, six comédiens aux nationalités et accents variés à l’image de nombre des distributions du metteur en scène, ont été chargés des rôles pas forcément principaux de la pièce. Des choix ont été faits et cela fonctionne à merveille. Tempest Project parvient à restituer l’essence de la pièce de Shakespeare, tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, la dimension merveilleuse ne pâtit nullement de l’absence de trucage ou autres effets merveilleux, à moins de considérer, ce qui est tentant, que le chant enchanteur de Harué Momoyama ne soit l’un d’entre eux. Cet aspect musical mis de côté, Marilù Marini, en extraordinaire Ariel, y est certainement pour beaucoup. La comédienne argentine joue avec grâce et espièglerie de la malice de son personnage. Elle forme un duo solaire et complice avec Prospero, incarné par Ery Nzaramba, qui sait être aussi majestueux que facétieux, drôle et grave, dès son arrivée par le fond du plateau dans son long manteau noir et écharpe blanche, et jusqu’à la scène finale dans son adresse directe au public, assis, qui s’achève dans une transition silencieuse devenue si rare au théâtre, avant que les spectateurs ne s’autorisent à applaudir. Tempest Project est également convaincant sur le fond. Le choix, notamment de réduire le nombre de personnages représentés sur scène et de privilégier par exemple les rôles secondaires (les bouffon, laquais et esclave Caliban sont joués par un excellent trio italien – Fabio et Luca Maniglio, Marcello Magni) sur ceux de leurs maîtres qui ne sont que cités (le roi de Naples, le frère usurpateur…), oriente les priorités ou caractéristiques centrales généralement soulignées de la pièce d’origine. C’est moins le temps qui passe, la vengeance ou l’ivresse du pouvoir qui dominent. C’est incontestablement la liberté. Celle qui est entravée et celle que l’on acquière. Nul besoin, sans doute, d’avoir été confronté à l’exil, à l’esclavage, ou tout autre forme violente ou légère de domination, pour ressentir la suprématie de ce droit si précieux. L’acquérir nécessite souvent d’abandonner à tout ce qui fournit parfois le mirage de la liberté. Prospero finit ainsi par comprendre qu’il doit renoncer à la magie et son Esprit Ariel qui le rendaient si puissant, à ses livres qui lui avaient permis de devenir si instruit et sage, à la vengeance contre son frère pour permettre le bonheur de Miranda, sa fille, à son île prise à son esclave Caliban. Se défaire de tout et être vraiment libre…   © Marie-Clauzade   Tempest Project, d’après la pièce La Tempête de Shakespeare Adaptation et mise en scène : Peter Brook et Marie-Hélène Estienne Traduction : Jean-Yves Lacroix Lumières : Philippe Vialatte Chants : Harué Momoyama Avec : Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini, Ery Nzaramba     Durée 1 h 20 Jusqu’au 30 avril 2022, à 20 h 30 A 15 h 30 le samedi     Théâtre des Bouffes du Nord 37 bis boulevard de la Chapelle 75010 Paris bouffesdunord.com        Read More →
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Nos corps vivants d’Arthur Perole, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
  © Nina-Flore Hernandez     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Nos corps vivants. Nos vies. Nos amours. Nos peines. Nos désirs. Nos angoisses. Nos retraits. Nos émois… Nous. Emporté par la ronde furieuse et tumultueuse d’Arthur Perole, je me sens pousser des ailes, et je pourrais laisser fleurir, « C’est pour moi seule que je fleuris déserte » écrit Pessoa, citant Mallarmé, ces listes d’affects qui nomment chacun de nous et fondent notre humanité. Un nous, pleinement incarné, imparfait, vulnérable, unique et universel. Bien éloigné des « Nous tous » aseptisés et autres slogans de campagne. Arthur Perole m’aura préalablement accueilli dans le studio de l’Espace Cardin, comme chacun des spectateurs, m’offrant des confiseries dans un panier, ressuscitant presque la séance de cinéma à l’ancienne… à moins que ce ne soit Jacques Brel et son Je vous ai apporté des bonbons… je me suis senti bien. Je me suis senti entouré. Je me suis senti être vivant. C’est à nous, spectateurs, d’entourer la petite scène carrée aux allures de dance floor circonscrite par les gradins. De ce dispositif central, nait littéralement et physiquement une disposition aux autres, une attention au public imposant à la danse une giration sans fin. La danse contemporaine a effacé la frontalité, certes, mais ici quelque chose de plus profond et signifiant opère : dans cette danse sur soi, tel un retour en soi, c’est un repli qui paradoxalement se déplie sans fin, comme une floraison qui de l’intime se métamorphose en publique, les pétales du danseur s’ouvrent et se referment sans cesse sur le podium, se dévoilent et échappent. L’envers du décor n’est pas l’envers du corps, le dos, les épaules, vibrent de ce qui s’offrent à d’autres. Dans cette mise en partage de soi, il y a presque de la dévoration tant sont perceptibles les regards aimantés du public se pressant sur chaque fragment de ce corps donné à voir. Et une émotion à voir disparaître un visage, un geste, masqué par une rotation qui nous offre alors son souvenir. Et me revient en mémoire ce film taiwanais (Yi Yi) où un enfant ne prenait en photo que les dos de ses proches. Pudeur et vérité cachée. Nos corps vivants se déploie sur une musique de Marcos Vivaldi. Sample de voix, boucles électroniques, citations musicales forment un maelström sonore et sensible où le corps d’Arthur Perole s’emporte et se diffracte comme sous autant d’injonctions contradictoires. Paroles d’adolescent et récit autour de Rosa Bonheur affleurent : nos corps vivants subissent les contraintes de leur environnement façonnant dans la norme le paraître. Disjonction douloureuse avec l’être. Arthur Perole est virtuose dans cette mise en branle saccadée de l’être stimulé et sommé de toute part, ne sachant plus où donner de la tête pour aimer et se faire aimer. Il est prodigieux dans cette continuité de la discontinuité portée par le corps. Il est le vortex de la vie des émotions, il est, disco, la boule à facettes tournoyante des affects qui brillent de milles éclats et nous étreignent et nous éreintent, il est l’homme de glaise, golem, s’effondrant et se relevant de terre, il est, animal, un taureau peint par Picasso, taillé en pièces et retrouvé dans sa vigueur originelle, il est Gena Rowlands, love streams. Quand l’apaisement viendra, dans une immobilité silencieuse aussi soudaine que la fin d’un orage, le corps tressautant encore de l’effort que nous coûte la vie, le corps glorieux d’Arthur Perole se parera de l’auréole divine des vivants : des gouttes de sueur scintillantes dans la lumière dorée d’une fin de soirée. Quelque chose de l’ordre de la grâce, indicible. De la tendresse et du plaisir. Au son d’une chanson de Françoise Hardy, j’eus envie de me lever, et de courir à perdre haleine et de le retrouver. Message personnel.   © Nina-Flore Hernandez   Nos corps vivants,  de & avec Arthur Perole Accompagné du musicien Marcos Vivaldi Collaborateur artistique : Alexandre da Silva Lumières : Anthony Merlaud Son : Benoît Martin Costumes : Camille Penager   Durée : 45 minutes Du 20 au 23 avril à 19 h   Théâtre de la Ville Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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La guerre des pauvres, conception et adaptation d’Olivia Grandville, texte d’Éric Vuillard, à la MC93, Bobigny
  © Marc Domage   article de Nicolas Thevenot Les cintres du théâtre sont descendus et dessinent une canopée de barres d’acier horizontales et suspendues sur le plateau où nous sommes nous-mêmes installés. Comme nous sommes à l’orée de la cage de scène, les filins retenant les cintres nous sont visibles, telle une multitude de lianes, telle une pluie d’acier figée. La scénographie (de Denis Mariotte) ainsi constituée de l’existant du lieu, agencé à bon escient, est puissante. Comme une couronne à terre. Comme une forêt de lances sur le champ de bataille. L’espace de la scène est également rythmé par des câbles verticaux intégrant des LEDs, constituant ainsi une architecture lumineuse évolutive pendant le spectacle (installation d’Yves Godin). A l’écoute du texte d’Éric Vuillard, ces verticalités peuvent convoquer la forêt de piliers d’une église où Thomas Müntzer aurait pu prêcher et galvaniser les foules. La guerre des pauvres, conçu par Olivia Grandville, est porté par le récit éponyme d’Éric Vuillard et se construit autour de la figure historique de cette homme religieux, éminemment politique. Texte court mais essentiel, comme tous les livres d’Éric Vuillard, La guerre des pauvres se donne l’ambition à travers cet épisode (le soulèvement de la paysannerie au XVIème siècle en Allemagne), de tracer en pointillé une généalogie des luttes sociales, d’offrir un écho dans notre contemporain à ces luttes premières contre l’injustice et les puissants, ou de les peindre comme un miroir aux injustices actuelles. Une écriture en perspective. Car la justice et l’injustice sont d’abord une question idéologique : quelles inégalités une société est-elle prête à assumer ? Plus théorique, l’ouvrage de Thomas Piketty (Capital et idéologie) travaille les mêmes terres. Si le projet d’Olivia Grandville ne pouvait qu’attiser ma curiosité, et si la scénographie est extrêmement séduisante, je dois reconnaître une immense déception. La faute au dispositif d’une part : il manque de recul. Incroyablement. L’impression d’être le nez posé contre un immense panorama. C’est d’autant plus dommageable que le texte, lui, travaille à créer des perspectives entre les territoires et les époques, à mettre de la distance de réflexion par la mise en scène du récit. Très prosaïquement, la perception du spectacle est parcellaire, mangée à bâbord et tribord par les têtes des autres spectateurs sur ces gradins de circonstances (très peu surélevés). Autant dire que les danseurs sont en grande partie invisibilisés dans ce qu’ils proposent (sauf pour les spectateurs du premier rang). Ce qui est métaphoriquement problématique puisqu’ils sont eux-mêmes dans le dispositif dramaturgique d’Olivia Grandville les représentants de ceux que notre société invisibilise aujourd’hui : les migrants. D’autre part, la lecture par Laurent Poitrenaux ne m’a vraiment pas convaincu : trop en force, surlignant avec des effets, démultipliés par la sonorisation, ce que la langue de Vuillard exprime déjà parfaitement. Explicatif quand il aurait fallu être allusif comme les mots savent l’être. Une redondance qui écrase la puissance réflexive des mots. Le texte me parvenait sans que son sens profond puisse faire son chemin en moi. L’ensemble du projet, perdant sa consistance du fait de ses éléments disparates, me parut surplombant, les propositions plastiques (des alignements de pains) gratuites. Et de sortir, désemparé, de la MC93 à quelques jours d’une élection où les pauvres seraient, dans tous les cas, les grands perdants.     La guerre des pauvres, conception et adaptation : Olivia Grandville Texte La guerre des pauvres d’Éric Vuillard (2019, Actes Sud) Avec : Martin Gìl Enrique, Éric Nebie   Lecture : Laurent Poitrenaux Musique : Benoît de Villeneuve et Benjamin Morando Dispositif scénique : Denis Mariotte et Yves Godin Lumière : Yves Godin Collaborations : Jonathan Kingsley Seilman, Marie Orts   Durée 1 h Vendredi 15 avril 2022 à 20 h 30, samedi 16 avril 2022 à 18 h 30 et dimanche 17 avril 2022 à 15 h      MC93 MC93 — maison de la culture de Seine-Saint-Denis 9 boulevard Lénine 93000 Bobigny   Tél : +33 (0)1 41 60 72 72 https://www.mc93.com      Read More →
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Stories, par la RB Dance Compagny, sur une chorégraphie de Romain Rachline Borgeaud, au 13e Art, Paris
