© Simon Gosselin
ƒƒ article de Maxime Pierre
Quelque part en Grèce : Trézène. À la façon d’une tragédie antique, trois acteurs assument l’ensemble des rôles : Phèdre, Hippolyte, Thésée, Œnone, Théramène. Au son d’une guitare, ils accrochent des sérénades sur les alexandrins de Racine. En contrepoint, des passages du poète grec Yannis Ritsos mettent la légende au goût du jour.
Assise dans son fauteuil de rotin, une « femme qui semble avoir dépassé la quarantaine » observe au point du jour le jeune Hippolyte. Et c’est ainsi que tout commence, dans la clarté d’un matin grec, tandis que les stores découpent des traits de lumière dorée sur la scène. Mélopée matinale. La chanson fait entendre les douze syllabes fatidiques de l’œuvre racinienne, les enroulent dans les replis de sa mélodie. Ce qui est en soi une gageure. Car l’alexandrin est implacable : pas de refrain, pas de ritournelle. La musique du destin – le fatum, à l’origine du mot fado – n’attend pas. L’action avance, tête en avant.
À une, deux, trois voix, les acteurs refont sonner le vers classique. Il n’est certes pas toujours facile de mouvoir une si grandiose machine. Le gond de la césure résiste. La symétrie impose sa résistance. Mais les harmonies de la guitare dissolvent la raideur du vers, les voix font résonner autrement un texte que l’on croyait connaître. Au détour d’une phrase, on grappille à coup sûr quelques notes délicieuses. Et soudain, un chant en langue grecque fait écho à cette musicalité fondamentale de la méditerranée : musiques amoureuses d’Andalousie aux influences arabes, musiques voyageuses devenues ailleurs bossa nova. L’émotion va crescendo jusqu’à l’issue fatale attendue par le spectateur. On pense alors à la beauté tragique d’un Orfeu negro.
Entre théâtre et chant, cette interprétation originale de Racine n’émeut certes pas à chaque instant. La faute peut-être au choix de certains passages où à la superposition des versions, notamment concernant la mort de Phèdre. Mais qu’importe ! On en retient de beaux moments. Cette reprise rafraîchissante d’un spectacle créé 1995 méritait un retour sur scène.
© Simon Gosselin
Trézène mélodies, mise en scène et musique de Cécile Garcia Fogel
D’après Phèdre de Jean Racine et Phèdre et Le Mur dans le miroir de Yannis Ritsos
Avec Cécile Garcia Fogel, Mélanie Menu (jeu et chant) et Ivan Quintero (guitare et voix)
Scénographie et costumes : Caroline Mexme
Lumières : Olivier Oudiou
Collaborations artistiques : Philippe Jamet et Jean-François Lombard
Durée : 1 h 05
Du 19 au 30 avril 2022
20 h mardi, mercredi et vendredi, 19 h jeudi, 16 h samedi
Théâtre 14
20, avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Réservations : 01.45.45.49.77
www.theatre14.fr
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