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Tempest project, d’après Shakespeare, adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, Théâtre des Bouffes du Nord

Avr 27, 2022 | Commentaires fermés sur Tempest project, d’après Shakespeare, adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, Théâtre des Bouffes du Nord

 

© Marie-Clauzade

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

The Tempest est l’une des pièces les plus énigmatiques de Shakespeare, très difficile à mettre en scène, pas seulement en raison de sa dimension féérique, mais peut-être plus encore en raison des différents niveaux de compréhension de son texte, ou de ses différentes entrées.

Peter Brook s’est confronté plusieurs fois à cette pièce qui est souvent présentée comme testamentaire, à travers Prospero, miroir de Shakespeare lui-même ; le personnage de fiction faisant ses adieux à la magie et l’auteur au théâtre.

Le metteur en scène britannique a créé sa première Tempest en 1957, sa première Tempête (en français) en 1968, puis une nouvelle version d’après la traduction de Jean-Claude Carrière en 1990 (jouée en 1991 au Festival d’Avignon). Avec l’humilité qui est la sienne à l’aube, ou presque, de son centenaire et du travail presque aussi ancien sur les œuvres de Shakespeare (il aurait présenté un Hamlet en marionnettes à ses parents à l’âge de 7 ans), Peter Brook a remis sur le chantier cette pièce en l’approchant comme pour la première fois, sous la forme d’une humble recherche et d’un workshop de 15 jours dans « son » Théâtre des Bouffes du Nord, avec Marie-Hélène Estienne, juste avant le premier confinement. C’est cette recherche qu’il présente aux Bouffes du Nord après l’avoir créée au Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis à l’automne, en lui gardant modestement le nom de « projet ». En fait, il s’agit moins d’un projet sur La Tempête que d’une forme condensée, plus accessible de la pièce.

Dans un environnement dépouillé, comme Peter Brook les affectionne (sa première Tempête en français se jouait dans un simple rectangle de sable), facilité par le décor naturel des Bouffes du Nord qui sied si bien à La Tempête, six comédiens aux nationalités et accents variés à l’image de nombre des distributions du metteur en scène, ont été chargés des rôles pas forcément principaux de la pièce. Des choix ont été faits et cela fonctionne à merveille. Tempest Project parvient à restituer l’essence de la pièce de Shakespeare, tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme, la dimension merveilleuse ne pâtit nullement de l’absence de trucage ou autres effets merveilleux, à moins de considérer, ce qui est tentant, que le chant enchanteur de Harué Momoyama ne soit l’un d’entre eux. Cet aspect musical mis de côté, Marilù Marini, en extraordinaire Ariel, y est certainement pour beaucoup. La comédienne argentine joue avec grâce et espièglerie de la malice de son personnage. Elle forme un duo solaire et complice avec Prospero, incarné par Ery Nzaramba, qui sait être aussi majestueux que facétieux, drôle et grave, dès son arrivée par le fond du plateau dans son long manteau noir et écharpe blanche, et jusqu’à la scène finale dans son adresse directe au public, assis, qui s’achève dans une transition silencieuse devenue si rare au théâtre, avant que les spectateurs ne s’autorisent à applaudir.

Tempest Project est également convaincant sur le fond. Le choix, notamment de réduire le nombre de personnages représentés sur scène et de privilégier par exemple les rôles secondaires (les bouffon, laquais et esclave Caliban sont joués par un excellent trio italien – Fabio et Luca Maniglio, Marcello Magni) sur ceux de leurs maîtres qui ne sont que cités (le roi de Naples, le frère usurpateur…), oriente les priorités ou caractéristiques centrales généralement soulignées de la pièce d’origine. C’est moins le temps qui passe, la vengeance ou l’ivresse du pouvoir qui dominent. C’est incontestablement la liberté. Celle qui est entravée et celle que l’on acquière. Nul besoin, sans doute, d’avoir été confronté à l’exil, à l’esclavage, ou tout autre forme violente ou légère de domination, pour ressentir la suprématie de ce droit si précieux. L’acquérir nécessite souvent d’abandonner à tout ce qui fournit parfois le mirage de la liberté. Prospero finit ainsi par comprendre qu’il doit renoncer à la magie et son Esprit Ariel qui le rendaient si puissant, à ses livres qui lui avaient permis de devenir si instruit et sage, à la vengeance contre son frère pour permettre le bonheur de Miranda, sa fille, à son île prise à son esclave Caliban. Se défaire de tout et être vraiment libre…

 

© Marie-Clauzade

 

Tempest Project, d’après la pièce La Tempête de Shakespeare

Adaptation et mise en scène : Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Traduction : Jean-Yves Lacroix

Lumières : Philippe Vialatte

Chants : Harué Momoyama

Avec : Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini, Ery Nzaramba

 

 

Durée 1 h 20

Jusqu’au 30 avril 2022, à 20 h 30

A 15 h 30 le samedi

 

 

Théâtre des Bouffes du Nord

37 bis boulevard de la Chapelle 75010 Paris

bouffesdunord.com

 

 

 

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