  © RB Dance Company   ƒƒƒ article de Hoël Le Corre Une salle pleine à craquer, des spectateurs enthousiastes et impatients à l’idée de découvrir le premier spectacle de la RB Danse Company, créée et dirigée par Romain Rachline Borgeaud, qu’ils ont pu suivre jusqu’à la finale de l’émission La France a un incroyable talent. Le noir se fait sur ce public presque déjà conquis, la fumée s’empare de la scène et les premières notes d’une musique aussi puissante qu’entraînante se font entendre… Et c’est parti pour 1 h 15 de grand spectacle qui frôle les plus grandes comédies musicales. La narration de Stories est entièrement portée par une danse aussi effrénée qu’élégante, aussi virevoltante que millimétrée. Les dix danseurs sont accompagnés par une musique proche du jazz urbain dont la rythmique et les paroles (en anglais) donnent toute l’impulsivité nécessaire à leur performance impressionnante. Nous suivons l’histoire d’Icare, jeune acteur à succès, qui subit une certaine emprise de la part de son réalisateur qui semble le soutenir autant qu’il l’oppresse. Suite à une dispute entre eux, Icare tombe dans un univers entre réalité et fiction, à la frontière entre le film qu’il est en train de tourner et le monde qui l’entoure. Les tableaux se succèdent alors et nous mènent du film romantique au thriller en passant par le film de gangster. Pas une minute de répit pour les artistes, qui enchaînent les rôles, déplacent des décors ingénieux et campent plusieurs personnages chacun. On ne s’ennuie pas une seule seconde et on se retrouve souvent bouche bée devant la virtuosité des danseurs qui redonnent leurs lettres de noblesse aux claquettes, alliant tradition et modernité. Dans Stories, tout est travaillé avec minutie : les chorégraphies sont explosives et minutieusement synchronisées ; la scénographie constamment en mouvement et conçue par Federica Mugnai est inventive et d’une efficacité parfaite ; même la lumière d’Alex Hardellet est impressionante et joue sur les contrastes pour accentuer l’émotion des scènes. Le spectacle serait total si la musique était interprétée en live, surtout lorsqu’on comprend que c’est Romain Rachline Borgeaud lui-même qui donne voix à la bande son. Autre petit regret, le volume de la musique est si forte qu’elle ne nous laisse pas totalement profiter de la virtuosité des claquettes. Mais l’engagement corporel, trahi par la sueur et le souffle des danseurs, est tel que l’on pardonne ce léger écueil. Stories est définitivement un spectacle à déguster les yeux, la bouche et le cœur grands ouverts !   © RB Dance Company     Stories, par la RB Dance Company   Direction artistique, mise en scène & chorégraphie : Romain Rachline Borgeaud Scénographie : Federica Mungai Costumes : Janie Loriault Coiffures & maquillage : Bruno Segni Light designer : Alex Hardellet Assistante metteur en scène : Houdia Ponty   Durée : 1 h 15   Du 14 au 30 avril 2022 Du jeudi au vendredi à 19 h Le samedi à 15 h & 19 h       Théâtre Le 13e Art Centre commercial Italie Deux Place d’Italie – 75013 Paris Réservations : 01 48 28 53 53 www.le13emeart.com      Read More →
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Not I, de Camille Mutel, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs
  © Katherine Longly   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot S’il fallait d’un geste caractériser l’art de Camille Mutel, sans conteste ce serait celui de la découpe. Cet art de fendre l’instant, presque invisible par l’élan de sa puissance, et qui de l’oignon fait deux moitiés, comme pour le temps, ainsi tranché, ainsi déplié, ainsi démultiplié, à l’infini… Cet art de détacher dans le mesurable l’innombrable des parties et des forces. Et où l’accélération, le coup porté, le geste assumé, produisent leur déflagration illimitée. Au bord de cette scène, les ondes se déploient telles des ronds dans l’eau longtemps après la disparition de ce qui en fut la cause. Assister à Not I est peut-être pour cela aussi fascinant et régénérant que contempler la mer. Sa brièveté est un bréviaire de l’éternité. Avec cette intuition que chaque instant est un miroir où se reflète le tout. Si le titre choisi par Camille Mutel est également celui d’une pièce de Beckett datant de 1972, une bouche monologuant telle une inépuisable source, Not I reste muet et nous transporte me semble-t-il dans un univers mental et sensible borgésien. Un monde de paradoxes où la pensée se déjoue, comme chez l’auteur argentin, devant une structure complexe et labyrinthique, sous son apparente simplicité, pour mieux se renouveler. En être témoin est de l’ordre de l’expérience et de la transformation. Harnachée d’une salopette bleu ciel dont le haut aurait été rabattu et roulé autour de la taille, formant une attache volumineuse et la subtile allusion à une silhouette japonaise cerclée de sa traditionnelle ceinture obi, Camille Mutel s’avance, cheveux au carré, chaussettes blanches aux pieds. Elle agit et, dans la pureté des actes qui se succèdent, déploie ce chef d’œuvre inconnu que serait l’accomplissement pour soi, pour tous, de gestes indispensables à la préservation du monde. A son équilibre vacillant. Il y a de la sainteté et de la folie comme un écho à la célèbre séquence de la bougie dans Nostalghia de Tarkovski. Le travail du corps ainsi mis en jeu, celui de sa conscience, de son regard, le mécanisme même de la cérémonie déroulée de la sorte, tout renvoie à la culture japonaise, à son imaginaire, à son étrangeté (car elle nous reste étrangère), et pourtant, Camille Mutel nous évite l’enfermement de sa forme dans un ailleurs hermétique, nous invitant plutôt à voyager autrement dans nos perceptions, à porter ailleurs notre attention. Dans notre rapport au spectaculaire, Camille Mutel réussit ce tour de force de le retourner en spéculaire. Et si, dans ce rituel, chaque mouvement parfaitement écrit s’exhibe dans une exécution non moins parfaite, c’est que cette rigueur est le pendant d’une étonnante densité de présence, d’une appréhension de l’espace et du temps, en particulier lors de figures délicates à réaliser, qui semblent dépasser les sens habituels. Camille Mutel suit le protocole de sa cérémonie sans jamais dévier le regard de son axe et pourtant maîtrise chaque point de l’espace. Avec ce couteau dont elle s’emparera par la lame en utilisant sa seule bouche, effectuant ensuite une roulade arrière avec ce menaçant mors toujours en bouche, c’est le péril qui s’invite dans le rite. Un danger à l’aune de la singularité affirmée par Not I. Avec ce couteau, et surtout avec ce regard trempé dans l’acte, corps et esprit ne faisant plus qu’un, me revient en mémoire cette performance de Marina Abramovic plantant de plus en plus vite des couteaux entre ses doigts. L’indétermination de la cérémonie, puisque nul ne saurait lui assigner une fin, fait face à la détermination de son officiante. Sa résolution chevauche l’improbable physique de l’espace. Sa maîtrise sculpte la matière du temps en poésie de l’effort. Dans l’épaisseur infime de cette longue lame, quelque chose me parle aussi de l’instant impartageable, ce moment ultime et ineffable, dont jamais l’on ne pourra rendre compte : cette brèche étroite telle le terrier dans Alice au pays des merveilles que creuse avec patience et volonté de fer ce cérémonial, nous faisant traverser l’épaisseur du monde. Pour cette reprise au Théâtre de la Ville, Camille Mutel était enceinte, proche du terme, cet état ajoutant à l’exploit physique de la pièce, et à la polysémie déjà très ouverte de cette forme. Surgirent des visions d’amazone, de déesse de fertilité accroupie. Not I conjuguera avec opportunité l’art marial et l’art martial dans un dépassement de soi, révélant en Camille Mutel une prodigieuse mécanicienne de l’infra sensible. Et dans un ultime tableau, la nudité du monde s’offrira, telle une nature que l’on ne saurait qualifier de morte, lorsqu’enfin s’est effeuillé le temps.   © Katherine Longly   Not I, conception, Chorégraphie & Interprétation Camille Mutel Dramaturgie : Thomas Schaupp Lumières : Philippe Gladieux Design & Costumes : Kaspersophie Son : Jean-Philippe Gross   Durée : 45 minutes Du 12 au 16 avril à 20 h 00     Théâtre de la Ville Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com       Read More →
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Revisor, d’après Nicolas Gogol, création de Jonathon Young et Crystal Pite, Cie Kidd Pivot, La Villette / Théâtre de la Ville-Hors les murs
    © Michael Slobodian   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Crystal Pite et Jonathon Young adaptent Le Révizor de Nicolas Gogol, histoire d’un quiproquo, une usurpation d’identité qui révèle la corruption d’une communauté et de son administration. Pièce en cinq actes, réduite ici à trois scènes, hybridation entre théâtre et danse, « ventriloquisme chorégraphique », concept où le texte joué en play-back, et dénoncé comme tel, comme une musicalité, impose aux danseurs un rythme singulier. Le mouvement est étiré à son maximum, les corps désarticulés à la limite de la rupture. Les personnages réduits à n’être que des marionnettes. Crystal Pite et Jonathan Young accusent l’artifice théâtral avant de tout effacer et de recommencer dans une deuxième partie où ne restent que des bribes de dialogue s’estompant bientôt pour une unique voix, narratrice et chorégraphe qui reprenant l’histoire, donne une trame narrative pour des états de corps, accouplée de figures chorégraphiques et proposée aux danseurs, dépouillés de leurs costumes, sur le plateau désormais nu, réduits à n’être que des figures (F1, F2, F3…) à qui l’on impose là un placement de bras, ici, de décaler une jambe, plus loin de chercher un contre-poids. Illusion d’un work in progress, entre proposition, hésitation et repentir, ponctué de pause, qui enchâsse la chorégraphie et donc le corps, dans ce texte devenant ainsi partie intégrante du récit, dans sa compréhension et son évolution, un récit en creux évitant la redondance avec ce qui est énoncé. Relier le geste au récit ou s’en délier pour trouver le sens et faire sens. C’est faire coïncider au plus juste la forme et le fond, le corps du texte et le corps du danseur, de ce qu’il en révèle par son incarnation. Mise en abyme qui éclaire la première partie comme la troisième, identique à la première dans sa mise en scène chorégraphique. C’est à la fois troublant et fascinant, captivant et redoutablement intelligent. Et dans cette deuxième partie la danse revient à un certain classicisme, les ensembles comme les solos sont remarquables, comme s’il fallait en passer par là avant de progressivement dégraisser, polir pour aboutir au résultat escompté, revenir au texte mais nourri de ce subtil travail exploratoire. Et c’est bien cette impression qui prédomine là, d’être dans un laboratoire où dans la tête de ces deux-là, Crystal Pite et Jonathon Young, s’emparant de cette œuvre de pour en extraire le suc vénéneux, cette farce noire d’âmes corrompues.   © Michael Slobodian   Revisor, texte de Jonathon Young Chorégraphie et direction de Crytal Pite Musique originale et création sonore : Owen Belton, allessandro Jukiani, Meg Roe Conception scénique et effet lumières : Jay Gower Taylor Création costumes : Nancy Bryant Création lumières : To Visser Assistant des créateurs : Eric Beauchesne Danseurs : Renée Sigouin, Doug Letheren, Jermaine Spivey, Rena Narumi, Ella Rothschild, Brandon Alley, Jennifer Florentino, Gregory Lau, Rakeem Hardy, Vivian Ruiz Voix : Meg Roe, Scott Mcneil, Alessandro Juliani, Kathleen Barr, Nicola Lipman, Gerard Plunkett, Amy Rutherford, Ryan Beil, Jonathon Young     Du 21 au 24 avril 2022 Jeudi et vendredi à 20 h, samedi à 19, dimanche à 15 h   Grande Halle de la Villette 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris   Réservations : www.lavillette.com www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Danses pour une actrice (Valérie Dréville), conçu par Jérôme Bel, Théâtre de la Commune
© Véronique Ellena   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Le corps dansant de Valérie Dréville. En préambule, cet avertissement de Jérôme Bel. Ici nous sommes dans un processus et non dans un résultat, nous sommes au présent avec sa vulnérabilité et ses accidents possibles. Nous sommes dans une mise à nu par cette volonté de l’improvisation, de la fragilité de l’exercice, de l’échec possible. Et ce qui va se révéler là participe du mystère d’une actrice, Valérie Dréville, qui accepte de reprendre non les rôles du répertoire théâtral mais certaines danses du XXème siècle, apport à la modernité chorégraphique. Valérie Dréville n’est pas danseuse, mais pour qui l’a vu transcender ses rôles, de Phèdre à Médée, traverser les mises en scène de Vitez, Régy ou Vassiliev, sait combien la question du corps chez cette actrice est vitale. Un corps régit par la puissance d’un imaginaire, précédant le geste, le nourrissant, transfigurant l’interprétation qui au sens premier prenait littéralement corps. Comme le souligne Jérôme Bel, en introduction, le geste s’il n’est pas soutenu par l’imaginaire n’est que pure mécanique. Et cette juste assertion est ce qui relie fortement la danse et le théâtre, efface peu ou prou le langage comme il nous sera donné de voir dans l’échec de métamorphoser le mouvement en mot… En s’appuyant ici sur l’improvisation, marqueur majeur de la danse contemporaine, Valérie Dréville ne peut que puiser dans son imaginaire et sa psyché pour faire sens à ce qui est exprimé par le corps. Dans un premier exercice, Jérôme Bel demande à Valérie Dréville de danser une chorégraphie, très courte, d’Isadora Duncan, pionnière de la danse contemporaine. Une danse où l’imaginaire là aussi précède le geste : désirer-tendre vers chercher-abandonner-le monde c’est une trame narrative simple, canevas d’une chorégraphie accessible. Alors quand Valérie Dréville danse et qu’elle ajoute à haute-voix à chaque mouvement les mots afférents, soudain quelque chose se passe-là qui dépasse la danse. Et quand Jérôme Bel lui demande de ne rien exprimer d’autres que la danse, de garder en elle le langage qui soutient cette chorégraphie, outre un équilibre parfait entre cet imaginaire et la forme donné, c’est plus que de la danse mais une incarnation. Et c’est ce qui bouleverse dans la seconde proposition et non des moindres, appréhender le mythique solo de Pina Bausch, dans Café Müller. Appréhender, improviser autour de cette partition, on se dit qu’il y a péril en la demeure. Et ce qui se passe soudain sur le plateau est une déflagration. Reprenant à son compte, non la danse elle-même, mais son évocation, quelques mouvements de bras, Valérie Dréville redevient la tragédienne inouïe qu’elle sait être. Sur le plateau surgit Phèdre, Bérénice, Médée. Et c’est si fort ce qui en découle, nous laissant pantois, que Valérie Dréville craque et finit en pleurs. L’émotion dans la salle est palpable. Et ce qu’elle explique suite à cela c’est que cela tient à l’écriture, les mots qu’elle mit sur les images de ce solo de Pina Bausch, comme des outils nécessaires pour rendre tangible les émotions les plus ténues. « En tragédie, les personnages sont comme des transformateurs qui nous purifient » dit-elle. Le corps engagé participe donc aussi de la catharsis. On n’y avait pas pensé mais mettre en parallèles les mises en scène de Claude Régy avec l’art de Kazuo Ohno, créateur avec Tatsumi Hijikata, du butô, est plutôt gonflé mais à y réfléchir pas si bête. Même rapport avec l’espace et le temps, comme dilatés, condensés, annulés. Cependant de demander à Valérie Dréville de reprendre un solo de Kazuo Ohno n’y a-t-il pas là quelque chose qui tient de l’impossible et de l’échec attendu ? Jérôme Bel avec raison, parce que la danse de Kazuo Ohno n’appartient qu’à lui, parce qu’il y a autant de butô que de danseurs butô, que cette danse des ténèbres ne se transmet pas, mais qu’elle fait appel à l’imaginaire, l’inconscient et sa puissance hyper-concentrée de chacun des danseurs et lui donne son identité propre, renonce à cette idée et avec malice, détourne la chose, contourne l’obstacle en invoquant les mannes de Régy. On le sait, jamais les parallèles ne se rejoignent et ce qui se passe sur le plateau soudain silencieux et plongé dans une obscurité évoquant les mises en scènes de Claude Régy plus que la danse organique de Kazuo Ohno n’est pas véritablement probant. Du moins pour évoquer cette danse japonaise initiée par cet immense et frêle danseur inimitable. Qu’importe, c’est aussi la limite de ce questionnement. Reste l’évocation du corps dissous dans le néant, à peine perceptible, insaisissable. Et le silence. Et qu’en est-il de l’imaginaire du spectateur, de Valérie Dréville spectatrice ? La description minutieuse d’une chorégraphie de Simone Forti, chorégraphe américaine d’origine italienne, vidéo que nous ne voyons pas, est un pur moment de bonheur qui voit l’appréhension et l’évocation de la danse non par la technique mais par l’imagination pure, débordante ici. Et quand elle évoque jusqu’à danser à sa manière avec une joie pleine et entière, sans retenue, l’extrait de la comédie musicale Chantons sous la pluie elle emporte avec elle la salle par ce lâcher-prise soudain. Là, ce qui l’emporte c’est bien ce corps mémoriel apte à réitérer sans façon l’empreinte d’une culture. Et quand pour conclure, Jérôme Bel demande à Valérie Dréville d’improviser sur une musique de son choix, La Passion selon Saint Mathieu de Bach, c’est proprement inouï. On ne parle pas de perfection ici, mais il y a là une véritable libération, porté par ce qui a précédé. Il y a là la fois une telle jouissance, une telle rage aussi, et ce qu’exprime son corps à cet instant précis est d’une grande puissance qui nous sidère. C’est un dévoilement qui participe de l’intime, un corps écorché que dénoncent ces mouvements singuliers portés par un imaginaire puisant sa source au plus profond d’elle-même. Il y a là, dans cette fulgurance soudaine, cette mise à nu, tout le mystère non dévoilé et la force révélée d’une immense actrice.   © Véronique Ellena   Danses pour une actrice (Valérie Dréville), conçu par Jérôme Bel Avec Valérie Dréville   Du 15 au 22 avril 2022 Mercredi, jeudi à 19 h 30 Vendredi à 20 h 30 Samedi 18 h, dimanche 16 h     Théâtre de la Commune 2 rue Edouard Poisson 93300 Aubervilliers Réservations 01 48 33 16 16 www.lacommune-aubervilliers.fr      Read More →
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Trézène mélodies, d'après Phèdre de Jean Racine et des poèmes de Yannis Ritsos, mise en scène de Cécile Garcia Fogel, Théâtre 14, Paris
  © Simon Gosselin   ƒƒ article de Maxime Pierre Quelque part en Grèce : Trézène. À la façon d’une tragédie antique, trois acteurs assument l’ensemble des rôles : Phèdre, Hippolyte, Thésée, Œnone, Théramène.  Au son d’une guitare, ils accrochent des sérénades sur les alexandrins de Racine. En contrepoint, des passages du poète grec Yannis Ritsos mettent la légende au goût du jour. Assise dans son fauteuil de rotin, une « femme qui semble avoir dépassé la quarantaine » observe au point du jour le jeune Hippolyte. Et c’est ainsi que tout commence, dans la clarté d’un matin grec, tandis que les stores découpent des traits de lumière dorée sur la scène. Mélopée matinale. La chanson fait entendre les douze syllabes fatidiques de l’œuvre racinienne, les enroulent dans les replis de sa mélodie. Ce qui est en soi une gageure. Car l’alexandrin est implacable : pas de refrain, pas de ritournelle. La musique du destin – le fatum, à l’origine du mot fado – n’attend pas. L’action avance, tête en avant. À une, deux, trois voix, les acteurs refont sonner le vers classique. Il n’est certes pas toujours facile de mouvoir une si grandiose machine. Le gond de la césure résiste. La symétrie impose sa résistance. Mais les harmonies de la guitare dissolvent la raideur du vers, les voix font résonner autrement un texte que l’on croyait connaître. Au détour d’une phrase, on grappille à coup sûr quelques notes délicieuses. Et soudain, un chant en langue grecque fait écho à cette musicalité fondamentale de la méditerranée : musiques amoureuses d’Andalousie aux influences arabes, musiques voyageuses devenues ailleurs bossa nova. L’émotion va crescendo jusqu’à l’issue fatale attendue par le spectateur. On pense alors à la beauté tragique d’un Orfeu negro. Entre théâtre et chant, cette interprétation originale de Racine n’émeut certes pas à chaque instant. La faute peut-être au choix de certains passages où à la superposition des versions, notamment concernant la mort de Phèdre. Mais qu’importe ! On en retient de beaux moments. Cette reprise rafraîchissante d’un spectacle créé 1995 méritait un retour sur scène.   © Simon Gosselin   Trézène mélodies, mise en scène et musique de Cécile Garcia Fogel D’après Phèdre de Jean Racine et Phèdre et Le Mur dans le miroir de Yannis Ritsos Avec Cécile Garcia Fogel, Mélanie Menu (jeu et chant) et Ivan Quintero (guitare et voix) Scénographie et costumes : Caroline Mexme Lumières : Olivier Oudiou Collaborations artistiques : Philippe Jamet et Jean-François Lombard   Durée : 1 h 05 Du 19 au 30 avril 2022 20 h mardi, mercredi et vendredi, 19 h jeudi, 16 h samedi     Théâtre 14 20, avenue Marc Sangnier 75014 Paris Réservations : 01.45.45.49.77 www.theatre14.fr      Read More →
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De sueur et d’encre, par le Cirque Barcode, mis en scène de Jean-Pierre Cloutier, au Théâtre Monfort, Paris
  © Jan Hromadko     ƒƒƒ article de Hoël  Le Corre Issus de la nouvelle génération du cirque québécois, les quatre artistes du Cirque Barcode livrent avec De sueur et d’encre un spectacle d’une technicité impressionnante avec pour fil rouge un questionnement sur la mémoire et l’inconscient. Au départ, quatre circassiens que l’on comprend amis, collègues, complices. Dans des flashs rappelant un photomaton, les relations s’exposent aux spectateurs : on se taquine, on rit, on se câline, on se chamaille, on va de plus en plus loin dans les figures acrobatiques. Et puis… Survient l’accident, l’un d’entre eux reçoit un coup sur la tête, et c’est l’amnésie qui prend toute la place dans leur amitié. S’ensuit une succession de tableaux, les histoires entrecroisées et fantasmées de ces quatre protagonistes. Par intermédiaire de leurs disciplines respectives (cerceau aérien, jonglage, portés mains à mains, barre russe, bascule), ils vont s’interroger sur le rôle de la mémoire dans la construction de leur identité. Peut-on échapper aux souvenirs douloureux ou faut-il essayer de vivre avec et d’en faire une force ? Peut-on effacer quelqu’un de sa mémoire ou faut-il apprendre à vivre avec ses fantômes ? Pourquoi des souvenirs marquants peuvent-ils s’estomper alors que des anecdotes infimes restent collées sur nos rétines ? Comment se fait-il que les malades d’Alzheimer se souviennent de ce qu’ils faisaient quand l’homme à marché sur la Lune alors qu’ils ne peuvent pas retenir le prénom de leur enfant unique ? Quel droit à l’oubli dans un monde où la technologie a la capacité de stocker à l’infini ? Autant de questions qui tissent le récit du spectacle. Si De sueur et d’encre est beau et impressionnant dans son ensemble, certaines scènes sont particulièrement réussies grâce à un savoureux mélange d’humour, de virtuosité et de sensibilité. Nous retiendrons par exemple la séquence de jonglage avec des boîtes à cigare qui a subjugué toute la salle. Ou encore celle de la barre russe où deux personnages tentent de faire retrouver la mémoire à leur camarade par l’intermédiaire d’automatismes physiques, car si le cerveau est endommagé, le corps, lui, peut garder des traces de mémoire de mouvements et réflexes. Enfin, un autre passage délectable est celui où les personnages s’affublent de post-it pour rappeler à leur ami amnésique certains traits de leur personnalité, une véritable chorégraphie aussi désopilante que pertinente sur les rapports amicaux. Vous l’aurez compris, ce quatuor est décidément très attachant, et nous propose des numéros tantôt virevoltants tantôt poétique à couper le souffle : émerveillement garanti !   © Jan Hromadko   De sueur et d’encre, par la Compagnie Barecode Mise en scène, dramaturgie et scénographie : Jean-Pierre Cloutier Interprètes : Alexandra Royer, Ève Bigel, Éric Bates, Tristan Nielsen Compositrice : Betty Bonifassi Créateur lumière : Arnaud Belley-Ferris   Durée : 1 h 15 Du 13 au 24 avril 2022 Du mardi au samedi à 20 h 30 Dimanche à 16 h     Le Monfort Théâtre Grande Salle 106 rue Brancion, 75015 Paris lemonfort.fr      Read More →
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Exécuteur 14, d’Adel Hakim, mis en scène par Tatiana Vialle, avec Swan Arlaud, au Théâtre 14, Paris
  © Caroline Bottaro     ƒ article de Hoël  Le Corre « Non, je n’étais pas cruel quand j’étais petit (…) Maintenant tout ça est si loin, lost pour toujours. » Il n’avait rien d’un assassin, ce gamin tendre et bon camarade dans la cour de récréation. Le jeune homme qu’il est devenu se souvient de ce temps où la guerre n’existait pas mais où pourtant, à l’école, un fossé palpable séparait déjà les élèves des deux clans : les Zélites et les Adamites. Les uns plus nombreux, les autres occupant les postes de pouvoir. Hasard de naissance, notre protagoniste appartient aux Adamites, et c’est pour eux, que devenu homme, il prendra les armes contre ses frères ennemis… Il raconte comment, progressivement, il est passé d’une victime de la guerre, perdant des êtres chers, à un guerrier sanguinaire que rien n’arrête et qui se bat au nom d’un idéal, d’un Dieu vengeur. Il est contaminé, malgré lui, par la barbarie de ce conflit auquel il ne comprenait rien au départ, mais qui l’a rattrapé, pris dans ses filets et finalement complètement dévoré. Monologue écrit en 1991 par Adel Hakim et longtemps interprété par Jean-Quentin Chatleain, Exécuteur 14 nous plonge dans le cerveau en feu de cet homme pris dans la lutte armée. Jamais nommée, elle pourrait être n’importe laquelle des guerres qui déchirent les populations d’un même pays, d’un même territoire. Toute ressemblance avec des évènements actuels n’est malheureusement pas si fortuite… C’est au tour de Swan Arlaud, toute en pudeur et habité par la déroute de son personnage de nous livrer la confession de ce dernier survivant d’une guerre civile. Le texte est tissé dans un langage poétique et cru, serti d’anglais, très intéressant pour décaler le propos mais aussi en faire jaillir toute la force. Le jeu de Swan Arlaud ne manque pas de relief, mais il semble qu’il y manque une petite étincelle pour que le feu s’embrase entièrement. Peut-être la mise en scène hésite-t-elle trop entre illustration et allégorie ? Quoiqu’il en soit, cette déclaration de guerre à la guerre reste d’actualité et si elle manque un peu notre corde sensible elle réveille certainement notre humanité.     Exécuteur 14, de Adel Hakim Mise en scène : Tatiana Vialle Interprètes : Swan Arlaud, en présence de Mahut (musique) Lumières : Christian Pinaud Assistanat à la mise en scène : Margot Clavières Scénographie : Chantal de la Coste Chorégraphie : Hervé Lebeau   Durée : 1 h 20 Du 5 au 16 avril 2022 Du mardi au vendredi à 20 h Jeudi à 19 h Samedi à 16 h   Théâtre 14 20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris   Réservations : 01 45 45 49 77 www.theatre14.fr      Read More →
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La Mouette, d’après Anton Tchekhov, mise en scène de Cyril Teste / Collectif MXM, Théâtre des Amandiers, Nanterre
  © Simon Gosselin   ƒƒƒ article de Maxime Pierre La Mouette, chef-d’œuvre de Tchekhov, fait partie de ces pièces atemporelles dont se ressaisit chaque époque. Au début, un atelier, avec ses panneaux de bois, ses bancs, ses chaises. Au bord d’un lac, une scène de théâtre de fortune. Work in progress. Une paroi d’écrans sépare la scène d’un intérieur : le salon. Les premiers sons et les premières images seront celle du lac et de sa forêt de sapins : nature immuable qui, au gré des saisons, vient servir de cadre à cette tragédie domestique autour d’Irina Arakadina, de son amant Boris Trigorine, du vieux Sorin, du jeune Konstantin Treplev. Et puis, en ombres déçues, Macha, qui aime en vain Konstantin, et se replie sur le petit maître d’école Medwedenko, et bien sûr, Nina, l’ingénue qui se rêve en mouette libre survolant le lac… Conformément à l’esthétique chère à Cyril Teste, la caméra est partout, brouillant, dans ce drame, les frontières entre théâtre et cinéma : elle est le regard extérieur qui observe et fouaille, le nôtre, indiscret et scrutateur, s’immisçant dans chaque recoin, et le regard que les personnages portent sur leurs comparses. Au centre de l’œil de la caméra, il y a l’iconique Irina Arkadina, actrice talentueuse, mère de Konstantin, sûre de son talent et de son charme, captant naturellement tous les regards. Chacun de ses faits et gestes s’impriment sur les écrans sous le regard admiratif de Konstantin, en jeune Esteban d’un Tout sur ma mère à la russe. Le visage iconique de la mère occupe toute la surface de l’écran, le crève. Et le fils, écrivain en herbe, fasciné, est écrasé par cette image. Car il s’agit avant tout de ceci : l’amour passionné, désespéré d’un fils pour sa mère. Mais Irina n’aime qu’elle-même. Elle l’avouera cruellement quand Konstantin publie une nouvelle : elle n’a jamais lu une ligne de son fils.  Symétrique, de cette mère narcissique, l’amant, Boris Trigorine est un écrivain blasé, au sommet de la gloire : comme la mère étouffe son fils, l’écrivain célèbre dévore les ambitions de Nina. Car l’homme puissant, derrière ses manières convenables, est un ogre dévorateur. Caméra en main, il le dit à Nina : « Je pille chacun de tes mots ». Il prendra bien plus, le corps innocent de Nina et ses rêves. Il dévorera d’abord son image, puis sa jeunesse, avant de l’abandonner. L’usage virtuose des caméras rend compte du pouvoir de fascination des images, au sens propre et figuré. Par des jeux de zoom, de gros plans, l’œil de la caméra isole, découpe, faisant de chaque personnage un acteur et un metteur en scène. Technique exigeante : par les gros plans, pris en direct, la caméra demande un jeu précis et juste, ce que les acteurs choisis par Cyril Teste, réalisent avec virtuosité. On pleure avec Olivia Corsini, éblouissante Irina, dont le visage en larmes remplit l’écran, on crie de rage avec Mathias labelle, en Konstantin désespéré, on rit amèrement avec Sorin (Xavier Maly), on s’illusionne avec Macha (Katia Ferreira) et Nina (Liza Lapert). L’écran saisit et démultiplie les émotions qui constituent le matériau de nos espoirs. L’écran, surface trompeuse, révèle nos illusions. Car Tchekhov est un pessimiste. Vaine, l’image de jeunesse d’Irina. Vains, les rêves de gloire de Konstantin et de Nina. Vains l’amour de Macha. Vains, les regrets du vieux Sorin. Seule l’image du lac, immobile au gré des saisons et du temps qui passe ne trompe pas. Et la seule réponse à nos rêves est le noir et le silence final.   © Simon Gosselin   La Mouette, d’après Anton Tchekhov Mise en scène : Cyril Teste Traduction : Olivier Cadiot Avec :  Vincent Berger, Olivia Corsini, Katia Ferreira, Mathias Labelle, Liza Lapert, Xavier Maly, Pierre Timaitre, Gérald Weingand   Collaboration artistique :  Marion Pellissier et Christophe Gaultier Assistante à la mise en scène : Céline Gaudier Dramaturgie : Leila Adham Scénographie : Valérie Grall Création lumière : Julien Boizard Création vidéo : Mehdi Toutain-Lopez Images originales : Nicolas Doremus, Christophe Gaultier Création vidéos en images de synthèse : Hugo Arcier Musique originale : Nihil Bordures Ingénieur du son : Thibault Lamy Costumes : Katia Ferreira assistée de Coline Dervieux   Durée : 2 h La Théâtre Ephémère Du 14 au 30 avril 2022   Théâtre Nanterre-Amandiers 7, avenue Picasso 92022 Nanterre Réservations : 01 46 14 70 00 www.nanterre-amandiers.com      Read More →
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Le Dragon, d’Evgueni Schwartz, mise en scène de Thomas Jolly, au Festival 100 %, La Villette
  © Nicolas Joubard   ƒƒƒ article de Denis Sanglard De la servitude volontaire. Conte noir pour adulte écrit en 1944 où Evgueni Schwartz (1896-1958) dénonce le totalitarisme, renvoyant dos à dos au moment de son écriture le national-socialisme et le stalinisme, Le Dragon est une œuvre magistrale, une farce politique d’une acuité sans pareil qui résonne encore aujourd’hui et plus que jamais en cette période trouble, ventre fécond où la bête immonde qui y sommeillait se réveille plus arrogante encore. Dans une ville imaginaire règne en despote depuis quatre cents ans un Dragon à trois têtes. La population asservie par la violence et désormais docile accepte de lui payer chaque année un tribut, une jeune fille vierge. La jeune fille mourant de dégoût après la nuit de noce fatale. Cette année-là c’est la fille de l’archiviste Charlemagne, Elsa qui est choisie par le monstre. Résignée et dans la plus grande indifférence de la population, elle attend son heure quand survient Lancelot, « héros professionnel », tombé là un peu par hasard. Afin de libérer la population et contre la volonté des habitants hostiles à ce projet, « on se fait à tout », le bourgmestre en tête, il provoque le dragon en duel. Le dragon est vaincu. Mais le héros se meurt et la victoire est porteuse de malheur. Un an après le bourgmestre règne en tyran, les élites sont corrompues et collaborent au régime, la population vit sous la terreur. La mort du monstre a libéré le dragon en chacun… Mais l’héroïsme et la résistance ne sont pas morts avec Lancelot. Et c’est dans les moments de crises que se révèle parfois le destin de certain. Thomas Jolly s’empare avec un bonheur évident de cette pièce brûlante et corrosive, et loin de l’actualiser, de la contextualiser platement, respecte avec intelligence le conte et son merveilleux, sa fausse naïveté et son âcre cruauté, exacerbe ainsi sa formidable théâtralité dans un registre délibérément expressionniste et burlesque où le noir et les angles aigus dominent (on pense au cinéma de Murnau mais aussi de Tim Burton). Sans esbroufe, modestement presque, avec une inventivité fébrile, il active une machinerie purement théâtrale à vous couper le souffle, qui vous enchante et cependant vous murmure à l’oreille une réalité qui se dessine non sans effroi. C’est du grand spectacle, oui, spectaculaire mais avec une économie de moyen, un bel artisanat qui dénonce volontairement la théâtralité et cela ne rend que plus poétique cette création indispensable, aujourd’hui rattrapée par la réalité d’une élection où le pire peut advenir. Et dans ce respect de la forme et de sa métaphore, le discours, cet appel à la liberté et la résistance devant l’autoritarisme et le populisme, n’en devient que plus pertinent et universel.  Ajoutons à cela des comédiens, qui dans un bel ensemble et une énergie commune, une vraie troupe, donne le meilleur d’eux même, habiles dans la composition burlesque comme dans un registre plus naturaliste et sensible. Une habile polyphonie de registre discordant distribuant les rôles, là les méchants, ici les gentils, parce que nous sommes dans un conte, ne l’oublions pas. C’est du théâtre populaire, du vrai, exigeant comme Thomas Jolly sait si bien le faire. Et c’est bien. Un théâtre engagé. Et c’est ici toute la force du théâtre, dans ce qu’il dit du monde, dans ce qu’il dénonce de nos errements, dans ce qu’il pressent, qui éclate avec Le Dragon d’Evgueni Schwartz. Un théâtre de résistance. « On n’écrit pas un conte pour dissimuler une signification, mais pour dévoiler, pour dire à pleine voix, de toutes ses forces, ce que l’on pense. » Qu’il  soit aujourd’hui entendu.   © Nicolas Joubard   Le Dragon d’Evgueni Schwartz Texte français de Benno Besson Mise en scène de Thomas Jolly Avec Damien Avice, Bruno Bayeux, Moustafa Benaibout, Clémence Boissé, Gilles Chabrier, Pierre Delmotte, Hiba El Aflahi, Damien Gabriac, Katja Kruger, Pier Lamandé, Damien Marquet, Théo Salemkour, Clémence Solignac, Ophélie Trichard Collaboration artistique : Katja Kruger Scénographie : Bruno de Lavenère Lumières : Antoine Travert Musique : Clément Mirguet Costumes : Sylvette Dequest   Du 14 au 17 avril 2022 Jeudi et vendredi à 20 h, samedi 19 h, dimanche 15 h   La Villette Grande Halle 211 avenue-Jean-Jaurès 75019 Paris   Réservations 01 40 03 75 75 www.lavillette.com   Tournée Du 27 au 30 avril Théâtre du Nord, CDN de Lille      Read More →
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